
On a calculé que de huit cents quatorze per- I
Tonnes vivantes à l ’âge de vingt ans, il n’en refte
à l’âge de foixanie & douze , que deux cents
foixante & onze, qui font à-peu-près le tiers de
huit cents quatorze ; donc il en eft mort les deux
tiers depuis vingt jufqu’ à foixante & douze ; c’elr-
à-d'.re j en cinquante-deux ans : donc au bout de
cinquante deux ans , il y a deux fois plus à paner
pour la mort que pour la vie d’un homme qui
fe feroit abfenté de fon pays à l’âge de vingt ans.
Le major Grant, anglois, dans Tes obfervations
fur les liftes mortuaires qui fe publient à Londres,
dit que, de cent enfans qui naifîent, il
n’y en a que foixante-quatre qui atteignent l’âge
de fix ans.
Que de cent. il n’en refte que quarante en vie
au bout de fs;ze ans.
Que de cent, il n’y en a que vingt-cinq qui
paffent l’âge de vingt-fix ans 5 que feize qui vivent
trente-fix ans accomplis.
Et dix feulement, dans cent, qui vivent jufqu’à
leur quarante-fixième année.
. Et que, dans le même nombre, il n’y en a que
lîx qui aillent à cinquante-fix ans accomplis 3 que
trois, dans cent, qui atteignent la fin de foixante
& fix ; & que, dans cent, il n’y en a qu’un qui
foit en vie au bout de foixante & feize~ans 3 8c
que les habitans de la ville de Londres font
changés deux fois dans le cours d’environ foixante--
- quatre ans.
' On diroit que toute la nature Te moque de
Vhomme : le monde le trompe , la vie lui échappe ,
la fortune s’en rit, le temps s’envole, la mort le
prend, la terre le confume, l’oubli l’anéantit;
& celui qui étoit hier un homme, aujourd’hui n’éft
plus rien.
H OM M E MARIN. En i 6j i , il parut dans
la mer, aux environs du Diamant, rocher voifin
de la côte de la Martinique, un homme marin.
On allure qu’il fut vu par deux françois accompagnés
de quatre nègres, qui en firent le récit à
un jéfuite, millionnaire fur les côtes du voifinage,
& au'fieur de la Paire, capitaine de ce grand
quartier de la Martinique. Ces témoins firent
leurs dépofitions pardevant un notaire, en pré-
fence des officiers & des perfonnes les plus con-
fidérables du lieu, & s’accordèrent tous à dépeindre
ainfi le monftre en queftion : il avoit la
figure d’homme depuis la tête jufqü’ à la ceinture j
la taille petite, telle que font ordinairement les
fcnfans de quinze ans 31 a tête proportionnée au
corps; les yeux un peu gros, mais fans difformité;
le nez large & camus; le vifage large &
plein ; fes cheveux gris, mêlés de blancs & de
noirs , étoient plats, arrangés comme s’ils euffent
été peignés , & lui flottant fur le haut des épaules F
une barbe g r ife , également large, par-tout > lu*
pendoit fur l’eftomac , qui éto it Couvert de poils
gris comme aux vieillards; Je v ifa g e , le cou &
le refte du cq rp s» éto ient médiocrement b lan cs;
il paroifloit avoit la peau allez délicate. On n'a-
voit rien remarqué de particulier au c o u , aux
bras, aux mains-, aux d o ig t s , & aux autres parties
du corps qui forcoient de l’eau. La partie inférieure
depuis la c e intu re , que l’on v o y o it entre
deux eau x , étoit proportionnée au haut du c o rp s,
fetiiblahle à un pôifi’o n , 8c fe terminoit par une
queue large & fourchue. Ce monftre fe montra
fur l’eau plufieurs fois & fort long-temps. U n des
iranço.s l’appela , en fiffiant, comme ,on appelé
1. s chiens , & un des nègres lui jerta une groffe
lig.-e pour le prendre ; mais elle ne l’atteignit pas.
