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des plus beaux morceaux extraits des poëtes : il
les lifoic fouvent avant de fe mettre à l'ouvrage. 11
n’ ignor.oit pas que c ’étoit le génie d'Homere qui
avoit échauffé celui du célèbre Phidias, lorfqu il
donna à fon Jupiter ce caractère fublime qui fai-
jfoit l'admiration de l ’antiquité.»
Rubens, qui jouiffoit de la plus grande eonfide-
ration, fut choili ;par l’in faute Ifabele pour négocier
une paix avec l'AngL terre. Il fit voir par
ie fuccès de fon entrepnle, qu’il y a des génies qui
ne font déplacés nulle part. Le monarque anglois»
Charles I , fut fi content de l'efprit & des talens
du négociateur, qu’il le créa chevalier, ajouta
un canton à fes armes, & lui fit prefent de fa
propre épée, cérémon e qui fe fit dans le palais
de Wite-hall. Ce fut lors de fon féjour en Angleterre
que Rubens peignit fon tableau de faint Georges.
Il en fit une copie de fa propre main, qui eft
aujourd’hui dans le cabinet de M. le duc d’Orléans.
La figure du faint Georges eft le portrait de
Charles. La princeffe qui fe voit dans le même tableau
, offre .celui d’Henriette de France, époufe
de ce monarque.
Quoique Rubens ait été employé a d autres négociations
qui furent très-avantageufes a fa fortune,
ce grand artifte néanmoins ne faifoit pas
difficulté de convenir que c’étoit à fon art qu il
devoit toutes fes richeffes. Un alchinûfte anglois
vint un jour lui rendre vifite, & promit de partager
avec lui les tréfors du grand oeuvre, s'il vouloit
conftruire un laboratoire, & çayer quelques petits
frais. Rubens, après avoir écouté patiemment
les extravagances du fouffleur, le mena dans fon
attelier : « Vous êtes venu, lui dit-il, vingt ans
trop tard ; car, depuis ce temps, j'ai trouvé la
pierre philofophale avec cette palette & ces pinceaux
».
On a beaucoup gravé d'après Rubens ; mais très-
peu de graveurs ont rendu Ion ftyle aufli bien que
Pondus, Vorfterman, Bolfwert, Withouc.
D. Jean, duc de Bragance, qui fut depuis roi
de Portugal, fachant que Rubens étoit à la cour
d ’Efpagne , écrivit à quelques feigneurs caftillans
de fes amis, pour les prier d’engager ce peintre à
l ’aller voir. Rubens, partit pour cet effet avec un
train magnifique. Le duc, naturellement avare,
en eut avis, & en fut tellement épouvanté, qu’il
envoya un gentilhomme à fa rencontre, pour lui
dire que le duc fon maître, ayant été obligé de
partir pour une affaire importante, le prioh de
n'aller pas plus avant, & d’accepter un préfent
4e cinquante piftoles, pour le dédommager de la
dépenfe qu'il avoit faite en chemin. Rubens refufa
le préfent, & répondit fièrement au gentilhomme
qu'il n’ avoit pas Defoin de ce petit fecours, puif-
qu'ayant réfolu de ne demeurer que quinze jours
à la cour du duc de Bragance, il avoit apporté
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deux mille piftoles pour faire les frais de fon
voyage.
RUSE. On a'rapporté le trait fuivant, pour
prouver que l’américain n'eft pas aufti ft lipide que
le fier européen eft porté à le croire. Un voyageur
efpagnol avoit rencontré un indien au milieu d’un
defert; ils étoient tous deux a cheval. L ’elp-gnol
qui cra:gnoit que le fieu ne pût faire la route»
parce qu’ il étoit très-mauvais, demanda à l’indien,
qui en avoit un jeune & vigoureux, de faire
un échange. Celui-ci refufa, comme de taifon.
