
l'armée plutôt que fa guérifon, qui n’étoit qu'imparfaite
, \ ayant déterminé à partir 3 la maïtreffe
de la maifon coiirut fe jetter à fes genoux ». Le
” droit de la guerre , lui dit-elle , vous.,rend le
” maître de nos biens 8c de nos vies 3 8c vous nous
V avez fiuvé 1'h.onneur. Nous efpérons cependant
»de votre générofité que vous ne nous traiterez
» pas avec rigueur, 8c que vous voudrez bien
» vous contenter d'un préfent plus proportionné
» a notre fortune qu'à notre reconnoiffance ».
Elle lui préfenta en même-temps un petit coffre
rempli de ducats d'or. Bayard le mit à fourire 8c
lui demanda combien il y en avoit. La dame
croyant qu’il trouvoit le préfent trop modique 3
lui répondit en tremblant : « Deux mille cinq
» cents i monfeigneur j mais fî vous n'êtes pas
» content, nous ferons nos efforts pour en trou-
» ver davantage. - Non , Madame , dit le che-
» valier 3 je ne veux point «l'argent : les foins que
» vous avez pris de moi font bien au-deffus des
» fervices que j’ai pu vous rendre. Je vourde-
» mande votre amitié 3 & vous conjure d'ac-
» ceçter la mienne - . La dame , plus furprife que
fatisraite d'une modération li rare, fe jetta- dé
nouveau aux pieds de fon bienfaiteur, & lui dit
qu’elle ne fe releveroit point qu'il n'ait accepté
cette marque de fa gratitude. « Puifque vous le
» voulez, reprit Bayard , je ne vous refuferai
»point}; mais ne pourrai-je point avoir l'hon-
» neur de prendre congé de mefdemoifelles vos
»filles? Des qu’elles furent arrivées, il les re-
mercia de leurs bons offices & de leur attention à ;
lui faire compagnie. « Je voudrois bien , ajouta-t-il,
» vous témoigner ma reconnoiffance 3 mais les
» gens de guerre on^ rarement des bijoux conve-
» nables aux perfonnes de votre fèxe. Madame
» votre mere m'a fait préfent de deux mille cinq
» cents ducats î je vous en donne à chacune mille
» pour vous aider à vous marier ; je deftine les
» cinq cents autres aux religieufes de cette ville
» qui ont été pillées , 8c je vous prie d’en faire la
» diftribution ».
L'hiver fuivant, le chevalier Bayard donna une
preuve non moins glorieufe de fa grandeur d'ame.
Il logeoit à Grenoble à côté d’une jeune perfonne
dont la rare beauté fit fur lui la plus vive impref-
fion. Les informations qu'il fit faire de fa naif-
fance & de fa fituation , lui perfuadèrent qu'il pou-
voit donnèr un libre cours à fes defirs. Des p r o fitions
furent faites à la mère qui, ne prenant
confeil que de fa pauvreté, les accepta. Elle força
même fa fille de fe laiffer conduire chez le chevalier.
Cette aimable vierge ne l’eut pas plutôt
apperçu quelle fe jetta à fes pieds, & les arro-
fant de fes larmes : « Monfeigneur , lui dit-elle ,
» vous ne déshonorerez pas une malheureufe vic-
» time de la mifère, dont votre vertu devroit vous.
» rendre le défendeur ». Çes mots touchèrent
Payard : « Levez-yous, lui d it - ilm a fille, yous j
» fortirez de ma maifon aufli fage 8c plus heir-
» reufe que vous n'y êtes entrée ». Sur-le-champ
u la conduifît dans une retraite fûre, & le fende*
main il fit appeller la mère. Après lui avoir fait
les reproches qu'elle méritoit, il lui donna fix cents
francs pour marier fa fille à un honnête homme
qui confentoit de l'époufer avec cette dot. Il
ajouta cent écus pour les habits 8c les frais de la
ceremonie. Cefi ainfi , dit l'auteur de fa vie , que
le bon chevalier changea, de vice a vertu. -
Les anglois ayant, en 1^13 , affiégé Térouene,
prirent cette place après la journée de Guinegate ,
dite la journée des Eperons, où les françois furent
mis en déroute. Le chevalier Bayard foutint pén-
dant quelque temps les efforts de plufieurs corps
tres-confîderables. Mais forcé àja fin de fe rendre
comme'les autres , il le fit d'une manière également
fage 8c hardie. Il avoit apperçu de loin un
gendarme ennemi richement armé qui, voyant les
; ennemis en déroute , 8c dédaignant de faire des
prifonniers, s’étoit jetté au pied d'un arbre
pour fe repofer, 8c avoit quitté fes armes. Il pique
droit à lu i , faute de fon cheval, 8c lui appuyant
l epeefur la gorge : rends-toi , homme d‘ar~‘.-
mes 3 lui «dit-il, ou tu es mort. L'anglois croyant
: qu il eft furvenu du fecours aux françois , fe ren-
: dit fans réfiftance, 8c demanda le nom du vain-
! queur. Je fu i s , répondit le chevalier d'un ton
plus adouci, le capitaine Bayard qui vous rend
votre epee avec la fienne, & qui fe fait aujfi votre
prifonnier. Quelques jours après, le chevalier
voulut s en aller. Et votre-ranpon , dit le gendar-
» me ? E t là vôtre, répondit Bayard ? Je vous ai
pris avant de me rendre a vous , & favois votre
parole lorfque vous navieç pas encore la' mienne.
