
Il eft vrai que perfonne n’entreprit jamais de lui
donner des ordres , & qu’il fut toujours, poür
ainfi dire , le general de (es généraux. Le prince
de Condé & le duc de Guife couchèrent dans
Je même lit le foir de la bataille, & le lendemain
jrutin le prince de Condé raconta qu’il n’a voit pu
.fermer l’oeil, St que le duc de Guife avoir dormi
à côté de lui aufli profondément que s’ils a voient
-été les meilleurs amis du monde. ( Abrégé ckro.no- .
logique de l'hiftoire de France ). .
Le duc de Guife avoit une intrépidité qui l’ ac-
compagnoit même dans les acci.lens où fa per-
fonne étoit intértflee. On lui montra un jour un
homme qui s’,étoit vanté de le tuer'} il le fit
venir , le regarda entre deux yeux, Sr lui trouvant
un air embarraffé & timide : « Cet homme là ,
33 dit-il, en ployant les épaules , ne me tuera
' » jahiais-, ce n’ elt pas la peine de l’arrêter ».
C e fut cette fécurité qui à la fin lui coûta la
vie. Après la victoire de Dreux, il étoir allé en
iyû} D re le T.ège d’Orléans, le centre de la
faélion proteftante. Polcrot de Meré, qui fe croyoit
un Aod envoyé de Dieu pour tuer un chef phi—
lillin, fe rendit à l’année du duc de Guife} mais
pour'mieux cacher fon deffein , il alla trouver un
ami-du duc qu’ il connoifloit, lui dit que renonçant
à l’erreur de fa cioyance, il yen oit
combattre fous les ordres du défenfeur deTa religion
carhoiique} Guife le reçut avec fon affabilité
ordinaire, & ayant egard au peu de fortune de
ce jeune homme , il lui fit marquer un logis
& lui donna fa table. Poltrat feignit autant de
reconnoififance qu’ il auroit dû en avoir} il né
quitta pas la perfimne du duc, •& dans une oc-
cafion il comb'artit avec tant de valeur, que ce
prince, ami zélé de tous les brave s gens , augmenta
fes bontés pour Poltrot, & le voyoit avec
plaifir à fes côtés. C e mcnftre ne cherchoit c e pendant
que l’inttant de lui oter la vie ; mais
jufques - là Guife avoit été fi bien accompagné
qu’il n’avoit ofé l’entrcprendre. L arrivée de la
dncheffe de Guife au camp oui donna le moyen
d’exécuter fon affreux dtflein- On vint avertir le
duc , qui devoit ce fo r ià coucher hors de fcin
quartier- I l entreprir m.dheureufement le chemin
fur la brune, ‘accompagné de deux ou trois personnes
feulement. Poltrot s’y trouva, & tour-à^-
coup on lui vit prendre 'e galop. Quelqu un lui
ayant demandé où il ail »it : Je vais, dit i l , avertir
la duchejfe -de l'arrivée de M- le duc de Guife ; mais
s’arrêtant à quelque d.fta* c e ,. il fe cacha QeHère
une haie , & malgré i’obfcurité , ayant reconnu
le duc à une plume blanche quil portoit, il lui
tira un coup de piilo'et^ & 1- tua. Le meurtre de
cet homme célèbre Jut lé premier que le fanatifme
fit commettre. ( Vies des hommes illuftres
G U S T A V E -A D O L PH E , furnommé te grand,
to i de Suède. Il naquit à Stockholm qn.1594
fuccéda à Charles, fon père , au trône de Suède»
en 161 1. Il fut nommé Guftave, en mémoire de fon
ayeul paternel, Guftave-Vafa, & Adolphe, à caufe
, de Ton ayeul maternel. C e piince fut tué à la
I bataille de Lutzen, qu’il gagna fur les impériaux,
le 16 novembre 165a, à 38 ans.
