N A N T E U IL , (Robert) deffinateur & fameux
graveur, né à Reims, l'an 1630, mort en 1678.
Nanteuil étoit naturellement éloquent & v if dans
fes expreflîons ; il faifoit des vers fort agréables,
qu’ il fe plaifoit à réciter.
Le père de Nanteuil, quoique très-pauvre , lui
fit donner une excellente éducation ; & le jeune
homme, étant en philofophie, deffina & grava
lui-même la thèfe qu’il foutint.
Malgré des commencemens auffi heureux, les
parens de Nanteuil firent les plus grands efforts,
pour l’empêcher de s’adonner aux beaux-arts :
il étoit quelquefois obligé de monter fur un arbre,
& de s’y cacher pour defliner.
Mais, à la fin, il furmonta tous les obllacles
qu’on oppofoit à fon goût naturel. La ville de
Reims ne lui procurant point le moyen de tirer
un parti allez avantageux de fes talens, il fe répara
d’une femme jeune & charmante , qu’il venoit
d’ëpoufer depuis peu, & fe rendit à Paris. Il eft
bien difficile au mérite de percer dans cette
grande ville, quand il eft fans protecteur. Nanteuil,
dépourvu de tout fecours, & cherchant à
fe faire connohre, s’avifa de l’expédient que nous
allons raconter.
Plufieurs jeunes abbés s’afifembloient à la porte
d’une auberge, (ituée auprès de la Sorbonne; il
les remarqua; & un jour qu’ils y étoient en plus
grand nombre encore qu’à l’ordinaire , il alla
demander à la maitreffe de cette auberge , fi un
eccléfiattique de la ville de Reims étoit logé chez
elle ; il ajouta que malheureüfement il en avoit
oub ié le nom ; mais qu’elle pourroit le recon-
noître par le portrait qu’il en avoit fait. A ces
mots, Nanteuil lui montra un portrait bien def-
finé, & qui avoit l’air fort reffemblant. Les abbés,
qui l’avoient écouté, jettèrent les yeux fur
le portrait, & en furent fi charmés, qu’ils ne pou-
vofent fe laffer de l ’admirer. — « Si vous Voulez,
meilleurs, leur dit alors Nanteuil, je. vous ferai
à chacun votre portrait, pour peu de chofe, qui
fera tout auffi- bien travaillé & auffi fini que celui-
là » .— Le prix qu’il demanda étoit fi modique *
qu’ils fe firent tous peindre l’un après l’autre ; &
amenèrent encore leurs amis : la foule des amateurs
devint fi confidérable, que l’artille augmenta
le prix de fes ouvrages, & gagna bientôt beaucoup
d’argent.
Nanteuil affuroit qu’ il s'étoit fait des règles
infaillibles pour bien faifir la reffemblance. Il di-
foit qu’il y a de certains traits du vifage qu’il faut
extrêmement confidérer, parce qu’ ils fervent de
mefure à tous les autres ; & que, quand une fois
on a deffiné exa&ement ces traits, le refte eft
comme immanquable. Dom Dargonne lui demandant
un jour s’il peindroit une perfqnne absente,
fur la defeription qu’il lui en feroit : « Oui, lui
répondit-il, pourvu que vous fuffiez aflez habile
pour répondre exactement à ce que je pourrons vous
demander ».
Enchanté de fa bonne - fortune , Nanteuil retourna
à Reims, conta fon aventure , montra le
fruit de fes travaux, & fit confentir fa femme à le
fuiVre dans la capitale.
Dès que Nanteuil fe vit à fon aife, la première
chofe à laquelle il fongea* fut-d’appeler fon père
auprès de lui» afin qu’il partageât l’aifance dont
il jouiffoit. Le vieillard accourut, tranfporté de
joie, & il fut reçu à la defeente du coche, tout
mal vêtu qu’il étoit, par fon fils, dont l’extérieur
annonçoit un homme dans l’opulence ; ce digne
fils, cet artifte eftimable, embraffa l’auteur de
fes jours avec toute l’affeétion imaginable. Le
fpeétacle d’un pareil amour filial fit répandre des
larmes d’attendriffement à tous ceux qui en furent
les heureux témoins.