L'efpagnol lui cherché une mauvaîfe querelle : .ils
en viennent aux mains ; mais 1’ cfp.ignof bien armé,
fe faifit facilement du cheval qu’il defiioit,
& continue fa route. L’américain le fuit jufques
dans la ville la plus prochaine, & va porter fes
plaintes au juge. L’efpagnol eft obligé d< compa-
roître & d'amener le cheval; il traite l’ indien de
fourbe, affirme que le cheval lui appartient, &
qu’il l’a élevé tout jeune. Il n’y avoit point de
preuves du contraire ; & le juge perpiex alloit
renvoyer les plaideurs hors de cour & de procès,
lorfque l’indien s’écria : le cheval eft à moi, & je
le prouve. Il ôte auffi-tôt fon manteau, & en couvre
fubitement la tête de ranimai. Puifque cet
homme affure avoir élevé ce cheval, commandtz-
lui , s’adreffmt au juge» de dire duquel des deux
yeux il eft borgne. L’efpagnol ne veut point paraître
héfiter, & répond à l’inftant : de l'oeil droit.
L'indien découvre la tête du cheval : -il n'eft borgne,
dit-il, ni de l'oeil dro:t , ni de l'oe 1 gauche.
Le juge, convaincu par une preuve fi ingénieufe
& fi forte, lui adjugea le cheval, & l ’affaire fut
terminée.
Un avocat, homme de beaucoup d'efprit, faifoit
la cour à une demoifeile qu'il fe propofoie
d’époulèr, lorfqu’un officier fe déclara fon rival;
& croyant l’époufer , lui dit qu'il fàli'oit fe battre
en duel, ou lui laiffer le champ libre : mais l’avocat
accepta le défi, & promit de fe trouver à
l’heure & à l'endroit convenus. Il ne manqua
pas de s'y rendie; il dit à fon adverfaire qu’il
ignoroit absolument l'art de l’efcrime, & qu'il
avoit apporté deux piftolets b en chargés dont il
lui donna le choix. Paroiffant fe piquer de fenti-
. mens généreux, le jurifconfulte dit à fon rival de
tirer le premier ; le mi'iraire cède à fis inftances,
& voit tomber à fes pieds l’homme qui excito't fa
jaloufie. Alors il craint les pourfuites de la juftice,
& fe hâte de prendre la pofte & d’aller fe cacher
dans le fond de fa province. Au bout de quelque
temps, il rencontre une perfonne de P.ris qui
alloit fouvent dans la maifon de la demoifeile, Sc
qui lui demande quelle a pu être la raifon de fon
départ précipité ? Quoi ! répond l’officier, vous
ne favez pas mon affaire ? c 'tft moi qui ai tué l’avocat
un tel. — Que dites-vous î s'écrie l'autre >
votre heureux rival fe porte à merveille, il vient;
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d’époufer votre ancienne maîtreiïe. C ’eft donc à
vous qu’il a joué le fingulier tour de feindre être
bleffé à mort, afin de fe délivrer d’un concurrent
trop dangereux » 2 — Le militaire fut d'abord furieux
d’avoir été pris pour dupe, & finie par rire
de la fupercherie : l’avocat lui avoit préfenté deux
piftolets chargés feulement à poudre.
Un médecin de Londres, nommé Broun, établi
au Barbadet, avoit une fucrerie & des nègres.
On lui vola une Tomme confîdérabîe ; il affembla
fes nègres-: mes amis, leur dic-il, le. grand ferpent
m’eft apparu pendant la nuit; il m’a dit que le
voleur auroit dans ce moment une plume de perroquet
fur le nez. Le coupable porte fur le champ
la màjn à fon nez : « C ’eft toi qui m’as v olé , dit
le maître , le grand ferpent vient de m’en inftruire ;
& il reprit fon argent.
Un homme qui n'avoit plus que quelques jours
à refter à Paris , & à qui l’argent commençoit à
manquer, s’avrfa, pour en gagner, d’annoncer
au public qu’il montreroit une chofe furprenante,
extraordinaire, un animal curieux & tel qu’on
n’en avoit jamais vu.: c étoit, difoit-il, un cheval
qui avoit la tête où les autres ont la queue, & la
queue placée directement à l’endroit où devoit
être la tête. Il prenoit un prix très - modique,
& demandoit à tous ceux qui fortoient s'ils
avoient été contens, & s’ils avoient trouvé qu’il
eût annoncé la vérité. Comme ori n’avoit garde .
de dire le contraire, la foule des curieux groffif-
foit à chaque mftjnt. La recette devint fi confidc-
rable, que n’ofant defirer davantage, il s’évada
un beau matin. Dès que l’on fut sûr de fon départ,
ceux qui avoient été admirer la prétendue merveille,
connoifiTant qu’il n’y auroit plus de moyen
d’augmenter le nombre des dupes > & de fe con-
foler de s'être laiffés attraper, avouèrent la vérité;
ils avoient vu une veille rofie dans une écurie,
attachée au râtelier par la queue.
