
5*4 A M I
ce malheureux prince , il fit habiller fa fille en ef-
clave, & ordonna qu'en préfence de fon père on renvoyât
puiferde l'eau. À ce fpeétacle , Pfammenite
baiffa les yeux fans rien dire. Cambyfe fit enfuite
paffer devant lui fon fils chargé de chaînes , Pfammenite
ne donna encore aucune marque de douleur
; mais appercevant un de fes amis réduit à
demander fon pain, il s'arracha lés cheveux 3 &
répandit un torrent de larmes 3 & s ecria dans fa
douleur : les malheurs de ma famille font trop grands
pour être pleures ; je n'ai'trouve des larmes que
pour déplorer le fort de mon ancien ami.
Callifthènes d'Oly nthe , qui avoit fuivi Alexandre
dans fes conquêtes , fut accufé de trahifon auprès
de ce prince, qui le fit mutiler 3 & le condamna
à être renfermé dans une cage de fer à la fuite de
l ’armée. Lyfimaque, l'un des capitaines d'Alexandre
, & Vami fidèle de Callifthènes , ne difcon-
tinua pas cependant de venir le voir.
. C e philofophe , après l’avoir remercié de cette
attention courageufe , le pria 3 au nomades dieux,
que ce fût pouf la dernière fois. Laiffez - moi,
d i t - i l, fuppprter mes malheurs, & n’ayez point
la cruauté d'y joindre les vôtres! « Je vous verrai
» tous les jours, répondit Lyfimaque, fi le roi
» vous favoit abandonné des gens vertueux , il
« n’auroit plus de remords, & ferait fondé à vous
j» croire coupable. Oh ! j'efpère qu’il ne jouira pas
» du plaifir de voir que la crainte d’encourir fa
n difgrace, m'a fait abandonner un ami ».
Philippe , roi de Macédoine, faifoit vendre les
prifonniers qu'il avoit faits à la guerre, & afliftoit
lui-même à cette vente. Un des prifonniers s'étant
apperçu que le monarque avoit fa robe retrouffée
d'une manière indécente, s ecria : excufez - moi-,
Philippe, je fuis un ancien ami de votre père.
Philippe furprïs, lui demanda comment il avoit
fait cette amitié. Je vais vous le dire, reprit le
prifonnier, & s'approchant du prince comme pour
lui parler à l'oreille. Baiffez votre robe, lui dit-il.
Philippe aufli-tôt donna la liberté à cet homme ,
& convint qu'il venoit de lui faire connoîtré qu'il
étoit en effet fon ami. .
Darius afliégeoit depuis long-temps Babylone ,
fans pouvoir s'en rendre maître. Zopire, un de
fes amis 3 fe coupe le nez & les oreilles , & dans
cet état il fie prefente aux portes de la-ville, ac-
cufant Darius de cruauté, pour l'avoir ainfi défiguré.
Les babyloniens le'reçoivent , & connoif-
fant fon expérience, ils le choififfent pour leur chef.
Zopire à la première occafion livra la ville à Darius,
mais le roi n'eut pas plutôt vu fon favori fi cruellement
mutilé, qu’il s'écria, faifi de douleur : j’ai-
merois mieux revoir mon cher Zopire fain & Entier
, que de prendre cent villes comme Babylone.
Philippe de Valois préfenta un jour a Laurent
dçMéaicis, un florentin nommé Giacomifli Thi-
A M I
balduni, qui avoit confpiré plufieurs fois contre
la vie du prince, & le pria de lui rendre fes bonnes
grâces. Laurent lui dit avec .bonté : Philippe , je
ne vous aurois aucune obligation, fi c'eût été un
ami que vous m'enfliez recommandé, mais je ne
puis trop vous remercier dë m'avoir procuré un
ami dans la perfonne de Giacomini, c i - devant
mon ennemi. Je vous prie de me rendre fouvent
de pareils fervices.
Au fiège delà Capelle en 1650., un efpagnol
apprend que fon ami a été renverfé d'un coup de
moufquet dans la: tranchée, il vole aufli-tôt à'fon
fecours 5 il le trouve mort étendu fur la pouflière.
Son premier mouvement eft de fe jetter fur foi>
ami 3 il l’embraffe, le tient quelque temps prefle
contre fon fein, & fuffoqué par la douleur, il expire
un moment après.
