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pruntoit du prem’èr officier qu*il rê'ncôfltroit, &
le renyoyoit à fon intendant poür! êtrè payé; Celu
i-c i foupçorinïint qufon e-xigeoiL quelquefois
plus qu on n'avoit prêté à fon maître, lui infiûua
de donner àJ'avenir des billets dé ce 'qü’ il cm-
pruhtôit. » N o n , non, dit lé Vicomte y donnez
tout ’ce1 qu’on vous demandera.’ ILn’eft pas pof-
fible qu’un officier aille vous redemande^ une
fqmme qu’ il n’a point prêtée^ à'moins qu’il, ne
foit dans un exttême belpin y & dans ce cas il
eft jufte de -.l’affifter ».
Un officier étoit au défefpoir d’avoir perdu,
dans un com b a td ë iix chevaux, que la f t jation
de fes affaires ne'lui permettoit pas de remplacer.
Turenne; îûi en donna-deux des fiens, eh lui re
commahdant fortement de n’en rien dire à per:
fonne. * D ’autres, lui d it- il, viendraient m’en'
demander , & je ne fuis pas en état d’en dorihëf
à tout le tnohdei » Gët homme moiefte- vouloit
cacher , fous un air d’économie, le mérite d’une
bonne àétion.-
Une autrefois Turenneapperçut dans fon armée
un officier d'urre naiffahcediftinguée pauvre
& très-mal monté/Il l invita à dîner, le-tira
en part:culier'apr^sle repas, & lui dit ayec bonté : „
J ’a i, monfieur.i- unf ;prière à vous faire : vous
la; trouverez, peuc-être- un peu hardie y mais j’cf-
pçre qu.e vous ne voudrez pas refufer votre général.
Je fnis vieux, continua-t-ii, & même un
peu incommodé. Les chevaux vif? me fatiguent,
& j e vous.en a f vu un fur lequel jç crois que je
ferai fort ;à. mon aife.. Si:je ne, craignois de vous,
demander un trop grand facrifice , je vous pro-
poferois de "me l.e Céder». L’officier ne répons-
dit que par une profonde révérence., & alla dans
Ffnffant prendre fon cheval qu’il mena*lui-même
dans rétùries de Turenne. Ce général le lendemain
lui en envoya un des plus beaux & des meilleurs
de l’armée.
.On a beaucoup loué la continence de Scipion
l’Africain, Turenne donna le même exemple de
vertu à fon armée.y.-mais avec cette modeftie qui
accorr.pjgnoit- routes fes allions. Après la pri.fe;
du fort de S.olré dans le Hainauît en 1637, les
premiers foldats qui entrèrent dans la place, y
ayant trouvé une très-belle perforine , la lui amenèrent
comme la plus pré:cieufë portion du butin.
Turenne, , feignant- de1 croire qu’ ils n’avoient cherché;
qu’à là dérober à là; brutalité de leurs,compagnons
, les îpua beauc^iip.d’une conduire fi honnête.
Il fo. tout de fuite chercher fon mari en lui.
difant publiquement : Vous deyé\u la retenue de
mes foldats l'honnm de votre femme.
La campagne- de 167$ fit Je plus' grand hon-
.neur à fdPènhé cét habile général avoit fu
non-feulement, profiter des fautes des ennemis,
maïs’ encore les prévoir. Lorfqu après la vj&oire
faHës Allemands 'commandés par le duc de -Loi-
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•raine & par’Caprara, les officiers de fonarmée fe
;raffembloient autour de lui pour le féliciter fur
;C.tte viétoir'e qui étoit le fruit dëffes lavantes manoeuvres
, meflkurs , leur dit. Turenne , avec ■des
.gens comme vous on doit attaquer hardiment, parce
• quon efi fur de vaincre..
Autre trait de fa modeftie. Un homme-également
bornë‘&: indifcret lui r’appéllant la journée
de Rhetel en f6fO où îl-s’êioit laiffé battre par le
maréchal ,du Pleffis-Praflin, lui Aemarvdoit xoîTî-
ment il avoir perdu cette bata lie > Turenne lui
répondit fimplement : par ma faute.
M.- de’ Turenne a’molt tendrement le -fils d®
M. d’Elbceuf, qui à quatorze ans étoit un pru-
d’gc de valeur. IL l’envoya fa lu eu.1 M.- de Lorraine
, qui lui .dit t » mon petit cpufîn , vous
êtes trop heureux de voir & d’entendre tous les
ijôùrVMi de Turenne , vous 'n'avez que ICïi de
parent & de père, bai fez les pas par où il paffe
i& faites vous tuerr;à. fes. p^eds.
