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hau t, un prince libéral. Tous les crimes dont
- Tibere fe couvrit fur la fin de fon règne, n effacèrent
point en lui cette dernière qualité,
Tibere donna, bientôt après des preuves de
la cruauté. ^ Archelaüs , roi de Cappadoce
avoit refiifé. de rendre aucun fervice à ce
prince pendant une efpècé d'exil'.où il avoit
ète a Rhodes fous l'empire d'Augufte. Tibere
parvenu à l'empire, ne jugea pas indigne d’un
empereur de venger les injures faites à un (impie
commandant d'Augufte. 11 joignit même la perfidie
à la méchanceté. Il invita Arcfielaüs de
fe rendre à Rome , & employa les plus flatteufls
promefles pour l y attirer. A peine ce prince fut-
il arrivé, qu’on lui intenta deux frivolès accù-
fations, & qu'on le jetta dans une obfcure pri-
fon > ou il mourut accablé de chagrin &c de
mifère. Ces barbaries ne furent que l’avant-coureur
des plus grands forfaits. Il fie mourir Julie
fa femme & fille d'Augufte , Germanicus, Agrippa
, Drufus, Sejan. Ses parens, fes amis, fes
Favoris furent tour-à-tour facrifiés à fa jaloufe
fureur. Mais ce tyran raffiné ne leur arrachoit
la vie qu'après leur avoir ôté l’honneur , &
c'étoit à l'ombre des loix & dans le fan&ualre
même de la juftice où: ces malheureufes victimes
croyoient fe fauver, qu'il les égorgeoit.
Les tribunaux étoient tombés fous ce prince dans
un tel état d’aviliffement, qu'ils étoient devenus
-les inftrumens de fâ tyrannie. On vit les plus
rilluftres d'entre les fenateurs faire le métier in
famé de délateurs. Leurs baffes adulations étoient
portées à un point qu'elles- fatiguoiént même. ;
Tibere , & l ’on rapporte qu'en fottant du fé - !
nat > il lui arrivoit fouvent. de s’écrier : O les
lâches qui courent au-dSvant de lefclavage !
Les femmes mêmes, dit Tacite, n'étoient pas 1
exemptes de péril ; & comme on ne pouvoit
pas les accufer d'avoir tenté d’envahir la' puif- >
fance fouVeraine', on leur faifoit un crime de
leurs larmes. V ir ia , dame fort âgée, mère de
Fufîus Geminus , fut mife à mort pour avoir
pleuré fon fils.
■ Un écrivain*qui avoit dorme des louanges à
Brutus , & avoit appelle Caffius le dernier des !
Romains, fut regardé comme criminel de léfe-
majefté, & envoyé au fupplice.
. Suivant un ancien' ufage des Romains , les
filles qui.n’ étoient pas nubiles, ne dévoient pas
être mifes à mort- Tibère trouva l'expédient de ,
les faire violer auparavant par le bourreau.
Ce monftre mertoit tout fon efprit à inventer
des tourmens qui fiffenç long-temps fouffrir fans t
ôter la vïè j & fa cruauté étoit devenue fi in-
■ génieufe à bet ' égard, que l'on regardoit la mort
comme une grâce de fa part. Il le penfoit fi
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bien qu’ ayant appris qu’un accufé nommé Car-
nulius s‘étoit tué lui-même, il-s'écria : Carnu-
lius ma échappé. -
Dans une autre occafîon, faifant la revue des
prisonniers, comme l'un d’entr’eux lui demandait
pour toute faveur une prompte mort, il
lui répondit : Je ne fuis pas encore réconcilié
avec loi. ■
Tibère , fur la fin de fes jours, n'ofant jet-
ter les yeux fur Rome où tout lui retraçok fes
crimes, où chaque famille lui reprochoit ia mort
de fon chef, c-ù chaque ordre plcuroit le meurtre
de -fes plus illuftres membres, allas'enfévelir
dans l’ifle de Captée. Il oublia dans fa retraite
toutes les affaires, pour ne s’occuper que de
fes débauches. Des ferrails où il n’y avoit pas une
feule femme , étoienc deftinés à fes proftitutions.