Cette fîngulière conteftation fut portée au tribunal
de l'empereur 8c du roi d'Angleterre , qui décidèrent
que les deux prifonniers étoient mutuelles
ment j quittes de leurs promeffes. Mais comme
Bayard avoit vu le camp 8e les travaux des ennemis
, an lui impofa l’obligation de faire un voyage
de fix femaines dans les Pays-Bas, avant de join*
dre l'armée françoife.
Lors de la fameufe bataille ‘de Marignan en
I j i f , François 1 qui s'étoit fort fignalé dans cette
grande aétion , voulut être armé chevalier, fuivant
l'ancien ufage , fur le champ même de bataille.
II fit choix de Bayard pour cette fonélion glorieufe.
I l avoit bien raifon, dit fon hiftorien ,
car de meilleure main n eût fu prendre chevalerie.
C e guerrier le frappa fur le cou du plat de fon.
épée, en difant : « Sire , autant vaille que fî c'étoit
» Roland ou Olivier , Godefroi ou Baudouin, fon
» frère. Certes, vous êtes le premier Prince que
» onques fis chevalier. Dieu veuille qu'en guerre
ne preniez la fuite ». Regardant enfuite fon épée
avec une joie ingénue : « T u é s bien heureufe ,
» mon épee , d'avoir aujourd'hui, à un fi vertueux
» 8c puifiant roi, donné l’ordre de chevalerie.
» Certes a
*» Certes, ma bonne épée, vous ferez moult bien
» comme relique gardée, 8c fur toutes autres
» honorée , 8c ne vous porterai jamais, fi ce n eft
»> contre turcs, farrazins ou maures.
En i f 21 , les impériaux attaquèrent Mézières.
Armes, vivres, foldats , tout y manquoit} mais -
Bayard en étoit gouverneur. Je voudrois qu il y eût
dans laplace deux mille hommes de guerre & plus ,
& que fa perfonne n y fût point , difoit un capitaine
ennemi. Naffau, près d'attaquer cette place avec
une armée formidable, envoya fommer Bayard
de fe rendre } celui-ci répondit au trompette :
« Dites à celui qui vous envoie, qu'avant que
» j'abandonne une place que mon maître a bien
» voulu confier à ma fo i , j'aurai fait du corps de
» fes ennemis entaffés le feul pont par où il me
» foit permis d'en fortir ». L'artillerie des impériaux
ayant renverfé une tour 8c un pan de muraille,
le courage delà garnifon fut ébranle. Plufieurs for-
tirent avec effroi par la brèche , les autres par les
portes} d’autres plus effrayés fe précipitoient du
haut des murs dansTe folle} Bayard feul n'étoit
points.ému : il fit réparer la brèche , 8c ayant raf-
Tembléle peu de foldats qui lui reftoient: «Mes
» amis , leur dit-il, nous fournies trop heureux
» d'être délivrés de ces lâches dont la timidité ne
» faifoit que gêner notre valeur , ils ne partager
o n t plus les lauriers qui n'étoient dus qu'à
» nous ». Ses difeours 8c fon exemple ranimant ’
la foible garnifon , il donna le fpeaacle unique
d'une place prefque démantelée, défendue pendant
fix femaines avec moins de mille hommes,
contre une armée de trente-cinq mille hommes ,
fécondée par une forte artillerie.
