
9 ue chaque jour il prétendoit faire de nou-
Ydles découvertes d^nsie .paysde-la bonne chair,
Jufqu’à faire trouver aux mets ordinaires tout un
autre goût que leur goût naturel. Quand il avoit
à donner quelque repas d'érudition ( ce font fes
termes ) comme par exemple au duc de Lefdi-
guières, & au comte d'Olonne } il étoit fur pié
dès quatre heures du matin , & prenoit un compas
pour taire pofer la table du feftin , afin qu’elle
ne penchât pas plus d’un côté que de l’autre. Il
ne parloit pas moins que de condamner au fouet
ou d'envoyer au carcan des valets qui fe fèroient
mépris fur l’ordre des fervices. Un jour il s’avifa
de dire à fes convives: tentez-vous, Meilleurs,
le pied de mule dans cette omelette aux champignons
? Chacun d’eux fut furpris de l’aportrophe.
Pauvres ignorans j, leur dit^il, faut il que je vous
apprenne que les champignons employés dans cècre
omelette ont . été foulés par le pied d'une mule ?
Cela met un champignon au dernier période de la
perfection.
C e même comte du Brouflin menaça un jour
Defpréaux d'aller dîner chez lui * & lui prefcrivjt
le jour du repas. Mais, Monfieur, lui répliqua le
fatyrique.,il faut donc que vous m’envoyeiz une
fée pour vous régaler félon la fupériorité de votre
goût? P oint, point, lui dit le comte, donnez-
nous ce que yous voudrez, nous nous contenterons
d'un repas de poète. Monfieur le düc~de
Vitry & Meilleurs de Gourviile & de Barillon
furent de la fê te , où tout fe pafla à merveille.
C ’étpit à qui feroit plus de remercimens & d’em-
braflades au feigneur architiiclin; & le comte du
Brouffin lui dit en fortant, mon cher Defpréaux ,
vous pouvez vous vançer de nous avoir, donné un
repas fans faute,
GOUTTE» On prétend que cette maladie eft
inguérilfable, & qu'on ne doit ajouter aucune
Confiance à tous ceux qui fe vantent d'en avoir
guéri. Le connétable de Montmorenci, ay rapport
de Brantôme , difoit qu’il lui en avoit coûté
cinquante mille francs pour eflayer différens remèdes
qui n'avoient fervi de rien , & que le feul
qui avoit adquci un peu fou mal ce n’étoit qu’un
grand baflin d'eau froide avec un peu de fel, en
tremper une ferviette & l'appliquer fur les parties
douloureufes.
Voici quelques exemples qui font voir qu’on a
employé toutes fortes de moyens pour guérir ççtte
poaladie, mais auxquels on ne doit pas donner
toute croyanpe. Andr&us Libayius ( épie, z x x iir ,
in. cycla med. ) raconte l ’hiftoire d’un cabaretier
goutteux, qui avoit fait un marché de $op florins
avec un médecin logé chez lui, s’il le guérifloit ;
celui-ci lui promit de le guérir en un jour} il
le Ht faifir par fés domeftiques , lui cloua les
pieds fur un poteau j partit fans dire adieu , &
fevjqt «pis après çxiger fçn falaiie^ ayapt
appris que le patient n’avoit plus eu d*attaquefi
de goutte.
Guillelmus Fabricius , ebferv. l x x i x 3 art I
fait l’hiftoire de trois malheureux goutteux qui
ayant été appliqués à la torture pour leur faine
avouer un crime dont ils étoient fôupçohnés, &
ayant été reconnus innocens furent délivrés pendant
toute leur vie de celle de la goutte qu’ils
avoientéprouvée plu fleurs ^ois auparavant, & vécurent
encore long-temps après.
C e meme auteur raconte ( êpit x&vii ) 3 qu’uti
goutteux dans le.temps d’une attaque violente de
goutte ayant été enlevé de fon lit par un ennemi
mafqué, traîné par l’efcalier, & enfuùe mis fur
fes pieds au bas de fa i#aifon pour prendre haleine,.
, Le fpe&re prétendu ayant fait fembl.nt de le
reffaifir pour le porter hors de la mai fon, le goutteux
prit la fuite en montant l'efçalier & alla
crier au fecours par la fenêtre. La peur fit chez
lui le même effet que le meilleur remède.
