99 Je demande qu'il foit décrété, que l’affemblée
ü national - portera, pendant trois jours, le deuil
»' de Franklin ».
E t, conformément au décret de I’afTemblée, on
a porté en France le deuil de Franklin.
On fait ce beau vers latin mis au bas du portrait
de cet américain :
Fripuit coelo fulmen fceptrumqite tyrannzs.
FRAYEUR. Le cardinal de Retz rapporte dans
fes mémoires un fait qui peut fervir à confirmer
ce que dit Beker dans fon monde enchanté. Ce
cardinal, qui n’étoit alors qu’abbé, avoit fait la
partie de paffer .la foirée dans la maifon de l'archevêque
de Paris, fon oncle, à Saint-Cloud,
avec madame & madémoifelle de Vendôme, madame
de Choifi , le vicomte de Turénne, l'évêque
de Lifieux, & meflîeurs de Brion & Voiture. On
s’amufa tant que la compagnie ne put s'en re-
tourner que très tard à Paris. La petite pointe du
jour ( c’étoit' dans lés plus grands jours d'été )
çommençoit à paroitre, quand on fut au bas de
la defcente des Bons-hommes. Juftement au pied,
le carrofle arrêta tout court. « Comme j'étois.,
» dit l'auteur des mémoires, à l'une des portières
» avec mademofclle de Vendôme, je demandais
» au cocher pourquoi il arrêtoit, & il me répondit,
avec une voix tremblante : Voulez-vous
» que je pafle par-delfus tous les diables qui font-
» là devant moi ? Je mis la tête hors de la por-
» tière ; & comme j’ai toujours eu la vue foft
*> balle, je ne vis rien. Madame de Choilî, qui
99 étoit à l’autre portière avec M. de Turenne,
jj fut la première qui apperçut du carrolfe la caufe
» de la frayeur du cocher ; je dis du carrollè,
>j car cinq ou lix laquais, qui étoient derrière,
» crioienr Jefus , Maria! & trembloient déjà de
99 peqr. M. de Turenne fe jetta en bas du carrolfe
» aux çris de madame de Choifi, Je crus que
» c'étoit des voleurs, je fautai aufli-tôt hors du
» carrolfe> ie pris l’épée d'un laquais , je la tirai,
» & j'allai joindre , de l'autre côté, M. de Tu-
» renne,que jerrouvai regardant fixement quelque
» chofe qtje je ne Voyois peint. Je lui demandai
*> ce qu'il regardait, & il me répondit, en me
» pouffant du bras & alfez bas , je vous le dirai;
r> mais il ne faut pas épouvanter ces dames, qui,
« dans là vérité , hurlcient plutôt qu’elles ne
» crioient, Voiture commença un oremus > ma-
» darne de Choifi poulfoit des cris aigus ; made-
» moifel e de Vendôme difoit fon chapelet; ma-
» darne de Vendôme vouloit fe çonfelfer à M- de
» Lifieux, qui lui difoit: ma fille, n’ayez point de
39 peur, vous êtes en la main de Dieu, Le corme
de Brion avoit entonné bien triftement à ge-
% noux, avec tous nos laquais, les litanies de la
p Vierge. Tout cela fe paffa, çç»mme on peut fç
M l’imaginer, en même-temps 8c en moins de rïeni
» M. de Turenne qui avoit une petite épée à fon
>» côté l’avoit auftî tirée, & après avoir regardé
» un peu, comme je l’ai déjà d it , il fe tourna
« vers moi, de l’arr dont il eut demandé fon
» dîner, & de l'air dont il eut donné une bataille,
19 & me dit ces paroles : Allons voir ces gens là*
99 Quelles gens, lui répartis-je ? & dans la vérité
« je croyois que tout le monde avo:t perdu le
99 fens. U me répondit, effectivement je crois que
99 ce pourroit bien être des diables. Comme nous
» avions déjà fait cinq ou fix pas du côté de la
«e favonnerie , & que nous étions par conféquent
99 plus proches du fpeétacle , je commençai à en-
99 trevoir quelque chofe} & ce qui m'en parut*
99 fut une longue proceflion dé fantômes noirs *
» qui me donna d’abord plus d'émotion qu’elle
» n’en avoit donnée à M. de Turenne, mais qui,
» par. la réflexion que je fis, que j’avois long- temps
» cherché des efprits, & qu’apparemment j ’en
» trouvois en ce heu, me fit faire un mouvement;
» plus yif que fes manières ne lui permettoient
» de faire. Je fis deux ou «rois fauts vers la pro-
« çeffion. Les gens du carrolfe qui croyoient que
» nous étions aux mains avec tous lesdiables-, firent
» un grand cri, & ce ne furent pourtant pas eux
