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fon efprit, enhardies, fortes & nerveufes. Il étoît
grand , bien fait, avoit les yeux bleus » vifs
& pleins d’expreflîon. Ses fournis quoique blonds
étoient fore marqués. L'habitude qu'il avoit de
les froncer lui donnoit quelque chofe de rude.
Mais en général Ton caractère de tête étoit noble ,
impofant, fur-tout quand il l'avoit nue : & c'eft
an(î que M. de la Tour la peint, que M. Lemoine
a fait fon bulle , & que M. Guai l'a gravé
en pierre. Il y a aufli un portrait de ce poète tel
qu’on étoit accourumé de le voir. Il eft peint par
Aved , & gravé par Balechou.
Crèbillon deftiné par fon père à la pratique du
barreau > avoit été placé fort jeune chez un procureur.
Mais l'étude aride de la chicane étoit un
aliment peu propre à fon génie. Il menoit une
vie fort diflipée, & fembloit incapable de toute
application , lorfque le procureur chez lequel il
étoit 3.homme d’efprit & attaché à fon penfion-
naire 3 chercha à connoître plus particulièrement
ce dont ilétoit capable. U l’entendit un jour dif-
courir avec tant de chaleur & de jugement fur
une tragédie qu’on venoit de repréfenter , qu’il
lui conteilla dè s’eftayer dans ce genre, il ofamême
lui affûter les plus heureux fuccès. Crebillon 3
qui n'avoit pas a beaucoup près u^ie aufli haute
opinion de lui-même, rejetta cette idée. Le procureur
revint plufiturs fois à la charge * il le crut
enfin & compofa des tragédies. Il avoit trente &
un ans lorfqu’il entra dans cette carrière. Ce bon
procureur , attaqué d'une maladie mortelle, fe fit
porter à la première repréfentafion d’une des
pièces du jeune auteur , qui eut beaucoup de fuccès
» 11 dit à Crebillon en l’embraflant •* « Je meurs
» content, je vous ai fait poète, & je laifTe un
» homme à la nation ».
Crebillon qui avoit une mémoire prodigieufë,
ne traçoit, point par écrit le plan de fes tragédies
> il h'écrivoit même jamais fes pièces que
quand il les falloit donner au théâtre. On fe fou-
vient que lorfqu’il récita Catilina aux comédiens ,
il le leur dit tout de mémoire. Si quelqu’un de fes
amis lui faifoit une critique qu'il croyoit devoir
adopter, l'endroit qu’en conféquence il fuppri-
moit, s’effaçoit totalement de fa tête ; & il n'y
reftoit plus que ce qu’il y avoit fubllitué.
L a jaloufie lui étoit étrangère. On ne l ’a jamais
vu s’intriguer ou fouffrir quelque brigue pour lui
ou contre les autres- Le jour de la première
repréfentation de Catilina , il étoit le matin dans
le foyer, où les comédiens qui craignoient un
parterre trop nombreux ,.,déterminoient avec lui la
quantité de billets que l'on devoit diftribuer.
Beaucoup de perfonnes qui vouloient être fùres
d'y être placées , demandoient qu'on leur en
donnât d’ avance. Son fils lui en demanda pour
quelques amis qui l'en avoient prié.» Morbleu!
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» monfieur , lui répondit-il , vous (avez bien que
» je ne veux pas qu'il y . ait dans le parterre
» perfonne qui fe croie dans l ’obligation de
» m'applaudir. Eh ï mon dieu î lui repliqua-t-on y
» ne craignez rien à cet égard : ceux pour qui'
» je vous demande des billets ne vous en feront
i pas plus de grâce, pour les tenir de vos
» mains* & je puis vous en répondre.... » Puif-
que cela eft, vous en aurez.
Il méprifoit fur-tout la fatyre. Un jeune hompie
auquel il prenoit inte'rêt, avoit compofé un mauvais
ouvrage fur quelques écrivains de fon temps,
il prioit Crebillon de lui en dire fon jugement.
