
La ville de Priéne , fa patrie, étoit affiégée , 8c
chacun fe prefloit d’emporter fes effets les plus
précieux. Comme on demandoit à Bias pourquoi
il fe retiroit les mains vides : je -porte tout avec
moi , répondit-il , faifant entendre que la fçience
& la vertu étoient les feuls biens réels.
Il étoit fur un vaiflfeau , 8c plufîeurs perfonnes
de‘ F équipage connues p a r leurs débauches *
voyant le bâtiment dans un preflant danger , fe
mirent a prier les dieux. T ai fer-vous 3 leur dit
Bias , qu ils ne fâchent pas , s'il Je peut 3 que vous
êtes'ici. Il avoir coutume de dire, ce parmi.les
*> bêtes fauvages 3 la plus à craindre eft un tyran j
» parmi les domeftiques , c’eft le flatteur.
p» L'efpérance eft le, pavot qui endort nos pei-
» nés 3 mais l'amour du gain les réveille ».
C e fage eut une fin digne de lui ; il mourut en
plaidant pour un de fes amis. Ses concitoyens
lui confacrèrent un temple.
‘BIBLIOMANE. Un bibliomane eft un homme
pofïédé de la fureur d'avoir des livres. Voici
comment la Bruyère peint un bibliomane dont il
fuppofe avoir defiré de voir la bibliothèque, ce Je
Vais, dit-il , trouver cet homme qui me reçoit
dans une maifon , oïl, dès l'éfcalier 3 je tombe en
foibleffe, d'une odeur de maroquin noir dont fes
livres font tous couverts. Il a beau me crier aux
oreilles, pour me ranimer 3 qu'ils font tous dorés fur
tranche, ornés de filets d 'or, & de la bonne édition
j me nommer les meilleurs ï'un après l'autre
j dire que fa galerie en eft remplie à quelques
endroits près, qui font peints de manière, qu'on
les prend pour de vrais livres rangés fur des tablettes,
& que l'oeil s'y trompe 5 ajouter qu'il
ne lit jamais, qu'il ne met jamais le pied dans
cette galerie , qu'il y viendra pour me faire plai-
fir ; je le remercie de fa complaifance & ne veux
non plus que lui vifiter fa tannerie qu’il appelle
bibliothèque ».
L'amour des livres, quand il n'eft pas guidé
par la philo fophie 8c par un efprit éclairé, eft une
paflion ridicule , & cette paillon fe nomme biblio- •
manie î c'eft fur-tout au-deflus des bibliothèques
formées par les bibliomanes , qu’on pourroit mettre
pour infcripti’on :
Les petites maifons de l'efprit humain.
M. Falconet avoit une fingulière manière de
compofer fa bibliothèque 8c bien oppofée à la
bibliomanie. Quand il achetoit un ouvrage, fut-
il en douze volumes, s’il n'y trou voit que fîx
pages de bonnes, il confervoit ces fîx pages &
jettoit le refte au feu.
Pour revenir aux bibliomanes, il y en a eu un
très connu , qui avoit un amour fîngulier pour
l$s livres- d'aftronomie „ qu'il pqyoit fort crier s
quoiqu'il n’entendît rien à cette fcience, c’étoît
feulement pour les tenir enfermés fous clef dans
des caffettes. Un autre qui prenoit grand foin
que fes livres fuient reliés très-proprement n’en
pretoit a perfonne, & même empruntait ceux
dont il avoit befoin, quoiqu'il les eût en fa poflef-
■ *fîon j mais ils étoient trop beaux, trop bien dorés,
pour rifquer de les gâter.
