
miere penfee fut : « Que cet honnête hoir'ne eft
» bienfaifant! S'il n'eft pas né riche, il méritoit
» de le devenir sa. Quelques heure' après , le
maître 1 envoie chercher. Quand b lut en fa pré-
lençe , il le fixa quelque temps ?\vec attendriffe-
ment, & lui demanda s'il ne b\ connoiffoit pas ?
Mon , répondit le pauvre. V j quoi ! s'écria-t-il
en pleurs j je fuis ton frer'| J En même-temps il
s élancé a Ion coti, & l'étreint tendrement dans
les bras- L aîné, frappé d'étonnement, de con-
îulion, de repentir, de reconnoiffance & de joie,
tombe a fes geno'ux, engk’écriant : mon frère!
les embraffe 8e ïes arrofe de fes larmes, en lui
demandant pardon. Il y a long temps, lui répond
îon rrere^, que je t'ai pardonné; oublie lepaffé;
tu es n cn e , car je le fuis ; vivons enfemble & aimons
nous.. O u i, mon frère je t'aimerai, lui
répond 1 aine d une vo:x étouffée par les fanglotsj
mus je ne me pardonnerai jamais, je me fbüvien-
drai toujours dé la manière dont je t'ai traité, &
•que c eit toi qui me foulage.
En 1766 » Georges Montagut, comte de Car-
ci gnan, fut eleve a 1 eminente dignité de marquis
& de duc de la Grande-Bretagne, fous le nom
de marquis de Mornhermer, & d e duc de Mon-
tagut. A cette occafion , ce feigneur paya les
dettes de tous les débiteurs infolvables, détenus
Çrifonniers dans le château de Windford, dont il
étoit connétab'e. Cette a&ion,. auffi utile à.Thu--
manité que glorieufe à l'Angleterre, mérite d'être
confacrée dans les faites du monde couvre
fon auteur d'une glojrç plus réelle, que nefferoit
line vide prife, iinebataille gagnée, une.province
dévaftee, pendant Je cours d'une guerre fanglante.
Ceci »appelle un autre exemple de générofhé,.
donné la même année par le duc de Strozzï,
grand-maître de la maifon de la grande-ducheffe
de.Tofcane. Au lieu d’employer, félon l'ufage,
des fommes immenfes en feux d’artifices:, en re-
pas fomptueux , pour célébrer lés noces de fa
fille aînée, ce feigneur dota- douze pauvres filles
de bonnes moeurs > fit diftr.ibuer aux indigens une
certaine quantité de lits , & des vivres de toute
efpècej délivra beaucoup de prifonnicrs pour
dettes , fit. remettre à tous les. habitans de fes
terres , la moitié de leur redevance annuelle
ét'endit, fes bienfaits fur ks locataires néceflîteux ,
& accorda des gratifications aux pères de familles T
dont les travaux laborieux ne peuvent fouvent pas
remplir tous les, béfoirïs.
-Les ffivoles.artifans de la mode & du-luxe ont’
perdu, fans doute, à la deftination. de ces fommes
employées au foulagement des malheureux;
mais leurs plaintes ont été étouffées pàr les* bénédictions
données au duc de Strozzi , en
attendant que la poftérité qui lui dreffe des fta-
jues, lui donne la première place entre les açiis de
2 .humanité, . ; ‘
Dans toûs les états, on demande continuellement
ce qu on peut faire en faveur des pauvres ; on
peut répondre : perdez Je goût des futiliv ; em^
ployez des fommes plus ou moins fortes a marier
d’honnêtes filles, à foulager des indigens, â nourrir
des pauvres, à réparer les pertes des vertueufes
familles ; fignalez les évènemens heureux de votre
empire par des conftruétions de bâtimens utiles au
public, & non par de petits feux : l'humanité &
les moeurs y gagneront.
