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& lui raconta ce qui venoit de fe paiïer. Le prétendu
Racan fit fort le fâché de. la pièce qu’on
venoit de lui jouer, & jura qu'il s’ en vengeroit.
B ref. mademoifelle de Gournay fut encore plus
contente de celui-ci qu'elle ne fa voit été du premier
j parce qu’il la loua davantage. Enfin il paiia
chez elle pour le Véritable Racan , & f autre pour
un Racan dé contrebande. Il ne faifoit que de
fortir lorfque M. de Racan en original demanda à
parler à mademoifelle de Gournay» Sitôt qu’elle le
fut, elle perdit patience. Quoi ! encore des Racans ?
dit-elle: néanmoins on'le fit entrer. Mademoifelle
de Gournay le prit fur un ton fort haut, & lui
demanda s’il venoit p’our l’infulter. Racan qui s’at-
tendoit à une autre réception, en fut fi étonné
qu il ne put répondre qu’en balbutiant. Mademoifelle
de Gournay qui étoit violente, & qui
croyoit que c ’étoit un homme envoyé pour la
jouer, -de-faifaut fa pantoufle , le chargea à grands
coups de mule, & l’obligea de le fauver. J ’ai
vu jouer cette fcène par Bois-Robert en préfence
du marquis de Racan, dit Ménage > & quand on
lui demandoit ficela étoit vrai > oui-da, difoit-il,
il en eft quelque chofe.
Racan fe diftingua dans la poélîe paftorate, &
dans la, poéfîe lyrique : mais des bons poètes qui
lui ont fuccédé font fait oublier.
Madame Dfftoges célèbre par fon efprit & par
fon zele pour le calvinifme, avoit prêté à Racan le
livré du miniftre Dumoulin, intitulé le Bouclier
ele la F o i, & l’avoit obligé de le Itre* Racan,
apres , 1 avoir lu , fit fur ce livre l’épigramme fui-
vante :
Bi^n qué Dumoulin en fon- livre-
Semble n’avoir rien ignoré,
Le meilleur eft toujours de fuivre
Le .prône- de notre curé j
T o ut es' les doctrines nouvelles
Ne piaffent qu’aux folles cervelles. ï:
Pour moi,, comme une humble brebis
Je vais.où mon pafleur me range,
Et n’ai jamais aimé le change.
Que des femmes & des habits.
Malherbe ayant trouvé cette épigramme pl'ai-
fante, l’écrivit lui-même fur le livre, & l’envoya
à madame Defloges de la part de Racan$ ;
ta dame fit répondre ces vers à Malherbe, qu’elle
crut auteur des vers , par Gombauld àiiflivif qii’elle
pour Irréligion prétendue réformée*
C’èft vous dont l’audace -nouvelle-
A rejette l’antiquité,
Et Dumoulin ne vous rappelle-
Qu’à ce que vous, avez quitté»
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Vous aimez mieux croire a la mode :
C”eft Bien la foi la plus commode,
. Pour ceux que lp monde a charmés t <
. Les femmes y font vos idoles ;
Mais à grand tort vous lés aimez,
Vous qui n’avez que des paroles,
R A C IN E , (Jean ) né à la Ferté-Miîon l’an
1639, mort en 1699.
Racine fut élevé à Port-Royal. M. Lancelot,
facrifiain de cette abbaye, homme très habile,lui
apprit le grec, & dans moins d’une année le mit
en état d’entendre les tragédies de Sophocle &.
d’Euripide. Elles l’enchantèrent à un tel point
■ qu’il pafioit les journées i les lire & à . lès. apprendre
par coexur,. dans les bois qui étoient autour
de l’etang e Port-Roval. Il trouva le moyen d’avoir
Ig roman de Théagène & de Charidée en
grec. Le facrifbin lui prît ce livre, & le jetta au
feu : huit jours après Racine en eut un autres qui
.éprouva te même traitement. Il en.acheta un troi-
fîème & l’ apprit par coeur : après quoi il l’offrît au
facrifiain, pouf le brûler comme'les autres?
