DESESPOIR HEUREUX. Il y a quelque
temps qu’une jeune fille de Lon.dres, d’une famille
honnête, & d’une fortune aifée, defcen-
dic fur 1« bords de la Tamife , dans le deffein
de s’y noyer. Un jeune homme qui s’apperçùt
de fon intention, courut à elle > il la retint au
moment où elle fé .précipitait dans la rivière >
&: la ramena dans fa famille.
Cette jeune perfonne avoit été portée à cette
réfolution défdpérée , par l’itffidélité de fon
amant. Lorfque le fentiment de fa douleur fut
un peu affoibli, elle conçut pour fon libérateur
un fentiment plus vif & plus doux que celui
de la recortnoiffance-, & elle voulut partager fa
fortune avec celui à qui elle devoit la vie :
enfin elle lui donna fa main.
DESFONTAINES ( Pierre Guyot ) , né en
l6 8 y , mort en 174J.
Il étoit engagé dans les ordres facrés, & prit
même poffeffion de la cure de Thorigny en
Normandie , qu’ il quitta bientôt pour fuivre
fan goût qui le pnrtoit à écrire de petites feuilles
critiques fur les ouvrages modernes.
Lorfque l’abbé Prévôt publia la traduction des
lettres familières de Cicéron , il en fit préfent
à l’ abbé Desfontaines , qui lui écrivit : « Je
»» fais cas de votre ouvrage, j’en ferai un çx-
» trait comme il faut : vous me pardonnerez
p bien £1 j’y fais quelques remarques critiques. |
» Alger mourroit de faim, fi Alger étoit en
a» paix avec tout le monde. »
La, nation altière des beaux efprits fe fouleva
contre le juge du parnaffe. Il fé vit attaqué de
toutes parts > on éplucha fes écrits, on rechercha
fes moeurs j on lui fit fouvent ■ ,un crime
de donner lieu à des foupçons. Parmi .une foule
d’épigraromes qui ont été lancées contre lui*
on en a retenu trois.
Certain auteur de cent mauvais libelles,
Croit que fa plume eft la lance tfArgail:
Au haut du Pinde, entre les neuf pucelles »
Il s'eft planté comme un épouvantail.
Que fait le bouc en fi joli bercail ?,
Y plairoit-il? Penferoitdl y plaire?
Non ; ç’eft l’eunuque au milieu d’un ferrai! ;
U n’y fait rien.» & nuit à qui v.eut faire.
On rapporte que Piron , qui a cpmpofé cette
épigiamme & les fuivantes, la dicta lui-même
à l’abbé Desfofltqines, qui lui demandoit quelques
petites pièces de vers pour les inférer dans
fes feuilJes..Lorfqué l'abbé Vint à écrire fous la
di$ée du poète le mof Bouc il, s'écria :
» Ah I ceçi eft un peu trop dur. Eh bien *
» répliqua Piron, vous n’avez qu’a l'effacer*
99 & mettre fimplement un B avec cinq points. »»
C e qui auroit rendu l’épigramme encore plus
cruelle.
Dans unbaffin des Fontaines du Pinde
Veillé un lérpent bourfoufflé de venin.
Géant ne lu is , ni le dompteur de l’Inde »
Et moins èncor le vainqueur de Menin ;
Mais les neuf fceurs m’ont vu d’un oeil bénin#
J'ai gain de caufe, & fans gants ni mitaines »
J ’arracherois, m o i, qui ne fuis qu’un nain »
Et dents & langue au fcrpent Desfontaines.
Pour l’intelligence de l'é^igtamme fuivante,
il faut favoir que l’abbé Desfontaines avoit fait
une critique fanglante du premier chant de la
Louifiade de M. Piron. Le jo.urnahfte failoit alors
paroître fes feuilles fous le nom fuppoié du M.
Burlon,
Quand faint Antoine, au fond de fon défert,
Offroit à Dieu fon tribut de louange » -
L’efprit malin, èn fingerie expert »
Le lutinoit d’une manière étrange.