Les poètes les plus lafcifs faifoient fes ledfures
ordinaires , & l'infâme Tibère en faifoit encore
réaliier les peintures devant fes yeux pour ranimer
en lui le feu de la luxure prêt à s’éteindre.
Il inventa même des1 efpèces nouvelles de
lubricités , & des noms pour les exprimer. Mais
il n'y a qu'-une plume telle que celle de Suétone
qui ait pu s'abaiffer à tracer toutes les infamies
par lesquelles ce vieillard impur a décrié
pour jamais le nom de l'ifle de Caprée.
Pendant le cours de cette vie infâme , les
Daces & les Germains s'emparèrent de,la Moe-
fie , & les Germains défolèrent les Gaules. Artau
ba'ne , roi des Par thés, après lui avoir enlevé
l'arménie, l'infulta impunément par des lettres
injurieufes où il lui reprochoit fes parricides,
fes meurtres, fes débauches & fa lâche oifiveté,
& finiffoit par l’exhorter à expier, par une mort
volontaire, la jufte haine des Romains. Le bouc
de Caprée fe réveilla enfin, mais ce fut pour
fe donner un fucceflîur à l'Empire digne de lui.
Il fe détermina en faveur de Caïus Caligulà, dars
lequel il avoit remarqué des vices capables de
faire oublier les liens : « J'élève , di'oit-il, en
la perfonne de ce jeune prince , un ferpent pour
le peuple Romain, 8e un Phaéton pour le refte
du monde ».
Tibere tomba malade â Mizène dans la Campanie,
8e on le crut mort pendant quelque temps.
A cette première nouvelle,-Caligula fon fuc-
ceffeur défigné s'étoit afiuré des officiers 8e des
troupes qu'il avoit pu joindre. Mais lorfqu'il
faifoir fes préparatifs pour s'avancer vers Rome,
il apprit que Tibère refpiroit encore. Le jeune
prince fe voÿoit par fa précipitation imprudente
entre, le trône & le tombeau , lorfque Macron
fon favori, endurci an crime, 8e connoiflant
tout le danger qu'il y avoit de reculer, ordonna
que l’on jettât- fur le vieil empereur des couffins
& des matelats ppur l’étouffer. Tibèn
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Tibère avoit compofé des mémoires' fur fa vie ,
qui exiftoient du temps de Suétone. Ce prince
fe piquoit de favoïr écrire, & s'occupoit très *
férieufement du choix de fes expreflions. 11 con-
fultà un jour Ateius Capito fur un inor qu'il ne
croyoit pas latin. Ce grammairien baflemenc flatteur
, lui d it, que quand le mot dont i! sagif-
foit n'auroit point été ufiré -jufqu’alors , fon autorité
le feroit admettre. Un'autre grammairien
fut plus franc ; » Céfar, lui dit-il, vous pouvez
donner le droit de bourgeoifie aux hommes ,
mais non pas aux mots ».
T IM O N , furnommé le Mifantrope à caufe
dè.la ha:ne qu’il portoit au genre humain. Il étoit.
d’Athènes, & vivoit vers l’an 420 avant Jefus-
Çhrift.
Timon étoit un de ces hommes q u i, à force
de fingu'arité , parviennent à fe rendre célèbres.
Il haïflbit tous les hommes, les uns, difoît-il,
parcequ’ils font méihans, & les autres à caufe
de leur complaifance pour les méchans.
Il parut n’aimer qüé le jeune Alcibiade, en qui i
il remarquoit des pallions vives & turbulentes.,
Comme on lui demàndoit raifon de cette amitié
extraordinaire : » C’eft, répondit-il, parce que je
» prévois que l'ambition de ce jeune homme eau-
fera la ruine des athéniens.
Un jour qu’AIcibiade venoit de haranguer le
peuple, TimonJ’aborda, & lui frappant dans la
main : » Courage, mon ami , je te fais gré du
» crédit que tu acquiers} deviens l’homme à
» la mode , tu me feras raifon de nos infenfés
d’Athéniens ».
Quelqu'un i'ayant invité à_un feftln, lui dit :
»VoLi un repas qui doit vous être agréable».
Oui , lui répondit Timon, f i tu ny étois pas.
