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s'éloignoit du palais. Cette dame pénétra fans
peine les motifs indignes de ces empreffemens j &
pour éviter l'entretien du comte , elle feignit quelque
tems d'être malade : mais ayant ufé ce prétexte
fa naiftance & le rang que tenoit fon mari,
ne lui permettant pas de s'abfenter plus long-tems
de la cour , elle revint au palais. Le comte, de
peur de l'aigrir, diftimula les fentimensj & des
manières refpedtueufes fuccédèrent, en apparence,
à l'éclat & à l'emportement de fa palïion.
La femme du regent, raflurée par cette con*
duite pleine de difcrétion,_ continuoit de paroître
à la cotfr, lorfque la reine, fous prétexte de l'entretenir
en particulier, la conduilît dans un en
droit écarté de fon appartement, où , après l'avoir
enfermée, elle l'abandonna aux delirs criminels
de fon frère, qui, de concert avec la reine, étoit
caché dané le cabinet. La femme du régent en
fortit avec la honte fur le vifage & la douleur
dans le coeur. Elle s'enfevelit dans fa mailon, où
elle pleuroit en lilencè le crime du comte & fon
propre malheur. Mais le régent ayant un jour voulu
prendre place dans fon lit, fon fecret lui échappa ;
& emportée^ par l ’excès de fa douleur : « Ne
« m'approchez pas, feigneur , lui dit-elle , en ver-
» fant un torrent de larmes, éloignez-vous d'une
» femme qui n'eft plus digne des chaftes embraf-
» femens dé fon époux. Un téméraire a violé
» votre lit j & la reine, fa loeur , n'a pas eu honte
« de me livrer à fes emportemens. Je me ferois
» déjà punie moi-même de leur crime , fi la re-
*» ligion ne m’eût empêchée d’attenter à ma vie >
» mais cette défenfe de la loi ne regarde pas un
»» mari outragée Je fuis trop criminelle, puifque
•» je fuis déshonorée : je vous demande ma mort
» cpmme une grâce, qui m'empêchera de furvivre
» à mon déshonneur ». Le régent, quoiqu'outré
de douleur, lui dit qu'une faute involontaire étoit
plutôt un malheur qu'un crime, & que la violence
qu'on avoit faite à fbn corps , n'altéroit point la
pureté de fon ame 5 qu’il la prioit de fe confoler,
bu du moins de lui cacher avec foin la caufe de fa
douleur. «Unintérêt communx ajouta-t-il, nous
»> oblige l'un & l'autre de diflimuler un fi cruel
» outrage , jufqu’à ce qu'il nous foit pèimis d'en
» tirer une vengeance proportionnée à la gran-
» deur de l'offenfe ». Son defifein étoit d'en faire
reflfentir les- premiers effets au comte 5 mais ayant
appris qu’il étoit parti fecrettementa, pour retourner
dans fon pays* le régent, au défefpoir
que fa viétime lui eut échappé, tourna tout fon
reflentiment contre la reine même.
Il fe rendit au palais ; & ayant engagé cette
princeflfe à paffer dan.s fon cabinet, fous prétexte ■
de lui communiquer des lettres qu'il venoit, di-
foit-il , de recevoir du roi, il ne fe vit pas.plutôt
feul avec elle, qu'après lui avoir reproché jfoiy
intelligence criminelle avec le comte, & la tra-
hifon qu'elle avoit faite à fa femme , le fier palatin
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lui enfonça un poignard dans le fein j &r Portant
tout furieux de ce cabinet, il publia, devant toute
1^ cour , fa honte & fa vengeance. Soit furpriffc
ou fe fp èâ, perfonne ne fe mit en état de l’arrêter.
Il monta à cheval fans obftacle j & s'étant
fait accompagner de quelques feigneurs témoins
de cette funefte cataftrophe, il prit la route de
Conftantinople , où étoit le roi de Hongrie.