Le grand Çondé ;donnoit toujours fes ordres
’par écrit au^c fficiers-généraiix qui ne pouvoienc
fe refufer a obéir. . ’
Le grand Turenne au contraire ‘ne leur don-
noit prefque point,d’ordre : ce general s’en rap-
portoit à leur, prudence.
La réputation de. la plus exaéte probité qu’il
s’étoit acquife, faifoit regarder fa parole, meme
par les nations étrangères y comme le plus fur ga-
ra-.t qu’elles puffeht obtenir. Une armée Ftàn-
çoife s’etoit approchée dii lac de Confiance, fous
prétexte de mettre à contribution quelques terres
de la maifon d’Autriche. Les Suiffes y auxquels
l'ambition1 de Louis XIV étoit fufpeéle ,
craignirent une invafion rapide & imprévue dans
leu: s pofTeffions. Ils envoyèrent da.ns l inftantd.es
députés à Turenne pour lui dire qu’avec d’autres
ils croiroient n’aVoir jamais affez pris de précautions,
pour leur fûtetéj mais qu’avec lu: ils ne
demandoient que fa parole,, qu’il nentrepfen-
droit rien contre eux.
Turenne .étoit bon. Un jour qu’il vifi.oît fon
camp, quelques officiers qui le précédoient demandèrent
à des foldats qtnls .virent. ,très-cmbap-
raileSj: ce qu’ils faifoient là ; Nous ;cachom ,
répondirent - rl^ , jufqu’à ce que le général , fpit
pafle , ;des vachej que ;nous avons dérobées ».
Turenne , qui étoit affez près pour entendre la
cor.verfatièn , ajouta tout de fuite : » Il pourra
pafiêr bientôt : mais une autre fois, pour n’êtfe
pas pendus , je vous confeille de vous mieux
cach:r. »
Un jeune gentilhomme de l’arrière-ban qui. ar-
rivoit au camp, demanda à Turenne •lui-me- .e
où il metfroic Tés chevaux. Un rire univerfel &
infultant fuivit cette queftion fîngulère. La plaisanterie
eût fans doute été poufTée plus- loin, p le
général,
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général, avec le férieux & la bonté qui lui étoient
ordinaires, n’eût pris la parole. » C ’eft donc,
dit-il , une chofe bien'étonnante, qu’un homme
qui n’ eft jamais venu à l’armée en ignore, les
ufages ? N ’y a-t-il pas bien de l’efprit àfemoc-
quer de lui, parce qui! ne fait pas des chofes
qu’il ne peut favoir , & qu’au bout de huit
jours il faura auffi bien que vous»? Il ordonna
en même temps à fon écuyer d’avoir foin des
chevaux de ce gentilhomme, & de l'inllruire des
autres ufages.
On n’oubliera point ici le trait qui lui mérita
le titre glorieux de pere des foldats. L’armée de
France faifoit une pénible retraite pendant laquelle
Turenne étoit jour & nuit en aélion pour
mettre les troupes à couvert des infultes des impériaux.
Dans le cours de cette marche le vicomte
étant retourné fur fes pas pour voir fî tout étoit
en ordre , apperçut un foldat qui, n’ayant plus la
force de fe foutenir, s’étoit jetté au pied d’un ar- *
bre pour y attendre la fin de fes maux. Turenne
auffi-tôt defeend de cheval, aide ce foldat à fe relever
, lui donne fa monture, & l’accompagne
lui-même à pied jufqu’à ce qu’il eût pu joindre
les chariots où il le fit placer.
Ce général s’apperçut un jour en fe retournant
que plufieurs cavaliers baifioient la tête à caufe
de quelques boulets qui venoîent d’une éminence
, & qu’ils fe redrefloient d’abord, crainte
de réprimande. Non 9 non , dit-il , i l n y a pas
de mal j cela mérite bien une_ révérence.
Voici comme Turenne dans une lettre faifoit
I » part d’une des plus fignalées vi&oires qu’ il eût
K remportées : » Les ennemis font venus nous at-
I taquer , nous les avons battus , Dieu en foit
t loue ", j’ai eu un peu de peine , je vous fou-
I haite le bon foir , je me mets dans mon lit ».