Un grand feigneur de Gafcogne étant à Paris
avoit un affez beau cheval de felle qui ne lui fer-
voit de rien ; il dit à fon écuyer de s’en dé-
fair.e. Un capitaine de cavalerie en fut averti ; il
a.la voir ce cheval pour Tacheter; il en fut coï tent
; il en demanda le prix : Técuyer répondit
qu’il falloit s'addreffer pour cela à Monfeigneur,
mais, Monfieur, lui dit le capitaine, je n'ai pas
l’honneur d'être connu de lui , & il n’eft pas naturel
que je m’adrefle i lui-même, pour favoir combien
on veut de ce cheval. Monfieur, répondit
1 ecuyer, c'eft fa manière} il ne trouveroit pas
bon que je fille ce marché fans lui. Vous ne courrez
d’ailleurs aucun rifqtie, ajouta Técuyer, Mon-
feig-eur aime les gens de mérite, 8c fui tout les
officiers} il vous recevra fort, bien, & il vous
donnera ^fon cheval à meilleur marché , qu’à un
. autre. L'cfficier fe lailfa perfuader} ils vont er.-
femble dans l'appartement du feigneur gafcon ;
Técuyer entoe le premier} en approchant de lui:
monfeigneur, lui dit-il, voilà un officier qui vient
acheter votre chevaT Un-officier, lui-répondit
. le feigneur, tant mieux , voilà ce qu’il nous faut}
c'eft comme cela que je les aime.
Qui êtes-vous, Monfieur, dit-il à l'officier?
Monfieur, répondit-il, je fuis capitaine’de cavalerie.
Y a-t-il l®ng-temps que vous fcrvcz le roi,,
hii demanda le feigneur T Monfieur , lui répondit
Tofficier, il y à dix ans. Dix ans , reprit lé feigneur
, cela eft bon ; cela commence à s’appeler
une datte. J’ai fervi le roi, moi » trente bonnes
années ; & je l'ai bien fervi} mais ce qui s'appelle
bien, avec approbation & récompenfe.
Monfieur, je le crois fo r t, -répartit Tofficier.
Vraiment, répliqua le feigneur, vous le pouvez
croire: très fo r t, le gouvernement & les prnfîons
dont je jouis en font fo i , je penfé ; je vous
eir fouhaite autant. Monfieur , dit l'officier,
vous avez bien de la bonté. Oui, alfurément,
reprkle feigneur, j'ehaiide la bonté, & qui plus
eft , j’en ai pour vous, Que vous femble de nv n
cheval ? Monfieur, répondit l'officier, ce cheval
eft beau, & je le crois bon. Vous croyez bien>
reprit le feigneur, & vous me pif lez en honnête
homme , jj'aime cela. 11 ne s’agit que du prix ,
dit Tofficier. Je le fais, dit le feigneur, mais
pour le prix, avez-vqus monté mon cheval? Non,
Moniteur , répondit Tofficier. Hé, dit le feigneur*
vous n’y çtenfez pas. Je veux que vous le montiez,
& vous verrez bien ce qu’il vaut vous-même.
Mon écuyer, ajouta-t-il, 4onnez- mon cheval à
Monfieur le capitaine , qu’il le monte. Faites-lui
donner mon beau harnois. Allez, monfieur, montez
à cheval, & rendez-moi réponfe. L'officier
alla monter le cheval & il revint. Hé bien , lui
dit le feigneur, qu'en dites-vous ? Monfieur ,
répondit Tofficier, j’en fuis fort content. Ce
cheval répond bien à tout ce qu'on lui demande,
& on ne le recherche pas inutilement. Hé bien,
reprit le feigneur, voilà comme j'aime qu'on parle.
Mon écuyer vous m'âvez trouvé là l'homme qu il
me faut. Monfieur, dit Tofficier , je tâcherai de
mériter votre approbation. Permettez-moi de vous
demander combien vous voulez vendre ce cheval?
Combien, reprit le feigneur. Écoutez, vous êtes
honnête homme, parlez-moi de bonne foi. Vous
avez -paffé Thyver à Paris? O u i, Monfieur, répondit
Tofficier. Vous avez été fouvent à la comédie
& à l'opéra? Affez fouvent , répondit Tofficier.
Vous y avez mené quelquefois des femmes?
Quelquefois, répondit encore le capitaine. Vous
leur avez donné quelquefois à manger à Paris Si
à la campagne ? Cela nTeft arrivé quelquefois ,
dit encore Tofficier. Ne fais-je pas comment tout
cela fe fait? J ’ai été jeune, voyez-vous, & du
monde autant qu’un autre. Cela étant, avouez
qu’un officier qui a paffé ainfi Thyver à Paris,
n’a. pas plus d’aigent qu'il ne lui en faut pour
entrer en campagne. Cela eft vrai , Monfieur,
répondit Tofficier. Hé bien, reprit le feigneur
de quoi vous aviféz-vous donc de demander le :
prix d’un cheva) que vous, ne,fauriez payer fans .
vous, incommoder ? Tenez, finiffons, prenez mon
cheval, fervez-vous en, & à votre retour de la
campagne, vous pourrez dite à coup fur ce qu'il
vaut. Le capitaine, furpris de cette générofité,
voulut s'en défendre ; mais il fallut en paffer par
là } il emmena le cheval, il lui rendit de fort
bons fervices, & lui fauva la vie dans une occafion
} il en rendit compte au feigneur gafcon par ;
une lettre; il ne l'eut pas plutôt reçue de la main
de Técuyer, qu'il en fut .pénétré de joie. Hé
bien, mon écuyer, dit-il, après l'avoir lu e , ce
qu’il m'écrit ne vaut-il pas bien, ce que j'ai fait ?
