
» vous amufer quelque tems ; mais je n-at jamais
» penfé que ce dût être celle de l'autre ».
•Un prince d'Italie entretenoit des comédiens
qu’il ne payoit pas: un jour qu'ils repréfentoient
bien au goût du pris!ce, il leur dit : vous êtes de
bons comédiens.— O u i, Monfeigneur , répondit
un d'entr’eux, & fî -bons qu'on né peut nous
payer.
Les aventures d'un comédien ambulant rapportées
dans le Magalin Britannique ( Journal An*-
glois ) , peuvent amufer par le ton de plaifanterie
naïve qui y règne. Je fus l'autre jour, dit l'auieur
du Journal , dans le parc de Saint-James, vers
d'heure où tout le monde le quitte pour aller dîner 5
je n'àpperçus que très-peu de „gens .qui conti-
nuoient la promenade dans les allées, ,& tous
avoient la mine de chercher ’àdiftraire plutôt la
faim , qu'à gagner l'appétit. .
- Je.m'affis fur un banc à l'extrémité duquel
étoit un homme fort mal vêtu , mais qui, malgré
le mauvais état de fon habillement, confervoit un
air diftingué ; en un mot, je le pris , fuivant l’ex^-
preffion de Milton , pour quelque gentilhomme
dépouillé de fes rayons ; nous commençâmes alternativement
à touffer, à. nous moucher , à nous
regarder, comme on. a coutume de faire en pa-
réille„occafion ; & enfin j ’entamai le difeours :
» Pardon, Monfieur, lui dis-je, il me femble que^
je vous ai déjà vu.—-Votre vifage.....Monfieur ,'
me repliqua-t-il fort gravement, il eft vrai que ma
phyfionomie eft très-répandue ; je fuis connu dans
toutes les villes, de la Grande-Bretagne autant que
le dromadaire St le crocodile qu’on y promène
par-tout.
» J'ai l’honneur de vous informer, Monfieur ,
que pendant feize années j'ai fait avec quelque
diftinétion le rôle de, bouffon fur un théâtre de marionnettes
: j'eus' dernièrement querelle avec le
doéleur Barthelemi ; nous nous battîmes , 8c nous
nous quittâmes, lui pour aller vendre aux épin-
gliers de Rofemarylane , le feigneur Polichine le
St toute fa fuite ; & moi , comme vous voyez ,
pour mourir de faim dans le parc Saint-James.
Je fuis fâché-,; Monfieur., lui répondis je , qu’une
perfonne de votre figure foit expofée à de pareilles
difgraces.....Oh, Monfieur, ma figure eft très-
fort à votre iervi.ee : à la vérité , je ne me vante
pas de manger beaucoup, mais le jeûne ne m'at-
trifte point ; & grâces au deftin, quoique je n'aie
pas un - fol y je n’engendre point de mélancolie :
je ne fuis jamais honteux d’accepter une pôliteffe
d'un honnête homme. Voulez-vous me donner à
dîner ? je yous régalerai à mon tour fi je yous
rencontre une autre fois dans ce parc * ayant
comme moi, bon âpétit &: n'ayant point d'argent;
*> — ^'aime les originaux de toute efpèce, & le
.récit de leurs aventures méfait beaucoup de plaifir.
Je menai mon'homme au,cabaret le plus prochain,
& l’on nous fervit dans le moment une- grillade
& un pot de bière , dont l’écume s’élevoit
au-deftus du vafe'. Il eft impofiïble d’expliquer
combien cette chair fplendide redoubla la gaieté
de mon convive ; il tomba fur cette grillade, quoi-,
que brûlante, & en un inftant elle difparut. Après
qu’il eut bien mangé; Monfieur , me dit-il, cette
grillade étoit aifurément des pl us . coriaces, néân-»
moins je l'ai trouvéé of’un goût exquis, & plus
tendre que du poulet. O délices de la pauvreté!
O charmés du bon appétit ! Nous autres gueux
fommes les enfans gâtés de la nature ; c'eft une
marâtre pour les gens riches : les plus délicats ne
fauroient fatisfaire leur goût ; les vins pétill&nsda
Champagne ne chatouillent point leur palais , tandis
que la nature entière ëft prodigue pour nous
en friandifes. Réjouis - toi, mon ame : vive le.
gueux ! Je n'ai point un pouce de terre, mais
qu'un torrent ravage les moiftons de Cornouailles,
je fuis tranquille ; que la mer engloutiffe des vaif-
feaux, peu m'importe: je ne fuis point un Juif.
