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xemplifloit les rôles d’amoureux dans fa troupe.
Cependant l’année fuivante il ne parut plus fur .
fon théâtre, & fut remplacé par.un autre fojet.
Des voifîns -de campagne , qui ne voyoient la
dame que pendant la belle faifon, lui témoignèrent
leur furprife de ce changement. Vousparoif-
fie^ Ji contente de cet afteur, lui difoit-on. « Il eft
m vrai, répondit-elle, il étoit aflez bon pour la
» repréfentation, mais il manquoit toujours aux
* répétitions ».
Une troupe de fociété avoit trouvé plaifant là
repréfentation d’une tragédie dans laquelle tous les
rôles d’hommes étoient joués par des femmes , 8c
les rôles de femmes étoient remplis par des hommes.
Cette Angularité fit beaucoup rire.
On connoît la comédie du triple mariage , de
Néricault Deftouches. Un père de famille fe trouva
dans le cas d’en faire l’application à fa fituation
aftuelle. Il avoit un fils 8c une fille qui conçurent
chacun une inclination pour une demoifelle & un
jeune homme qui , quoique honnêtes à tous
égards, n’auroient pas été choifîs par le père
pour en faire un gendre & une bru, s’ il avoit été
confulté-, parce qu’ils n’étoient pas riches. Ce-
. pendant, ayant été preffé par des amis communs de
fe prêter au choix de fes enfans , il fe détermina
à y confentir d’autant plus volontiers , que, de
fon côté , il avoit envie de fe remarier à une jeune
perfonne qui étoit fans fortune. Mais pour leur
faire fentir qu’il devoit prendre fon mariage en
aufli bonne part qu’il confentoit de bonne grâce à
les fatisfaire, il donna une petite fête à fa maifon
de campagne , y fit jouer la comédie du triple
mariage , voulut que fes enfans y piaffent un rôle,
8c fe chargea de celui du vieillard : il fit mafquer
la demoifelle qu’il aimoit, 8c enfin déclara fon
mariage en plein théâtre : il fut très-applaudi , là
foirée fut la plus agréable du monde, l’union fut
parfaite dans cette famille de bonnes gens ., & jamais
peut-être n’ a-t-on tiré meilleur parti d’un dénouement
de comédie.
J’ai connu beaucoup ( dit le Marquis de P... )_
M. d e P * * & madame fon époufe, qu’il a enlevée
d’une façon fort fingulière. Ils jouoient en-
femble la comédie dans une troupe de fociété
bourgeoife. On favoit bien qu’ils étoient très-
amoureux fun de l’ autre , & l’on n’ignoroit pas
que leurs parens refufoient de confentir à leur
mariage. Mademoifelle de B * * avait une taille
charmante , la figure très-agréable ; mais l’ air d’une
vierge, & tout-à-fait propre à repréfenter les rôles
d’Agnès, aufïi s’en acquittoit-elle parfaitement. :
M. de P * * étoit grand , bien fait; mais il étoit I
maigre & pâle , & on lui trouvoitùne figure fé-
pulchrale, qui fit qu’ on fit beaucoup aux répétitions
& à la première repréfentation de Y Ecole des '
femmes, dans laquelle ils jouèrent les rôles
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d’Agnès d ’Horace, Iorfqu’on entendit ce
vers :
Agnès & le corps mort s’en font allés enfembie.
On leur en fit l’application. Cependant ils reparurent
au dénouement pour cette fois là ; mais à
une fécondé repréfentation , ils avoient fi bien
pris leurs mefures, qu’ils s’échappèrent, on ne
les revit plus. Us paflerent en Hollande, s’ y marièrent
, & allèrent s’ établir à Berlin , où ils ont
vécu allez confidérés 8c affez tranquilles, quoique
déshérités par leurs parens.
Le bon bourgeois auquel eft arrivé l’aventure
fingulière que je vais raconter , s’appelloit Gueu-
lette, & s’eft diftingué dans la littérature par plu-
fieurs pièces de théâtre affez jolies , &par quelques
romans 8c des contes qui ont encore fait plus
de fortune. M. Gueulette avoit donc une maifon
de campagne à Choify-le-Roi , où il s’amufoit
avec une fociété de gens de fon état, avocats ,
notaires 8c procureurs , à jouer des comédies ;
mais fur-tout des farces , des parades, 8c des
pièces de marionnettes. Il avoit un talent fupérieur
pour faire le polichinelle.
