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quable de routes celles qui diftinguent ce rare génie.
( Hiß. de la maifon de Stuart ).
Milton , aveugle, fe faifoit aider dans fes études
par Tes filles qui étoient au nombre de trois,
de auxquelles il avoir fait apprendre à lire 8c à
bien prononcer huit langues qu'elles n’enten-
doient point. Elles ne connoiffoient que l ’anglois ,
& leur père difoit fouvent en leur préfence qu‘une
langue fujfifoit à une femme : mais il vouloit qu'el-
les fuffenc en état de lui faire les lectures dont
il avoît befoin. On a fu par l'une d'elles , que
ce qu'il fe faifoit lire le plus fouvent étoit Ifaïe
en hébreu , Homère en grec & les Métàmor-
phofes d’Ovide en latin. Outre les langues anciennes^
„il poffédoit la françoife, l'itaLenne &
l'efpagnole.
Malgré toutes ces connoiffances, Milton vi-
voit ignoré5 & lorfqu'il eut achevé Ton poème,
il eut beaucoup de peine à trouver un libraire qui
voulût l'imprimer, Le titre feul .révoltoit, & tout
ce qui avoit quelque rapport à la religion étoit
alors hors de mode. Enfin Thompfon lui donna
trente piftoles de cet ouvrage , qui a valu depuis
plus de cent mille écus aux héritiers de ce Thomp-
Ton. Encore ce libraire avoit-il fi peur de faire
un mauvais marché, qu'il ftipula que la moitié de
ces trente piftoles ne feroit payable qu'en cas
qu'on fît une fécondé édition au poème : édition
que Milton n'eut point la confolation de
voir. ( Ejfai fur la poéfie épique ).
Sous le règne même du parti de Milton 3 il ne
parut point qu'il fût dans une confidérarion dif-
tinguée; & Whiteloke parle d'un Milton qu'il
ne qualifie point autrement ; aveugle , dit - i l , &
qu'on employoit à traduire en latin le traité conclu
avec la Suède. Ces expreflions font fourire
la poftérité, qui confidère dans quel oubli Whiteloke
même, quoique garde du grand fceau ,
ambalfadeur, & réellement homme d’un mérite
& d’une capacité diftingués , eft tombé en com-
paraifon de Milton, (H iß. de la maifon de Stuart
p ar Hume ).
Milton compofa un fécond poème épique fur
la tentation de Jefus-Chrift, qu'il intitula le Pa-
radis recouvré. L'auteur le mettoit au-deffus du
premier; mais il lui elf bien inférieur : ce qui a
donné occafion à un critique de dire que l’on
trouve bien Miltoji dans le Paradis perdu, mais
non pas dans le Paradis recouvrée
MIRACLE. Les fiècles d’ignorance ont toujours
été féconds en miracles. Parmi ceux rapportés
dans les mémoires de l’académie des inf-
criptions & belles lettres, tom. x v m 3 en voici
un que la crédulité difoit avoir été opéré en faveur
d'un moine. « Ce moine revenoit d’une maifon
dans laquelle il s’introduifoit toutes les nuits.
Il avoit à fon retour une rivière à traverfer j fatan
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i renverfa le bateau, & le moine fut noyé, lorfqu'il
commençoit l’invitatoire des matines de.la vierge.
Deux diables fe failîfient de fon ame, & font
arrêtés par deux anges , qui la réclament en qualité
de ch lé tienne. Seigneurs anges, difent les
diables, il eft vrai que dieu eft mort pour fes
amis, Ôc ce n’eft pas une fable; mais celui-ci
étoit du no.mbre des ennemis de dieu : & puif-
que nous l'avons trouvé dans l'ordure du péché
; nous allons le jetter dans le bourbier de l'enfer j
nous ferons bien récompenfés par nos prévôts.
