
loterie établie par M. Desforts , alors contrô- |
leur général, àc il fut heureux 5 cela lui fit 1
dire : » pour faire fa fortune dans ce pays-ci^
il. n'y a qu’à lire les arrêts du confeil. »
Jç ne fais fi la terre manque d’hommes , a
dit Voltaire j mais je lais qu'elle manque d'hom
mes heureux.
v Voltaire s’entretenant un jour à Ferney avec
quelqu’ un qu’il aimoit beaucoup » de la littérature
& des réputations de Paris, demandoit ce
qu’on penfoit ; d’un . jeune homme qui débu
toit avec beaucoup de fuccès. » On trouve ,
lui dit fan ami y qu’ il écrit.bien , qu’il, a du goût,
mais qu’il manque de chaleur & de fenfibilité.
Cela ne fait rien, répondit Voltaire, la fenfibi- ‘
lité & la chaleur viendront. » C e mot, quand
on y réfléchit bien, eft d’un grand fens. C ’eft le
mot d’un poète illuftrê qui avoir repalfé fur tous
les âges de fon génje, & qui fe fouvenoit très-
bien de i’âge où il a voit ofé écrire d’après fon
ame , où il avoit ofc la répandre entière dans
fes ouvrages. ‘ C ’eft peut-être l’époque de Zaïre,
il avoit alors quarante ans.
On a beaucoup retranché de chofes à une
fcène du Roland , dont M. de Voltaire faifoit
le plus grand cas : quelques amis lè preflbient;
vivement de voir cet opéra , il leur répondit :
cela m'eft impoffiblépQuinault me l’a défendu. »*
Lekain avant fon début à la comédie Fran-;
çoife , pria Voltaire de lui permettre de déclamer
devant lui quelques lambeaux de rôles qu’il
avoit déjà jou é , & lui propofa le grand couplet
de Gullave au fécond aéte : « Point, point
d eP iro n , s’écria Voltaire , je n’aime point les
mauvais vers. .Dites - moi tout ce que vous fa-
v e r de Racine.
Quelqu’un difoit devant Voltaire, que l’i’luftre
auteur de i’hiftoire naturelle n’avoit prefqué point
trouvé1 de cenfeurs , & qu’ il fembloit que la ri-
cheffe & la fermeté de fon pinceau en avoit im-
pofé à la critique. » C ’ eft qu’on n’a pas eu le
temps encore., répondit-il > de fe lafler de fa
gloire , mais plus fa réputation s’étendra, moins'
on l’ en laiffera jouir. Les hommes s’ennuient de
la même idole. .Ceux même qui .l’ont expofée à
la vénération > préfentent bientôt un objet nouveau
aux hômnYages de la mü'titude »,
Madame la duehefle de Luxembourg dit en
préfence des perfonnes les plus diftinguées, du
nombre defquelles étoit Voltaire : » je fouhai-
terois de grand coeur que nos- différends avec
- l’Angleterre puffent s’accommoder■ Madame,
reprit Voltaire , en montrant l’épée de M. le
, maréchal de Broglie , voilà ce qui arrangera
tout.
On apporta à Voltaire uneeftampe intitulée:
le dejeûner de Ferney. L ’auteur de cette gravure
y eft repréfenté à table | dans toute fa plénitude
& beau comme un 'ange. L’Homère frarf-
çois y eft dans un coin, maigre comme la mort
& laid comme j j péché. En jettant les yeux fur
cette caricature, le patriarche de Ferney s’écria : ?>
c’ eft le lazare au dîner' du riche. »
Voltaire envoyant à un a&eur, dès cinq heures
du matin , les corrections qu’ilj avoit faites: au
rôle de Poliphonce, fon laquais lui repréfenta
que ce comédien feroit encore endormi :» Va
toujours , dit Voltaire, les tyrans ne dorment
jamais ».
On doit au roi de PrulTe la réfutation de Machiavel.
Ce prince Tavoit envoyée à Voltaire
pour la faire imprimer. 11 lui donna,rendez-vous
dans un petit château appelle M eu fe ,- auprès
de Clèves. Voltaire dit au monarque en l’abordant
: » fi j’avois: été Machiavel, & fi j’avpis
eu quelques accès auprès d’un jeune roi ( Frédéric
le Grand , commençoit alors fa brillante
carrière ) , la première chofe que j’ aurois faite1,
auroit été de lui confeiller d’écrire contre moi».
