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faire tendre des'chaînes aux ponts, de peur que
les autres poètes, en paffant, ne fe jettaffent dans
la rivière.
Quoique Santeuil ait été fbuvent preffé de fe
faire ordonner prêtre, il n’a jamais été que fou-
diacre. Cela ne- l’empêcha pas de prêcher dans
un village , un jour que le prédicateur avoit manqué.
A peine fut-il monté en chaire qu'il fe brouilla.
Il fe retira en difant : Meflieurs j’ aurois bien d'autres
chofes à vous dire, mais il eft inutile de vous
prêcher davantage, vous n’en deviendriez pas
'meilleurs.
Un jour un religieux de Saint-Vi&or , confrère
de Santeuil, lui montra des vers oû fe trouvoit
le mot quoniam , qui eft une expreflion tout-à-
fait prolaïque. Santeuil pour le railler lui fécîta
tout tin pfaume où fe trouve vingt fois le mot
-quoniam. Confitemini Domino quoniam bonus }
quoniam mifericordia ejus } quoniam falutare fuum
& c . Lé religieux piqué lui répliqua fort ingénieusement
fur le champ par ce mot de Virgile.
Infanire licet quoniam tibi.
Santeuil difoit que quoiqu’il n’y eût point de
falut hors de l’églife pour perfonne , il étoit
excepté de cette règle , parce qu’il étoit obligé
d’en fortir pour faire le lien, y entendant chanter
fes hymnes avec trop d’amour propre.
Le prieur de Saint-Vi&or ayant Tu que Santeuil
,8c l’abbé Bouin, qui étoient tous deux novices,
jouoient continuellement , leur défendit le jeu.
Santeuil fut mis en prifonpour avoir défobéi le
jour même. L ’abbé Bouin alla lui propofer de
jouer à travers la chatière qui étoit à la porte 3 •
ils s’ affirent à terre chacun de fon côté, & mirent
l’argent au milieu du trou. A peine Santeuil
eut pris le s . cartes, qu’il, s’écria : J’ai gagné l j’ai
qqinté, quatorze & le point} Bouin fe faifît auf- \
Tïtôt de l’argent & s’enfuit fans rien dire. Santeuil
cria de toutes fes forces au voleur, au voleur ,;;
au voleur* Ces cris attirèrent toute la maifon dans
le lieu où on les entendoit. Le prieur qui fut
d’abord au fait de ce dont il s’agifloit, fe mît à
gronder fon prifonnier, qui, au lieu de l’écouter,
ne ceffoit de crier comme auparavant, que Bouin !
étoit un fripon, qu il avoit emporté fon argent )|
en ajoutant perpétuellement : .j’avois quinte,:
quatorze & le point. Le fupérieur, qui dans le ;
fond dé l’âme rioit de l’extravagance , dé Santeuil 31
eut toutes les peines du monde à le calnjer , &
fut contraint de l’enfermer plus étroitement.
Un abbé , homme de qualité & de mérite , j
ayant paru médiocrement admirateur de quelques j
Vers que Santeuil lui montra, le dBoete lui dit J
des chofes trè„s-défobligeantes. Le lendemain l’abbé,
pour adoucir le chagrin qu’il; lui avoit caufé,) lui ji
«nvoya dix ’piftoles. Santeuil3 ënJesfecevant., i
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ait au laquais qui les lui. appoftoit : Vous.dire«
à votre maître que je fuis fâché de ne lui avoir
dit que des injures, & qu’une autrefois je le battrai,
parce que fans doute il m’enyerra beaucoup
plus d’argent, v
Un gentilhomme angevin fe plaignoit à un procureur
de Paris, d’avoir été trompé par un
moine. Quoi ! monfieur, lui dit Santeuil3 qui étoit;
préfent à l’entretien, un homme de votre âge ne
connoît pas les moines. Il y a quatre chofes dan$
le monde , pourfuivit-il, dont il faut fe défier,
du vifage d’une femme, du derrière d’une mule,
du côté d’une charrette , & d’un moine de tous
les cô’tés.
