
ment, Lut mit le feu dans le Fang* & le rendit
fujet à des tranfports de fureur dans iefquels il
ne fe connoifibit point.
Le Fort étoit le feul'de -fes favoris qui avoit
al-rs le pouvoir ou le courage de le dompter* de
l'arrêter, & de lui reprocher avec force fes violences.
L i voix de ,1’im lératrice Catherine étoit encore
un charme très puiffant pour rétablir Ie-calnae dans
fes feus agités , pour le rappeÜer aux fentimens
d'humanité, aux principes de vertu* à lui-même.
Il s’appaifoit en rougiffant de ces emportemens
involontaires *, & s’écrioit avec confulion & avec
douleur : Hélas ! j ‘aurai,pu réformer ma nation, &
je ne pourrai me réformer moi même !
Pierre le grand était devenu le plus favant de
foh empire; il parlait plufielns langues , & s’étoit
rendu habile dans les -mathématiques * la phyfique
& la géographie.
Il avoit appris jufqu’à la chirurgie qu’il exerça
plus d’une fois avec fuceès. Les projets les plus
valles ne l’étonnoient point, & il les fuivoit avec
une ardeur, avec une confiance qui leur ôtoient
tout ce qu'ils paroifioient avoir d’abord de chi;
mériques.
C ’eft la hirdieffe de fon ge'n’e* c ’eft fa paffîon
pour les-ch >fes extraordinaires qui lui firent entreprendre
8c exécuter en peu d’années la meta-
morphofe étonnante & fubite d'un peuple grof-
fier & barbare * en un peuple éclairé~& policé.
Toute fa gloire fut utile à fa patrie.-
L ’ hiftoire n’ offrira vraifemblablement que cet
exemple unique d’un empereur qui defeende du
trône pour aller chez des nations étrangères , travailler
comme un fini pie mercenaire dans les atte-
liers , dans les chantiers , dans les manufactures *
fe confondant 8c voulant être méconnu parmi les
artifans* afin d’apprendre les élémens des fciencés
& des arts* 8c de les introduire dans fes états.
Il y a eu des rois conquérans, il. y en a eu de
légillateurs & de grands politiques j mais Pierre ;
le grand eft le feul qui, à ces titres glorieux *
ait pu joindre les qualités non- moins héroïques
de réformateur de ion pays * de précepteur, des
connoiffânces utiles * de fondateur des fcîences
& des arts * d’inftitutenr des moeurs de fes peuples.
( Hifoire des révolutions de Rujfîe );
Le czar Pierre qui, par fon propre génie * s’étoit
élevé au-deffus des préjugés des moeurs & des
loix de fon pays * comprit q u e , pour introduire
plus prompte ment dans fes états la réfoi ms générale
qu’il méditoit, iL falloir l’ enfeigner par fon.
exemple.
Il fe fournit donc le premier aux épreuves d’une
difcipline militaire. Il avoit chargé le Fort* illuf-
tre guerrier * de lever cinquante mille hommes de
troupes * 8c de les exercer comme il jugeroit à
propos..
Le czar fe mit lui-même dans la compagnie de
le Fort', qu’il appelloit fon capitaine. Son premier
grade fut celui de tambour ; & après avoir battu
quelque temps la caiffe , & couché avec fes camarades
à la fuite du régiment * il fut nommé fer-
gent.
Il paffa fucceffm-ment aux autres grades, fuî-
vànt qu’il l’avoit mérité* & il n’étoit pas facile de
l’abufer à cet égard.
Les autres réformes qu’ il méditoit demnndoient
des connoiffânces & des lumières. Il prit en con-
féquence l’étrange réfolution d’aller les puifer
chez les nations voifines * & de s’éloigner quelques
années de fes états* pour apprendre à les
mieux gouverner.
Il voyagea en Allemagne * vêtu à l’allemande *
8c fous l’ habit d’un fi triple gentilhomme. Il mé-
prifoit le fafie * mais il n’étoit que trop fenfibîe
aux plaifîrs de la table, fi fort à la mode autrefois
en Allemagne.
Dans un de ces repas * échauffé par les fumées
du vin & des liqueurs, il s’oublia affez pour tirer
l’épée contre fon favori le Fort ; mais ce qui fait
l’éloge de ce prince * c’eft qu’il témoigna un vif
regret de cet emportement.
Pendant fon féjour en Hollande, il étudia la
| géographie , la phyfique* l’hifioire naturelle 8c fur-
tout la marine.
Il prit un habit de pilote * 8c alla dans cet équipage
au village de Sardam , où l’on co.nftruifoit
beaucoup de vaiffeanx. Il fe fit inferire dans le
nombre des charpentiers.
On l’appelloit communément maître Pierre.
Les ouvriers furent d’abord interdits de voir
un fouvernin parmi eux ; mais comme ce fouve-
îain n’avoit rien qui le difiinguat des autres hom«
mes * ils fe Familiarisèrent bientôt avec lui.
Ces ouvriers lui avoient appt-s leur routine
dans la conflru&ion des.vaifieauxj.il paffa en
Angleterre pour en étudier l’arc.