Allons , Monfieur, buvops ^ & je vous conterai
mon hiftoire. .
» Je defeends, d'une famille qui a fait du bruit
dans le monde ; ma mère crioit des huîtres-, & mon
père étoit tambour: j'ai même oui-dire que parmi
mes aïeux je pouvois compter des trompettes ;
plus d'un homme de qualité auroit peine à prouver
une généalogie plus refpeétable y mais ce n’eft
pas-là ce dont il s'agit. J’ étois fils unique 8e l'enfant
gâté de mon père & de ma mère, le charme
de leur entretien -, 8e le gage de leur mutuel
amour î mon père m'apprit à battre la caiffe, je
parvins bientôt à être tambour des marionnettes ,
8e tout le refte de ma ieuneffe j'ai été le compère ,
( 1‘iiiterprête') de Polichinelle 8e du roi Salomon
dans toute fa gloire. Fatigué de ces honneurs, je
me fis foldat. Je n'aimois point à battre la caiffe ,
je m'ennuyai bientôt de porter le moufquet.
55 J'avoisla fureur de faire le gentilhomme ; j’étois
forcé d'obéir à un capitaine ; il'avoir fes capricgs ;
j’ayois les miens, 8e vous avez fans doute aulïi
les vôtres. Je conclus qu'il valoit mieux fuivre fes
fantaifîes que celles d'un autre : je demandai mon
congé, on me le refufà ; je défertai. Délivré du
militaire-3 je troquai mes habits de foldat, contre
de plus mauvais encore; 8e pour n'être point ra-
trapé, j’alhipar les routes les moins fréquentées.
•55 Un foir, comme j'entrois dans un village,,
j’apperçus un homme qui fe débattoit dans un
bourbier » 6e qui étoit fur le point d 'yitre étouffé »
je
je volai à fon fecours 8e lui fauvai la vie: c ’étoit
précifément le pafteur du lieu; je fus charmé- de
cette rencontre. Il s’en alloit après m’avoir remercié
, mais je voulus l’accompagner jufqu'à la
porte de fon logis. *
-1 Chemin faifant, il me fit plufieurs queftions ; il
me demanda qui étoit mon père, d'où je venois,,
où j'allois, fi j'étois un garçon fidèle, 8ec. Je
le fatisfis fur tous ces points, 8ç.je lui vantai particulièrement
ma fobriëté C monfieur', j ai tanneur
de boire a votre fanté ). Pour abréger, il avoit
.befoin d'un valet, il me prit à fon fer vice. Je
vécus trois mois avec lui ; nous né nous accommodâmes
point ènfemb e. J'avois grand appétit,
il ne me dônnoit rien à manger ; j’aïmois les jolies
filles, St fa férvante étoit laide méchante.
Ils avoient réfplu entr'eux de m'affamer, mais je
pris la ferme réfolution dè m’oppofer à cet homicide.
Je gobois tous les oeufs frais , j achevois
toutes les bouteilles entamées, & tout ce qui
pouvoit être mangé difparoiffoit. On me donna
trois fchellings fix fols pour trois mois de gages.
Pendant que l’on comptoit mon argent, je me
préparai à mon départ. Il y avoit deux poules pen-
dués au croc avec quelques poulets ; pour ne
point-féparer les mères d’avec les enfàns , je mis
le tout dans mon biffâc. Après ce petit exploit ,;
je vins , le bâton à : la rriain & la larme à l'oeil ,
prendre congé de mon bienfaiteur. Je n'avois1
pas fait trente pas hors de là maifon , que j'en-;
tendis crier apres'moi : Arrête^ ce voleur. La voix |
de la fervantè, que je reconnus, me donna1 * des |
ailés. Mais arrêtons-nous ; il me femble que j'ai* été ;
trois mois fans boire chez ce maudit curé : je j
veux que ceci me fçrve de poifon , fi dé nia vie
j'ai pané un temps plus défagréable.
Au bout de quelques jours , je- fus rencontré j
d’une troupe de comédiens àmbulàns : mon coeur,
treffailüt de joie-à leur àfpeét;!je me fentois ün!
penchant invineible pour- la vie efrante. Je leur
offris mes fervicës; ilsJ les acceptèrent. C é fût un .
paradis pour ùioi .qùé-lëur côrapâghie ; Jils chafi-j
toient , danfoierit, buvoient, mangeoiënt & voyà-
^ëoient en même te'mps'. Par le fàng des miràbètès ƒ
je ne Crus commencer à vivre qïie dé - ée mp-i
ment; je dèvins t'out-à-fait gailiard-; 8fc jt-rioisj
du matin au foir des bons mots de mes- camarades.