Nanteuil faifoit un jour en paftel le portrait de
Louis X IV ; voulant donner à ,ce prince un vifage
animé par la gaieté, il l’entretint de diverfes
chofes plaifantes. Rapportons l’une des petites
hiftorietees qu’il raconta au monarque : « — Sire »
en venant au Louvre, j’ai paffé par les Auguftins,
où l’on prêchoit la Pajfion. Le prédicateur en
étoit à l’endroit où il eft dit, que les ferviteurs
du pontife & plufieurs autres juifs fe chauffoienc
à caufe du grand froid. Voici la reflexion fingu-
lière que le bon père communiquoit à fes auditeurs :
vous voyez, meffieurs, que notre évangelifte ne
fe contente pas de rapporter la chofe comme
hiftorien , & calefaciebant fe y & ils fe chauffoient;
mais il en rend la raifon, comme philofophe, quia
frigus erat, parce qu’il faifoit froid ».
Il femble que mademoifelle de Scudéri, dont
l’efprit égaloit la laideur, ne devoit point être
trop reffemblante dans fon portrait en paflel,
peint par Nanteuil, fi l’on en juge du moins pat
les vers fuivans, qu’elle lui adreffa pour le remercier
:
N a n t e u i l , e n fa i fa n t m o n im a g e ,
A d e fo n a r t d iv in l ig n a lé l e p o u v o i r :
J e h a is m e s y e u x d an s m o n m iro ir»
J e le s a im e dans fo n o u v r a g e
NATTIER, (Jean-Marc ) né l’an 1685, mort
en 1766,
La célébrité de ce peintre lui fut prédite pas
Louis XIV, qui lui dit, en voyant quelques-uns
de fes deffins : — « continuez , Nattier , & vous
deviendrez un *grancl-homme ».
Le Czar Pierre premier , pendant fon féjour
à Paris* lui propofa de palfer en Ruffie. Ce
prince,
N E R
prince, piqué du refus de Nattier, fit enlever le
portrait que cet artifte avoit fait de l'impératrice
Catherine, & cme le Czar avoit ordonné qu’011
portât chez un peintre en émail 5 & partit,
fans lui donner le temps d'y mettre la dernière ,
main.
NA TU R AL ITÉ . ( Lettres de ) L ’Angleterre
ne redoute point l’excès de la population dans j
fes provinces; & c’eft en conféquence de ce principe
que l’obtention des lettres de naturalité eft ;
très-facile dans ce royaume..
Tous les réfugiés françoîs, lors delà révocation
de l’édit de Nantes, ont été naturalifés fous le
règne de Guillaume III.
Dans un parlement on agita d’attirer les juifs
en Angleterre par une pareille faveur; mais cette
proportion fouflfrit de grandes difficultés, & jufqu’à
préfent elle eft demeurée indécife.
Depuis la dernière guerre les aétes de natura-
lifation ont été fi fréquens, qu’un anglois, voyant
pallerdans leparc de Saint James, un des éléphans
que la reine.fait nourrir dans fa ménagerie, dit que
cet animal alloit fans doute au parlement pour fe
faire naturalifer.
N É R O N , ( Domitîus ) empereur romain, fils
de Caius Domitius Ænobarbus & d‘Agrippine. Il
fut adopté par l’empereur Claude, l’an 50 de
Jéfus-Chrift, & lui fuccéda l’an y4 ; il mourut !
l’an <S8, à l’âge de 31 ans, dont il en avoir régné :
près de quatorze.
