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énergique langage , la tendre 8c vive amitié. Il
parle ici de M. de la Boetie , Ton ami , que la
mort lui avoit enlevé.
« A notre première rencontre', nous nous trouvâmes
fi pris, fi connus , fi obligés entre nous ,
»> que rien dès-lors ne nous fut fi proche, que
» l ’un à F autre. Si je compare tout le refte de
»> ma v ie , quoiqu’ avec la grâce de Dieu, je
si l’aie paffée , douce, aifée , 8c, fauf la perte d’un
ai tel ami , exempte d’affliétion poignante > fi je la
» compare, d&jje , toute aux quatre années qu’il
» m’a été donné de jouir de la douce compagnie
» 8c fociété de ce personnage, ce n’eft que fumée,
» ce n’eft qu’ une nuit obfeure 8c ennuyeufe. De-
» puis le jour que je le perdis, je ne fais que traîner
» fanguiffant, 8c les plaifirs même qui s’offrent à
r> moi, au lieu de me confoler , me redoublent
» le regret de fa perte. Nous étions à moitié de
s» tout j il me femble que je lui dérobe fa part,
as J’étois déjà fi fait 8c accoutumé à être deuxième *
w par - tout, qu’il me femble n’être plus qu’ à
» demi M.*
Oh 1 mes amis, il n’y a plus d’amzs. Le philo—
fophe qui tenoit ce propos, confîdéroit ce qui fe
* paffe dans les grandes villes, où l’on voit rarement
naître les fortes paffions de l’amour 8c. de
l ’amitié, parce que chacun diftrait par fes occupations
8c fes plaifirs , n’y reçoit que de foibles
impreffions de ce qui l’environne. On rencontre
néanmoins quelquefois fur ces vaftés fcènes des
coeurs généreux qui facrifient à la tendre amitié.
Phalere étant banni de fon royaume, difoit
que la rencontre qu’ il avoit faite de Y amitié du
fage Cratès , lui avoit ôté tout le foin 8c la follici-
tude de fa maifon.
La plupart des hommes qui n ont en vue que
leurs intérêts, croient que leurs amis y doivent
entrer fans réflexion, 8c déférer à toutes leurs demandes
, fans examiner fi elles font juftes. Publiu?
Rutilius ayant refufé ce qu’un de fes amis lui de-
mandoit, celui-ci lui dit : «Et à quoi m’eft bonne 33 votre amitié , fi vous refufez de faire *la chofe
* dont je vous prie ? Et à quoi la vôtre m’ eft-elle sa bonne, répartit Rutilius, fi elle m’oblige défaire
» une chofe contre mon honneur ?
AM IT IÉ FRATERNELLE. Le général Elliot
ayant réclamé, au nom de l’Angleterre, la
liberté de quatorze de fes compatriotes , pris fur
un bâtiment portugais par un corfaire algérien,
il s’ eft trouvé parmi ces efclaves un jeune homme
nommé John Williams, qui,en vifîtant les bagnes
reconnut fon frère aîné, qui, depuis dix ans, gé-
piiffoit dans les fers, 8c qu’il croyoït mort. Touché
de fa fituation, fa tendreffe pour ce frère lui
a függéré le deffein de prendre fa place, « J ’ai, lui
pj a-t-il d it, toutes les forces que vous avez per-
?? dues j fuis jeune Sc en état de les conferver
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>t encore long-temps, je puis fou tenir le tra-
33 vail qui vous feroit périr ; partez, je fuis bien
33 fûr que fi le ciel vous procure des moyens ou
33 des amis, je ne porterai pas long-temps ces
33 fers 33_, Le frère a réfifté d’abord, mais a été
obligé de céder aux inftances de fon frère. Son
maître a accepté avec empreffement cet échange,
8c John Williams , refté volontaire efclave , a donné
un exemple touchant ü amitié fraternelle qui
mérite qu’on s’intéreffe à fon fort.'
Les anciens, pour donner une image de la véritable
amitié , avoient imaginé de la repréfenter fous
le fymbole d’une couronne de grenade. Sa couleur,
qui ne varie point, exprimoit la confiance qu’on
doit attendre de Y amitié. Le fruit ayant le coeur
ouvert, 8c fes graines étant autant de marques
d’une véritable union, indiquoient les caractères
effentiels de Y amitié.
