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L'aventure qui lui arriva à l’occaficn de fon pceme
d*Alaric, en eft la preuve. Voici comme Chevreau
la rapporte. La reine ChrilFne m'a dit cent fois
qu'elle ré fer voit: à M. Scudêri pour la dédicace
qu il lui teroit de fon Alaric , une-chaîne d'or de
m:lle piftoles. Mais comme le comte de la Gardie,
doryt il eft parlé fort avantageufement dans ce
poëme, effuya la difgracè de la reine, qui fou-
baitoit que le nom du comte fût ôté de cet-• ouvrage
, & que je l'en informai, il me répondit que
quand la chaîne d'or feroit auflî grofle & auflî pe-
fante que celle dont il eft fait mention dans l’hif-
• toire des Incas, il ne détruiroit jamais l'autel ou
il avoit facrifié. Cette fierté héroïque déplut à la
reine , qui changea d'avis.; & le comte de la Gardie,
obligé de reconnoître la génercfite de M..
Scudêri t ne lui en fit. pai même un remercîment.
Ce qu'on lit dans le Voyage de Bachaumor t &
de Chapelle, fur le goiivernement de Notre-Dame
de la Garde en Provence, qu'avoit M. Scudêri,
eft trop fingulier pour ne pas trouver ici fa place.
Une fine & maligne raillerie y régné comme dans
tout le relie de ce Voyage. Après avoir dit que
quelques - unes des précieufes de Montpellier
çroyoient M. Scudêri :
Un homme de fort bonne mine,
Vaillant, riche, & toujours bien mis,
Sa foe ur, une beauté divine ,
Et Pélifl’on, un Adonis : -
On ajoute plus bas : :
Mais il faut vous parler du fo r t,
Qui fans doute eft une merveille :
C’eft Notre-Dame de la Garde,
Gouvernement commode & beau ,
A qui fuirât pour toute > garde,
Un fuiftè avec fa hallebarde,
Peint fur la porte du château.
C e fort eft fur le fommet d'un rocher prefque
rnncceflible, & fi haut elevé , que s'il comman-
doit à tout ce qu'il voit au-deffous de lui, la plupart
du genre humain ne vivroit que ious fon
plaisir.
Auflî voyonsiRous que nos -rois, -
En connoiflant bien l ’importance?
Pour le confier, ont fait ch o ix ,
- Toujours de gens de corifëquence ;
De gens pour q ui, dans les allarmes,
Le danger auroit eu des charmes,
De gens prêts à. tout fcafarder,
Qu’on eût vu long-temps commander,
Et dont le poil poudreux eût blanchi fous les armes.'
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Une defeription magnifique qu'on a faite autre-'
fois de cette place, nous donna la curiofité de
. 1 aller voir. Nous grimpâmes plus d'une heure
avant que d'arriver à l'extrémité de cette montagne
, où l'on eft bien furpris de ne trouver
qu'une méchante ramure tremblante, prête à
tomber au premier vent. Nous frappâmes à la
porte, mais doucement, de peur de la jetter par
terre; & après avoir heurté long-temps, fans entendre
même un chien aboyer dans la cour :
Des gens qui travailloient là? proche,
Nous dirent : Meilleurs, là-dedans
On n’entre plus depuis .long-temps :
Le gouverneur de cçtte roche,
Retournant en cour par le coche,
A depuis environ quinze ans
Emporté la c le f dans fa poché. -
La naïveté de ces bonnes gens nous fit Bien
rire , fur-tout quand ils nous firent remarquer un
écriteau que nous lûmes avec afîlz de peine > car
le temps l'avoit prefque effacé.
Portion de gouvernement,
A louer tout préfenttment.
Plus bas, en petit cara&ère ■;
Il faut s’adreftër à Paris |
Ou chez Conrart: le fecrétaire,
Ou ,chez Courbé l’homme d’affaire;
De tous Meilleurs les beaux efprits.
Scudêti avoit beaucoup voyagé, & fe prquoit
fort de, noble fie. Voici comrpe il s'en exprime,
dans une préface : «* T u couleras aifdment, 'dit-il
au leéfcur, par-deffus les famés, que .je n'ai point
remarquées, fi tu da-gnes apprendre qu on m'a
vu employer la plus longue partie de l’âge que j'ai
à. voir la plus belle & la plus grà 'de partie de
l'Europe , & que j’ai paffé plus d'années dansJes
àrmes., que d’heures dans mon cabinet, & beaucoup
plus ufé de mèche en arquebufe qu'en chandelle
: de forte que je fais mieux ranger les. foldats
que les paroles, & mieux quarrer les bataillons
que les périodes.
Dans l'épître dédicatoire d’ une de fes pièces au
duc de Mon,1 morenci, il dit : <c Je veux apprendre
à écrire de la main gauche , afin que la droite
s'emploie à voua fervir plus noblement ». Et dans :
un autre i! dit, « qu'il eft forri d'une maifon où
l’on n'a jamais, eu de plume qu'au chapeau ».
S C U D É R ï, ( Madeleine de) foeur du précédent,
née en 1607, morte à Paris en 1701.
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Mademoifelle Scudêri remporta le premier prix
d'éloquence que l'académie françoife ait donné 5
elle fut de l’académie de Ricovrati de Padoue.