Notre illuftre poète, après avoir eu la patience
de lire cet écrit, tança vivement le jeune auteur
fur le mauvais ufage qu’ il faifoit de l'efprit qu’il
fe croyoit, & termina fa remontrance par ces
mots : » Jugez à quel point la fatyre eft mépri-
» fable , puifque vous y réufliflez en quelque
» forte , même à votre âge ».
On peut croire que d’après ces principes , il n*a
jamais écrit contre perfonne j & on le (avoit. fi
bien, que lorfque dans fon difeours à l’ académie y
il récita ce vers :
Aucun fiel n*a jamais empoifonné ma plume.
le public , par des applaudiffernens réitérés , confirma
la juftice que fe rendoit M. de Crèbillon*
On demandoit un jour à Crebillon pourquoi il
avoit adopté dans fes tragédies le genre terrible :
» J e n’avois point à choifir, répondit-il, Corneille
» avoit pris le ciel, Racine la terre, il ne me
» reftoit plus que l'enfer , je m’y fuis jetté à
»9 corps perdu ».
Crebillon. dans fa folitude imaginoit des fujets
de romans & les 'compofoit enfuite dans fa tête
fans rien écrire * un jour qu’il étoit fort occupé,
quelqu’un entra brufquement chèz lui : » ne me
» troublez point, lui cria t-il, je fuis dans 'un
!» moment intéreflant ; je vais pendre un miniftre
» fripon & chaffer un miniftre imbécille. «
On demandoit à Crebillon pourquoi il étoit toujours
entouré d’une meute de chiens. » C ’eft 3
» répondit-il, depuis que jeconnois les hommes».
Tout le monde fait qu’on a attribué long-
tems les tragédies de Crebillon à un chartreux de
lés parens. C e grand poète étant un jour à table
avec des amis: » quel eft , à votre avis , votre
» meilleur ouvrage, lui dit quelqu’un ? Je ne
» fais, répondit-il, quel eft le meilleur'* mais je
» fuis fûr ( en montrant fon fils, qui dînoit avec
» lui ) que voilà le plus mauvais : C ’eft repH-
» qua celui-ci, qu’il n’ eft pas du chartreux ‘f*
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Crèbillon avoit eu le deftein de traiter le fujet
de la moi t de Juba, ce roi fi fidèle au parti de
Pompée > comme tout ce qui concerne ce grand
poète eft intéreftant, on croit devoir citer les deux
feuls vers qu’on ait retenus de cette pièce qu’il
n’avoit qu’ébauchée. C ’eft Juba, qui peint ainfi
à Pétréius le cara&ère de Caton d’Utique:
Je le connois trop b ien, loin de nous fecourir.,
Caton, farouche & fier, ne faura que mourir.
Crèbillon , ayant eu une maladie très-inquiétante
quelques années avant d’avoir donné &
même achevé fon Catilina , M. Hermant, fon
médecin, le pria de lui faire préfent des deux
premiers a êtes qui en étoient-faits : M . de Crèbillon
ne lui répondit que par ce vers fi connu de Rha
damifte :
Ah ! doit-on hériter de ceux qu'on a (l'affine ?
Vers fur Catilina.
Si ce Catilina, donné par Crèbillon ,
N’a pas tout le luccès qu’on en devoit attendre ;
Ce n’eft, pas qu’il ne (bit très-bon,
Mais l’auteur s’avifa de prendre
Pour fon héros un fcélérat,
Un impie, un injufte, un perfide, un ingrat,
Et chez les .grands, comme chez le vulgaire,
Ce ji’eft là qu’un homme ordinaire.
CR IL LO N . ( Louis le Berthon de ) né en
, mort en i 6 i$. C e grand capitaine fut
appelle de fon vivant, l’homme fans peur.. . .
le brave des braves.