I! parut un jour , contre fon ordinaire, dans
l’aflemblée du peuple* auquel il dit à haute voix :
S f j l P av<J*t un % ll'er auquel plufieurs citoyens
» s'étoient pendusj qu'il vou oit le couper pour
» bâ'ir en fa place} & qu'il leur donnoit avis que
» s'il y a- oit quelqu'un parmi eux qui voulût s’y
» pendre, il eut à fe dépêcher promptement».
Son fermière étoit fur le bord de la mer, &
cet»e efpèce de fou avoit lui-même compofé. fon
épitaphe dans laquelle il faifoit des imprécauqps
contre ceux qui la broient.
CaMimanue de Gyrène , poète grec , fait dire
à' Timon dans une épitaphe qu’ il avoit compofée
pour ce Msfantrope : » C'eft dans ces lieux que ,
” Pour me dérober au commercé des humains
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1 T IN T O R E T ( Jacques Robufti, furnommé
J le ) ne à Venife , l'an i j i i , mort en I P94.
Le furnom du Tintoret fut donné â ce peintre
, pareequ’il étoit fils d'un teinturier. Le T i tien,
qui l’ eut pendant quelque temps au nombre
de fes élèves, entrant un jour dans l’endroit où il
travailloit, apperçut des cartons remplis de def-
fins , & de figuies coloriées, & demanda qui
les avoit faits. Le Tintoret n’ofoit s'en avouer,
l’auteur, craignant qu’ il n’y eût des fautes,
confidérabhs; il vint enfin humblement 8e d'une
voix tremblante déclarer la vérité. Le Titien
a'ors fut jaloux, dit on , dés progrès du jeune
peintre, par lequel il appréhenda de fe voir fur-
. paflfer quelque jour : il fé retira Tans rien dire , &
chargea l’un de fes élèves, de lui lîgndLr qu’il'
eût à fortir fur le champ de fa mai fon*
Le Tintoret, loin d’en vouloir au Titien pour;
fon mauvais procédé, ne ceffa jamais d’eftimer
les talens de fon premier maître. Ne voulant point
perdre de vue deux modèles qu’ il fe propofoit ,
il écrivit ces mots fur les murs d’une pethccham-
bre où il fe tint renfermé pendant plufieurs années.,,
■ ne fongeant qu’à fe perfectionner dans la peinture
: il dijfegfio di Michel-Angelo , ed i l coloritO' di
Titiaho , (le cbffin de Michel-Ange & le coloris
du Titien. )
On peut reprocher au Tintoret de s’être quelquefois
trop négligé. Annibal Carrache difoit de
ce peintre : — « Ses ouvrages font tantôt au deflus
j «du Titien , & tantôt fort au deftous du rien » .--
A Venife il étoit comme paffé en proverbe,
.que le Tintoret avoit trois pinceaux, dont il fe
fervoit gré de fes caprices , l’un d'or, l’autre
d’argent, & le troifiètné de fer.
Le Tintoret a repréfenté la Vifcine miraculeufe ;
ce tableau eft compofé avec toute l’extravagance
& l’indécence poffibîe : ur.e femme lève la chemife
de fa compagne pour faire voir à JéfuS Chrift le
mal qu'elle a au milieu de la cuiffe.
La confrérie de faint-Roch , à Venife, pof-
fède ce tableau.
Le Tintoret refufa d’être fait chevalier de faînt
Michel, par les mains de Henri I I I , roi de
France , voyant avec quelle .facilité Henri pro-
diguoit cet Ordre.
Le Tintoret n’ étoit pas pins intéreffé qu'ambitieux.
Jaloux d’acquérir de la gloire, & cherchant
toutes, les occafions de donner carrière à
fes talens , il propofoit fouvent de peindre les
plus , grands, ouvrages, pour le feul débourfé
des couleurs.
M j ai cno-fi mon habitation. Qui que tu fois, paife,} /’ Comme il .étoit queftion de décorer certaine
»>■ accab’e moi, fi tu veux, d'invedives & d'im- f églife d'un excellent tableau, on exigea que plu-
” P*ceations , mais paffe». | fieu 1 s peintres fameux fiftent chacun un deflin ,
tncyclofidiana. Y y y y y