
voudrois pas garantir. Je l’ ai examiné de près ; il
eft, au fond, moins méchant que farouche}j’ën
'ai même vu quelques-uns s’apprivoifer. Je le croi-
rois volontiers aune efpèce mitoyenne entre
l’homme 8c la bête 5 il parle comme l'un, mais
il vit comme l’autre. S’il eft organifé de façon qu’il
peut en effet prononcer les mêmes fons que nous,
il manque totalement de ce que nous appelons
entendement, jugement, raifon, qui font afîiiré-
ment les parties eflentielles de l’homme.
Le fox-hunter eft un animal, ou homme, lï
l ’on peut l’honorer de ce nom, parce qu’en effet
il a quelques qualités humaines j le fox - hunter, ■
dis - je , eft un homme qui vit continuellement
■ avec les chiens 8c les chevaux j nous le nommons
ainlî a caufe de la grande antipathie qu’ il a pour
le renard, & qui eft en lui aum naturelle s qu’elle
l ’ eft dans les chiens même, ce qui fait qu’il fe
ligue avec eux pour le détruire. 11 eft ennemi des
Villes, & fur-tout des capitales. Un foX-hunter.qui
•eft de bonne race, n’a jamais mis le pied à Londres.
En.hiver même, il eft à cheval.a fix heures
du matin ; la,neige , les mauvais temps, rien ne’
l ’arrête j il ne peut relier fous un toît, à moins
-que ce ne foit pour manger ou pour dormir.
C e qui fait croire que les fox hunters ne font
. pas des hommes, c’eft qu’au milieu d’une nation
polie, 8c renommée pour les fciences, ils ignorent
tout ce eue c’ eft qu’education, favoir & politefie.
Dès qu’ils ont appris à lire, écrire & monter
à cheval, ils fe regardent comme des gentilshommes
accomplis. Les plus éclairés d’entr’eux n’ont
guère.s lu que les gazettes. Cependant s avec ce
grand fonds de connoiflarices, ils fe piquent de
beaucoup de politique, & jugent avec févérité
tout ce qui fe fait dans le parlement. Il neparoît
aucun bill, quelque fage qu’il puifle être , qui
n’éprouve de. leur part la plus forte oppofîtion,
dès qu’il ne fe trouve pas à leur gré. Ils font dans
les campagnes cé qu’eft la populace dans les villes,
toujours prêts à s’armer pour le bien public, toutes
les fois qu’il eft queftion de leur avantage particulier.
Ils font ennemis de tous les miniftres, quels
qu’ils foient, & des françois, en tems de paix
comme en tems de guerre. Quoique le commerce
fafle fleurir notre nation, f k la rende redoutable à
tous fes voifins 5 quoiqu’ils participent eux-mêmes
au bénéfice qui en revient, ils fe plaignent continuellement
dé l’encouragement qu’on lui donne j
êc s’ils en étoient les maîtres, ils mettroient !e
feu à tous les vaifleaux de la Grande-Bretagne.
Voilà quel? ils font en général. Toute leur con-
verfation roule fur deux grands mots, liberté &
propriété, que la plupart d ’entre eux répètent peut-
être fans les entendre. Hors de là , ils ne peuvent
pas dire quatre paroles. Ils feront toujours muets
dans toute converfation ou il fera queftion du favoir
vivre, de la douceur, de l’affabilité, de la
complaifance > de l’humanité & des autres vertus
de la fociété.
Le fox-hunter ne connoît de gloire que celle
de courir aufli vîte que l ’animal dont il eft l’ennemi
déclaré, de plaifir que la chajfe, & de vertu
que de boire beaucoup. La partie de la journée
qu’il n’ eft pas à cheval, il la pafle à table, à
fumer & à s’enivrer ü & il eft certain que c’eft
l’unique manière dont il puifle être utile à la république.
Par fa grande confommation de boiffons ,
'il contribue du moins à en acquitter les charges ^
Il eft naturellement un animal très-lourd : peut-
être que les alimens dont il fe nourrit en font la
caufe. Il ne mange que du boeuf falé, du mouton
froid , des choux, des carottes & du pudding,
qui eft fôn mets favori } le plus pefant eft celui
qu’ il aime le mieux. Sa boiflbn eft l’aîle ( bière
fans houblon J & les vins grofliers des côtes de
Portugal, & de tems en tems un peu d’eau-de-vie
de l’efpèce la plus forte. A tous fes repas, il boit à
deux fantés favorites, & c ’eft peut-être la feule
règle qu’il obferve $ la première eft celle de tous les
braves fox-huriters de la Grande-Bretagne, protef-
tans ou catholiques, fans diftin&ion : le titre de
chafleur rapproche tout. La fécondé rafade eft là
confufîôn au m'iniftre.