Santeuil ayant été un foîr fouper en ville, &
retournant tard dans fon couvent, rencontra dans
une rue détournée deux voleurs qui lui prirent
fa bourfe. Ils lui demandèrent enfuite s’il avoit
une montre} non, répondit-il. Tant pis, reprirent
les voleurs , car fi vous en aviez eu vous
fauriez qu’il eft heure indue pour vous. A quelques
pas de là , deux autres voleurs lui demandèrent
encore la bourfe. Meflieurs, leur répondit
Senteuil je l’ ai donné à garder à deux honnêtes
meflieurs qui ont bien voulu s’en charger il n’y a
qu’un inftant : les voleurs entendirent à demi
mot, 8c furent partager avec leurs camarades
l’argent du poète.
Une femme aimable, à qui il devoit quelqu’ ar-
gent, le rencontrant un jour dans une maifon,
lui demanda pourquoi on ne le voyoit plus : » Eft ce
a caufe 3 ajouta-telle , que vous nous dève\ ? Non,
madame, reprit le vidtorin , ce n’eft p.as ce qui
m’en empêche , 8c vous êtes caufe que vous n’êtes
pas payée. Comment donc? interrompit la dame;
C ’eft , pourfuivit le poète que loifque je vous
vois, j’oublie tout ».
Dans un des chapitres ténus à Saint-Vi&or, pont
Tadmiflîqn des.hymnes de Santeuil, un religieux
dit qu’il ne convenoit pas de chanter dans l’églife
les hymnes d’un homme qui avoit fi peu d’ordre
dans fes a&îons. Santêdil répartit aufli-tôt : « Ne
regardez pas l'ouvrier y regardez l’ouvrage } le
tabernacle de notre autel eft beau } vous l’aveî
reçu, vous l’avez loué1; c’ eft cependant un pro-
teftant qui l’a fait. Il en eft ainfi de mes hymnes ».
Un certain prédicateur prêchôit à Saint-Merry,
& ne fatisfai foit pas fon'âuditoite } Santeuil3 qui
étoit préfent', dit : » il fit mieux l’année paffée ».
Quelqu’un lui répondit : I l ne -prêcha pas ; » El
c’eft en cela qu’il fit mieux , répliqua Santeuil ».
|| Santeuil fip un jour des vers pour un écolier, &
celui-ci .lui demândanp à qui JJ;.avoit cette obli*
gation> le viélorin répondit; » Si oa te demande
qui, a fait, ces. vers». tuiU’as qu’ à^dir.e: que ç’eft le
diable ». Voici Ife fujeftfu.r lequeLtravàilloit réco*
lier.» Un jeune enfant;, fils d’un boucher, prend,
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.dans un moment de colère, un couteau, & égorge
fon -cadet} la mère en furie le jette dans une
chaudière d’eau „bouillante. Hors d’elle-même,
elle fe pend, & le père, faifi d'horreur de ce
fpeétacle, en meurt de douleur ». Il s’ agiffoit
de rendre (es accidens en peu de vers. Santeuil
les rendit ainfi.
Alter cum puero? mater conjunfla marito.
Cutello , limphâ, fune , dolore cadunt.
Santeuil, mécontent d’un peintre qui avoit mal
fait fon'po&trait, alla chez l’artifte pour fe plaindre
d’être fi peu reffemblant. Il ne trouva qu’une
jeune perfonne, fille du peintre, & lui dit en
colère:» — Je crois que votre père (e moque de
moi, il m’a repréfenté comme pn fou 1| — La
jeune fille, croyant très-bien parler, lui répondit;
— » Je vous allure, monfieur, qu’il vous a peint
tel,que vops êtes ».
Une femme avoit étalé, vis-à-vis la porte de
l'Oratoire., des eftampes & des images, parmi
lefquelles étoit le portrait de Santeuil. M. l’abbé
Boileau le voyant paffer, s’arrêta } & après quelques
momens de converfaîion, en lui faifant remarquer
que fon portrait étoit à la gauche de celui
d’arlequin , il s’avifa de lui dire qu’il méritoit
bien d’avoir la droite. Santeuil piqué de la raillerie,
pouffa tout en colère , & fi vivement l’abbé , en
lui difant qu’il ne méritoit, ni d’avoir la droite,
ni d’avoir la gauche , qu’il le fit tomber fur une
femme qui vendoit des oranges. Le panier d’ oranges
fut renverfé, une partie fut écrafée par . lés
carroffes, l’autre par les paffans. La iharchande
fauta au collet de l’abbe', & Santeuil, qui le vit
ainfi pris, lui dit, en riant de toute fa force:
» Adieu , camarade , te voila encore mieux piacé
que mon portrait «.