Dans la difpute qu’eut Racine avec Nicole-, fur
la comédie, M. Arnauld quoique fort irrité contre
Racine, ne put s’empêcher de convenir en parlant
à un de fes amis, que Nicole avoit pris lé change,
& que ce h’étoit point à l’art qu’il devoit faire
Te procès, mais à l’artHie qui avoit Fouvent péché
contre le but & l’intention de l’art.
Racine aima long-temps mademoifeU'e de Champ-
Mêlé. Il ne fe dégoûta d’elle que lorfqu’elle l’eut
quitté pour M. de Clermont Tonnerre : ce qui
• fit dire alors de cette fameufe aétrice, quun Ton-
; nerre l ’avoit déracinée.
Racine fut reçu à l’académie françoîfe, avec
Fiéchier. Celui-ci avant parlé le premier fut infiniment
applaudi. Racine qui parla enfuite, gâta
fon difeours par la trop grande timidité avec laquelle
il te prononça* Ainfi voyant qu’il n’avoït
pas été goûté, il ne voulut pas le donner à l’imprimeur.
Racine & Defpréaux venant de faire un jour
leur cour à Verfailles, fe mirent dans un car-
roffe public avec deux bons bourgeois, .qui s’en
retournoient à Paris. Comme ils étoient contens
de Jeur cou r, ils lurent extrêmement enjoués
pendant tout le chemin, & leur convention fut
la plus vive, la plus brillante, & la plus fpiri-
tuelle du monde. Les deux bourgeois éto:ent enchantés,,
& nepouvoient fè lalfer de marquer leur
admiration. Enfin à la defeente du carroffe, tandis
que l’un d’eux faifoit fon compliment à Racine,
l’autre s’arrêta avec Defpréaux & l’ayant embralfé
tendrement : « J’ai été en voyage, lui dit-il,avec
des do.deurs. de Sorbonne, & même avec des.
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religieux : mais je n’ai jamais ouï de fi belles chofes :
en vérité vous partez cent fois mieux qu’ un prédicateur
n.
Racine dlfoit à fes enfans : Quand vous trouverez
dans le monde des perfonnes qui ne vous
paroîtront pas tftimer mes tragédies, & qui même
les attaqueront par des critiques' injuftes pour
toute réponfe, contentez-vous de tes afsûrerque
j’ai fait tout ce. que j ’ai pû pour plaire au public 3
& que j’aurois voulu pouvoir mieux faire.
Racine auroît eu les pallions extrêmement vives,
fi elles n’avoient été réprimées par la religion :
fur quoi Defpréaux difoit : La raifon conduit
ordinairement tes autres à la foi : mais c’eiTla foi
qui a conduit Racine à la raifon.
Ségrais dit que cette, maxime de la Roche-
foucault : Ç'efi une grande pauvreté de ri avoir qu une
forte d"efprit,* fut écrite à l’occafion de Racine
& de Defpréaux, dont tout l ’entretien rouloit
fur la poélîe , & qui hors de là ne favoienc
rien.
Racine étoit fort amer dans fes railleries. Ses
amis ne trouvèrent point grâce auprès de lu i,
quand il leur échappoit quelque chofe qui lui
donnoit prife. Un jour Defpréaux ayant avance
à l’académie quelque chofe qui n’étoitypas jufle ;
Racine ne s’en tint pas à une fimple plaifanterie,
qui part fouvent du • premier feu de la difpute >
mais il tomba fi rudement fur fon ami, que Defpréaux
fut obligé de lui .dite : Je conviens que
j’ai tort ; mais j’aime mieux avoir tort que
d’avoir aufii orgueijieufemènt raifon que vous
l’avez.
Defpréaux accablé une autre fois des railleries
de Racine, lui d it , d’un grand fang froid quand la
difpute fut finie 5 avez-vous eu envie de me fâcher?
Dieu m’en garde, répond fon ami. Eh bien,
répond Defpréaux, vous avez-donctcrc, car vous
m’avez fâché.