L homme m'arln parut, pour la première fois, une
heure avant le coucher du foleil, à huit pas du
rocher, fe montra plus près- la fécondé fois, 8c
vint enfin tout proche du rivage. Puis fe retirant
le long d’un herbage qui eft au pied de ce rocher,
il tourna plufieurs fois, & s’arrêta long-temps
fur l’eau. Enfin, il difparut au commencement de
; la nuit. Les témoins ont alluré qu’ils l’ayoient oui
fouffler du nez, & qu’ ils lui avoient vu paffer la
main fur le vifage, comme pour s’effuyer ; mais
qu’il n’avoit fait aucun bruit de la bouche qui
pût faire connoître s’il avoit de la voix. Lès curieux
remarquent que ce n’ cft pas le premier
homme marin qui ait'paru. Il y a quelques ahr.ée$
-qu’omen vit un fur les côtes de Bretagne, près
de Belle-Ifle, fort femblable à celui de la Martinique.
HON NEUR . C ’eft lé defîr d’être efiimé- des
hommes ; on l’a défini le préjugé de chaque per-
fonne 8? de chaque condition. Chacun fait con-
fifter Y honneur dans' ce qu’il croit que les autres
recherchent le plus en lui: les militaires le placent
dans le couragè; les juges, dans l’intégrité ;
les femmes, dans la chafteté.
Un maître d’hôtel fera confifter fon honneur à
bien ordonner un fervice. V a tel, maître d’hôtel
de M. le Prince, éroit peut-être l’homme de fon
temps qui avoit le plus à!honneur à fa manière';
mais l’amour-propre avoit fi fort échauffé cette
tête mal-faine, que le bon fenss’en étoit évaporé.
Il fe tua, parce quM ne pouvoit fourenir le prétendu
affront de laiffer manquer, dans une fête,
une vingt-cinquième table, d’un plat de marée.
C ’eft madame de Sévigné qui rapporte ce fait
dans fes lettres. M. le Prince donnait à Chantilly
une fête à Louis X IV . Le roi arriva un
jeudi au foïr. La promenade , la collation dans un
lieu tapiffé de jonquilles ; tout cela fut à fouhait.
On fo.upa ; il y eut quelques tables où le rôt?
manqua, à caufe de plufieurs dîners auxquels on
ne s’étoit pas attendu. Cela faifit Vatel ; il die
plufieurs fois : Je fuis perdu honneur; vpici.uiî
affront que je ne fuppoiterai pas. Il dit à Gour-
viile : la tête me tourne : il y a douze nuits que
je n’ai dormi, aidez-moi à donner des ordres.
Gourville le foulagea en ce qu’il put. Le rôt qui
avoit manqué, non pas à la table du roi, mais
aux vingt-cinquièmes, lui revenoit toujours à la
tête., Gourville le dit à M. le Prince. M. le Prince
alla jufques dans fa chambre, & lui dit : Vatel,
tout va bien ; rien n’étoit fi beau que le fouper
du roi. Il répondit : Monfeigneur, votre bonté
m’achève;, je fais que le rôti a manqué à deux
tables. Point du tout, dit M. le Prince; ne vous
fâchez pas; tout va bien. La nuit vint; le feu
d’artifice ne réuffit pas; il fut couvert d’un nuage :
il coûtoit feize mille francs. A quatre heures du
matin , Vatel s’en va par-tout; il trouve tout
endormi,: il rencontre un petit pourvoyeur qui
lui apportoit feulement deux charges de marée,
Il lui demanda : eft-ce là tout? Il lui dit fo u i ,
monfieur. Il ne favoit pas que Vatel avoit envoyé
à tous les ports de mer. Vatel attend quelque
temps ; les autres pourvoyeurs ne viennent point :
fa tête s’échauffoit ; il crut qu’il n’auroit point
d’autre marée. 11 trouva Gouïvillë ; il lui dit :
Monfieur, je ne furvivrai point à cet affront-ci. ■
Gourville fe moqua de lui. Vatel monte à fa;
chambre, met fon épée contre la porte, & fe lai
paffe au travers du coeur; mais ce ne.fut qu’au
troifième coup, car il s’en donna deux qui n é-
toient pas mortels. Il eft tombé mort. La. marée
cependant arrive de tous côtés ; on cherche Vatel!
pour la diftribuer; on va à fa chambre ; on heurte;
on enfonce la. porte; on le trouve noyé dans
fon fatig.
HON TE . C ’eft une pènfée fort naturelle de
Guarini, Iorfqu’il dit qu’on 11e peut fe défaire de
la honte que la nature a gravée en nous 5 que
fi on veut la chaffer du coeur, elle fe fauve fur
le vifage.