Quoique les fox-hunters manquent abfolument
d’efprit, il s’en trouve néanmoins qurs’en piquent:
on peut juger du leur par ce trait. Un d’entr’eux
-répondit un jour à fa foeur, qui l’invitoit à venir
à Londres pour y entendre Farinelli : Ma foeur,
»3 je ne donnerois pas un fol pour entendre votre
» Fafinelli & tout votre opéra italien. J ’ai ici vingt.
» voix avec lesquelles je fais chorus, & que je fai«
» chanter, tantôt dans les bois, tantôt dans les
» plaines, & c’eft la feule mufique dont je fafle
» cas ».
Cette fanglantë fatyre des chafleurs de renard a
cet avantage, qu’elle nous’fait connoître bien particulièrement
les moeurs des gentilshommes camr
pagnards de l’Angleterre.
J’ai fouvent entendu dire à des dames : Nous
nous promenâmes dans la forêt 3 &, fans nous être
fatiguées a fuivre la chafle , nous eûmes le plaifir de
nous trouver a la mOrt du cerf ; c’eft.-à-dire ( fui-
vant Saint-Foix ) qu’elles avoient eu le plaifir de
voir un animal tombé de laflitude, que l’on tue,
& dont les regards & les larmes devroient nous
faire fentir notre férocité.
Les domeftiques du curé de Waldkirch, bourg
de la principauté de Paflau , ayant été envoyés ,
il y a quelque tems, par leur maître, pour pêcher
dans, un étang, furent tentés de fe réferver un
brochet d’environ vingt livres ; en conféquence
ils allèrent le cacher dans le fond d’un bois voi- .
fin, avec le projet de revenir le chercher lé foir.
Un renard, conduit par le hafard, voulut s’em-i
parer de la proie j mais le.poiflon vorace l ’attrapa
par la patte, & ne le lâcha point. Des chafleurs
à l’affût, attirés par les cris du renard , accou- j
Turent, & le tuèrent y leur furprife fut extrême
lorfqu’ils s’apperçurent que cet animal étoit
arrêté par un brochet, qui n’avoit pas .encore
lâché prife.
CHA STE TÉ . La chaftetétÏÏLunt vertu morale
par laquelle nous réglons les defîrs immodérés de
la chair. j
Dans, quel endroit de la terre la chafteté, cette
vertu fi fublime, a-t- elle été plus refpeétée que
dans l’île de Scio ? Depuis fept cents ans , au rapport
de Plutarque , 1 on ne fe fouvenoit, dans
cette î le , qu’aucune femme mariée eût manqué de
fidélité à fon mari, ni qu’aucune fille eût été déf-
honorée.
La chafte Livie apperçut un jour en paflant
fur les bords du T ib re , des hommes qui fe bai-
gnoient. Le fénat en ayant été informé, voulut
condamner ces baigneurs à des peines affliétives,
mais l’impératrice intercédant pour eux, envoya
demander leur, grâce., difant que des hommes nuds
n étoient que des ftatues pour les yeu% d’une honnête \
femme.
‘ “Ce que la bravoure eft pour les hommes, la chaf- \
teté l’eft pour les femmes. Cette vertu, en les ,
faifant triompher de tout ce qui les environne, :
leur accorde pour prix de la vi&oire, l’eftime
:univerfelle & fa leur propre. Cette récompenfe
eft fi belle pour une ame qui a de l’ élévation ,
que l’on a vu des jeunes perfonnes , foibles & timides
, s’armer d’un courage héroïque, 8c s’ex- I
: pofer à périr pour venger leur honneur outragé.