Guftave fut un roi bienfàifant, jufte, affable
généreux, connoiffant fes devoirs & en rempliffanr
toute l’étendue. Il donna de bonnes loix à fon
peuple, & les fit exécuter; il corrigea beaucoup
d’ abus dans la forme du gouvernement ; il anima,
il éclaira 1 induflrie de fes fujets » il accueill.t le
mérite & les talens utiles; il cultiva & honora les
belles-lettres, les fciences 8c les arts. L’étude de
I’hiftoire, de la t. étique & de l’art militaire, for-
moit fon plus cher amufement 5 il fe plaifoit fur-
tout à méditer le Traité du droit de la guerre &
de la-paix de Grotius. Ce prince étoit éloquent,
aimoic à haranguer, & parlcit avec facilité plu-
fieurs langues. Qui mieux que lui eut le talent décommander
& de fe faire obéir, de s’attacher fes
officiers & fes troupes, d’encourager une armée,
de préfîder à tous les mouvemens de ce grand
corps, d’ en être l’ame & le chef! U apprécioit
le caractère , les vices 8c J es talens de les ennemis
; il étudioit les intérêts 8c les projets de fes
alliés. C e coup - d’oeil du génie luhdonnoit un
afeendant auquel rien né pouvoit refiler. Perforine
n’ eut dans un plus haut dégré la fcLnce
des hommes 8c l’art de les employer. La gloire
étoit fa pafïihn dominante , 8c c’étoit dans les
combats qu’il la cherchoit avec une ivreffe; de
courage 8c une téméricé blâmable, fans doute,
dans un général 8c dans un roi. Il avoit le corps
couvert.de bleffures , comme un foldar expofé à
tout le feu de Taétion; c’ tft qu’il ét it foldat
lui-même, & il en prenoit le nom. Ses camp gnes
8c fes viéto'res le placent au 1 an g des plus fameux
-guerriers. On nous repréfinte ce héros aya; t une
phyfionomie maieilueule èz martiale, de grands
tra ts fans être durs , un -air riant & familier. Il
étoit d’une taillé moyenne,!mais .d’une groffeur
prodigieufe ; il étoit. cepend mtv très-vif 8c t ès-
agile. Il airfw it à railler. 8c il avoir ce ma heureux
talent. On lui a reproché de fe livier trop
à fon penchant pour les femmes, de fe mettie facilement
en colère, Sc de faepi-fier au défaut de
fon temps 8c de fon pays pour le vin,; fa.s en
avoir petu tant la p fii >n. Lorfoue fon c< rps fut
ouvert, on lui trouva un coeur Dauern p plus
grand qu’ -.l ne devom l’être fui va rit les loix de la
nature.' C Hiß. ’de Chriftine , par L. )'
Guftave étoit bonliant , impétueux , fort dur
8c néanmoins équitable. Un jour que fon aimée
' defiloit devant lui -, il s’emporta T>- a.ucnup contre
le colonel Scaton,} qui voulant s’exeufer n çut de
j la main;de Guftave un violent fouffltt.. Le chàti-
I .ment5 étoit .cruel, & d’autant plus déshonorant â
que, quoique Poutrage fût public, il n’y avoit
nul moyen cT-én tirer vengeance : auffi Scaton
cruellement humilié , demanda fur le champ fon
congé, qui lui fut accordé, 8c i! fe retira. Guftave,
de retour dans fon palais, fongea de fang-rreid a
ce qui s’étoit paffé , 8c il fentit qu’il avoit fort'
mal-à-prqpos déshonoré un homme utile. 11 fit
aufli-tôt appeler Scaton ; on ne le trouva point,
& on vint annoncer à Guftave que ce colonel
partoit pour le Dannemarck, où fans doute il
alloit demander du fervice. Guftave au même
infiant fort du palais , monte à cheval, 8c fuivi
feulement de quelques domeftiques, il vole vers
la frontière qui fépare la Suède du Dannematck.
A peine il y eft arrivé qu’il voit venir Scaton}
Guftave va à lui : « Colonel, lui dit-ïl|yy vous êtes
«< outragé, 8c c’eli moi qui vous ai fait injure,
» j’en fuis fâché} car je vous eftime : je fuis venu
« ici pour vous donner fatisfaétion : je fuis hors
»3 des terres de ma domination ; ainfï Scaton 8c
» Guftaye font égaux : voici deux piftolets 8c
» deux épées; vengez-vous, fi vous le pouvez m.
Scaton pénétré de ce trait de générofité, fe jetra
aux pieds de Guftave, le remercia mille fois de
la fatisfaélion qu’il daignoit lui donner , 8c le
conjura de le lailfer mourir à fon ft^vice. Guftave
l’embrafia, 8c ils s’en retournèrent l’un 8c l’autre
à Stockholm , où Guftave lui-m,ême raconta, eh
préfence de tous fes courtifans, ce qui s’étoit paffé
entre Scaton 8c lui.
Guftave . fe rcprochoit quelquefois la violence
de fon caraélère , 8c fembloit demandér.indùlgencer
pour ce défaut, en difant : « Puifque je fupporte
33 patiemment les travers de ceux auxquels je comas
mande, ils doivent auflï exeufer le promptitude
» & la vivacité de mon tempérament ».