Et mon cheval vaut-il la vie qu'il lui a fauvée ? i
Enfin Tofficier revint après la campagne. Son premier
foin fut d'aller chez le feigneur gafcon.
Voilà , lui dit celui-ci;dès qu'il le v i t , ce qui
s'appelle favoir vivre. Vous me deviez cette vifite
& j'aime qu'on me rende ce qu’on me doit. Monfieur
, dit Tofficier , je vous dois plus de cent
piftdles; votre cheval les vaut bien ; ordonnez à
votre écuyer dé lés prendre. Vous êtes un étrarige
homme, reprit le feigneur. Un officier a-t-il de
l'argent de réfte quand il revient paffer l'hiver à
Paris à la fin de lai campagne ? Que devim-
droient les petites parties de comédie * d'opéra,
de repas & de promenades? Laiffei-moi conduire
ce’a ,. diverti fiez-vous pendant Tbiver. Et nous
en parlerons vers le printemps. La chofe fe paffa
encore de même qu’au premier départ pour la
guerre. Ce capitaine alla prendre congé de lui.
11 fut tué malheureufement dans cette campagne
après avoir fait des actions d’éclat. L'écuyer en
reçut la nouvelle} il en fit paît à fon maître, la
larme à l'oeil. Ah quelle perte, dit le feigneur
gafcon, que j’en fuis toiuché , que je le plains !
Il ajouta mille regrets , & puis tout d’un coup
revenant à lui-même': au bout du compte, dir-il,
jJai tort de m'en affliger tant: il m’auroit perfé-
cuté toute fa vie pour me faire prendre l’argent
dç mon chevaT, m'en voilà, quitte.
M. l'archevêque d’Auch ayant appris que deux;
jeunes perfonnes d’une famille diftinguéé, vivoient
avec beaucoup de peipes du travail de leurs mains.,
& qu'elles n’àvoient d’autres biens que quelques
meub'és antiques 8c un vieux tableau de peu de
valeur, ce généreux prélat fè tranfporta auffitôt
chez ces infortunées , & voulant les fecourir fans
bleffer leur délicatefiè, il leur dit en fouriant &
de Tair le plus affable ; « vous avez dans votre
» chambre , Mefdemoifelles, un tableau dont j’ai
» entendu parler beaucoup } je le vois : il eft d’un
fi grand maître} il mè plaît fingiilièrement. Si ce
« n’étôit pas vous demander une trop grande
» grâce, je vous prierois de me le céder pour
» une rente viagère de cent louis que je m'oblige
» à vous faire dès ce momÉnc. Voilà la première
« année d'avance ».
Un officier, au liège d'Oudenarde, jouoit avec
fon colonel ; celui-ci perdoit dans une nuit toute
fa fortune qui pouvoit fe monter à un million }
il ne lui refioit . plus que le fonds de huit cent
livres de rente. Dépité contre fa mauvâife étoile,
il veut la braver jufqu'au bout. Le capitaine lut
propofa de jouer à pair ou non tout ce qu’ il
venoit de lui gagner contre les huit cents livres.
Le colonel accepte. L’officier tire de fa poche
des pièces de monnoie : « pair ou non, .dit-il » ï
Le -perdant hefite quelques momens fur important
iponofyllabié d'où dépend; fa ruine complette
ou le rétabliffement de fa foriune; enfin il d it,
non. « Vous avez gagné, reprit le capitaine en
remettant dans fa poche^ fans les montrer, les
pièces de monnoie qui étoient en nombre pair».
Le célèbre Maupertuis, qui accompagnqit le
roi de -Pruffe à la guerre, fut fait prifonnier à
la bataille de :Mcylwiîs,,& conduit à Vienne. Le
grand duc de Tofcane, depuis empereur, vouloit
voir un homme qui avoir une fi grande réputation
; il le traita aveq efiime, & lui demanda s’il
né regrettoit pas quelqu'un des effets que les
huffards lui avoient enlevés.
Maupertuis, après s'êcre long-temps fait preffera