Attila s’étant rendu maître d’Aquilée, une dame
fut faite captive par un officier de fon armée. Ce
brutal, épris de fes charmes, fe mit en devoir! de
lui faire violence} mais elle le pria que ce ne fût
point publiquement. Elle le conduifît à l’inftant
dans une chambre, proche d’une fenêtre qui don-
noit fur la rivière, & lui .dit : Puifque vous voulez .
jouir de ma perfonne, fuivez-moi. Aufli-tôt elle
s’ élança dans l’eau, ou* elle fut noyée. Attila fit
brûler Aquilée & l’enfevelit fous fes ruines, après
en avoir fait égorger tous les habitans.
Timothée , dame Thébaîne, d’une race illuftre,
fu t , à caufe de fa beauté, l'a viéfime de l’incontinence
d’un capitaine d’Alexandre qui la viola j
il la prefla enfuite de lui déclarer fon tréfor ;
elle lui dit qu’ elle l’avoit caché dans un puits
qu’ elle lui montra} il y defeendit. Timothée vengea
fa chafteté en comblant le puits de pierres.
Elle eut le fort fie Lucrèce j mais fa vengeance
fut bien plus raifonnable. Lucrèce en fe tuant,
fembloit fe punir d’avoir participé au crime }
mais Timothée en ne puniflant que fon ravifleur,
faifoit voir qu’il étoit feul coupable, & que fes
fens n’ avoient point féduit fa raifon.
Une jeune perfonne extrêmement fage 8c d’ une
beauté parfaite, fe vit réduite à fe faire ravau-
deüfe 5 elle s’établit à Paris dans la- rue du Fo:n-
Saint-Jacques. Les jeunes gens des environs vinrent
auffi - tôt lui conter fleurette ; ils fe flat-
toient de ne point la trouver cruelle} mais elle
parvint à leur en . impofer à tous, ,8c même à
s’en faire refpeéler. Ils connurent alors que fon
‘maintien réfervé, fon air d’ innocence, loin d’être
une affectation trompeufe, peignoient la fageffe
de fon ame. N e fongeant qu’à fon devoir, toujours
appliquée au travail, elle dédaigna les pré-
feris , les offres les plus féduifantes. Une dame
du voifinage entendit parler avec admiration de
la vertu de cette jolie ouvrière, elle délira la
connoître} la trouvant de jour en jour plus efti-
mable , elle lui aflura une rente de cent écus,
& l’établit avantageufement. *
André I I , roi de Hongrie, obligé -de quitter
fes états , en laifla la régence au palatin du
royaume, appellé Banéban , dont il avoit éprouvé
depuis long-tems le zèle 8c la fidélité. Il lui recommanda
, en partant, d’entretenir la paix avec
les princes voifinS, & fur-tout d’adminifirer une
exaCte juftice à tous fes fujets, fans égard pour
la naiflance ou la dignité de qui que ce fût. Ce
feigneur j pendant l ’abfence de fon fouverain,
n’oublia rien pour répondre dignement à la confiance
dont il lavoit honoré} & pendant qu’il
donnoit tous fes foins aux affaires du royaume,
fa femme, dame d’une rare beauté, tâchoit, par
fon afliduité auprès de la reine , d’adoucir le chagrin
que lui caufoit l’abfence du roi fon mari. Tel
étoit l’état de la cour de Hongrie, Jorfqu’on y
vit arriver le comte de Moravie, frère de la reine ,
& que cette princefle aimoit tendrement. C e ne
furent d’abord que fêtes & que plaifirs} mais,
dans la fuite, le poîfon dangereux de l’amour'fe
glifla parmi ces jeux innocens.
Le comte de Moravie devint éperduement amoureux
de la femme du régent : il ofa lui déclarer
fa paflion} mais ce te dame, encore plus ver-
tueufe qu’elle n’étoit belle, ne lui répondit que
par la févérité de fes regards. La réfiftance fit
fon effet ordinaire : les defirs criminels du comte
n’ en furent que plus violens } fa paflion, qui
j augmentait tous les jours ,1e jetta dans une fombré
mélancolie. Il n’étoit plus queftion de jeux, de
fpeétacles , & de tous ces vains amufemens dont
les grands occupent fi férieufement leur oifivetë.
Le comte ne cherchoiu plus que la folitude : mais
la reine, par une complaifance trop naturelle aux
femmes pour cette efpèce de malheur, & pour
retirer fon frère d’ un genre de vie fi trifte, fous
diffêrens prétextes, retenoit auprès d’ elle la femme
du régent, ou l’envoyoit chercher aufli-tôt qu’elle
M m i