1 Dès qu'il fut arrivé, il fe rendit au palais qu’oc-
cupoit ce prince > & fe préfentant devant lui avec
une intrépidité qui a peu d’exemples : « Seigneur,
» lui dit-il, en recevant vos derniers ordres, quand
» vous partîtes de Hongrie, vous me recomman-
,,M dates fur-tout, que, fans avoir égard au rang
» & à la condition, je rendiffe à tous vos fujets
« une exaéte juftice. Je me la fuis faite à raoi-
» même : j'ai tué .la reine votre époufe, qui avoit
» proftitué la mienne> & bien loin de chercher
» mon falut dans une fuite honteufe, je vous ap-
»» porte ma tête. Difpofez à votre gré de mes
» jours j mais fongez que c ’eft par ma vie ou
» par ma mort, que les peuples jugeront de votre
» équité, & f i je fuis coupable ou innocent ». Le
roi écouta un difcours aufli furprenant, fans l'interrompre
, & même fans changer de couleur j
& quand le régent eut ceffé de. parler : « Si les
» chofes fe font paffées comme vous le rapports
t e r , lui dit ce prince, retournez en Hongrie,
» continuez d'adminiftrer la juftice à mes fujets
» avec autant d'exaâitucTe & de féverité que
» vous vous l’êtes rendue à vous-même. Je ref-
» terai peu à Conftantinople, & à mon retour,
» j'examinerai fur les lieux, fi votre aétion mé-
» rite des louanges ou des fupplices ».
Lorfque dom Juan d’Autriche commandoit dans
les Pays-Bas, en 1 ^78 , l’armée efpagnole contre
les confédérés, un de fes officiers voulut faire
violence à la fille d'un avocat de Lille, chez lequel
il étoit logé. Cette jeune perfonne , en fe
défendant, faifit le poignard de fon raviffeur, le
lui plonge dans le fein & s'éloigne. Le capitaine
fentant que fa blefiure eft mortelle, fe çonfeffe ;
& pénétré de repentir le plus v if , fupplie qu'on
lui amène la vertueufe filîe : « Je fouhaite, lui
» dit-il, que vous me pardonniez l'outrage que
» vous avez reçu de rçioij & pour réparer, au-
» tant que je le puis, mon attentat d'uné manière
» convenable, je déclare que- je fuis votre mari.
» Puifque mon crime & votre vertu m’ont mis
» hors d'état, de pouvoir vous offrir ma per-
» fonne, recevez au moins, avec le nom & les
» droits de mon époufe que je vous donne, le
» préfent que je vous fais de tous mes biens. Que
» ceux qui fauront l'affront que vous avez été, fur
» le point de recevoir, apprennent en rqême-tems
» qu'un mariage honorable a été le prix des efforts
» que j'ai faits pour vous déshonorer, & du cou-
» rage avec lequel vous ayez fu vous en dé-
» fendre ». Ce difcours fini, le noble efpagnol,
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du confentemefit du père, & en préfence du prêtre
qui étoit venu pour le conféffer , époufe la fille.
11 expira auffi-tôt après, laiffant à juger fi l'on
devoir plus, admirer la générofitéavec laquelle
il répara fa faute, ou le courage de cette jeune
perfonne, pour conferver fon honneur.
Un capitaine de l’armée de Monfieur , frère
de Henri I I I , étant logé chez un payfàn., lui
demanda fa fille en mariage. Mais cet homme lui
ayant répondu qu’il lui falloit une demoifelle ,
ce non pas fa nllë, qui n'étoit pas de fa qualité
, il l’obligea à s'enfuir , en lui jettant les
plats & les affiettes à la tête. Il déshonora en-,
fuite la fille : puis l'ayant fait mettre à table,
commença à dire mille plaifanterie.s fur fon fujet.
Cette malheureufe , outrée de dépit, prit un
grand couteau qui écoit fur la table, & le lui enfonça
dans l'eftomac avec une telle roideur, qu’il
tomba mort fur la place. Les foldats qui étoient
préfens, voulant venger leur capitaine , prirent
la fille; & l’ayant attachée à un arbre, lui caf-
fèrent la tête : mais les gentilshommes voifins
l’ayant 'appris , affemblèrent des payfans , qui
taillèrent les foldats en pièces.
Morgan , l'un des chefs barbares de ces pirates
qui , 'fous le nom de flibuftiers, ont défolé
l'Amérique efpagnole, s*étant rendu maître de la
ville de Panama, y exerça, avec les fiens, toutes
les cruautés que la licence & l ’avidité peuvent
infpirer à des gens fans moeurs. Au milieu de ^
tant d'horreurs , le féroce Morgan devint amoureux.