Un financier, qui ne connoifîbit que quelques
réglés d arithmétique, avoit fait drefler un corps
de bibliothèque dans fon cabinet, où la fculpture
^vra* ^orure n étoient point épargnées. Il ne s’a- .
giflbit plus que d'y mettre des livres. Il acheté
toute une édition in-quarto, d'une hiftoire que le
libraire n avoit pu débiter. Il la paie à tant la
toife j c'étoit le marché qu'il avoit tait. Mais il y
avoit un inconvénient, les volumes ne pouvoient
entrer dans la bibliothèque. Comme on lui repréfente
qu'il faut efpacer davantage les tablettes : Je
ne veux pas, dit-il, qu'on y touchej .vous gâteriez
ma fculpture. Comment faire ? Parbleu, répartit-
il j vous voilà bien embarraffés , il n'y a qu’à faire
rogner les volumes.
BIBLIOTHÈQUE. Le mot de bibliothèque
vient du grec 8c fignifie dépôt de livres.
Les tables de la lo i, les livres de Moïfe 3 ceux
des prophètes furent dépofés dans le fan&uaire
qui étoit regardé à cet égard comme la bibliothèque
facrée.
Selon Diodore de Sicile, le premier qui fonda
une bibliothèque en Egypte , fut Ofymandias contemporain
de Priam, roi de T ro y e , 8c qui fit
écrire ces mots au-deflus de l'entree : « Le tréfor
des remèdes de l'ame ». Il y avoit à Memphis ,
aujourd'hui le grand Caire , une très-belle bibliothèque
qui étoit dépofée dans le temple de Vul-
cain.
Naucrates accufe follement Hofnère d'y avoir
volé l’Iliade & l'Odiflee, & de les avoir enfuite
données comme fes propres ouvrages.
La plus grande bibliothèque d'Egypte, 8c pejjt>
être du monde entier fût celle des ptolomèes^t
Alexandrie. On avoit acheté des livres de toutes
nations pour former cette immenfe collection,
qui monta par degré jufqu’à fept cents mille volumes
, à la vérité le terme de volume eft employé
pour fignifier rouleau. O r , ces rouleaux
étoient bien moins confidérables que nos volumes.
Les morceaux les plus précieux de cette magnifique
bibliothèque , étoient Pécriture fainte qui
étoit dépofée dans le principal appartement. Les
ouvrages. d’Ariftote qui ayoient été payés un
prix exorbitant. Les originaux des tragédies d’Ef-
chile, de Sophocle 8c d’Euripide, que Ptolomée-
Phifcon dans un temps de famine avoit exige
des Athéniens pour leur fournir du bled.
Jules-Céfar aflîégé dans un quartier d'Alexandrie
, fit mettre le feu à la flotte qui etoit dans le
port, 8c caufa l'embrâfen^ent de cette fameufe
bibliothèque.
Les athéniens parmi les grecs montroient de
l ’empreflement à former des bibliothèques j mais
les lacédémoniens oui parloient peu & à qui l ’écriture
même paroifloit fuperflue, n'en eurent
jamais. -
Chez les romains il y avoit des bibliothèques
publiques & de particulières. Celle de Cicéron,
entr'autres, étoit fort belle, ftmout depuis qu'elle
avoit été augmentée par celle de fon ami Atti-
cus j félon lui fa bibliothèque étoit préférable à
tous les tréfors de Créfus.
Simonicus, précepteur de l’empereur Gordien,
avoit fondé à Rome une bibliothèque de huit mille
volumes choifîs j l'appartement qui la renfermoit
étoit pavee en marbre doré, les murs étoient
lambrifles de marbre 8c d'yvoire, 8c les armoires
de bois d’ebène & de cedre.
Parmi ces grandes bibliothèques, il ne faut pas
oublier celle fondée par Conftantin le grand, à
Conftantinople, l'an 336. Elle éprouva beaucoup
de révolutions, & monta cependant jufqu’ à cent
mille volumes. On aflure qu’elle renfermoit la
copie authentique du premier conrile de Nicée,
les ouvrages d’Homère écrits en lettres d 'or,
une copie des évangiles reliée en plaques d'or
du poids de quinze livres, 8c enrichie de pierreries
: les iconoclaftes qui détruifirent.