C e prince, à l’exemple de Scipion, fe livrait à
l’étude 8c aux arts au milieu de fes travaux mili- j
taires. Il difoit en badinant: « Qu’ il vouloit mon-
» trer à Grotius la différence qu’ il y a entre la
» théorie 8c la pratique, 8c combien il eft aifé de
» donner des préceptes, 8c difficile de les mettre
» à exécution ».
Dans la guerre qu’il eut centre la Pologne, il fit
le fiège de Riga. Comme il s’expofoit beaucoup
pendant ce fiège, on lui fit des repréfentations à
ce fujét. « Les rois, répondît-il en riant, ne meu-
»' rent guères dans les combats ni dans les fièges ».
Il s’empara de cette ville.
En moins d’un an, Guftave conquit la plus
grande partie de l’Allemagne, 8c renverfa tout
ce qui s’oppofa à fis armes. Dans le tems qu’il
afliégeoit Ingolftat^fon cheval fut tué d’un coup
de canon. Un officier étant arcouru pour le relever
, il fui dit froidement : « Je l’ai échappé
» belle; mais apparemment la poire n’eft pas en-
» core mûre ».
Ce même prince, revenant un jour d’une attaque
où il avoit été expofé cinq heures de fuite à un
feu terrible, le maréchal de Gaftion lui dit que
« les François verroient avec déplâifir leur fouve-
,» rain courir d’auftî grands rifeues ». Tes rois
. de trance 3 répondit Guftave, font de grands monarques
y & moi 3 je fuis, un foldat de fortune.
Dans, une autre occafion, fon chancelier le'
fuppliant de hafarder moins fa vie , le roi Lut dit
avec une forte d’impatience : « Vous êtes toujours
; » trop froid dans les affaires, 8c vous m’arrêtez
; » dans ma courfe ». IL eft vrai, firc, ré.phqua le-
chancelier 3 jc fuis froidy mais f i je ne jettois quelquefois
de ma glace dans votre feu , vous feriez déjà
confumé.
Ce prince, dont la réputation s’étoit répandue
dans toute l'Europe, après avoir gagné la fameufe
bataille de Léipfic contre T i l l i , 8c celle du Lech
contre le même général, fut enfin tué à celle de
Lutzen. Guftave y fut d’abord bleffé d’un coup
de moufquet qui lui caffale bras. On s’écria, le roi
eft bleffé. Il fe fit violence, 8c prenant un vifage
ferein, il dit : Ce nejl rien ; fuiveç moi 3 & charge
En même-temps, il fe pencha vers le prince de
"Saxe-Lawenbourg, 8c lui dit tout bas .* Mon couftn,
fen ai autant qu i l m en faut, & je foujfre une extrême
douleur ; tâckeç dème tirer d'ici. Au même infiant
’ une balle lui traverfa les reins entre les deux
épaules, 8c il tomba de cheval en prononçant ces
mots : Mon Dieu , mon Dieu ! Il reçut encore
d’autre,s coups, Sc fe trouva confondu parmi une
foule de morts 8c de mourans.
Orra dit du grand Guftave qu’il étoit mort l’épée
à la main, le commandement à la bouche, 8c la
vjéloire dans l’imagination.
„ C e prince répétoit fouvent qu’il n’y avoit point
d’hommes plus heureux què ceux qui mouraient
eiYfaifant leur métier. II eut-cet avantage. I! laiffa
en mourant, pour fa feule 8c unique héritière, une
fille âgée de.cinq ans ; ce fut la célèbre Chriftine.
Marie - Eléonore de Brandebourg, époufe de
Guftave, étant groffe de cet enfant, on fe flatteit
que ce ferait un prince. Les circonftances de l'accouchement
prolongèrent cette erreur. La prîn-
ceffe Catherine fe chargea la première d’annoncer
au roi, fon frère, ce qui en étoit. Ce prince ne
témoigna aucune furprîfe , ni aucune triftefie ;
il d:t tranquillement : « Remercions Dieu, ma
» foeur ; j’efpère que cette fille vaudra bien un
» garçon : je prie le ciel qu’ il me la conlerve 3
» puifqu’ il me l’a donnée ». Il ajouta en riant :
£e Cette fille fera habile ; car elle nous a tous
» trompés » I
Guftave promenoit avec lui cette fille dans fes
voyages- Cette enfant n’avoit pas encore deux ans
ou ii la conduifit à Calmar. Le gouverneur de la
place héfitoit de faire à l’arrivée de fa majefté les