Comme fon caraéfère n'étoit pas propre
à infpirer une paffion de cette nature, il vouloir
faire violence à la bélle efpagnole qui avoit fait
impreflior. fur lui « Arrête, lui cria-t-elle, en
» s'arrachant d'entre fes bras, & en s'éloignant
» de lui avec précipitation, arrête, & ne penfe
» pas que tu puiffes me ravir l’honneur, comme
» tu m'as ôté les biens & la liberté. Apprends
» que je fçais mourir, & je me fens capable de
» porter les chofes à la dernière extrémité contre
» toi & ç.ontre moi-même ». A ces mots, elle
tire de deffous fa robe .un poignard qu'elle lui
auroit plongé dans le coeur , s’il n'eût évité lé
coup. Morgan perdit toute efpétànce > & avec
l'efpérance, fon amour.
On voit à Vienne, dans une galerie du cabinet
de l’ archiduc Léopold, la ftatue d'une payfanne
qui a immortalifé fon nom par fon courage. Comme
elle étoit occupée à travailler à la campagne, un
foldat, dont elle n’avoit pas voulu fatisfaire les
defirs , entreprit d'avoir par la force, ce qu'il
n’avoit pu obtenir par fes carefifes ; mais la fille
le prit par le milieu du corps, l'enveloppa dans
fa robe y & le porta dans cet état au corps-de-
garde de la ville 0 pour le faire punir de foninfo-
lence. On fut fi étonné des forces, du courage
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& de la vertu de cette héroïne ruftique, qu'il
fut réfolu qu'on lui érigeroit une ftatue.
Lorfque les normands ravageoient l’Angleterre
en 870-, Ebba, abbefle de Coflingham, aflembla
fes religieufes en chapitre, & leur dit : x« "Si vous
» voulez me croire 3 je fais un moyen pour nous
» mettre à l'abri de l'infolence de ces barbares ».
Elles promirent de lui obéir ; & l’abbeffe prenant
un rafoir, fe coupa le nez & la lèvre d'en
haut, jufqu'aux dents. Toutes les religieufes en
firent autant ; & les normands qui vinrent le lendemain,
voyant ces filles fi hideufes, en eurent
horreur, & fe retirèrent promptement ; mais ils
brûlèrent le monaftère avec les religieufes.
Antoinette d.e Pons ,v marquife de Guerchi-
ville, infpira par fa fage réfiftance de l'eftime à
Henri IV , qui vouloit la féduire. C e Prince^ ne
pouvant- réuffir, lui d it: « Puifque vous êtes
» véritablement dame d’honneur, vous le ferez
» de la reine, ma femme ».
CH A T IM EN T . Chaque peuple a fa manière
de punir les délits ou les crimes par des châti-
mens qui font d’autant plus - juftes , qu'ils font
proportionnés aux crimes qui lés ont motivés :
mais, pour juger de la févérité d'un châtiment -,
il faut bien- confîdérer les moeurs de la nation
parmi laquelle il eft en ufage.
Les égyptiens ne condamnoient point à mort un
pere qui avoit tué fon fils 5 mais ils l’obligeoient
a reftér trois jours entiers auprès du cadavre. La
douleur & le repentir qu'un tel objet devoit exciter
dans fon ame, étoient la peine dont ils punif-
foient fa cruauté.
Les mêmes égyptiens puniffoient de mort les
fainéans , les vagabonds , & ceux qui exerçoient
des métiers infâmes; & pour être à portée de
s’en inftruire , ils avoient fait une lo i , qui obli-
geok chaque citoyen à fe faire infcrire tous les
, ans, & à aéclarer fa profeftion chez un magiftrat
créé à cet effét.
Chez les germains, les crimes qui regardoient
l'état,- étôient punis très-févèrement. Les traîtres
à la patrie, les dcferteurs étoient pendus à des
i arbres : les lâches, ceux qui avoient fui dans
: les combats, étoient noyés fous la claie, dans
des mares .bourbeufes. Les crimes qui ne regar-
i doient que les particuliers, n’étoient pas traités,
; â beaucoup près, avec autant de rigueur : même
dans le cas de meurtre , le coupable étoit quitte
pour un certain nombre de beftiaux, fuivan* la
gravité des cirçonftafices.
C H A T . Si les égyptiens ont adoré le chat fous
, fa figure naturelle, & fous la figure d'un homme
à tête de chat, c'eft à caufe des avantages & de
l'utilité qu'ils en letiroient. En effet, les chiens