La goutte eft auffi rare parmi les turcs qu’elle
çft commune chçz les nations accoutume es aux
excès dans les viandes & les boiflons. Leur nourriture
qui eft toujours la même ne pre jud ç.e pas
à leur fanté comme nos divers mets. G’ell à cette
vie réglée qu’on doit attribuer tn bonne partie,
la forte conftituti-n de ces peuples, fur-tout dç
ceux qui fe contentent de boire de l’eau ou du
fprbet, quelque^ taffes de cafte ou de ferquis, &
qui né font aucun excès de vin ou d’eau de vie,
Cependant quand ces peuples font attaqués d§
la goutte ils ont des remèdes plus fpécifiqpes que
’ les nôtres, &r voici uneh'ftoire qui fera connoître
la recette dont ils ufept.
! Un turc riçhe & de çonfidération ayant été pris
par une galçre de Malthe eut lç bonheur de plaire
! au chevalier qui la commandait j il le prit à fon
fejrvice & le traita d’upç manière à laquelle l’eft
clave n’avoit pas lieu de s’attendre ; ce chevalier
avoit fouvent des attaques de goutte très-dou-
loureufes, Son efclave qu’il aimoit Sc qui étoiç
même familier avec lu i, lui difoit fouvent : fi
tu étois dans mon pays, je te ferois-guérir radicalement
; mais le remède ne fe peut pas mettre
en pfage dans ce pays?ci.
Au bout de quelques années* le chevalier, content
de fon efclave, le mit en liberté fans vouloir
de rançon. Le turc de retour en fon pays fit un ar-
memeiit pour courir fur les chrétierisj il eut le
bonheur de prendre un vaiffeau qui alloit à
Malthe, Quant les prifonniers paflèrent en revue
devant lui, il reconnut le chevalier, fon ancien
maître î & bienfaiteur j il fit figne qu’on le fé-?
parât des autres, d°nna ordre qu’on ne le mfà
point aux fers, & qu’on le traitât comme fa propre
perfonne > mais il n? voulut point }e voit ni luij
perler
Les corfaîres étant arrivés, au lieu de leur armement
, le capitaine turc demanda à fes aflociés
cet efclave par préférence, & cela lui ayant été
accordé , il lui fit donner un cheval, & le fit conduire
en fa maifon. A peine y fut-il arrivé & logé
dans une belle chambre magnifiquement meublée ,
à la manière du pays, qu’il vit entrer fept ou huit
hommes, qui fans lui rien dire, le déshabillèrent,
l ’étendirent fur un matelas au milieu de la chambre
, lui lièrent les pieds à un gros bâton, &
deux d’entr’eux, lui donnèrent fur la plante des
pieds 4 à yoo coups de baguettes, qui les lui firent
enfler d un demi-pied. Un autre turc les lui fearifia
auflirôt avec beauepup d’adrefiTe, & fit fortir tout
le fang caillé , & y mit deffus un baume d’une
odeur merveilleufe. Après quoi on le porta fur une.
eftrade, où il y avoit un lit compofé de bons matelas,
avec ae riches couvertures. Le médecin
avec 3 ou 4 efclaves le gardoient à v u e , le fer-
voient avec une attention infinie. Gn le panfoit
deux fois par jour ; ôn lui donnoit les meilleures
nourritures , mais fans lui parler } on lui difoit
feulement d’avoir bon courage & de demander,
tout ce qu’il voudroit.
Le chevalier ne favoit que penfer d’un traitement
fi bifarre, il en attendoit le dénouement avec
impatience, lorfqu’au bout de dix jours fes plaies
furent entièrement guéries, & qu’il fe vit en état
de fe lever & de marcher j on lui donna des habits
à la turque qui étoient très riches, & fon patron
vint le voir. Il lui demanda qui il étoit, & enfuite,
s’il le connoiffoit : le chevalier n’avoit garde de I
reconnoître fon ancien efclave, les années l’avoient
changé 5 une barbe longue ombrageoit une partie
de fon vifage , & l’état florifiant où il le voyoit,
Je rendoit méconnohTable.
Quoi ! lui dit le capitaine turc , eft—il -poflible
que vous ayez oublié votre efclave Ibrahim ?