L’armée de Villars ayant inveftî Quillebeuf
en i y9 1 , Crillon défendit cette place, donnaht
pour toute réponfe aux affiégeans qui fommoient
les afiiégés de fe rendre : Crillon efi dedans & l’ennemi
dehors•
Crillon, écoutant la paflion de J. C . fut faifi
d’un enthoufiafme fubit, & portant la main à fon
épée, il s'écria , ou étois-tu Crillon ? Le jeune duc
de Guife voulut un jour éprouver fon courage
par une faufle alerte : Crillon prend fon épée &
vole à l’ennemi j mais le duc l’ayant aufli-tôt
détrompé par un éclat de rire : jeune homme ,
lui dit Crillon d'un ton févere, /ze te joue jamais
à fonder le coeur et un homme de bien. Varia mort ! f i
tu m’avois trouvé faible ^ je t’aurois poignardé.
On connoît le billet laconique que le roi Henri
le Grand lui écrivit: Vendstoi, Crillon, nous
avons combattu a Arques , & tu n’y étois ,pas.
Adieu , brave Crillon, je vous aime a tort & à
travers.
Henri le Grand mettant la main fur l'épaule
de Crillon, dit à fes miniftres étrangers* Voilà
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le premier capitaine du monde. Vous en ave%
menti, fire , c’eft vous , répliqua vivement Crillon.
C R IM E S . N é ro n plaifantoit lui - même fur
fes crimes : un jour qu’on lui apporta la tête de
Rubellius , defeendu de la mai fon des C é fa r s ,
qu’il avoit fait mourir, il dit en fe moquant :
» Je ne favois pas qu’ il eût le nez fi grand «.
Le poète Ibicus fut attaqué par des voleurs
en un lieu écarté , prêt à fe voir aftaftiner > 8c
ne fachant à qui avoir recours , il vit voler des
grues * ô grues ! s’écria-t-il, vous fervirez un
jour de témoins contre mes meurtriers. Quelque
temps après, ces voleurs étant à un marché, il
pafla une volée de grues * voilà , dit l’un d'eux
en fouriant, à l'un de fes compagnons, les témoins
du poète Ibicus qui s'envolent- C e propos
fut entendu de quelqu’un qui, les foupçonnant
là-deftus d'avoir commis le meurtre, en avertit
la juftice, ils furent pris & avouèrent leur
crime.
Entre les tryals ou les caufes fameufes qui ont
été réimprimées à Londres en 17 3 8 , avec des
additions confidérables, on l i t , avec étonnement,
le procès d'un feigneur Irlandois , nommé mylord
Callelhaven , dont le crime eft peut-être fans
exemple. Après une jeunefle paflee dans les derniers
défordres, il avoit pris le parti de fe marier.
Ses parens, fur qui il s’étoic repofé du foin
de lui chercher uneTemme, jetterenc les yeux
fur une jeune perfonne, qui joignoit â la naif-
fance, toutes Ifs qualités qu'on eftime dans fon
fexe. Leur efpérance étoit qu'elle pourroit lui
infpîrer affez de refpeét & d'attachement pour
le ramener tout-à-fait à fon devoir * mais s’étant
expliqués là-deftus avec peu de ménagement,
mylord en fut choqué ; & l'horrible réfolution
qu'il forma fecrétement & qu'il exécuta avec la
dernière barbarie, fit bien voir que tous fes
vices étoient moins venus du feu de la jeunefle,
que de la noirceur de fon cara&ère.
L e jour ipême de fon mariage, s’ e'tant défait
des alfiftans, à ja ré fe rv e de quelques compagnons
de débauche , qù’il avoit affociés à fon deftein ,
il entra avec eux dans la chambre cle fon époufe;
8f les ayant e xhorté s, par un difeours iron ique,'
à prendre les fentimens de reconnoiftance & d'admiration
qu'ils dévoient à fon amitié & à fa grandeur
d'ame , il leur abandonna la jeune dame ,
que le prélude de cette cérémonie avoit déjà
fait tomber fans connoiftance. Loin d’ être touchés
de fa fituation, ces furieux entrèrent dans toutes
les vues de leur g u id e , & firent pendant toute
la nuit au ciel. & à la vertu , le plus affreux
outrage qu'on puiffe s'imaginer. Les domeftiques
furent appelés à leur to u r , & contraints par leurs
maîtres de participer à leur crime.
On auroit aceufé la juftice du ciel de n’avoir