. Je leur plus,, autant qu’ils me plurent : jej
n’étois pgs mal de.figuré, comme yous. voyez* ;{•
& quQique fort gueux, je i?e, crevois pas de mô-;
deftie. J’adore la vie vagabonde ; on eft .tantôt
bien , tantôt mal ; on mange quand on peut,
. fon boit (lepot eft viiide ) quand on a de quoit
boire...
Nous arrivâmes à Tenterdên,- où nous louâmes
Un grenier pour y i repréfentèr Roméo & 'Juliette,
accompagné de tous fes agréniens, de là pompe
funèbre, de la foffe 8c delà fcène du jardin. Un,
cycLop édi a n ,
comédien du théâtre royal de Drury - Lane} devoit
jouer le rôle de Romeo. Une grande fille 3 qui n’ a-
voit encore paru fur aucun théâtre, devoit faire
le perfonnage de Juliettey & moi, je devois moucher
les chandelles : chacun de nous excelloit dans
fon genre. Nous ne manquions*point de figures;,
mgis la difficulté confiftoit à les habiller : je fus
le feul qui eûs 1 Un habit : qu’on peut appeler de caractère.
Notre repré-feneation fut univerfellement
applaudie ; tous les fpeétateurs furent enchantés
de nos talens.1
Il y a une règle que tout comédien ambulant
doit obferyer , s'il afpir,e au fuccès. Agir & parler
naturellement; ce n'eft point jouer. Pour plaire,
dans la province, il faut être ampoulé y rouler
des yeux égarés , prendre 'des attitudes forcées-,
avoir, en un mot, l'air d'un énergumène :
tels font les moyens de • réuffir infailliblement.
Comme on nous combla d’eloges, il étoit fort
naturel que je. m'en attribuaflè une partie. Je mou-
chois les chandelles; & quand une falle neft
point éeUirée, vous conviendrez;, monfieur, que
la pièce perd la moitié de fes agrémens. Noui
. repréfentâmes qua'toijze fois de fuite, St le fpec-
tacle fut toujours rempli. La veille de notre dé-*
part, nous, annonçâmes une piè,ce excellente , çt
l dans, laquelle nous devions déployer tous nos
talens-. Lès prix étôient doubles, & nous nous
attendions' à une recette trèsrçonfidérabîe. Mal-
heureufement le premier ^ ë u r fe trouve attaqué
ü tout-à-coup d'uriè fièyrë.yiçlehte j toute la troupe,
cpnfternée.v s’affembley-. & maudit çérit fcûs l'aç-
teur qui à'éft avifé.dç tpmber malade fi mat-a-
prpgps. Je faifis ce moment,^ jépropofë de jouer
à fa^plâcë. Le .cas étoit defefpéré ; ;on accepte mon
offre.. En coiifequence je prends mon rôle d'une
main , & tenant dé l’autre un pot de bière ^mon-
fieitr-y a votre Jante'), je meuble ma mémoire de
cinq cents vers. Etonnéjmo.i-rpêjmë dq içqtte. pro-
digieufe facilité ,. je feiis que la..nature ,m’a def-
-jttné pour un,emploi' plusteîevé;qu,e celui de, mou-
çheur de oban defles^ ; je vais, triomphant, retrouver
mes compagnons ; que je jette d^ns la plus grande
furprife. Je répète avec eiix" mon rôle ; je le joue
en .public i deux, heures a p r è s St j’entraîne tous
les fuffrages.; La troupe^ ravie autant que moi,
diffère fon départ, & èllê a ffich e q u ’à,;l’iînftance
'de plufieurs. perfonnes de .çonfidération, elle fera
encore quelque féjour à Tenterden. Je parois fur
la. fcène dans le rôle de Baja^et ; il_fe;i .!blpit que
la nature m’éût. formé exprès pour repréfenter
cé perfonnage. J’ étois grand , j’avqis; la voix
rauqne ; St avec un gros turban enfoncé; fur mes
yeux , j'avois l'air du plus fier mufulman qu'ait
jamais vu l’orient. Quand j'entrai fiir la fcène ,
en fecouant mes chaînes, on applaudit à tout
rbmgte. J'adottcïs: mes règa'fds ; S t , avec" uù fou-
rire'g'ràcieûx-4 je fëftai ptofo-ldément incliné -vers
les fpeôtateùrs , qui redoublèrent leurs applau-
diffemens. Gomme le rôle de Bajazet eft extrê-
Rr