
témoignée , il fit une chofe fans comparaifon
plus eftimable que la plus belle comédie au mon-
3 'L ' renc^t * ^ raifon : car il commanda qu'on
ïamafiàt & qu.on collât enfemble les pièces de
cé papier déchiré ; & après l'avoir lu d’uu bouc à
1 autre , & y avoir fait grande réflexion , il envoya
eveiller Bois-Robert pour lui dire qu'il voyoit bien
que meilleurs de l'académie s'entendoit mieux que
lui à ces matières , qu'il ne falloit plus parler
de cette impreffion.
Chapelain était appelle par quelques académiciens
, le chevalier de l'ordre de l'araignée ,
parce qu il avoit un habit fi rapiécé & fi recou-
fil, que le fil formoit deflus comme une représentation
de cet animal- Etant un jour chez
i\4. le Prince où il y avoit grande aflemblée , il
vint a tomber du lambris, une araignée qui
étonna la compagnie par fa grofleur. On crut
qu elle, ne pouvoir venir de la maifon , parce
que tout étoit d’une grande propreté. Aufli-tôt,
toutes les dames fe mirent à dire d'une commune
voix , qu'elle ne pouvoit fortir que de la
perruque de M . Chapelain, ce qui pouvoit bien
etre , puifqu’il n'avoit jamais eu qu’une feule
perruque.
Chapelain, a ’l'avance joignoit la malpropreté.
Balzac contoit qu'ayant été dix ans fans le voir ,
parce qu ils étoient brouillés , il fe raccomoda
avec lu i, & que l'étant allé vifîter, il le trouva
dans fa chambre , où il .apperçut une même
toile d'araignée qui la traverloit, & qu'il y avoit j
vue avant que d'être brouillé avec lui. Chapelain
pour épargner fes fervietes, avoit un ballai de
jonc fur lequel il s'effuyoit les mains.
La prévention qu on avoit pour Chapelain, étoit
fi forte, qu'on n'ofa pas voir d’abord le ridicule
de fa pucelle. H s'en fit jufqu'à fîx éditions
en moins de dix-huit mois. La Ménardière
& Linière furent les premiers qui l'attaquèrent.
Chapelain, malgré fon avarice, a fait unea&e
d'une grande générofité-. Dès que M. de Mon-
taufier eut été nommé gouverneur de M. le
dauphin, il jetta les yeux fur Chapelain 3 pour
la place de précepteur , & même obtint l'agrément
du roi avant d’en avoir parlé à Chapelain.
Ou’arriva-t-il ? Que Chapelain réfifta a M. dé
Montaufiér, & réfufa obftinément ce glorieux
emploi, alléguant que fon grand âge le rendoit
trop férieux & trop infirme pour qu'il pût fe fla-
ter d'être agréable à un prince encore fi jeune.
Duperrier, gentilhomme provençal, qui fe trou-
voit quelquefois court d'argent, s’étant adrefle
un jour z Chapelain pour en, avoir quelque fe-
cours' , jl crut lui y faire une grande libéralité ,
en lui donnant un écu. Après avoir fait cet effort
, il difoit : Nous devons fecourir nos amis i
dans leurs néceflîtés 3 mais nous ne devons pas
c o n tr ib u e ra leur lu x e ..
3 L avarice de Chapelain fut caufe de fa mort.
S étant mis en chemin , un jour d'académie, pour
fe rendre à l’afîemblée*, & gagner deux ou trois
jettons , il fut furpris par un orage affreux. Ne
voulant pas payer un double pour paffer le ruif-
feau, fur une planche que l'on y avoit jettée , il
attendoit que l ’eau fût écoulée: mais ayant vu
qu'il étoit près de trois heures, il paffa au travers
de 1 eau & en eut jufqu'à mi-jambe. La
crainte qu'il eut qu'on ne foupçonnât ce qui étoit
arrivé , l'empêcha de s'approcher du feu à l'academie
; il s’afiit à un bureau , & cacha fes jambes
deffous 5 le froid le faifit, & il eut une
oppreflion de poitrine dont il mourut.