L’Ilio Geraldi , dans fon ouvrage des dieux du
paganifmë, prétend qu’on YcuYptokY amitié fous
1a figure d’une jeune femme, la tête nue, vêtue
d’un habit groflier , 8c la poitrine découverte juf-
qu’à l’endroit du coeur , où elle portoit la main ,
embraffant de l’ autre côté un ormeau fec.
Pour les coeurs corrompus Vamitié n’eft point faite.
O divine amitié, félicité parfaite !
Seul mouvement de l’ame où l’excès foit permis ,
Change en biens tous les maux où le ciel m’a fournis»
Compagne de mes pas, dans toutes mes demeures,
Dans toutes les faifons & dans toutes les heures ,
Sans to i l’homme eft tout feul ; il p eu t, par ton appui»
Multiplier fon ê tr e , & vivre dans autrui.
VOLTAIRE.
AMIS DE COLLÈGE. Le lord chef de la
juftice d’H o lt , vit un jour conduire devant fon
tribunal un malheureux accufé d’avoir volé fur les
grands chemins. Le crime fut prouvé, 8c il le
coudamna à la mort! En l’interrogeant , il le reconnut
pour un de fes compagnons d’ études ; il ne
piit s’empêcher de lui demander des nouvelles dé
quelques-uns de fes anciens condifc-iples avec lesquels
il avoit été lié. Que font devenus , lui demanda
t-il, Thom , William , • John, Sec. qui
étoient de fi bons compagnons , 8c avec qui. . «
« Ah ! Milord , répondit le voleur, en pouffant un
33 profond foupir , ils font tous pendus , excepté
33 vous 8c moi 33.
AMITIÉ DE COLLÈGE- Les deux claffes de
l’école de Weftminfter ne font féparées que par un
rideau qu’un écolier déchira un jour par.hafard.
Comme cet enfant étoit d’un naturel doux 8c timide
, il trembloit de la tête aux pieds, dans la
crainte du châtiment qui lui feroit infligé par un
maître connu pour être très-rigide. Un de fes
camarades le tranquillifa en lui promettant de fe
charger de U faute, Sc de fubjr la punition : ce que»
ïéçlletnens
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réellement il fit. Ces deux ' amis, qui étoient devenus
hommes^ lorfqtieia guerre civile éclata, em-
•brafferent des intérêts oppofés : 1 un fuivit le parti
du parlement, 8c l’autre le parti du roi} avec;
cette différencie que celui qui avoit déchire le ri- ,
deau tâcha de s’avancer dans les emplois civils ,
8c celui qui en avoit fubi la peine-' dans les militaires.
'
• Après des fuccès 8c des malheurs variés, les
républicains remportèrent un avantage décififdans
le nord de l’Angleterre ; firent prifonmers’tous les '
officiers confidérables de l’armée de Charles, 8c
nommèrent ,peu après, des jugçs pour faire de
procès à ces rebelles, ainfi qu ôn les appelloit
alors. L’écolier timide , qui eft un de ces magif-
trats, entend prononcer parmi lès, noms des cri- ;
minels celui de fon généreux ami qu’ il n’a pas vu
depuis le collège, le confidèré avec toute l’attention
poffible , croit le reconnoître, s’affure par des ■
queftions fages qu’il ne fe trompe pas ; 8c, fans fe
découvrir lui-même , prend avec grand empreffement
le chemin de Londres. Il y emploie fi heu-
reufement fon crédit auprès de C romwel, qu’il
préferve.; fon ami du trifte fort qu’éprouvent fes '
infortunés complices.
AM IO T (Jacques), né à Melun en 15-13 ;
il. étoit fils* d’un corroyeur. S’étant échappé
fort jeune de la maifon de fon père, il s’égara, 8c
tomba malade en chemin. Un gentilhomme qui le
vit étendu dans un champ, en eut pitié,le prit en
croupe derrière lui, 8c l’emmena à Orléans , où il le
mit à l’hôpital. Comme fa maladie ne venoit que de
laffitude, il fut bientôt guéri 5 ofrle congédia , 8c
on lui donna douze fols. C e fut en reconnoiffance
de cette charité , qu’étant devenu grand aumônier
de France' 8c évêque d’Auxerre, il légua douze
cents écus à cet hôpital d’Orléans.