Dans une fociété brillante quelqu’un dit à
Voltaire : » Ah ! monfieur, que vous devez être
content de vos ouvrages ! — je fuis , dit - i l ,
comme le mari d’ une coquette dont tout le monde
jouit, excepté lui ».
Voltaire a dit : » 'je refpecte Montefquieu juf-
ques dans fes chûtes , parce qu’il fe relève pour
monter au ciel ».
Les Anglois, faifoit-on remarquera Voltaire ,
préfèrent Corneille à Racine: »c’eft, répondit-
il , que les Anglois 11e favenc pas allez la langue
Françoife pour feniir les beautés du langage de
Racine & l’harmonie de fa verfification : Corneille
doit leur plaire davantage , parce qu’il a
-des chofes plus frappantes j & Racine g aux
François, parce qu’il a plus de douceur & de
tendreffe.
Voltaire fe repentoit d'avoir fait Mahomet
beaucoup plus méchant quü ne le fut effectivement;
mais il difoit : » fi je n’en avois fait qu’un
héros politique, la pièce étoit fifflée.
A propos de ces rimes de fociété dont les
amans font fi prodigues envers leurs maitrcffes.
Voltaire difoit : » les mauvais Vers font les beaux
jours des amans ».
Voltaire ne donna pas l’enfant prodigue fous
fon nom. Cette comédie eut ïe plus grand fuc-
cès. L’auteur écrivit à Mlle. Quiriault : » vous
favez garder les fecrets o’autéur comme les vôtres
i fi l’on m’avoit reconnu , la pièce auroit été
I fifflée. Les. hommes n’aiment point que l’on réuf-
[ fiiîe en deux genres : je me fuis fait afTez d’ en-
1 nemis par (Edipe & la Henriàde ».
Voltaire fin parlant de l’efprit des loix , a dit
de fon illuftrê auteur : » le genre humain avoit
perdu fes titres j Montesquieu les a retrouvés
& les lui a rendus », \
Voltaire «a dit de Marivaux ; c’eft un homme
qui connoît tous les fentiers du coeur humain,
mais il n’en fait pas la grande route »,
En venant à Paris Voltaire s’arrêta dans un
village pour changer de chevaux, & mit pied
à terre un 'inftant. Voici ce qu’il a raconte à
ce fujet à plufieurs de fes amis ». J’apperçus à
quelques pas un vieillard vénérable, à-peu-près
de mon’ âge, & qui affurément étoit plus ingambe.
que moi. J’approchai de lui & l’examinant
de plus près , je crus le connoître & je
lui dis : monfieur , je Vous demande bien pardon
mais vous reflfemblez beaucoup à un enfant
que j’ai vu il y.a foixunte dix ans. Cet homme
me demanda où , quand & comment j’ avois vu
cet enfant : & quand je lui eus tout expliqué i
il me dit 5 t ’étoic moi, & après m'être nommé
à mon tou r, nous nous embrjffâmes.
On devoir j.ouer che/ Voltaire, à Ferney , en
1762, l’oiphèlfo de la Chine. Le duc d e * * * ,
qui d’ailleurs étoit très-aimable , s’étoit chargé
de former le fieur Cramer, libraire de Genève,
qui devoit faire le rôle de Gengiskun. Voltaire
s’apperçut, 3;la première répétition, que M. je
Duc n’avoit fait de fon élève qu’un plat & froid
déclamateur. Il periifla Cramer, qui eût bientôt
oublié les leçons de fon maître. Quinze jouis
après, il revint répéter fon rôle avec Voltaire,
qui, s’appercevant d’un grand changement dans
fon jeu , cria avec joie à madame Denis : ma
nièce, Dieu foit loué ! Cramer a dégorgé fon duc.