Chapelain s'étoit mis en penfion chez fon héJ
ritier 5 &: quand il dînoit ou foupoit en v ille, il
rabattoit tant par repas fur fa ‘penfion. Dans la
maladie dout il mourut, il avoit chez lui cinquante
mille écus comptant, & le divertiflement
qu'il prenoit de tems en tems, étoit de faire ouvrir
fon coffre fort qui étoit près de fon li t , te
de faire apporter tous fes facs, pour voir fon
argent. Le jour qu'il mourut , tous fes facs
étoient encore rangés autour de lui. Un favant
dit à M. de Valois : Vous faiirez , monfieur ,
que notre ami Chapelain vient de mourir comme
un meunier , au milieu de fes facs.
CHA PE L LE , ( Claude Emanuel Lullier, fur-
nommé ) né près de Paris, l'an 1621 , mort en
i-6S6.
Chapelle étoît l'homme le plus agréable & le.
plus voluptueux deTon fiècle. Un jour qu'il étoit
à table chez un de fes amis à Paris, un feigneur,
qui revenoit de la cour, arriva au milieu du
repas, & prit brufquement fa place auprès de
Chapelle qu'il ferroit un peu. Ce feigneur, après
avoir débité quelques nouvelles , vint à parler des
poètes qui avoient la hardiefle de fairé des chan-
fons contre quelques perfonnes de condition, & dit
en même tems : Si je les connoiffois, je leur don-
nerois volontiers vingt coups de canne. Chapelle
fatigué (le fes difeours, & inquiec de n'être pas
a f°n. à table, fe lève en préfentant le dos
& lui dit : Frappe & va-t-en. Ce feigneur étonne
du ton dont Chapelle avoit prononcé ces paroles
,‘ en fefitit la force ; il lui fit beaucoup
d'honnêteté & le ferra moins.
U n jour que Chapelle d înoit en nombreilfe
com p a g n ie , chez le marquis de Mar filli, dont
le page pour tou t domeftique , fèrvoit à boir e ,
il fouflFroit qu'on ne lui verfât pas auffi fouvent
qu'on le farfoit ailleurs ; la patience lui échappa à
la fin : Eh : je vous p r ie , a i t - i l , marquis, donnez
mo i la monnaie de votre page.
Defpréaux qui étoit ami de Chapelle, Payant
rencontré un jour auprès du palais, lui d it, que
le penchant qu'il avoit pour le vin lui faifoit tort ;
Chapelle parut touché du difeours de Defpréaux.
H le remercia de fes confeils , mais malheureufe-
mentil fe trouva un cabaret vis-à-vis l'endroit de
leur conférence , & Chapelle invita Defpréaux
d'y entrer pour s’ afleoir, & pour fuivre plus ;
commodément la converfation qu'ils avoient commencée.
Defpréaux ne put s’en difpenfer, pour
achever la converfion de Chapeile. Il fallut bien
en entrant au cabaret demander au moins une bouteille
ae vin, laquelle fut fuivie de plufîeurs autres.
Enfin ces meflieurs , l’un en prêchant,
l’autre en écoutant , s'enivrèrent fi bien qu'il
fallut les porter chez eux. '
Chapelle avoit pris de l'inclination pour ma-
demoifelie Chouars qui avoit de l'efprit, de l'érudition
& du bon vin 5 il alloit fouvent fouper
chez elle. Un jour la femme-de-chambre étant
entrée après un long repas dans la falle , pour
defîervir , elle trouva fa maîtrefle toute en pleurs,
& Chapelle d’une triftelfe extrême. Elle parut
curieufe d’ en favoir la raifon ; & Chapelle lui dit
qii’ils pleuroient la mort du poète Pindare , que
les médecins avoient tué par des remèdes contraires
à fon état. Il recommença alors le détail
des belles qualités de Pindare, d'un air fi pénétré
, que la femme-de-chambre oublia ce qu’elle
étoit venue faire , 8c fe mit à pleurer avec eux.
Le duc de Briflac voulant aller pafler quelque
tems dans fes terres, fit fi bien qu'il engagea
0 iapelle à l’y fuivre. Ils arrivèrent le quatrième
jour à Angers, fur le midi, avec defleiK d’y paf
1er le refte de la journée. Chapelle avoit dans cette
ville un chanoine de fes amis , chez lequel il alla
faire un long & agréable dîné. Le lendemain,
comme le duc étoit prêt de monter en carolfe ,
pour continuer fon voyage, Chapelle lui lignifia .
qu’il ne pouvoit le fuivre*, qu'il avoit trouvé un
vieux Plutarque fur la table de fon ami, où il
avoit lu à l’ouverturé du livre : qui fuit les grands ,
ferf devient. Le duc de Briflac eut beau lui
dire qu'il le regardoit comme fon ami, & qu'il
feroit abfolument le maître chez lu i, il n'en put
tirer d'autre, réponfe finon que Plutarque l'avoit
d i t , fk que • ce n'étoit pas fa faute. Sur cela
il quitta le duc , & s'en revint à Paris.