Après bien des concertations, les anges propo-
fent de porter le différend au tribunal de la fainte
vierge. Les diables répondent qu'ils prendront vc-
lontLrs d;eu pour ju g e , parce qu'il jugéoit félon
les loix : mais pour la vierge , dirent - ils ,
nous n’en pouvons efpérer de juftice ; elle bri-
feroit toutes les portes de l'enfer, plutôt que
d’y biffer un feul jour celui qui, de fon vivant
a fait quelques révérences à fon image. Dieii ne
la contredit en rien; elle peut dire qae la pie eft
noire, &: que l’eau trouble eft claire, il lui accorde
tout : nous ne favons plus où nous en
fommes; d'un ambe elle fait un terne; d'un double
deux un quine : elle a le dé & la chance : le
jour que dieu en fit fa mère fut bien fatal pour
nous. Les diables eurent beau réeufer la fainte
vierge, elle jugea le procès, & décida que lame
du moine rentreroit dans fon corps. Il avoit été
retiré de la rivière, & rapporté au couvent, où
l'on fe difpofoit à l’enterrer. On fut bien furpris
de le voir fe relever; les moines s'enfuirent d’abord
, mais quand ils furent inftrüits du miracle ,
ils chantèrent le Te Deum.
M- le Camus , évêque de Bellay, ayant été
prié très-inrtamment par les Cordeliers de faire
le panégyrique de faint François , fe rendit à leurs
inliances, quoiqu’il n’aimât pas les moines. Mes
pères, leur dit-il, admirez la grandeur de votre
faint. Ses miracles l'urpaffent ceux du fils de dieu.
Avec cinq pains & trois poiffons, il ne nourrit
que cinq mille hommes pendant un feul jour; &
faint François, avec une aulne de toile, nourrit
tous les jours, depuis 400 ans, quarante mille
fainéans.
On trouve au village d’Holy-Wel!, pays de
Galles, dans le comté de Fünt, une fontaine ap-
pellée Winfried’s-well, c’eft-à-dire , fontaine de
Winfride. On raconte qu’anciennement un tyran
du pays ayant violé & enfuite égorgé une fainte
fille appelée Winfride, la terre pouffa dans le
même endroit cette fontaine miraculeufe dont il
eft queftion ; & comme il fe trouve au fond de
cette fontaine de petites pierres femées de taches
rouges, la tradition fuperftitieufe du pays fait
paffer ces taches pour autant de gouttes de fan g
de fainte Winfride qui ne s'effaceront jamais. On
a bâti une petite églife fur cette fontaine , 8c
Thiftoire de là fainte, jufqu’â fa mort tragique-,
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eft peinte fur les vitres. En 1713 , ; Guillaume
Fleerwood , évêque d’E l i , & depuis de faint
Afaph > publia la légende de cette fainte , & prouva
par des obfervations auflï judicieufes que certaines
, la fauffeté de cette légende , 8c par'con-
Téquenc celle du miracle.
En 14473 un homme qui prétendoit être aveugle
n é , publia que fes yeux s'étoient ouverts par
l'attouchement de la châlfe de faint* Albans, &
qu'il diftinguoit parfaitement tous les objets Mal-
heureufement pour lu i, le duc de Giocefter paffa
dans le temps que le peuple crioit miracle. Il eut
ta curiofité de s’approcher, & étant parvenu à
écarter la foule qui environnoit l'aveugle n é , il
le queltionna, & paroiffant douter de fa guérifon,
il lui demanda de quelles couleurs étoient les ha-
b ts des gens de fa fuite. L'homme lui répondit f
très-jufte à cette queftion : « vous êtes un coquin,
s’écria le prince, fi vous étiez né aveugle
, vous ne connoîfriez pas les couleurs, &
dans l’inllant il le fit mettre au carcan comme
un impofteur.
Les hiftoriens affurent que le duc de Giocefter
avoit reçu une éducation plus foignée qu'il
n’étoit alors d’ufage de la donner; qu’il fonda la
première bibliothèque qu'il y eut en Angleterre,
& qu'il fut le protecteur dés favans.
M O D E R A T IO N . Quelqu'un ayant rapporté
au poète le T a ffe , qu’un homme qui s'étoit déclaré
fon ennemi, médifpit de lui en tous lieux :
» Laiffez-le faire, répondit-il, il vaut mieux qu’il
» dife du mal de moi à tout le monde, que fi
» tout le monde lui en difoit ».
