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TH O U , ( Jacques Augufte de ) né à Paris,
l’an 1 0 3 , mort en 1617.
Cette hiftorien étoit fi modefte , qu’en apprenant
la mort de Pierre Pithou , il fut. prêt
à déchirer fon h.ftoire, n’ayant plus, diioit il,
perfonne qui pût le dnger dans fa compofi-
tion, comme avoit fait juiques-là ce lavant.
Dans un voyage que je fis en Languedoc avec
M. de Schomberg, dit M. de T h ou , j’allai voir
l’évêque de Mende à fa campagne qu’on appelle
Chanac. Nous y fumes régalés avec magnificence.
Nous remarquâmes qu’on ne fervoit aucune
pièce de gibier à laquelle il ne manquât
ou la tête ou la cuiffe , ou l’aile ou quelqu’autre
partie , ce qui donna occafion de faire dire
agréablement au prélat, qu’il falloit pardonner
à la gourmandife de fon pourvoyeur qui gou-
toit le premier tout ce qu’il apportoit. Quand
nous dûmes appris que ces pourvoyeurs étoient
des aigles , nous fouhaitâmes d’ examiner les
c'nofes de plus près. Nous vîmes ce qu’on nous
avoir d i t , que les aigles font leurs aires dans
le creux de quelque roche inaceffible. Auffi-tôt
qiie les bergers s’en font apperçus, ils bâtilfent
au pié de, la roche une petite loge qui les met
à couvert de la furie de ces aigles, lorfqu’ils
partent leur proie à leurs petits. Quand les bergers
volent que le père & la mère fs font retirés
pour retourner à la chafîe, ils grimpent
vite fur la roche & en rapportent ce que les
aigles ont- apporté à leurs petits. Ils laiffent à
là place les entrailles de quelques animaux :
mais corfvme ils ne le peuvent faire fi promptement
que les pères ou l'Aiglon n’en aient déjà
mangé une partie, cela eft caufe qu’on fert le
gibier mutilé, mais d’un goût fupérieur à tout
ce qui fe vend au marche. Lorfque l’Aiglon eft
afiez fort pour s’envoler, ce qui n’arrive que j
tard parce qu’on l’a privé de fa nourriture, les
bc'igers l’enchaînent, afin que le père & la mère
continuent à lui porter de leur chafle ; jufqu’à
ce que le père le premier & enfuite la mère
l’oublient entièrement. Alors les bergers l’emportent
chez eux ou le laiffent là. Il
Il arriva eh 15*98 à de Thou une aventure ,
fort fingutière à Saumur où il finiffoit FafFaire
de la Ihumiflion du duc de Mercoeur. Il y avoit
alors dans ceité ville une folle que ce mag ftrat
n’avoit jamais vû e , & dont il n’avoit pas même
entendu parler. Cette folle n’ érant point gardée
par fa famille, couroit çà & là , & fervoit de
jouet au peuple. Cherchant la nuit un lieu où
elle pût fe retirer, elle ;entra par hafard dans la
chambre du préfident de Thou , qui dormoft
alors , &: qui n’avo;t fermé' fa porre ni à la clé
ni aux verrous, fes domeftiques couchant dans
des chambres à çoré de la fienne. La folle qui
çonnoifloit ia mai ion qptca fans faire de bruit j,
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dans la chambre du préfident de T h o u , & fe
n.ic à fe déshabiller auprès du feu , elle plaça
fes habits fur des chaifes autour de la.cheminée
pour les fécher , parce qu’on lui avoit jet té de
l ’eau. Lorlqu’ ellc eut un peu féché fa chemife ,
elle fe coucha fut les pié.s du lit qui étoit fort
étroit, & commença à dormir profondément.