Chriftine, reine de Suède, l’honora de fon portrait,
& d'un brevet de penfion ; le cardinal
Mazarin lui donna gufti une penfion par fon tetra--
me’nt j le chancelier Boucherat lui en établit une
autre fur les fceaux en 1683 ; Louis XIV lui en
accorda une de deux mille livres. Du temps de
mademoifelle Scudêri, on e toit paflïonné pour les
romans ; ce n'étoit même que par cette voie
qu'un auteur s'avançôit dans le monde. Le maréchal
de Roquelaure avoit un portrait de mademoiselle
Scudêri, repréfentée en v.eftaie, entretenant
le fëu fucré , avec ce mot fôvebo, gravé au
bas de l'autel qui fouteiioit ce feu, pour marquer
quelle entretenoit toujours une aimable liaifon
avec fes illuftres amis, le duc de Montaufier,
Conrart, &c.
Sarrafin & Péliffbn éto:ent tous deux extrêmement
attachés à mademoifelle Scudêri. On prétend
quelle donna la préférence au dernier, dont la
laideur ne laifleroit pas foupçonner qu'elle s'attachât
à la matière : elle lui déclara fa paffion par
ces vers qu'elle fit fur le champ :
Enfin, Acanthe, il faut fe rendre,
Votre efprit a charmé le mien ;
Je vous fais citoyen du Tendre,
Mais de grâce n’en dites rien.
Ces vers en occafionnèrent d’ autres,, ceux-ci
en particulier, dont on ignore l'auteur.
Là figure de Péliffon
Eft une figure effroyable ;
Mais quoique ce vilain garçon
Soit plus laid qu.’up linge & qu’un diable,
Sapho lui trouve des appas :
Mais je ne m’en étonne p a s,
Car chacun aimeTou femblablé.
On difoit à mademoifelle Scudêri que Verfailles
étoit un lieu enchanté.Oui, dit elle, pourvu que
1 enchanteur y foit. Elle vouloit parler du roi.
Duperrier fit voir un jour à Ménage une lettre
très bien écrite, qui finifioit par votre très-humble
& très obéijfante feryante. Ménage lui dit que cela
ne valcit rien, & que n'étoit point le ftyle
d’une dame. Duperrier foutint le contraire. Le
lendemain Ménage reçut «un billet de mademoifelle
Scudêri, qui fi iflfoit de la même manière.
Cela le furprit, & il fit vdft le billet à Duperrier,
qui alla faire part à îpademoifelle Scudêri de leur
différend. « H eft vrai, dit-elle, qu'on n’ëciivoit
pas ainfi autrefois > mais auffi les femmes ne doi- ,
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vent-elles plus être fi fières depuis qu’elles ne font
plus fi vertueufes.’».
On rapporte une aventure allez fingulière qui
lui arriva dans un voyage en Provence avec fon
frère Georges. Ilscoucherentau Pont-Saint-Efprir.
On les avoit placés dans une chambre à deux lits.
Avant de s'endormir, Scudêri parla de Cyrus, &
demanda à fa foeur ce qu'ils feroient du prince
Mafard, un des héros du roman. Mademoifelle
Scudêri étoit d'avis de l'empoifonner ; mais après
quelques conteftatiens, il fut arrêté qu'on le fe-
roit alfafliner. Des marchands logés dans une chambre
voifine, ayant entendu la converfation , crurent
que ces deux étrangers complotoient la mort
de quelque grand prince , dont ils déguifoient le ’
nom fous celui de Mafard. On avertit la juftice.
Le frère & la foeur furent arrêtés & mis en prifon.
C e né fut qu'avec beaucoup de peine qu'ils réuflï-
rent à fe juftifier.
DéfpréaUx appelloit les romans de mademoifelle
Scudêri, une boutique de verbiage : C'eft un auteur,
difoic-il, qui ne fait ce qtie c'eft que de finir. Scs
héros & ceux de fon frère n'entrent jamais dans un
appartement que tous les meubles n'en foient inventoriés.
Vous diriez que c'eft un procès-verbal
dreffé par un fergenc.
SÊGRAIS, ( Jean Renaud de ) ne en 1624, mort
en 170t.
Sêgrais fa voit mille,chofes agréables , & il les
racontoit d'une manière qui faifoit autant de
pli'fir que les chofes mêmes. Quand une fois il
aVpit commencé , il ne fimffoit pas aifément
M. de Matignon difoit, à ce fujet, qu’il n’y avoit
qu a monter Sêgrais & le laiffcr aller.
Lorfq-ue M. Foucault étoit intendant à Csen ,
fa maifon étoit le rendez-vous de tout ce qu'il
y avoit de perfonnes de mérite & de qualité.
M. Sêgrais y étoit reçu avec diftinétion , Jorf-
què fa fanté lui permettait de s'y trouver. Il y
avoit pour lui une-place de réferve, auprès d'une
tapifferie, derrière laquelle un homme de confiance
étoit caché , qui écrivoit ce qu’il difoit ;
c’eft dé là qu'a été tiré le Segraifiar.a.
Pour faire entendre ,que les- poètes n'étoiéne —
plus fi recherchés qu’aurre:fois , M. de Sêgrais
difoit fou vent que le fiècle étoit devenu pro-
faïque.
Sêgrais difoit que le titre d'académicien était
le cordon bleu des beaux efprits.
Quoique Sêgrais fût de l'académie , & qu'il
eût paffé fa vie à la ccur, il ne put jamais perdre
l'accent de fon pays ; ce qui donna lieu à mademoifelle
de Mont per. fier , de dire à un gentil- ;
homme f qui ailoic faire le voyage de Normandie
avec Sêgrais : Vous aveç la un fort bon guide,
il fait parfaitement la langue du pays.