Chapelle revenant de chez Molière à Auteuil,
après avoir bu largement à fon ordinaire , eut
querelle au milieu de la petite prairie d'Auteuil,
avec un valet nomm é Godemer „ qui le fervoit
depuis plus de trente ans. ' C e vieux domeftique
avoit l’honneur d'être toujours dans le carofte
de fon maître. Il prit fantaifie à Chapelle en def-
cendant d'Auteuil, de lui faire perdre cette prérogative
, & de le faire monter derrière fon carof-
fe. Godemer accoutumé aux caprices que le vin
caufoit à fon maître, ne fe mit pas beaucoup en
peine d'exécuter fes ordres. Celui-ci fe met en
colère, l’autre fe moque de lui; ils fe prennent
dans le carofte. Le cocher defeend de ion liège
pour aller les féparer. Molière qui étoit à fa fenêtre,
apperçut les. combattans. II. crut que les
domeftiques de Chapelle l’aflommoient, & il accourut
au plus vîte : A h , Molière 1 lui dit Chapelle,
puifqiie vous voilà , jugez fi j’ai tort. C e coquin
ae Godemer s'eft lancé dans mon carrofle,
comme fi c’étoit à un valet de figurer avec moi.
Vous ne favez ce que vous dites, répondit Godemer.
Monfieur fait que je fuis en-pofleftion du
devant de votre carrofle depuis plus de trente
ans; pourquoi voulez - vous me l’ôter aujourd'hui
fans raifon ? Vous êtes un infolent, qui
perdez le refpeél, reprit Chapelle,, fi j’ai voulu
vous permettre de monter dans mon carrofle ,
je ne le veux plus 5 je fuis le maître , & vous
irez derrière ou à pied. Y a-t-il. de la juftice à
cela, répliqua Godemer ? Me faire aller à pied
préfentement que je fuis vieux, & que je vous
ai bien fervi pendant fi long-rems ! il falloit m'y
faire aller pendant que j’étois jeune, j'avois des
jambes alors ; mais à préfent je ne puis plus marcher
: en un mot comme en cent, vous m'avez
accoutumé au carrofle , je ne .puis plus m'en paffer,
& je ferois déshonoré fi l'on me voyoit
aujourd'hui derrière. Jugez-nous, Molière , je
' vous prie , ajouta Chapelle ; j'en paflerai par tout
ce que vous voudrez* Eh bien/ puifque vous vous
en rapportez à moi, dit Molière , je vais tâcher
de mettre d'accord deux fi honnêtes gens. Vous
avez tort, dit-il à Godemer, de perdre le ref-
peâ: envers votre maître , qui peut vous faire
aller comme il voudra ; il ne faut pas abufer de
fa bonté. Ainfije vous condamne à monter derrière
fon carrofle jufqu’ au bout de^ la prairie; &
là vous lui demanderez fort honnêtement la per-
miflion d’y rentrer. Je fuis sûr qu'il vous la donnera.
Parbleu, s'écria Chapelle, voila un jugement
qui vous fera honneur dans le monde : tenez
j Molière, vous n’avez jamais donné une
marque d’ efprit fi brillante. Oh bien ! ajouta-t-il.
je fais grâce entière à ce maraut, en faveur de
l'équité avec laquelle vous venez de nous juger.
Ma fo i, Molière , ajouta-t-il, je vous fuis obligé
; car cette affaire-là m'embarrafîoit, elle avoit
fa difficulté. Adieu, mon cher ami , tu juges
mieux qu'homme de France.
Chapelle foupoit un foir tête-à-tête avec le maréchal
de * * * . Quand ils eurent un peu b u , ils
fe mirent à faire des réflexions fur les mifères
de cette v ie , & fur l'incertitude de ce qui la
doit fuivre. Ils convinrent que rien au monde
n'étoit fi dangereux que de vivre fans religion :
mais ils trouvoient en même tems qu'il n’étoit
pas pôflible de pafler en bon chrétien un grand
nombre d’années , & que les martyrs avoient