Qu’en revint-il au noir & mauvais ange?
Rien que de rire ait pu lui donner lieu :
Nafardes, huée & cornes pour a-iieu.
Ami Burlon, voici cas tout femblable.
Ici Louis eft l ’image de Dieu y
Moi, de l’h etmite, & to i celle du diable.
On a rapporté, dans un ouvrage périodique*
qu’ un jour l’abbé Desfontaines rencontra Piron
; à la comédie avec un habit d’automne tiès-fomp-
tueux , à ce qu’il lui fembloic, pour un poète.
Il lui dit en l’abordant : » Mon pauvre Piron,
» en vérité cet Habit n eft guères fait pour
» vous, ti Xela peut être, répondit Piron , mais,
M. l'abbé convenez aujfi que voue né tes gueres fait
pour le vôtre.
C et abbé voulant fe juftifUr auprès d’un
magiftrat qui ne penfoit pas ava..tageufemènt de
lu i, le magiftrat lui dit : » $i on éçoutoit tous
» les accufés, il n’ y auroit point de coupables. »
Si l’on éçoutoit tous les açcufateurs , repartit l’abbé,
i l n y auroit point d’innàçens•
Dans une autre ocçafion, comme lin homme
en place lui reproçhoit d’avoir .compofé plu-
fieurs écrits très - médians & très - fatyriques ,
l’abbé lui dit pour dernière raifon : Monfeigneur
i l faut que je vive. Mais , lui répondit le mi»
niftre afièz durement, je nen vois pas la né-
çejfitè.
Diderot a d it, en parlant de la traduéHon de
Virgile , par l’abbé Desfontaines : » Tradpifeç
v ainfî, & vantsz-YOps d'avoir tué un ppçte. »
L’abbé
L'abbé d’Olivet difoit : Je fuis fort étonné
eue l'abbé Desfontaines me pourfuive fi fort ;
îl n’y a pas de rivalité entre nous : je travaille
à faire honneur aux auteurs morts, & lui a déchirer
les vivans.
DESFORGES - M A IL LARD ( Paul ) , né
en 1699., mort en 1772.. C e poète Breton, fit
long - temps des vers fans fuccès } il fe rendit
enfuite célèbre en produifant fes poëfies dans le
mercure, fous le nom fuppofé de mademoifelle
Malcrais de la Vigne. Les poètes, Voltaire lui .
alors, célébrèrent cette nouvelle mufe, Se lui
firent des déclarations d’amour fort ingenieufes.
Mais Desforges ayant quitté fon malque fut
alors fifflé. L’aventure de cette mufe^ hermaphrodite
a fait naître l’idée & fourni l’ intrigue
plaifante de la Métromanie, comedie de Piron.
DÉSINTÉRESSEMENT. Jamais peut - être
on ne porta le défintéreffement plus loin'que ne
le fit le célèbre M. Annius-Curius-Dentatus. Il
venoit de triompher des Sabins; & , pour récom-
penfer les exploits de ce grand homme, le fénat
lui aflâgnoit une portion de terre plus confidéra-
ble que celle qu’on avoit coutume d’accorder
aux anciens foldats; mais le magnanime conful
refufa cette faveur, & fe contenta du partage
commun, ajoutant que celui qui vouloir pofféder
plus de terre que les autres» étoit un mauvais citoyen.
Après fa victoire, les députés des Samnites
vinréfit le trouver, &.lui offrirent de riches préfens.
Curius mangeoit alors des racines auprès de fon
foyer. Il fe tourna vers les ambaffadeurs, & leur
dit :»» Pour faire de pareils-repas, je n’ai pas
a befoin de tant de richeffes; & d’ailleurs n’eft-
» il pas plus beau de commander à ceux qui ont
»» de l’or que d’en avoir foi-même ? «
Périclés avoit tant d’éloignement pour les pre-
fens, il méprifoit fi fort les richeffes , il étoit
tellement au deflus de toute cupidité. 8c de toute
avarice, que, quoiqu’il eût rendu Athènes l’une
des plus opulentes cités de l’univer,s» & qu’il eût
manié long-temps avec un fouverain pouvoir les
finances de la Grèce, il n'augmenta pas d’une
feule dragme le bien que fin père lui avoit laUfé.