Santeuil étant retourné à Saint Vi&or à onze
heures du foir, le portier refufa de lui ouvrir,
parce que, difoit-il, on le lui avoit défendu.
Après bien des négociations & des pourparlers,
Santeuil fit gliffer un demi louis fous la porte,
& elle lui fut ouverte. Il étoit à peine entré
qu’ij feignit d’avoir oublié un livre fur un banc
*où il s’etoit aifis pendant qu’on le faifoit attendre.
.L’officieux portier fortit pour l’aller chercher, &
on ferma auffitôt la porte. Maître Pierre, qui étoit
à demi nud frappa à fon tour, & Santeuil lui
ayant fait les mêmes qiieftions & les mêmes difficultés
qui lui avoient été faites, difoit toujours
; qu’il ne lui ouvriront pas, que mopfieur le prieur
le lui ayoit défendu. Hh 1 M* de Santeuil 3 répii-
: qua le .portier , je vous ai ouvert de fi bonne
. grâce \ je t’ouvrirai de même fi tu yeux, dit San-\
■ teuil3 il ne tient qu’à to i, & enfuite il fit femblant
des^en allerl^Le pprtier l’ayant appelle, lui dit :
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j’aime mieux encore vous rendre votre argent.
Santeuil le prit Se lui ouvrit la porte.
On fit beaucoup d'épitaphes pour Santeuil}
voici la meilleure :
Ci gît le célèbre Santeuil;
Poëtes & fous , prenez le deuil.
SARCASME. Trait de raillerie* aiguifé par un
efprir caultique & méchant- Si on rit quelquefois
d'un mot fatjrrique & piquant* on dételle prefque
toujours celui quiie dit.
Quand M. de la Popliniere fit voirJt M. le maréchal
de Saxe la cheminée par laquelle M. le duc
de Richelieu entroit chez fa femme il 'dit : « J'ai
vu beaucoup d’ouvrages à cornes, mais je n'en ai
jamais vu comme celui-ci ».
Un jeune bourgeois de Paris qui avoit un*
femme.très-jolie & un peu plus que coquette, alla
un matin chez un vieux payeur des rentes de i'hô-
tel-de-ville, pour toucher une année qui lui écoic
due. Il le trouva dans fon cabinet, où il s’occu-
poit à feuilleter des papiers à l’aide de fes lunettes
qui étoient d’une prodigieufe grandeur. Qu’y a-t-il
pour.votre fervice, die le payeur au bourgeois?
Celui-ci lui apprit dequoi.il s’agiffoit, & là-deffus
le vieillard prit un gros regiftre qu’il parcourut,
avec une,lenteur extrême, Le rentier, homme
.impatient & v i f ,.n ’y put tenir, & cédant à fa
vivacité: “ Parbleu, monfieur, lui dit-il, vos
grandes lunettes vous fervent bien mal. Monfieur,
monfieur, lui répondit froidement le flegmatique
payeur, ne nous reprochons pas s’il vous plaît ce
que nous portons ».
On parloit dans une compagnie de la métempfy-
cofe : quelqu'un qui contoit faire une bonne plai-
fanterie,. répondit qu’effeâivement il fe fouvenoit
d’avoir été le veau d’or. Vous n’en avez perdu
que la dorure, lui répartit une dame.
Le marquis d e * * * avoit, dans un combat
donné en Flandres, fait une retraite précipitée.
Quelque temps après, on montra à Louis X IV
plufieurs chevaux anglois que l’on difoit excellens
pour la eourfe. Sire, répartit le. comte d e * * * , je
fais un meilleur coureur que tous les anglois 5
, c’ eft le cheval du marquis de * * * .
Une fille fe plaignoit d'approcher de trente ans,
quoiqu’elle en eût davantage. Confolez-vous, ma-
denaoifelle, lui "dit quelqu'un, vous vous en élpï-i
gnez tous les jours.
Un gentilhomme parlant fort haut à M. le prince
de Guémené, contre lë cardinal de Richelieu :
parlez plus bas, lui dit le prince, voilà de-fes
créatures qui pourroient bien vous entendre. C ’é -
toit des- pauvres- qui J venoient demander l’au-
mone.