Néro'n dont le nom eft encore aujourd’hui
en horreur après tant de fiècles, & a mérité de
paraître
Aux plus cruels tyrans la plus cruelle injure,
fit* d’abord efpéter aux romains des jours fereins
& tranquilles & dignes du beau fiè'cle d’Augufte
fon ayeul. Il étoit jufte., libéral, affable & d’un
coeur fenfible à la pitié. Un jour qu'on lui préfen-
toit àfignerla fentence d’une perforine condamnée
à mort , il s’écria d’un air touché : « Plût au ciel
que je ne fçufîe point écrire ! »
Une modeftie aimable relevoit l’éclat de fes
qualités. Le fénat l’ayant loué fur la fageffe &
l'équité de fon gouvernement, il répondit ; « attendez
à ,me louer que je l’aie mérité.
Agrippine, fa mère, par fon orgueil & par
fa dangereufe politique, étouffa, la première ,
les femences de vertus que le généreux Burrhus
& le fage Sénèque s’étoient efforcés de jetter
dans le coeur de leur élève.
C e j eune tigre fit bientôt fes plaifirs du crime
fle du fang. Il vint jouir dans un feftin de lu mort
Ency ctopédiana.
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de Gertnanicus,. empoifonné par fes ordres ; il
fit affaffiner fa mère; & prétendit fe juftifier auprès
du fénat. Un feul lénateur ,.Thrafeas, ne
voulut point s’abaîfler à flatter le tyran : « Q u o i,
dit-il, pour prolonger ma vie de quelques jours ,
je m'a'bàiiï’crois jufques-là ? non , la mort eft une
dette ; je veux l’acquitter en homme libre, Qc
non la payer en efeiave ».
Néron pourfuivit avec fureur le cours de fes
affalfmats. O d a v ie , fon époufe ; Burrhus, Sénèque
, Lucain, Pétrone , Poppée , fa maitreffe
furent fucceffivement facrifiés à fa haine, à fes
foupçons , à fes reffentimens. Il fembloit qu’il
ne jugeoit de l’étendue de fa puiflance que par
l’énormité de fes attentats. « Mes prédéceffeurs ,
difoit ce monftre, n’ont pas connu comme moi
les droits de la pufffance abfolue. J ’aime mieux ,
ajoutoit-il, être haï qu’aimé, parce qu’il ne dépend
pas de moi feul d’être aimé ; au . lieu qu’il
ne dépend que de moi feul d’être haï»,
Cet empereur parut plufieurs fois fur le théâtre
pour difputér le prix du chant & de la poéfie.
Le chant étoit fur-tout fa grande paflion. 11 étoit
fi jaloux de fa voix , qui cependant n’étoit pas
belle, que de peur de la diminuer, il fe pii voit
de manger certains mets qu’il aimoit, & fe pur-
geoit fréquemment. Lorfqu’il devoit chanter en
public, des gardes étoient répandus d'efpace en
efpacé pour punir ceux qui n’auroient point paru
aflez fenfibles aux charmes de fa veix. Vefpafitn,
homme confulaire, ne put cependant un jour
s'empêcher de dormir, quoique ce fût un empereur
qui chantât , & ce léger fommeil penfa lui
. coûter la vie.
Cet empereur comédien fit le voyage de la
Grèce, pour entrer en lice aux jeux olympiques.
Comme il aimoit l’extraordinaire, il entreprit de
courir le ftade fur un char attelé de dix chevaux.
Mais à peine eut-il commencé fa courfe, qu'il tomba
de deflus le char; il n’en fut pas moins proclamé
vainqueur 8c couronné. Il difputa pareillement les
prix des jeux ifthmiques , pyth’ens, néméens &
de tous les autres jeux de la Grèce. Un grec ,
habile chanteur , mars mauvais courtifan, ayant
eu l’impi udence de chanter mieuxque l’empereur,
Néron fit monter fur le théâtre les auteurs qui lui
. fer voient de miniftres dans l’exécution de la pièce.
Ils fe faifirent du muficien , & l’ayant ado fié à
une colonne, ils ldi percèrent la gorge avec des
llylets qu’ils portaient cachés dans des tablettes
d'ivoire.
Néron remporta de fes différens combats dix-
huit cens couronnes.
Lorfqu’il revint à Rome, il y parut en héros
qui venoit de triompher des ennemis dè l’en pire.
11 étoit dans le même char dont Aueufle s’étoit
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