Un gentilhomme du Berri avoit chargé Amiot
de l’éducation de fes enfans. Henri II paffant par
cette province, Amiot lu i fit préfentèr par fes dif-
ciples une épigramme grecque que le roi rejetta
en difant : c’ejl du grec g à d’autres. Le chancelier
de l’Hôpital qui étoit préfent, ramaffa le papier , 8c
fut fi charmé de cette petite pièce devers , qu’il dit
au roi que l’ auteur méritoit d’être .précepteur de
fes enfans > origine de la fortune d’Amiot , félon
l’abbé de Saint-Réal.
Ce même auteur rapporte qu’un jour, au fouper
du Roi Charles I X , . dont Amiot. avoit dirigé les
études , la converfation étant tombée fur Charles-
Quint, on loua cet empereur d’avoir fait fon précepteur
pape. Cette aéhon fut exagérée d’ une maniéré
qui fit impreffion fur l’efprit du ro i, jufques-
là qu’il dit, en regardant Amiot, que fi l’occafion
fe préfentoit, il en feroit bien autant pour le lien.
Quelque temps après la charge de grand aumônier
de France étant venue à vaquer , 1e-roi la lui
JLàcyciopédiana.
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donna y quelque chofe qu’il pût dire pour fe défendre
de l’accepter. Mais cette-nouvelle ayant été
portée à la reine , qui avoit deftiné cette charge à
un autre, elle fitappeller Amiot dans fon cabinet,
où elle le reçut d’abord avec ces effroyables paroles
: ai fait bouqutr, lui dit-elle ., tes Gui fes &
les ChatiliGns 3 les connétables & les chanceliers , les
rois de Navarre & les princes de Condé ; & je vous
ai entête , petit preftolet ! Amiot eut beau protefter
qu’il avoit refufé cette place, la reine lui fit entendre
que s’il l’acceptoit, il ne vivroit pas yingt>.
quatre heures } c’étoit le ftyle de ce'temps-là. Les
paroles de cette princeffe étoient des arrêts, 8c le
roi étoit èntier dans fes fentimens jufqu’à l’ opiniâtreté.
Entre çès deux extrémités , Amiot, pour fe
dérober également à la colère de là mère 8c aux
libéralités du fils, prit le parti de fe cacher. C e pendant
il ne paroiffoit point à la table du ro i,
lorfqu’au quatrième jour ce prince commanda
qu’on le cherchât > mais ce fut en vain. Alors
Charles IX fe doutant de ce que ce pouvoit ê tre,
entra dans une telle fureur, que la reine qui le crai-
gnoit, fit dire à Amiot quelle de laifferoit en
repos. -
Amiot montra d’abord du défintéreffement ;
mais quand il fut pourvu d’un bénéfice, il defira
d’en obtenir un autre. Un jour qu’ il demandoità
Charles IX une abbaye confidérable, ce prince lui
dit. : « Hé quoi ! mon maître , vous difrez que fi
33 vous aviez mille écus de rente , vous feriez con-
33 tent} je crois que vous les avez 8c plus. Sire ,
3? -répondit-il, l’appétit vient en mangeant 33.
Comme on paroiffoit defirer qu’ il continuât
l’hiftoire de France , il dit qu’i/ étoit trop attaché
a fes maîtres pour écrire leur vie.
AMOUR. Quelqu’ un demandoit à Zénon fi
les fages dévoient aimer ? Il répondit que fi les fages
n’aimoient point, les belles feroientbien malheu-
reufes.
Dans la jeuneffe, dit Saint-Evremont, nous
vivons pour aimer } 8c dans un âge plus avancé
nous aimons pour vivre.
Les anciens ont repréfenté Y Amour fous cent
formes différentes, ils ont raconté fa naiffance
d’autant de manières. Mars 8c Vénu s,le Ciel 8c
la T e r re , Flore 8c Zéphire, font, fuivant divers
auteurs, ceux dont Y Amour tire.fon origine} 8c
ces allégories nous offrent les caractères de Y amour-,
fentimens fublimes 8c defirs gfoffiers, force Sc foi-
bleffe , inconftance 8c beauté. Le bandeau qu’on
lui met fur les yeux , défigne combien il eft
aveugle. Le doigt qu’il porte fur fa bouche avertit
les amans d’ être diferets. Ses ailes font le fymbole
de fa légèreté} fon arc eft le fymbole de fa puif-
faiice 5 fon flambeau allumé marque fon aéti-
I vite.
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