De Thon s’érant quelque temps après tourné
dans fon lit, fentic un poids extraordinaire iur
fes piés , & voulut le fecouer j la folle tomba ,
& par fa chûte réveilla de Thou qui , ne fa-
chant ce que ce pouvoir ê tre , douta pendant
quelque temps s’il ne revoit point. Enfin entendant
marcher dans fa chambre , i\ ouvrit les
rideaux de fon lit j & comme les volets de fes
fenêtres n’étoient point fermés & qu’il faifoit un
peu clair de Lune, il vit une figure blanche marchant
dans fa chambre. Appercevant en même
temps les hailtons qui étoient près de la cheminée
, il s'imagina que c’étoit des gueux qui
étoient entrés pour le voler. La fille s’étant alors
un peu approchée du lit , il lui demanda qui
elle étoit j elle lui répondit qu’ elle étoit la reine
du ciel : il connut alors à fa voix que c ’étoit une
femme, il fe leva, & ayant appelle fes domef-
tiques, il fit mettre cette femme dehors puis fe
recoucha. Le matin il raconta ce qui lui étoit arrivé
, à Schomberg , qui , quoique très-courageux
, lui'avoua qu’ en pareil cas il auroit eu
beaucoup de peur. Schömberg le conta au roi
qui dit la même choie. Quelque temps après ce
prince étant à Vêpres le jour de Pàoues, lorf-
qu’on vint à entonner le Regina Cçeli Icetare, il
fe leva & fe fouvenant de l’aventure du préfident
de Thou , il le chercha des yeux dans
l’églife.
Les Anglois pour marquer le ca» qu’ ils Font
de l’ hiftoire de M. de Th ou , ont déchargé le
libraire qui en a annoncé une belle édition, de
tous les droits, taxes, impofïtions qui fe lèvent
fur le papier & fur l’imprimerie : or Ces droits
font très-forts en Angleterre.
ÏH R A S YM E D E S , jeune athénien, ravit la
fille de Pififtrate dont il étoit amoureux. Il la
furprit fur mer dans le temps qu’elle offroit un
facrifice à Neptune. Le frère de cette fille nommée
Hyppias, peurfuivit le raviffeur, le prit
avec fa proie, les ramena à Athènes, & accula
Thrafymedes de rapt. Le jeune Athénien au lieu
de demander grâce, dit à Pififtrate , qu’il le
traitât comme bon lui fembleroîc, parce ques'éi»
tant déterminé à enlever fa fille, il s’étoit auffi
préparé à fouffrir telle mort qu’on youdroit, s’il
étoit pris, pififtrate admirant fa confiance , lui
fit grâce, & lui dônna fa fiile en mariage,
TIBERE, ( Claudius Tiberius Nero ) çmpe*
reur romain , mort l’^n 37 à 78 ans.
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Tibère , après la mort d*Augufle qui l ’avoît
nommé fin fucceifeur à l’empire, prit en mains
les rênes de l’ état. Mais ce rufé politique, pour
faire légitimer par le fénar fon élévation au trône,
fëignoit de refufer la puiffimee fouveraine. On
le prioit, on le preffoit, il répondoit par des
difeours étudiés fur ia grandeur de l’Empire ,
fur la modération dans laquelle il lui convenoit
de fe renfermer. Peut être auffi vouloit - il par
ceite modeftie apparente découvrir les fentimens
des premiers citoyens. Cependant il exerçoit hautement
dans tout l’Empire les aétes- de fouve-
raineté. Cette conduite fi contraire au langage
qu’il tenoit dans le fénat, foule va l’indignation
de quelques fénateurs j & fi nous en croyons
Suéti ne', un d’eux lui dit en face ce mot allez
v i f : » L a plupart tardent à exécuter ,ce qu’ ils
» ont promis $ mais pour vous , C é fa r , vous
» tardez à promettre ce que vous exécutez d’a-
» vance ».
Tibère, à l’exemple d’Augufte, rejetta toujours
le nom de feigneur ou de maître. Il difoit fou-
vent : » Je fuis le maître de mes efclaves, le
général des foldats, & le chef des autres ci-
» toyens ».
Ce prince , dans le commencement de fon
régné, fit paroître un grand zèle pour la juftice,
& il y veilloit par lui même. Il fe rendoit fou-
vent aux tribunaux affemblés, & fe mettant hors
des rangs , pour ne point ôter au prêteur la
place de préfident qui lui appartenoit, il écou-
toit-la plaidoirie. L’amer Tacite ajoute que Tibere
ne faifoit ainfi refpeéter les droits de la juftice
que pour diminuer ceux de la liberté. L ’avarice
n’étoit point le vice de ce prince ; & il eut
toujours attention que les peuples 11e fuffent point
foulés par des importions trop onéréufes. Un
préfet d’Egypte ayant envoyé au tréfor impérial
une fomme plus forte que celle que devoit fournir
fa province, Tibere, au lieu de lui en favoirgté,
lui écrivit » qu’il falloit tondre les brebis , &
» non par les écorcher ».