H OP ITA L , ( Michel de 1’ ) chancelier de
France, né l ’an 1305, mort en 1573.
On a remarqué que le portrait du chancelier
de \xHôpital reffembloit allez bien aux médailles
que nous avons d'Ariftote. Peu d’hommes ont
donné plus d’ exemples de dé fin t ère fie me fit, de
magnanimité & de confiance. Il avoit pris pour
devife un atlas foutenant lè globe terrèftre fur
fes épaules avec cette légende ïmpavidum ferlent,
ruina. C ’étoit un philofophe doux , ami de l’hu-
manité dans un temps d’enthoufiafme & de fureur.
Sa conduite fit juger à fes ennemis qu’ il penfoit
comme les cal vinifies, & qu’il n’étoit catholique
qu’à l’extérieur ; c’eft ce qui donna lieu à la raillerie
qui couroit de fon temps : Dieu, nous garde
de la mejfe du chancelier, parce qu’on étoit perfüadé
qu’il n’y çroyoit pas trop.
VHôpital fut éleyé à la dignité de chancelier
féus le règne de François II. 11 s’oppofa fortement
a l’établiffement du tribunal de i’ inquifition que
les Guifes vouloient introduire en France, afin.
d’avoir un infini ment de plus pour étendre leur
autorité. Le chancelier repréfenta en plein con-
feil que le pouvoir des fouverains ne s’étend
point jufques fur les confciences, & qu’un citoyen
qui obéiiïbit aux lo ix , qui rempli{foit tous fes
devoirs envers fes fupérieurs & fes égaux , ne
devoit~p!us rien au gouvernement, & n’avoit
à rendre compte qu’à Dieu des mouvemens
fecrets & des penfées qui s’éSevoient dans fon
ame.
La première fois qu’il alla au parlement de
Paris porter quelques édits du roi pour être en,-
regiftrés, il fit un difeours dans lequel il exhorta
les juges à abréger 8c même à empêcher les
procès, en accommodant furie champ toutes les
affaires qui pourroient être accommodées ; & il
donna des louanges au préfident Chriftophe de
Harlay, de ce qu’étant confeiller au parlement,
il avoit accommodé à l'amiable prefque toutes
les affaires dont il avoit été rapporteur. S’ élevant
enfuite contre les moeurs du fiècle : ««• Tous les
» ordres pour fui vit - i l , font corrompus. Le
U peuple eft mal inftruit; on ne lui parle que de
» dîmes & d’offrandes, rien des bonnes.moeurs ;
« chacun veut voir fa religion approuvée, celle
» des- autres perfécutée voilà en quoi confifte
»> aujourd'hui la piété. II y a d’énormes abus
»» p a r to u t, principalement dans les tribunaux de
» juftice, moins dans le parlement de Paris, que
» dans les autres. Cependant les magiftrats ici
Ht ne font pas à l’abri de tous reproches: ils font
» hommes
Le chancelier VHôpital fe propofant toujours
pour principe de fes avions lè bien du royaume
& les intérêts du roi fon maître, favoit réprimer
avec autant de force ceux qui attentoient à l’autorité
royale, que réfifter avec fermeté aux pro-
pofitions injuftes que 1 on fuggéroit au prince; &
lo.rfqu’on le forçoit à fceller quelqu’ édit contraire
au bien public , il faifoit favoir que c’étoit contre
fon gré, par ces mots qu’il écrivoit fur’ le replis,
me non' consenti ente.
La feule préfence du chancelier au confeiI.de
guerre, fi l’on paît'appelé* de ce nom une aftem-
blee de,conjurés , y fufpendoit toutes les délibé-^
rations fanguinaires contre les proteftans. Le connétable
de Montmorenci ofa un jour reprocher
avec fafte & dureté au chancelier de VHôpitaly
que ce n’étoit pas à gens de rebe longue de fe
mêler du fait des armes. Monfieur, monfi^ir y
reprit l’illuftre chancelier, nous autres magiftracs ,
nàus ayons autre ckofe a faire de mieux-que de
; conduire les armées ; mais 'nous, /avons quand &
comment il faut s* en Jervir pour le bien de l'état.
Le légat du pape, Hippolite d'E lt, cardinal de