L'archiduc inftruit de cet événement, ordonna
que les. deux amis fuffent dépofés dans le même
tombeau , & les ayant fait tranfporter avec pompe
à Avefnes , il leur fit élever un maufolée en marbre.
Malgré de fi beaux traits, on peut encore dire,
avec La Fontaine.
Chacun fe dit ami; mais fou qui s’y repofe:
Rien n’eft. plus commun que le nom >
Rien n’eft plus rare que la chofe.
M. S * * * perd un ami qui, en mourant, laiffe
des dettes. & deux enfans en bas âge, fans biens,
fans efpérances , fans reffources. L’ ami qui lui
furvit retranche fon train, fon équipage.3 .& va fe
loger dans un fauxbourg, d'où tous les jours il
venoit fuivi d’un laquais au palais , & y remplif-
foit les devoirs de fa charge. Il eft aufli-tôt foup-
çonné d’avarice, de mauvaife conduite ; il eft en
butte à toutes les calomnies. Enfin, au bout de
deux ans, M. S * * * reparoît dans le monde. Il
avoit accumulé une fqmme de vingt mille livres,
qu'il plaça au profit des enfans de fon ami.
L’homme uniquement nul, difoit le chancelier
Bacon, eft celui qui n’a point d’ amis 3 le monde
n'eft pour lui qu’un vafte defert, un lieu d’exil &
de trifteffè, qu'il partage avec les animaux errans.
Une bonne femme , après avoir fait fa prière
devant un faint Michel, prit deux petits cierges ;
& attacha l'un à l'image de. faint Michel, & l'au-
1 tte à celle du diable qui eft repréfenté fous fes
pieds. Le curé , qui paflbit,Jui dit : eh ! que faites-
vous là , bonne femme ? Ne voyez-vous pas que
Veft le diable à qui vous offrez cette bougie? Mon-
fieur , répliqua-t-elle, on m'a toujours d it, qu'il
étoit bon d’avoir des amis par-tout : on rte fait où
l’on peut aller.
On demandoit à un fage ce que c'étoit qu'un
,ami3 il répondit : ce mot n'a point de lignification,,
a m 1
Un galant homme de la cour de France, alla
chez un de fes" amis pour le féliciter d une dignité
qu'il avoit obtenue depuis peu : celui-ci tout fier
de fà nouvelle élévation, demande qui il etoit ?
L'autre, fans fe déconcerter-, change de langage,
& lui dit : je viens vous témoigner la douleur que .
j'ai dù malheur qui vous eft arrivé , & je fuis fort
touché de vous voir fourd & aveugle, puifque vous
ne reconnoiffez plus vos anciens amis.
Un homme ayant prêté une fomme confidé-
rable à un de fes amis , qui n'étoit pas exa& à la
lui rendre, & qui le fuyoit depuis ce temps-là,
le rencontra, & lui dit : rendez-moi mon argent
ou mon ami.
Il n’y a rien de plus commun qu'un faux ami3
tien de plus rare qu'un vrai ami. Un homme d ef-
prit demandant un jour à fon fils,-qui fe retir oit
fort tard , d'où il venoit ? Mon père, lui répondit
fon fils,- je viens de voir un de mes amis. De voir
un de vos amis ! repartit le père avec étonnement,
vous en avez donc beaucoup. Hélas i comment
avez-vous donc fait étant fi jeune, continua-t-il,
puifqu'il y a plus de foixante ans que je fuis au
monde, & que je n’ai pû trouver encore un feu \amiï
Un homme condamné à mort,, trouva un ami
affez confiant pour le cautionner & prendre fa
place pendant le temps qui lui fut accordé pour
aller donner ordre à les affaires. Le criminel vint
délivrer fon ami le jour même du fupplice. Denis ,
tyran de Syracufe, admirant dans ces amis l'aflii-
rance de l'un & la fidélité de l'autre, pardonna
au coupable, & pour récompënfe , je vous de-
mande^ leur dit-il, d’ être reçu pour troifième dans
votre amitié.