Rficine rapportoit de Verfailles , une bourfe
de mille louis; & trouva Madame Racine qui i’at-
tendoit à Auteuil dans la maifon de Defpréaux,
il courut à elle & l’embraflTant : Félicitez-moi ,
lui dit-il, voici une bourfe de mille louis que le
roi m’a donnée Elle lui porta auftitôt des plaintes
contre un de fes enfans, qui depuis deux jours
ne vouloit point étudier ; une autrefois, reprit-
il , nous en parlerons ': livrons-nous aujourd’hui à
notre joie. Elle lui repréfenta qu’ il devoit en
arrivant faire des réprimandés à cet enfant, &
continuoît fes plaintes, lorfque Defpréaux qui
dans fon étonnement fe promenait à grands pas,
perdit patience, & s’écria : Quelle infenfibîlité !
peut-on ne. pas fonger à une bourfe de mille
louis’!
Racine avoit envie d’être courti/àn 3 mais il ne
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favoît pas l’être. Le roi 1e voyant un jour à la
promenade avec M. de Cavoye : V o ilà , dit-il ,
deux hommes que je vois fouvent enfemble : j ’en*
devine la raifon : Cavoye avec Racine fe croit bel
efprit : Racine avec Cavoye fe croit counifan.
Le roi aimoit à entendre lire Racine , & lui
trouvoit un talent fingulier pour faire fentir là
beauté des ouvrages qu'il lifoit. Dans une indif-
pofition qu.’il eut, il lui demanda de lui chercher
quelque livre propre à i’amufer. Racine propofa
une des vies de Plutarque. C ’e/l du gaulois, répondit
le roi ; Racine répliqua qu’il tâcheroic
en lifant de changer les tours de phrafe trop anciens,
& de fubflituer les mots en ufage aux mots
vieillis depuis Amyot ; ce que Racine exécuta avec
beaucoup de fuccès.
LorfqueLouisXLV partit pour aller faire 1e fiège
de Mons; il ordonna à fes deux hiftoriens de le
fuivre. Racine qui aimoit une vie plus tranquille
s’en -difpenfa. Le roi à fon retour lui en fit des
reproches : Je n’avois, lire, dit ingénieufemenc le
poëte ,'que des habits de ville.' J'en avois ordonné
de campagne : mais les villes que votre majeflé al-
fiégeoit ont été plutôt prifes, que mes habits n’ont
été faits.
Je me fouviens, dit Val incourt, qu’étant un
jour à Auteuil chez Defpréaux, avec Nico!e..&
& quelques air res amis d’un mérite diflingue ,
nous mîmes Racine fur l CEdipe de Sophocle. Il
nous le récita tout entier, 1e traduifant fur I.e
champ, & il s’émut à un tel point, que tout ce
que nous étions d’auditeurs nous éprouvâmes tous
les fentimens de terreur & de compaflîon lur quoi
roule cette tragédie. J ’ai vû nos meilleurs acteurs
fur le théâtre : j’ai entendu nos meilleures pièce-s :
mais jamais rien n’approcha du trouble ou me.
jetta ce récit; & au moment même que je vous
écris , je m’imagine voir1 encore Racine avec' fon
livre a la main , & nous tous' confierne's autour
de lui.
Racine étant allé lire au grand Corneille fa
tragédie d’Alexandre ; Corneille lui donna beaucoup
de louanges, mais en même temps lui
confe.illa de s’appliquer à tout autre genre de
poéfie qu’au dramatique; l'afsûrant qu’il n’y étoit
pas propre. Corneille étoit incapable ..d’une balte
jaloufie. S'il parloit aïnfi, c’eft qu’il le penfoit.
II revint à Racine que fon Andromaque étoit
beaucoup critiquée par le maréchal de. Créqui 8c
par le comte d’Olonne. Le maréchal n’a voit pas
la réputation d’ aimer trop les femmes, & 1e comte
n’avoit pas lieu de fe plaindre d’être trop aimé de
la fienne. Racine fit là-deffus Tépigramme fuivante
qu’il adreffoit à lui-même.
La vraifemblance eft cboq^iée en ta pièce
Si l’on en croit SE d’OIonè & Créqui,