Quoique les plaifirs que cette fociété prenoit
ainfifuffent très-innocens , car les femmes & les
enfans de tous ces honnêtes gens étoient de la
partie, c’étaient de vrais amufèmens de famille
cependant 3 comme ils lâchoient quelquefois des
plaifanteries un peu fortes, le curé de Choify s’a-
vifa d’y trouver à redire : il en dit même quelque
cnofe au prône, ce qui n’eut d’ autre effet
que d’engager M. Gueulette 8c fa compagnie à
ceffer d’aflifter à la grand’mefle ; mais il ne fut pas
long-temps fans être obligé d’ayoir recours à fon
pafteur. L’on-fait que pour bien faire le polichinelle
il faut mettre dans fa bouche un petit inf*
trument qu’on appelle pratique , qui fait paroîtrè
la voix enrouée. M. Gueulette, quoique très-
accoutumé à s’en fervir, eut le malheur d’avaler
fa pratique, elle s’arrêta dans fon gofîer 8c penfa
l’ étrangler : il appella à fon- fecours. D ’abord on
crut qu’il pîaifantoit; mais le voyant devenir cra-
moifi , on comprit qu’il ne badinoit pas ; on fut
même alarmé. Le chirurgien du village fut appel-
l é , & trouva le cas grave. Il confeilla des fecours
fpirituels : on alla chercher le Curé, qui trouva le
mourant entouré de fes amis , Gilles, Cajfandre 8c
madame Gigogne , tous en pleurs. Le Polichinelle
voulut commencer par témoigner à fon curé les
bonnes difpofitiôns dans lefquelles il alloit expirer;
mais comme \zpratiqueY ob]ig,to\ià s’énoncer d’une
façon tout-à-fait comique, loin d’ édifier > il fean-
dalifa au point que le,curé fe mit en fureur, difant
qu’on ne fe moquoit pas ainfi d’un homme de fon
caractère. Il s’en fallut peu que M. Gueulette ne
fût forcé à fe faire enterrer pour prouver à fon
pafteur qu’il étoit de bonne foi. Mais enfin tout
s’éclaircit, le curé revint de fon erreur, &M . Gueu-
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ÎÊtte dé fa maladie ; mais il renonça a 1 ufage de la
'pratique.
Voici la relation àlunè fête exécutée pardes acteurs
- de Jociété.
• ' Madame la marquife de M * * * s’étant trouvée
fort avancée dans fa grofîefle, au commencement
de l’automne de 1767 , réfolut de faire fes couches
dans fon beau château de*** affez voifîn de la
•capitale, pour qu’elle y fut a portée de tous les
ifecours qui pouvoient lui être utiles. Sa^ famille
8c celle de fon mari s’y étoient raflemblées , &
une fociété bien compofée de perfonnes des deux
sexes achevoit de rendre ce féjour délicieux pour
elle. On y jouoit la comédie fur un joli théâtre
de plain-pied à l’appartement de la dame, & on
lui procura ce plainr jufqu’au dernier moment de
fa grofTefle. On avoit fait encore mieux, on avoit
pris de juftes mefurës poür lui donner une fête
aufli-tôt qu’elle feroit en état de s’en amufer. Tout
fut pris a temps, 8c l’ exécution on ne peut pas
plus heureufe. La marquife ayant donné le jour à
Un enfant charmant , qui fut baptifé le lendemain
de fa naiflance, on n’attendit plus que quelques
jours pour annoncer à l’accouchee que Démogorgon,
foi des génies & des fées, demandoit la permif-
fion de la vifiter avec une nombreufe fuite de divinités
fubalternes, que toutes vouloi.ent lui témoigner
leur zèle en ornant de leurs plus précieux
dons l’enfant nouveau né. On fit entrer le roi des
génies qui, avec une très-belle voix de bafle-taille,
fit un compliment en mufique, & annonça les plus
grandes profpérités. Enfuite, quatre-fées & deux
génies douèrent l’enfant par autant de jolies ar-
riettes, & firent chacune un préfent relatif aux
avantages promis. Tout-à-coup une fymphonie
terrible annonce la fée .Caraboffe, qui, furieufe
de n’avoir pas été invitée avec les autres, veut
s’en venger. Dans un air de fureur elle déclare fes
mauvais defleitts, & prédit des malheurs effrayans ;
I enfin elle fort, comme elle étoit arrivée, fur un
char ridicule, traîné par des chats miaulans. Pour
émettre.le calme dans l’ame de la belle accouchée,
les bonnes fées lui aflurentque tous les maux, prédits
par Carabofle feroient éloignés du jeune enfant
par leur bénigne influence & le pouvoir de leur
art. C ’eft ce qui fut exprimé par un air à cinq parties.