C ’eft moi-même que vous avez traité avec tant
de générofité : fâchez qu’un bienfait ri’ eft jamais
perdu chez les mufulmans; j’avois pitié de vous
quand vous fouffriez les douleurs de la goutte , &
je vous difoîs que fi vous étiez dans mon pays,, je
vous, feroi's guérir de manière à n’en être plus incommodé
: je vous ai tenu ma parole j vous êtes ‘
guéri} vous avez fouffert, mais vous ne fouffrirez jj
plus , & jamais la goutte ne vous attaquera. Le che- ]
valier le remercia des bons traitemens qu’il avoit :
reçus, après une plainte modefte de la baftonnade. ï
Bientôt après il n’en fut plus queftiori } il demeura
fix mois avec fon bienfaiteur, qui le combla de ;
biens & de careffes ; & quand le chevalier voulut
retourner ën fon pays, il le fit embarquer dans '
un' vameau chrétien avec fes gens, & dont il dé- 1
fraya le pafiage.
Te l eft le remède ; il eft libre à tout goutteux de
s’en fervir} le baume que l’on avoit employé étoit
du véritable baume de la Mé^ue ou de Judée
qu on ccnnoît en France, fous le nom de baume
blanc. A l’égard de la baftonnade, on peut louer
des turcs a Marfeilie, fi on eft tenté d’en ufer.
Quoi qu il en foit, s’il y a de la douleur dans cette
petite operation, elle ne dure qu’un inftant, au
lieu que la goutte fait fouffiir pendant long-tems.
Theophrafte & Aulugelle ont écrit que la mu-
fîque charme & appaife les douleurs de la goutte ;
rieo d étonnant à cela 3 on fait qu’en général les
forts mélodieux fufpendent la vivacité des douleurs
quelconques. On lit dans le troifîème livre
des_lççons de Louis Guyon, qu’une femme très-
valetudinaire, & fur-tdùt fort incommodée de la
goutte 3 manda un homme qui jouoit fort bien du
tambour & de la flûte, & qui le fit alors avec
tant de véhémence, que la’ malade tomba par
terre, privée de fentiment & de refpiratipn. Etant
revenue de cet. évanouiffement, elle fe plaignit
de grandes douleurs ; & le muficien, de fon côté,
ayant repris de nouvelles forces, & s’étant remis
à jouer, cette fécondé dofe de mufique produifît
un fi bon effet, que la malade fe trouva peu de
temps après'délivrée de fes douleurs, & parfaitement
guérie.
Philippe I I , roi d’Efpagne, avoit la goutte.
Son premier médecin, nommé Mercatus , homme
habile & expérimenté , lui avoit fait prendre différens
remèdes , fans lui procurer aucun foulage-
ment. ^ Quelqu'un propofa d’appeller un autre
médecin , nommé Valezio. Lorfqu’il fut arrivé, il
confeiila au roi de mettre fes pieds dans un bain
d’eau tiède. C e remède très-fimple réuflit au-delà
de toute efpérance. Qu’en refulta-t-il? que Mat-
catus fut renvoyé, & que Valezio eut fa place.
f C e fut la goutte qui jetta dans les mathématiques
Bonaventure Cavalieri, jéfuite de Milan >
& profefTeur de mathe'matiques à Bologne. Cette
maladie le tourmencoit violemment, lorfque Benoît
Caflelli, difciple de Galilée , vinc le voir ;
il lui confeiila, pour le diftraire de fes douleurs ,
de s’appliquer àja géométrie. Cavalieri fuivit ce
çonfeil ^ prit goût à cette fcience , & devint un
des plus célèbres mathématiciens, du dernier fiècle.
Leibnizt mourut pour avoir voulu fe délivrer
trop promptement d’un accès, de goutte. Il prit
un remède qu’un jéfuite lui avoit donné à Vienne.
La goutte remonta du pied dans l’ eftomac , & le
malade fut tout-à-coup fuffoqué. Il étoit alors afTûr
fur fon lit, ayant à côté de lui ion écritoire &
YArgenis de Barclay. Nous rapportons cette
anecdote, pour quelle ferve de leçon.aux goutteux^
& qu’ ils ne prennent pas- au hafard des
remèdes qui, loin de les guérir ou de les foulager*
peuvent les faire périr.
Hoffmann dit qu’un homme , qui étoit attaque-
,de la goutte, en fut guéri par un chien qu’il, fiç