Le fond du caraélère de Voltaire étoit naturellement
bon & fenfible , & prévaloit en
lui fur les fentimens d’une vengeance étrangère
à fon coeur. Le fait fuivant va le prouver. Lorf-
que les perfécutions commencèrent à s’élever I
contre le citoyen de Genève , l’auteur de Mé-
rope lui écrivit pour lui offrir un afyle. "On'connoît
la réponfè un peu cynique du philofophe :
« je ne voùs aime point, je ne veux ni de votre
afyle ni de votre eftime ». Le premier mouvement"
de Voltaire fut terrible , car c ’éccit fa manière
de fe fâcher. Quelques jours après, on crut
voir aux environs de Ferney le citoyen de Genève
, on le preffu de l’annoncer à gVoltaire ,
qui, les larmes aux yeux, dit avec abondance
de coeur : » qu’on !e faffe venir, il n’a plus de
torts dès qu’il ell chez moi ».
Voltaire ne tira d’autre vengeance d’ un homme
qui avoit paffé une partie de fa vie à le calomriier,
qui étoit tombé dans l’indigence £ & qui lui offrit
de retraiter fes calomnies par un aéte public, que
de refufer la rétractation , & d’envoyer à ce malheureux
un préfent de cinquante louis,
Voltaire n’a pas paffé une feule année de fa vie
fans avoir un accès de fièvre le jour de la faint Bar-
thélemi. Il ne recevoit jamais perfonne à pareil
jour i il étoit dans le lit. L’ affoiblifl'ement de fes
organes, l’ intermittence & la vivacité de fon
.pouls, caraétérifoient cette crife périodique. On
s’y attendoit > on ne l’approchoit qu’ en tremblant,
& l’on fe gardoit bien de lui en parler, dans la
crainte d’ajouter à fa douleur.
La tragédie de.Mahomet fut repréfentée à Lille.
Dans un entr’a&e, on apporta à Voltaire une lettre
du roi de Pruffe, qui lui apprenoit la viétoire de
Molwïtz. Il la lut à l ’affemblée, on battit des
mains : m Vous verrez, dit-il, que cette pièce de,
Molwitz fera réuflir la mienne. »
Quelqu’un parloit à Voltaire de la mort du
célèbre aéleuc Lekain, 8e regrectoit beaucoup èe
comédien : « Çeia eft bien encore plus fâcheux
peur moi, reprit Voltaire ; c ’eft Elie qui perd
fon Elyfée ».
A la rentrée du théâtre, on donna Alzire. Voltaire
y étoit en petite loge.: mais l ’énthoufiafme
le trahit dans un moment où, très-fatisfait du jeu de
M. Larive, qui faifoit le rôle dèZamore, il s’écria
: « A h ! que c’eft bien » ! A ce cri, le public
reconnut l’auteur, & interrompit la pièce à
force d’acclamations, jufqu’à ce que Voltaire fe
fût montré.
Bellecourt, accompagné de plufieurs de fes camarades,
vint préfenter les hommages de la comédie
françoife à Voltaire. Ce grand homme répondit
le plus affablement du monde au difeours
de l’ a&eur, & lui dit enfuite , ainfî qu’aux autres
comédiens, après leur avoir parlé de fa fanté : « Je
ne puis vivre déformais que pour vous & par
vous ».
M. Turgot vint voir un jour Voltaire chez le
marquis de Villette, & ce jour-là la goutte tour-
mentoit beaucoup ce miuiftre, & ne lui laiffoic
pas un libre ufagô de fes jambes. c< Vous voilà
donc-, M. Turgot, lui dit Voltaire? Eh ! comment
vous portez vous ? -—J'ai beaucoup de peine
à marcher, je fouffre. — Ah ! meflieurs, s’écria
Voltaire avec enthoufiafme, toutes les fois que je
vois M. Turgot, je crois voir Nabuchodonofor.
— O u i, les pieds d’argile, répondit le minïftre.
— Et la tête d’or , la tête d’o r , répliqua Voltaire.
A la première vifite que Voltaire fit à M . d’Ar-
genti!, il lui d it: « Ah ! mon ami, je fufpens
mon agonie pour vous venir voir ».
Le lendemain de fon arrivée à Paris, Voltaire
préfenta madame la marquife de Villette à plufieurs
dames de la cour qui étoient venues le voir. C e
grand homme leur d ie :« Mefdames, voilà Belle
& Bonne, elle a eu pitié de ma vieilleffe y c’eft à
elle que je dois le bonheur de vous voir, & le peu
d’exiftence qui me refte ».