Telle fut la première fête donnée à madame la
marquife de M * * * dans fa chambre m ême&, peu
après fes couches. En fe retirant, Démogorgon invita
la dame, dès qu’elle le pourroit fans s’incommoder
, à fe rendre dans le palais des fées, où l’on
fe propofoit de lui donner une nouvelle fête , qui
- prouveroit quelle amitié les bons génies avoient
:§ pour elle.
^ Le jour de ce nouveau divertiflèment étant ar-
\ ce fut fur le théâtre du château qu’ il fe donna.
fc.Une fécondé repréfentation de ce qui s’etoit paifé
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dans la chambre de l’accouchée fervit de prologue,
& le fefte.de la fête futdivifé en trois a ôtes. On
fuppofe que Démogorgon & la fée fouveraine con-
duifent la dame dans le grand fallon du principal
appartement de leur palais. Us lui apprennent que
tout l’ameublement de ce fuperbé fallon eft com-
pofé de princes & de princefles enchantés, & qu’à
fa confidération ils vont ranimer tous ces meubles
qui reprendront leur première forme. Les fées touchent
de leurs baguettes une pendule, qui, après
avoir fonné l’heure, conte fon hiftoire, & fe trouve
être un prince enchanté : une belle glace de miroir
étoit la princefle dont il étoit épris. Un tableau ,
deux ftatues forment autant de fcènes. 11 y avoit
dans çet a&e un ballet férieux compofé d un canapé,
de plufieurs fauteuils, chaifes & tabourets;
un autre ballet galant compofé de tous les meubles
d’une toilette ; 8c enfin, d’ un ballet comique compofé
de magots de porcelaine, de pagodes de la
Chine ,-&c.
Au fécond a&e, le théâtre repréfentoit un beau
jardin rempli d’arbres- & de fleurs, ou plutôt,. de
, bergères & de bergers enchantés comme les meubles
du fallon. Un chêne chantoit un grand air,
un ormeau lui répondoit, un buifîon de rofes,
un pied de ly s, le brillant laurier, le petit myrthe
formoient enfembie des duo. Jufqu’à la violette &
à la penfée chantoit leur petit air : enfin, toutes
; les fleurs qui pèuvent entrer dans la compofition
d’un beau parterre formèrent un ballet charmant.
Les arbres fruitiers y jouoient auflt leur perfoa-
nage, la pomme d’ apis, la poire de bón chrétien,
'celle de meflîre-jean,- 8ç les prunes de la reine claude
8c de mirabelle y paroifloient, 8c tous dansèrent
comme les aéteurs du premier adfce, avoient chanté
après avoir repris la figure humaine.
Au troifième aéte, on fe trouva tranfporté dans
la ménagerie des fées. On y voyoit des animaux
de toute efpèce, quadrupèdes fauvages & domestiques,
oifeaux 8c même des poiflons. Ces derniers
chantèrent ( bien entendu que ce ne fut qu’après
avoir été défenchantés ) le roflîgnol, le ferin 8c
la fauvette fe diftinguèrent par l’excellence de leur
mufique, chacun des animaux reprenoit fa figure
foit avant, foit après avoir chanté ; [mais confer-
yoit toujours quelque chofe de fon premier état.
Il en fut de même des danféurs 8c des danfeufes.
Un ballet de ci-devant dindons, d’oies fauvages
8c de canes privés , 8c une jolie contredanfè, d’un
coq au milieu de fes poules terminèrent la fête.
A C T IV IT É . Jules - Céfar difoit ordinairement
que dans les entreprifes hardies 8c périlleufes, il faut
agir 8c non délibérer, parce que la promptitude
contribue plus que tout le refte à les faire réuf-
fir. La réflexion , ajoütoit-il, refroidit le courage
& rend l’homme tirrdde. C e célèbre romain, après
J avoir vaincu l’armée de la république , de l’Italie
vole dans le Pont, en A fie , attaque Pharnace