Ruses de guerre. Frontin, capitaine ro-
t&ain, qui vivoit fous Vefpaficn, nous a laiffé
quatre livres de ftratagemes de guerre des anciens.
Nous nous contenterons de. rapporter quelques
anecdotes relatives à cet objet, tirées de nos hif-
toires. modernes.
Normandie extrêmement important. Bois-Rofé,
un des officiers qui ont laiffé prendre la place,
médite de la rendre à fon parti ; & ri fe croit af-
furé du fuccès , Iorfqù’ïl eft parvenu à faire recevoir,
dans la garnifon que les royaliftes ont mife
dans leur conquête, deux foldats qu’il a gagnés.
La manière dont il s’y prend pour réuffir eft fin-
guliere.
L» côté du fo f t , tjui donne fur îa mer, eft un
»ocher de fix cent pieds de haut „ coupé en pré-
opice. La mer en lave continuellement le pied à h
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hauteur d’environ douze pieds, excepté quatre
ou cinq jours de l’année, où la mer Je biffe à fec
1 efpace de trois ou quatre heui es. L'un des deux
foldats corrompus fe tient tout le temps de la
baffe marée fur le haut du rocher, où il attend le
lignai dont on cil convei.u.
Bois-Rofé, ayant pris le temps d’une nuit fort
obfcure , aborde avec cinquante hommes choife
& denx chaloupes au pied du rocher. Il .s’étoit
muni d un gros cable égal en longueur à la- hauteur
du ro c , & y avoir fait de diftance en dif-
; tance des noeuds & p.flc de courts bâtons ou
on pouvoit appuyer les pieds & les mains. Le fol-
: dat qui fe tient en faétion n’a pas plutôt reçu le
i lignai, qu’il jette du haut dû précipice un cordeau
; auquel ceux d en-bas lient un gros cable qui eft
; guindé en haut par ce moyen, & attaché à l'en-
I tie deux d’une embrafure avec un fort levier paffé
. par une agraffe de fer faite à ce deffein.
Bois-Rofé fait prendre k s devants à deux fer-
■ gens dont il connoît la réfolùtion, & ordonne aux
cinquante foldats de s’attacher de même à cette
efpèce d’échelle , leurs armes liées autour de leur
corps, & de fuivrelafile, fe mettant lui même'
le dernier de tous, pour ôte r , à ceux qui pour-1
roient être tentés d’ être lâchesÿ tout efpoir de
1 retour. La chofe devient d’ailleurs bientôt imuclïi-
ble; car, avant qu’ils-foient feulement à moitié-
chemin, la marée, qui a monté de plus dé fîx
pieds, a emporté les chaloupes & fait flotter le
cable.
La néceflàré de fe tirer d’un pas difficile, n’eft
pas^toujonrs un garant contre la peur ; elle tourne
la tête à celui-là même qui conduit la troupe. C e
fergent dit à ceux qui le fuivei t qu’il ne peut plu»
monter & que lecoeur lui manque. Bois R o fé , à
qui ce difcoürs paffe de bouche en bouche, Sc
qui s en apperçoit parce que perfonne n’avance
plus, prend fon .parti fins balancer. Il paffe pa»
deffus le corps de tous les cinquante qui le précèdent,
en les aveytiffant de fe tenir fermes, &
arrive jufqu’aa premier qu’ il effaie. d’abord” de
ranimer. Voyant qu’il n’en peut venir à bout par
la douceur, il l’oblige, le poignard dans les reins,
de monter. Enfin, avec toute la peine & le travail
qu’on s’imagine, la troupe fe trouve au haut
du rocher un peu avant la pointe du jour, & eft
introduite par les deux foldgis dans le château,où
elle commence pat maffaerer lans miféticorde le
corps de-garde & l’os feniinelles. Le fommeil livre
la garnifon à Bois-Rofé, qui s’empare du fort.
C e fait eft fi extraordinaire, qu’on a cru devoir le
rapporter tel qu’il fe trouve dans les nouveaux
mémoires de Sully.
Quelques maraudeurs françois complortent,
avant l ’ouveriure de la campagne ( ryo2 ) , de
furprendre le fort de SchenR, où les habitans di*
pays ont unis ce qu’ils ont de plus précieux. Pour