Telle fut la fource & la caufe véritable du crédit
fuprême de Périclés dans la république, digne
fruit de fa droiture 8c de fon parfait défintéreffement.
Il employoit fes richeffes à fervir utilement
l’état, en s’attachant d’habiles coopérateurs
dans fon miniftère, en aidant de bons officiers
dépourvus fouvent des biens de la fortune, en
faifant du bien à tout le monde.
Les habitans de Salency font les Troglodites
modernes } ils fe regardant comme de la même
famille. Quelqu’un du bourg eft-il malade, les
autres le fervent avec une afft&ion toute fraternelle
: ces moeurs font circonfcritesdans ce petit tes«
Encyclopédiana»
ritoire. Les payfans des villages voifins ne reffem-
blent pas à ceux-ci, & ne font que des payfans
vulgaires par-tout. Voici un exemple du aéfinté-
reflement des habitans de-Salency. Un jour M .
Pelletier de Morfontaine, intendant de Soiffons,
demanda aux Salénciens en quoi il pourroit leur
être utile: » Nous ne demandons rien, répondi-
*9 rent-ils, notre travail nous fuffit j fi vous jugez
» que nous ne payons pas affe-z, nous ferons de
>? nouveaux efforts pour cultiver encore mieux,
99 & pour être p lus à portée de payer les impo-
>» lirions, «c
D E S I R . Affeérion de l’ame qu’accompagne
l’inquiétude, & que fuit fouvent le dégoût.
Je ne fais s’ il feroit poflîble de vivre fans de-
firs. L ’agitation eft aufïi néceffaire à l’ame que
le mouvement dans les êtres phyfiques : engourdie
dans le repos, elle y feroit comme anéantie. Il
n’eft pas julqu’à l’air, qui, pour fe purifier,
n’ait befoin d’orages.
Heureux le mortel, qui.craignant de s’égarer
avec fes defirs, les réprime, les retient, les règle
du moins & les modère! Plus heureux encore
celui, qui dégagé de tout ce qui les fait
naître, ne cherche fa fatisfaélion qu'en lui-même,
qui regarde avec indifférence les biens & les
maux , confond dans fes idées les feeptres & les
houlettes, brave les honneurs fans les craindre,
les richeffes fans les méprifer, l’eftime des hommes
fans ladédaigner, les hommes eux-mêmes fans
prétendre les blâmer, ni refufer de leur être utile.
Que de defirr retranchés, s’ ils venoient tous
d’une ame qui fçut mefurer, calculer} apprécier?
Il n’ eft que le defir d’être aimé qui puiffe garantir
un prince des malheureux pièges qui l’af-
fiégent de toutes parts.
Il eft heureux pour l'humanité, qu’il y ait des dé-
fîrs qu'on ne. peut fatisfaire : fans cela le dernier des
hommes feroit maître de tout Tunivers.
Un defir fatisfait fufpend l’a d iv ité d’une « n e
qui v eu t toujours être ém u e , & le dernier qui
l’o ccup e la rend très-indifférente à tous ceux qui
l’o n tp r é c éd é .
DESLANDES. ( André François Boureau )
né à Pondichéri en 1690, mort à Paris en 1757.
Il eft auteur de l'hiftoire critique de la philofopkie :
des réflexions fur les grands hommes qui font morts
en plaifautant, & de quelques autres ouvrages fur
l’hiftoire, la phyfique & c . Voltaire l’appclloit un
vieux écolier précieux, un bel efpvit provincial, Il
vouloit fur-tout paffer pour un efprit fort, il fit
ces vers quelques jours avant fa mort.
P ou x fommeil, dernier terme,
Que le fage attend fans effroi »
Je verrai d’-un. oe il ferme
Tout paffer, tout s’enfuir de mpi.
A a a