M. Freind , premier médecin de la reine d'Angleterre,
avoit aflifté au parlement en 172.2, comme
député du bourg de Lancefton , & s’ étoit élevé
avec forcé contre le miniftère. Cette,, conduite
hardie ayant indifpofé la' cour , on fufcita à Freind
un crime de haute trahifon ; & il fut enfermé au
mois de mars dans la tour de Londres. Environ
fix mois après, le miniftre tomba malade , & envoya
chercher Richard Méad, autre médecin anglais
, & le plus grand ami de Freind. Après s'être
inftruit à fond de la maladie du miniftre , il lui
dit qu'il répondoit de fa guérifon ; mais qu'il
ne lui donnerait pas feulement un verre d'eau,
qu'il n'eût-rendu la liberté qu'on avoit fi injufte-
ment ravie à M. Freind. Le miniftre , quelques
jours après , voyant fa maladie augmentée, fit
fupplier le roi d élargir le prifonnier. L'ordre expédié
, le malade crut que Méad alloit ordonner
ce qui convenoit à fon 'état ; mais ce médècin
perfifta dans fa réfolution, jufqu'àce que fon 'ami
fût rendu à fa famille.« Alors il- traita le mjniftrë,
& lui procura bientôt,; une guérifon parfaite. Le
foir même il porta à Freind environ cinq mille
guinées qu'il avoit reçues pour fes honoraires., en
A M I Si
traitaht les malades de fon ami pendant fa détention
, & le contraignit de recevoir cette fomme,
quoiqu'il eût pu la retenir légitimement, puifqu elle
etoit le fruit dë fes peines.
Bias , l’ un des fept philofophes à qui les ^recs
donnèrent le nom de fages, avoit fur l'amitié des
fentimens que Cicéron condamne , mais que l'ex-
. périence ne juftifie que trop fouvent « Avec fes
» amis, difoit-il, il faut fe comporter comme s'ils
» dévoient être un jour nos plus cruels ennemis ».
Cependant perfonne n’ avoit plus de franchife que
Bias, dans ce doux commercé du coeur; perfonne
ne s'ouvroit à fes amis plus volontiers que ce philofophe.
Le philofophe Ariftippe s’étoit brouille avec
Efchine, fon ami. Qu’eft devenue votre amitié,
lui dit quelqu’un ? — Elle dort ; mais je vais la
réveiller. Aufli-tôt il court chez Efchine : « Ne
1 » cefferons-nojis pas de faire les enfans? Atten*
33 drons-nous, pour nous reconcilier, que le bruit
33 de notre rupture fe foit répandu dans tous les
» carrefours ?— Je fuis tout prêt à renouer avec
» vous. — N ’oubliez pas au moins .que j’ai fait les
a, premiers pas', quoique plus ancien que vous ,
» reprit Ariftippe : vous avez commencé la que- •
» relie., & j’ai voulu la finir».
Eudamidas de Corinthe touchoit a fa derniere
heure, & laifloit fa mère & fa fille expofées a la
plus cruelle indigence. Il n’en fut point allarmé.
Il jugea des coeurs d’Arethus & de Carixene ,
les fidèles 'amis 3 par le fien propre. Il fit ce tef-
tament qui ne doit jamais être oublié : « Je lègue à
33 Aréthus de nourrir ma mère, & de l’entretenir
» dans fa vieilleffe ; à Carixène , de marier ma
33'fille, & de lui donner la plus grande dot qu’ il
»pourra; & au .cas que l'un des deux vienne à
33 mourir, je fubftitue en fa part celui quifurvivra ».
Ces deux - citoyens" généreux fe montrèrent les
dignes amis du vertueux Eudamidas, en remplif-
fant, avec un noble fcrupule, fes dernières intentions..
' ,
Cicéron difoit que de la même manière que les
hirondelles paroHfent l'été, & difparoiflent l'hiver,
de même les faux amis fe préfentent dans la bonne
fortune , & s'éloignent dans la mauvaife.
AMITIÉ. Le, comte d'Aubigné, ayeul de madame
de Maintenon, avoit beaucoup de généro-
. fité dans les fentimens. Henri IV lui reprochant
un jour de ce qu'il fe montrait l'ami du feigneur
de la Tremouille, difgracié & exilé d elà cour.
» Sire, lui répondit d'Aubigné , M. de la Tre-
33 mouille eft affez malheureux, puifqu'il a perdu
5i la faveur de fon maître ; j'ai cru ne devoir point
» l'abandonner dans le temps qu'il avoit le plus
» befoin de mon amitié 33. ,
Que Montagne peint bien, dans fon vieux &