Un ancien prêteur, nommé Properti us Celer,
avoit demandé la permiffiori de quitter le rang
de fénateur qui lui étoit onéreux. Tibere , infi-
truit que fa pauvreté n’étoit pas l’effet de fa mau-
vaife conduite, & qu’il avoit eu peu de bien de
fon père ; lui fit don d’un million de fefterces
( de cent vingt mille livres. )
Cette libéralité encouragea un certain Allius
pareillement ancien prêteur , mais qui avoit dif-
fipé fon bien par la débauche, à fupplier Tem-
pereur de payer fes dettes. Prêteur, lui dit T ibere
qui fentoit où tout cela pouvoir aller ,
vous vous êtes éveillé bien tard. Cependant il ne
lui réfufa point fa demande ; mais il exigea qu’il
fui remît le montant de fes dettes j & dans l’ordonnance
qu’il lui délivra fur fon tréfor, il fit
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exprimer qu’il donnoit telle fomme a Allius dif-
fipateur, c’étoit prudemment joindre la févérité
à l’ i n d u l g e n c e .
Ce prince , par un établiflfemcnt fage, donna
de l’aétivité à la circulation des efpèces, & du
mouvement au commerce que le défor ire des
affa.res avoit interrompu à Rome & ^ans fis
provinces. Il fit un fond de banque de cent »'.filions
de fefterces ( douze millions cinq cens mille
livres ) , où chacun pût ven’r emprunter pour
trois ans fans intérêt telle fomme qu’il lui con-
viendroit, fous la condition d’hypothéquer le
double de valeur en biens fonds. Moyennant
cetfee reffjurce, l’argent recommença à circuler,
8c le commerce fut rétabli entre les citoyens.
Ce prince remédioir autant qu’il lui étoit pof-
fible , par fes foins & fes lafgeffes, aux incon-
véniens qui nailfoient de la ftérilité des terres
ou dès difficultés de la navigation. Tacite rapporte
que dans une dTette il fixa le prix du bled,
& donna aux marchands une gratification de deux
fefterces par boilfeau.
Les fénateurs en corps avoient témoigné à
Tibère leur defir de donner fon nom au mois
de novembre dans lequel il étoit né. Us lui re-
préfentoienc que deux mois de l’année portoient
déjà les noms l’un de Jules Céfar , 8c l’autre
d’Augufte. ( Juillet & août ) Tibère , qui n’ai-
moit pas une flatterie trop fervile, leur répondit
par ce mot également vif 8c plein de fens :
» Que ferez-vous donc, fénateurs, fi vous ave?;
» treize Céfars » 3
Des ambaflfadeurs d’ Ilion étoient venus lui
faire des complimens dç condoléance fur !a mort
de Drufus fon fils. Comme ils avoient tardé à
venir : *> Je prends auffi beaucoup de part, leur
»> dit Tibère , à la douleur que vous a caufée
» la perte d’Heétor ».
Le luxe s’ étoit beaucoup accru à Rome du
temps de. Tibère, & .)es édiles avoient propofé
dans le fénat le rétabliffiement des loix fomp-
tuaires. Ce prince, qui voyo t bien que le luxe
eft quelquefois un mal néceffinre , s’y opp- fa :
*> L ’état ne pourroit fubfifter, Ôbit-iL,' dans la
» fituation où fi nt JLes chofes. Comment Rome
» pounoit-elle vivre ? comment pourroient vi-
» vre les provinces ? Nous avions de la fru-'
» galité lorfque nous étions citoyens d’une feule
» ville ; aujourd’hui nous conformons les ri-
» chefles de tout l’ univers j on fait travavLer
» pour nçms les maîtres & les efclaves. ».
■ Tibère cbangeoit rarement les principaux officiers
de fon empire. Il difoit pour raifon que les
mouches rafîafiées ne piquent pas fi fort.
: Ces derniers traits annoncent un homme d’ef-
prit, 8c ceux que nous avons rapportés plus