Le roi Guillaume* flatté de recevoir dans fes
états cet illuftre voyageur, lui fit un présent d|gne
fje tous detixj c’écoit un iaçht de“vingt cinq pièces
de canon* le meilleur voilier de la mer. Tous
P I E
Tous les gens de l’ équipage voulurent bien auffï
felaiffer donner* & Pierre amena avec lui fur ce ;
vaiffeau une colonie de marins & d’artifans de
toute efpèce.
Ce fut en 1717 que le czar vint en France. On
lui rendit dans tous les lieux de fon paffage Ls
honneurs dus à fon rang. Mais ce cérémonial le
gênoic.
11 ne voulut point s’arrêter à Beauvais * ou l’évêque
de cette ville avoit fait préparer un grand
feftin ; 8c comme on lui repréièn.toit que , s’il paf-
foit outre , il feroit màuvaife chère : « J ’ai été
fold.it, répondit ce p r in c e ,'& pourvu que je
trouve du pain 8c de la bière * je fuis content
».
Le czar fut d’abord reçu au louvre avec toute
fa fuite * la magnificence avec laquelle on avoit
décoré les appartenons , fembloit gêner fa lim-
plicité j il préféra d’aller fe' loger à l’autre bout
de la ville , à l’hôtel de Lefdiguières , où il fut
traité 8c défrayé comme au louvre.
Le roi* encore enfant, & conduit par M. de
Villeroi* fon gouverneur* vint lui rendre vifite.
Deux jours après, le czar reçut les refpeéts ffu
corps-de-ville * & alla le foîr voir le roi.
Lamaifon du roi étoit feus les armes. On mena
ce jeûne prince jufqu’au caroffe du czar.
. Pierre, étonné & inquiété de la foule qui fe
prefloit autour de ce monarque enfant, le prit 8c
le porta quelque temps dans fes bias. Hiftoire de
l‘empire de RuJJie.
Pierre alla vifîter en homme qui vouloit s’inf-
truire, les monumens 8c les manufactures dignes
de fon attention.
Lorfqu’il fut voir la monnoîe royale des médailles
* on en frappa pjufieurs devant lui.
Une de ces médailles étant tombée à fes pieds,
le czar s’empreffa de la ramaffer * & il y vit fon
portrait en bufte , 8c furie revers, une renommée
pofant le pied fur le globe * & ces mots de Virgile
: Vires acquirit eundo. Allufion ingénieufe aux
voyages & à la gloire de Pierre le grand.
On préfenta de ces médailles d’or à lui & à
tous ceux qui l’accqmpagnoient. Il ne put s’empêcher
de dire en le^ recevant : « Il n’y a que
les françois capables d’une pareille galanterie ».
Lorfqu’ il alla dîner à Petit-Bourg chez M. le duc
d’Antin * furintendant des bâtimens * la première
Encyciopédiana.
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chofe qu’ il vit fut fon portrait peint en grand avec
le même habit qu’il portoit.
Dans les manufactures 8c chiz les artiftes , tout
ce qui fembloit m éritei fon approbation lui etOit
offert de la part du roi.
En voyant le tombeau du cardinal de Richelieu
& la ftatue de ce miniftre* monument digne
de celui qu’ii repréfente * le czar larda paroître un
de ces tranfports, & dit une de ces chofe s qui ne
peuvent échapper qu’à ceux qui font nés pour etre
de grands hommes.
Il monta fur le tombeau * embraffa la ftatue :
« Grand miniftre, dit-il, que n’es-tu né de mon
cemps ! je te donnerois la moitié de mon empire*
pour apprendre à gouverner l’autre ».
Un homme qui avoit moins d’enthoufiafme que
le czar , s étant fait expliquer ces paroles prononcées
en langue Ruffe , répondit : « S’il avoit
donné cette moitié* il n’auroit pas long-temps
gardé l’autre ». Anecdotes fur le c^ar Pierre le
grand.
L ’académie des fcîences de Paris ayant fupplié
le czar * qui étoit venu à une de fes aflemblées du
mois de juin 1717 * de vouloir bien lui faire l’honneur
d'être un de fes membres * l’abbé Bignon
reçut de Pétersbourg , le 7 novembre de la même
armée * une lettre du premier médecin de fa ma-
jefté czarienne* contenant qu’ elle étoit très fatis-
faite de ce que l’illuftre corps de l’académie vouloit
l’admettre au nombre de ceux qui/la com-
pofoient. M. de Fontenelle, comme fecrétaire de
la compagnie, fut chargé de répondre à cette
lettre.
Un des établiffemens que le czar admira le plus*
fut l’hôtel royal des invalides.
Après qu’il eut tout examiné avec cet oeil ob-
fervateur auquel rien n’échappoit, M- le maréchal
de Villars le conduifit dans le réfectoire au moment
que les foldats fe mettaient à table.
„ C e prince goûta de leur foupe * 8c prenant un
verre de vin { « A la fanté * dit-il * de mes camarades
».
Le czar, de retour dans fes états* y fit fleurir
les fcîences & les arts j 8c ce qui eft peut-être plus
difficile, il parvint à réformer les anciens ufage$
des mofeovites.
1 Ses divertiflfemens mêmes furent cenfâçrés à
faire goûter le nouveau genre de vie qu’il intro-
duifoit parmi fes fujets.
C ’ eft dans cette vue qu’un foir il fit inviter
C c ç c c