Un rieur fit une épigramme violente contre
l ’abbé de Voifenon, avec la précaution d’omettre
fon nom dans le courant de la pièce. Cet homme
fut allez mauvais pfaifant pour l’apporter à l’abbé
& lui en demander fon avis. Celui-ci lut 1 épi-
gramme, 8c vit bien qu’il en étoit le héros; mais
fans en témoigner rien, il prit une plume, changea
quelques vers, & mit au bas : contre l’abbé de
Voifenon. « Tenez, monfieur, dit-il, à l ’auteur,
®> vous pouvez à préfent la faire courir ; les petites
» corrections que j’y ai faites la rendront plus
» piquante ». C e trait de modération, de géné-
rofité, déconcerta l’homme à l’épigramme j fur
le champ, il la déchira en mille pièces, & demanda
beaucoup de pardons à l’abbé.
Une femme vint un jour à l’audience du chancelier
de Sillery, 8c s’oublia affez pour lui reprocher,
en des termes outrageans, la perte d’un
procès qui Tmtéreffoit. Le chancelier fe contenta,
pour toute vengeance, de demander, fans 1
s’émouvoir, à 1-homme qui l’accompagnoit, fi )
elle étoit fa femme ; & comme le m^ri lui eut j
tépondu qu'oui : « Eh vérité , répartit le chaa- 1
M O D 6S j
» celîer, je vous plains bien ; reinenez-la chez
» vous ».
Attalus, fur un faux bruit que fon frère Eu-
inenes étoit décédé, s’empara de l’empire, 8c
même époufa fa veuve : quelque temps après,
comme il apprit qu’Eumenes revenoit en fon
royaume, il quitta la couronne, & fans autre
équipage que celui d’un homme privé, il s'en vint
au-devant de lui. F.umenes pour tout reproche,
fe contenta de lui d re à voix baffe : « Urie autre
» fois, mon frère, vous ne vous haterez-pas d'é-
» poufer ma femme avant que vous ne m'ayez
» v u enterrer ».
On a eu plufieurs occafions d’admirer h modération
de Philippe, roi de Macédoine, 8c père
d’Alexandre le Gland, & celle de Jules Céfar.
On a dit à ce fujet, qu'il favoit à propos boire
les injures, & que l'empereur romain favoit les
oublier. « Ils avoient, ƒ dit Tourreil, préface de
» ikijtoire des Philip. , de Demojl. ) ou du moins
» ils affedoient fur ce point une grande m-
» fenfibilité, foit qu’ils cruffent que la modéra•
» don vaut plus qu’elle ne coûte , foit que , félon
» eux , le mépris les vengeât mieux que le reffenr
» timent. Les courtifms du roiûe Macédoine, lui
» confeülant d’éloigner de fa perfonne quelqu'un
» qui avoit mal parlé de lui: bon, bon, dit-il,
» afin qu'il aille médire de moi par-tout. Une
» autrefois on lui confeilloit la même conduite
» envers un honnête homme : prenons garde au-
j » paravant, répondit-il 3 fi nous ne lui en avons
» pas donné fujet ; & ayant appris que cet homme
» n’étoit point heureux, faute de bienfaits de
» la cou r, il lui fit du bien ; ce qui fit changer
» de thèfe à l’obligé, & donna lieu à ce beau
» mot de Philippe : Qu il efl au pouvoir des rois
» de fe faire aimer ou haïr »»,
Huffein, fils d’AÜ V I , calife des mufulmans,
ayant été bleffé par un efclave, qui laiffa tomber
par mégarde un plat de viandes chaudes fur
fa tê te , le regarda d’un oeil affez fier, mais fans
emportement. L ’efclave fe jetta auflitôt à fes pieds
& lui dit ces paroles de l 'A Icoran : le paradis efi
fait pour ceux qui retiennent & domptent leur.colère,
Huffein lui répondit qu’il n'en reffentoit aucun
mouvement. L'efclave continua de réciter les paroles
du même verfet, & qui pardonnent a ceux
qui les ont ojfenfés. Je te pardonne aufli, répliqua
Huffein ! enfin, l’efclave achevant de prononcer
les dernières paroles du texte : Dieu aime
* fur tout ceux qui leur font du bien. Huffein lui dit ;
je te donne auffi la liberté, & quatre cents drag-
mes d'argent.
Inan Ruffo, dans fes apophtegmes, rapporte
ce rare exemple, de modération. L'eft agool Lt-pez
de Acuna, quivivoit vers l'an 1378, s’armant
à la hâte pour un coup de main , dit à deux do-v
meftiques qui l’habilloient, de mettre mieux fon
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