Il avoit en^ 1673 , pendant les plus grandes
I rigueurs de l’hiver, entrepris de chafter de la
I Weftphalie J’armée des ennemis. Un jour qu’é-
puifé^ de veilles & de fatigues-, il s’étoit couché
derrière un buifion, des fantalîîns qui voyoient
en paiïant que la neige tomboit fur lu i, coupèrent
des branches d’arbres pour lui faire une
hutë. Des cavaliers arrivèrent qui la couvrirent
de leurs manteaux. Turenne s’éveille dans cet
inftant, & demande à quoi on s’amufe, au lieu
de marcher, » Nous voulons, répondirent les
foldats, conferver notre père 3 c’eft notre plus
grande affaire, fi nous venions à le perdre, qui
nous, ramèneroit dans notre pays ? »
Ce général étoit dans l’ufage de vifiter fouvent
fon camp. Sa vigilance redoubloit lorfque fes
foins devenoient plus néceflaires. Durant l’expédition
rapide de la conquête de la Franche-Comté
e? j il s’approcha un jour d’une tente où
plufieurs jeunes foldats qui mangeoient enfemble,
Encyclopédiana.
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fe plaîgnoient de la pénible & inutile marche
qu’ils venoient de faire.» Vous ne connoifiez pas
notre père, leur dit un vieux grenadier tout
criblé de coups y il ne nous auroit pas expofés
à tant de fa t ig u e s s ’ il n’avoit pas de grandes
vues que nous ne faurîons pénétrer ». C e dif-,
cours fit ceffer toutes les plaintes, & on fe mit
à boire à la fanté du général. Turenne avoua
depuis qu’il n’avoic jamais fenti de plaifir plus
v if
Dans cette campagne de 1674, on traça un
camp affez près de Strasbourg. Toute l’armée
convaincue qu’on y attendroit les Allemands, tra^
vailla avec une grande ardeur à s’y retrancher. Un
vieux fantaffm feul fe repofoit. Turenne lui demanda
pourquoi il ne travailloit pas comme les
autres. C’eft3 mon général, lui répondit le foldat
en fouriant , que vous ne demeurerez pas longtemps
ici. Le vicomte, charmé de l’intelligence
de cet homme, lui donna de l’argent} lui recommanda
le fecret, & le fit lieutenant.
Turenne dut être flatté de cette faillie d’un autre
foldat de fon armée. Ce foldat fe faifoit ap-
peller du nom de ce général qui lui témoigna
qu’il s’en- offenfoit : Morbleu , mon général, dit
le grivois, f a i la folie des noms y f i ja y o is fu un
plus beau nom que le vôtre , je l’aurois pris.
Une autre fois que Turenne fe promenoit au
quartier-général, il entendit deux foldats parler
de lui dans une tente où ils buvoient. L ’un difoit
que le comte eût été un parfait général, s’il étoit
auffi brave qu’ il étoit prudent. Turenne fit ob-
ferver le foldat, & fe l’étant fait montrer, il attendit
l’occafion de le punir de fon indiscrétion.
Un jour qu’ il falloit reconnoître une place, il le
fit appeller, & fans lui dire autre chofe, (mon
qu’il eût à l’accompagner , il le mena jufqu’au
bord du foffé de la place affiégée. Le foldat avoit
la peur peinte fur le vifage y & le vicomte en le
congédiant, lui dit :• Retourne boire avec tes camarades
y mais n y parle pas mal d'un homme aujjl
brave que toi.
C e général favoit pénétrer les fentimens qu’011
vouloit lui cacher. Un militaire fort modefte
avouoit franchement qu’il avoit peur quand il al-
loit au feu y mais il ajoutoit que ce mouvement
machinal ne l’empêchoit pas de faire fon devoir
avec honneur , & qu’ il étoit tranfporté de joie
quand il pouvoit prévenir les ordres de fon général.
Cet homme vrai fut commandé un jour pour
attaquer un pofte , & laiffa entrevoir dans le chemin
quelquinquiétude. Un camarade, fort fanfaron
, qu’on lui avoit donné , croyant furprendre
l’eftime de Turenne, vint le prier de lui donner
un autre officier qui pût le féconder dans le coup
de main qu'il s’agiffoit d’exécuter. Celui qui efi
envoyé avec moi , difoit-il , efi un homme a lâcher
pied dans l'aftion , 6* même il avoue ingénument