» qui eurent le plus de peur. Les pauvres Au-»
» guflins îéformés & déchaufles , que l'on appelle
99 Capucins noirs, qui étoient nos diables d imagH
» nation, voyant venir à eux deux hommes qui
» avoient l'épée à la m.rn, l'eurent très-grande*
» & l’un d'eux fe détachant-de la troupe, nous
cria: Meffieurs , nous fom 1res de p m res reli-»
99 gieux , qui ne faifo.ns de md à perfonne , 8e
99 qui venons nous rafraîchir un peu dans la ri-
» vière pour notre fanté. Nous retournâmes au
- " carrolfe, M. de Turenne & moi, avec des
99 éclats de rire qu'on peut imaginer , & nous
99 fîmes, lui & moi dans le moment mçine, deux
» réflexions, que nous nous communiquâmes dès
99 le lendemain matin. Il me jura que la prem'êrç
» apparition de ces fantômes imaginaires lui avoit
99 donné de la joie, quoiqifil eut toujours cru
»j auparavant qu’ il auroit peur s’il voyoY jamais
» quelque chofe d’extraordinaire ; & je lui avouai
99 que' la première vue m’avoit ému , quoiquq
» j’eulfe louhaité toute ma vie de voir des efprits,
» La fécondé obfervation que nous fîmes, fut
» que tout ce que nous Iifon$ dans la vie de la
99 plupart des hommes eft faux. M, de Turenne
y» me jura qu’il n’avoit pas fenti la moindre émo**
» tien, & il convint que j’ avoîs eu füjet de croire
99 par fon regard fixe & fon mouvement fi lent *
»j qu’il en avoit eu beaucoup. Je lui confeflai que
» j’en avois eu d’abord, & il me protefia qu’il
99 auroit juré fon falut, que je n’avois eu que dtj
99 courage & de la gaieté. Qui peut donc croire
99 h vérité, que ceux qui l’ont fentie? Le.pré-»
99 fident de Thou a raifon de dire, qu’il nJjr a
» de véritables lûftoires que cçlle? cjg onç
*» écrites par des hommes affez fincères pour par-
» 1er véritablement d’eux - mêmes. ». Mém. du
cardinal de Ret^..
La frayeur, comme dît Beker dans fon monde
enchanté, prive un homme de fon jugement , &
lui ôte i’ufage de fes fens; enforte qu’il croit voir
& entendre des chofes qui n’ exiftent que dans fon
imagination troublée. Cet auteur rapporte à ce
fujet l’anecdote fuivante : Un chauderonnier de
Bafle avoit été condamné, pour fes maléfices, à
être pendu ; ce qui fut exécuté. On tranfporta le
corps au gibet patibulaire, qui n’étoif pas éloigné
de la ville. Quelques jours.après cette exécution,
un marchand s’étoit hâté de nuit d’aller ail marché
qui fe tenoit dans la ville. Comme il fe doutoit
bien que les portes ne s’ouvriroient pas de fi-tôt,
il fe repofa fous un arbre proche ce gibet. Deux
heures après d'autres hommes allant auffi au march
é , & étant proches du gibet où étoit le pendu,
lui demandèrent, par gauflerie , s’ il vouloit venir
au marché avec eux : le marchand, couché fous
l’arbre, croit que c’eft à lui qu’on adréflfe la
parole, & dit à ces paflfans : Attendez-m.oi, je \
m’en vais avec vous. C eux -c i, s’imaginant que
c ’eft le pendu qui leur parle , en font fi épouvantés
, qu’ils prennent la fuite de toute leur ,
force. Il n'en fal ut peut-être pas davantage pour j
perfuader à'bien du monde, qu’il s’étoitfait un
miracle.
Le premier qui peignit en huile fut Jean Bellin,
fameux peintre de Venife au X V e. fiècle ; il étoit
fils de Jacques Bellin, qui fit plufieurs beaux
tableaux pour le grand feigneur, entr'autres une
décollation de Saint Jean - Baptifte. Mahomet
admira la difpofition & le coloris de ce dernier
ouvrage ; mais il trouva que le cou étoit trop
long & trop large ; & pour prouver la réalité
de ce défaut, il appella un efclave , & lui fit
couper la tête en préfence de Bellin, auquel il
fit remarquer -que le cou féparé de la tête fe
rétréciffoit extrêmement. Bellin fut faifi d’une
frayeur mortelle à la vue d’un tel objet, & n'eut
pas un moment de repos au’ il n'eût obtenu fon
congé. Le grand feigneur lui fit de riches pré-
fens, lui mit lu:-meme une chaîne d'or de grand
prix au cou, & le renvoya à Venife avec des
lettres de recommandation pour la république qui
lui fit une penfîon.