L'étude étant néceflaire à la Chine pour être
bien vu dans le inonde, 8c parvenir aux dignités,
il y a néceflairement beaucoup de livres & de
bibliothèques. Les hiftoriens rapportent,'qu'envi-
ron aco ans avant J. C . un empereur de la
Chine, dans le defîein d'abolir la mémoire de
ceux qui l'avoient précédé, ordonna de brûler tous
les livres qui fe trouvoient dans fes états, excepté
cependant ceux qui traitaient de médecine, d’agriculture
8c de .divination. Une femme, heureufe-
ment, trouva 4e moyen de conferver plufîeurs
ouvrages, tels que ceux de Mentius 8c de Confucius
furnommé le Socrate de la Chine.
Il y a aufli au Japon plufîeurs belles bibliothèques.
Le père Kircher 8c plufîeurs autres fayans
ont ajouté foi à ce qu'on a dit d'une bibliothèque
fituée dans le monaftère de Sainte - Croix ,
fur le mont Aara , en Ethiopie 5 dix millions cent
mille volumes, tous écrits fur beaux parchemin
& gardés dans des étuis de foie, composent cette
immenfe colledtion 5 elle doit, dit-on , fon origine
à la reine de Saba s qui avoit reçu de Salomon
les livres d’Enoch fur des fujets philofo-
,phiques, plufîeurs livres de Noÿ 8c d'Abraham,
ceux d'Efdras, desfybilles , des prophètes, 8cc.
Les arabes fe vantent d’avoir, dans une bibliothèque
3 à Maroc, la première copie du code
de Juftinien.
Celle de Fez eft, dit-on, de trente-deux mille
volumes, & renferme , à ce qu'on aflure, toutes
les décades de Tite-Livre, 8c les ouvrages d'Hip~
pocrate 8c de Galien.
De toutes les bibliothèques d’Europe, qui contiennent
des morceaux aufli rares que curieux,
les plus célèbres font celles du Vatican à Rome,
de l'Efcurial à Madrid, de Vienne , 8c de Saint-
M arc, à Venife.
La France, particulièrement, offre les richefles
les plus précieufes en ce genre î 8c Paris, la
capitale du monde littéraire , reunit un grand
nombre de belles bibliothèques, tant publiques
que particulières. Nous allons donner quelques
détails fur la plus nombreufe & la plus précieufe
de toutes, qui eft celle du roi.
Avant le quatrième fi£cle, nos rois avoient des
bibliothèques qui leur étoient particulières 8c qui,
lors de leur mort, fe trouvoient difperfées. C e
n'eft qu'à Charles V , prince extrêmément ami
des lettres, qu’on doit faire honneur de l’établif-
fement d'une bibliothèque royale , qui eft devenue
depuis, la plus belle portion du tréfor de la
couronne. 11 choifit une des tours du Louvre
pour y dépofer neuf cents dix volumes qui for-
moient toute fa collection 5 il avoit fait placer
dans cette falle trente petits chandeliers 8c une
lampe d'argent pour éclairer tous ceux qui vou-
loient venir y travailler.
C e petit tréfor , qui s'étoit accru fucceflïve-
ment, fut entièrement diflipé pendant les troubles
du règne de Charles VII.
Louis X I fit fes efforts pour réunir les débris
de la librairie du Louvre.
Charles V I I I , après fa conquête en Italie, y
joignit une grande partie de la bibliothèque de
Naples.
Louis X II mit beaucoup de zèle à l'augmenter ,
8c l'enrichit de celle de Blois qui étoit très-efti-
mée.
François I la réunit, en 145-4,,à celle qu'il avoit
commencée à' Fontainebleau, 8c créa, en faveur
de Guillaume Budé , la charge de bibliothéquaire,
fous le titre de maître de la librairie du roi.
Sous le règne de Charles 'IX , elle fut confiée
à Jacques Amyor qui fut remplacé par le
préfident de Thou , fous le règne de Henri-le-
Grand. Ce prince lit tranfporrer la bibliothèque
de f ontainebleau dans le collège de Clermont
à Paris , 8c de là aux cordeliers. En 15-99, on
y joignit la belle colîe&ion de Catherine de Mé»
die».