Le chevalier Bayard fuivit l'amiral Bonnivet
en Italie , 8c fut bleffé d'un coup de moufquet à
la retraite de Rebec en 1 ƒ 24. Lorfqu'il s'apper-
çut que le coup étoit mortel, il fe fit coucher
fous un arbre, le vifage tourné contre les impériaux
: « car , difoit-il, n'ayant jamais tourne le
» dos devant l'ennemi, je ne veux pas commencer
» à la fin de ma vie». Il prit fon épée , 8c les yeux
fixés fur la poignée qui lui repréfentoit une croix,
il attendoit, après s'être confeffé à fon maître-
d ’hôtel, la fin de fa deftinée. Bourbon qui pour-
fuivoit les fuyards , paffa devant lui 8c s’ attendrit
fur fon fort., « Je ne fuis point à plaindre, monfei-
» gneur , lui répondit ce brave nomme, avec une
» noble fierté } je meurs en faifant mon devoir.
» C'eft de vous qu'il faut avoir pitié en vous
35 voyant armé contre votre prince, votre patrie ,
» 8c vos fermens ».^
Un gentilhomme demandoit au chevalier
Bayard quels' biens devoit laiffer à fes enfans un
noble? Ce qui ne craint, répondit Bayard, ni
l i ’ temps 3 ni la puijfance humaine } la fagejfe Ô* là
vertu.
B A Y L E . P i e r r e Bayle- n a q u i t , e n 1 6 4 7 , a u
Bncyclopédiana,
Carlat, petite ville du comté de Foix, de Guillaume
Bayle, miniftre des proteftans de ce canton.
Il quitta la communion proteftante, 8c la reprit
enfuite. Sa vie. fut pleine de traverfes qu’il dut à
fon irréligion 8c à l'affeftation qu'il mettoit à fou-
tenir des opinions fingulières. Jurieu, célébré mi-
niftre proteftant, fut un de fes ennemis déclarés.
« A laquelle des feétes qui régnent en Hollande
» êtes-vous le plus attaché ? lui demandoit le car-
» dinal de Polignac. Bayle répondit : — Je fuis
» proteftant. - Je le fais, lui dit Polignac } mais
» etes-vous luthérien , calvinifte , anglican ? ■—
» Non , répliqua Bayle , je fuis prodMlant, car je
» protefte contre tout ce qui fe dit 8c tout ce qui
» fe fait ». C e trait naïf peut donner une idée de
ce philofophe.
Un anglois de la première diftinftion lui fit offrir
par un de fes amis cent cinquante guinées ,
s'il vouloit lui dédier fon dictionnaire. Bayle re-
fufa conftamment, difant qu'il étoit trop ennemi
des flatteurs pour le devenir lui-même.
Bayle écrivoît au père Tournemine : Je ne fuis
que Jupiter ajfemble-nue ,* mon talent eft de former
des doutes. C e favant critique fit un tefta-
ment qu'un arrêt du parlement de Touloufe déclara
valide en France, quoique Bayle fikrefté
long-tems hors du royaume. Le motif de l’arrêt
fut que les favans étoient de tous les pays , 8c
qu'on ne devoit pas regarder comme fugitif celui
que l'amour des belles-lettres entraînoit dans un
pays étranger.
On a dit de Bayle, « qu’il étoit l’avocat-général
» des philofophes , mais qu’il ne donne point fes
» conclufions ».
Milord Schafsburi ayant remarqué que Bayle
n'avoit pas de montre ^ en acheta une, dans un
voyage qu'il fit en Angleterre, pour la lui donner
lorfqu'il feroit de retour à Rotterdam. La difficulté
étoit de la lui. faire accepter. Il la tiroit fouvent
de fa poche lorfqu'ils étoient enfemble. A la fin
Bayle la prit entre fes mains , 8c ne put s'empêcher
de la louer. Milord faifit cette occafion pour
la lui préfçnter. Mais Bayle, confus 8c piqué de
ce que ce feigneur fembloit avoir pris ce qu'il avoit
dit fans deffein comme un moyen indireCt de lui
demander fa montre , s'exeufa fortement de la recevoir.
Ils conteftèrent long-temps , 8c milord
ne put la lui faire recevoir qu'après l'avoir affuré
qu'il l’avoit apporté exprès d’Angleterre, pour
lu i, 8c après avoir confirmé ce qu'il difoit, en lui
faifant voir fa propre montre.
Bayle dit dans une de fes lettres ; « On m'écrit
que M. Defpreaux goûte mon ouvrage. J'en fuis
ftupris 8c flatté. Mon di&ionnaire me paroit à fon
égard un vrai voyage de caravane, où l’ on fait
,vingt- 8c trente lieues fans trouver un arbre fruitier
ou une fontaine.
Y