Un homme connu dans les meilleures fociétés :
de Paris, par 1 agrément de fon efprit, raeontoit ■
de la forte une étrange frayeur dont il. fut, difoit-
i l , tout-a-coup faifi : « il y a quelques jours,
« Meffieurs, qu’étant dans mon li t , occupé de j
» rêveries dont il eft inutile de vous entretenir, 1
*> j entendis ouvrir la porte de mon appartement j
» & je vis entrer pn inconnu qui portoit une
99 grande figure blanche, un air embar-ralfé & des ‘
» fouliers poudreux, enfin une de ces mines de
P mauvais augure quJon n-aime nullement à voir,
» Il m'appela familièrement par mon nom ; & me
» dit de me lever promptement. Je pris ma robe-
» de-chambre en tremblant, & fans prévoir quels
» pouvoient être fes deffeins. 11 s'approcha de moi
=> Sr m’obligea, çar fes gelles preffans, à me
■> mettre fur un fiège auprès de ma fenêtre. Dès
» que je fus afin, je fentis qu'il me faiiiffoir bruf-
« quement par le cou, & 11 me le ferra forcement
» avec une efpèce de hauffe-col. Un inliant après
» !)_ me couvrit la joue avec fa main gauche ,
» d’un boulet capable de me brifer les dents1.
■> Une fueur abondante fe répandit fur tout mon
» vifage j je fentis les gouttes en tomber de tous
” cotes. Cet accident me failit au point que
« j en perdis la refpiration , & j'ttois couvert
» d ecume, fans pouvoir proférer une feule parole;
» 1 inconnu m avoit défendu, avec menaces, de
» parler ou de crier. Au bout de quelques inf-
» tans, je le vis fe faifir d une arme blanche,
» dont la lame étoit très-reluifante, il me la
» porta fur la gorge, enforte que je n'étois qu'à
» un demi doigt de la mort. Je fentis couler mon
» fang, & en bon chrétien, je recommandai tout
» bas mon ame aDieu. Ma frayeur fit apparemment
» impreflion fur ce mortel phlegmatique ; il prit
» de Veau & du vinaigre, dont il m'arrofa le vifage ;
99 la cu’fîon que je fentis, me fit ouvrir les yeux;
» alors mon homme me faifit par les cheveux &
» il me lia. Je le vis enfuite s’emparer d'une
» autre arme, dont je crus qu’il vouloit me brûler
» a cervelle; mais le feu ne fit que m’effleurer
» les oreilles. Il m’avoit empaqueté les mains
» fous une efpece de linceuil pour que je ne puffe
» pas les remuer. Voyant que je refpirois tou-
» jours il nfarracha bien des cheveux, & Darut
» vouloir m’etouffer dans un tourbillon de pouf-
» fiere. J avois déjà fermé la paupière ; mais pour
» confommer fon ouvrage il prit de nouvelles
» armes qui lui reftoient encore, & qu'il tira de
» fa poche : c étoit le cizeau de la parque, avec
1 ,eQ“ el û effaya, mais en vain, de couper le
»- fil de mes jours. J ’étois tout tremblant & im-
» mobile d effroi, comme un homme qui n'attend
» que fa derniere heure. Mon bourreau apperçut
” *?^.bourfe qui etoit fur ma commode, il s’en
99 ^«fit & me reprit au co’let & par les cheveux,
» A ce dernier traie j’ouvris les yeux pour la
» fécondé fo is , je m’armai de courage, m'em-
». parai brufquement d’un copeau que je trouvai
» fous ma main. C et a été de vigueur fitaiifparoître
» mon aventurier.
» Je m’efTuyai le vifage devant un miroir, &r lorfque
” îe [us de fang froid je m'npperç.us que ma barbe
» etoit faite Sequemes cheveux étoient frifés, pou-
» dres & accommodés; je reconnusalois qiie i’illu-
» fion que je m'étois faite n’ avoit été occafionnée
» que par un nouveau garçon perruquier que foô