
Bohême, entra chez le roi Ton oncle qui le regardant
fixement lui dit : « Vous n’ êtes plus mon
w neveu : » Frédéric s’ appercevant que ce dif-
cours affligeoit le prince, lui tendit le bras , en
ajoutant : « Non vous n'êtes plus mon neveu,
.» vous êtes mon fils ; vous avez fait tout ce que
33 j’aurois pu faire moi-même , & ce que l’on pour-
« roit attendre du général le plus expérimenté. »
Le jour que le préfid ?nt de Mefmes fut reçu à
l’académie francoife , M. Defpréaux lui dit en
lui faifant compliment fur fa réception : « 'Mon-
» fieûr, je viens à vous , afin que vous me féli-
» citiez d’avoir pour confrère un homme comme
» vous. »
Deux gentilshommes Ruffes allèrent vifiter
Voltaire; ce grand homme leur parla beaucoup
de Catherine II leur augufte-impératrice , & de
l ’état florifl'ant de leur patrie : « Autrefois, leur
sa dit-il 3 vos compatriotes étoient conduits par
» des prêtres îguorans , les arts vous étoient in-
» connus a vos terres étaient défertes ; mais au-
oo jourd’hui les arts floriffent chez vous , ëç les j
» terres -font culiivées ». Un des Ruffes répondit, j
qu’il y avoit encore en Rufïie bien des terres j
ftériles : « Au moins, dit Voltaire, convenez que "
» dernièrement votre pays a été fertile en lau- :
» riers ».
Comme M. David , peintre célèbre , félicitoit •
fur fes ouvrages M. Vien , premier peintre du roi,
dont il eft l’élève : « De tous mes ouvrages , re-
» prit ce maître le reftaurateur de l’école fran-
» ço ife , vous êtes le plus précieux & celui qui .
oo me fera le plus d’honneur'».
C O N C IN I , connu fous le nom du maréchal
d’Ancre 3 mort en 1.617. ~
C e Florentin vint en France en 1600, avec
e de Médicis, femme de Henri le Grand II ;
1 Léqnore Galigaï, fille de li nourrice de la
reine ; & , ar Ton crédit, i' devint maréchal de
Fiance fans avoir jamais -tiré l’épée, & mmiftre !
fans con-oître les lolx du -royaume. Il (ut tué à
coups de piilolets ïur le pont-levis du t ouvre^ &
il n’y a pas d’outrages que le pe.-p'e n’ait fait à
fon cadavre". Galigaï, fa femme, fut bru:ce comme
forcière j c’efi elle qui répondit au juge qui lui
demandait de quels charmes elle s’étoit fervie pour
enforctler la rei; e : Alun fortilege a été le pouvoir
que les ' âmes fortes doivent avoir fur les efprits
foibles.
C O N D AM IN E ( Charles-Marie de la ) , mort
en 1774.
C e favant académicien fut choifî pour aller au
Pérou , & y pren re les mefures propres à déterminer
la figure de la terre.
M. de la Condamine a de retour à Paris, après
dix ans d’abfence, faifoit à tous ceux qu’il ren-
controit des queftions multipliées, qui dévoient
fouvent être importunes. Cela fit dire à une femme
de beaucoup d’efprit : « M . de la Condamine, qui
»0 vient de fi loin, & qui doit avoir tout vu, nous
» accable de queftions ; ce feroit plutôt à nous à
, » lui en faire ».
Dans les dernières années de fa vie, il époufa
une jeune nièce qui le rendit heureux. Il lui
préiènta ce couplet le lendemain de fes noces :
D’Aurore & de Titon vous connoiffez l’hiftoire ;
Notre hymen en rappelle aujourd’hui la mémoire:
Mais de mon fort Titon feroit jaloux.
Que fes liens font différens des nôtres 1
Aurore, entre fes bras , v it vieillir fon époux,
Et je rajeunis dans les vôtres.
Ayant été reçu de l’académie françoife, la Con-
damine fit cette épigramme le jour même de fa
réception, & la fit circuler daas l’alfemblée :
La Condamine e ft, aujourd’h u i,
Reçu dans la troupe immortelle.
> 11 eft bien fourd, tant mieux pour lui,
Et non muet, tant pis pour elle.
M. de la Condamine envoya la relation de fon
voyage à Voltaire , & lui écrivit ces vers :
De jours fi bien remplis les momens font trop courts;
Ne me liiez jamais, mais écrivez toujours.
C’eft à Voltaire feul d’é c ,ir e ,
A nous de lire & de relire,
Jour & n u it, fa profe & les vers.
Tous les momens où repofe fa lyre
Sont dus à Frédéric, le refte à l’univers.
Voltaire lui répondit :
Grand merci, cher la Condamine,
Du beau préfent de l’équateur,
Et de votre lettre badine ,
Jointe à la profonde do.ârine
De votre efprit .calculateur.
Eh bien 1 vous avez vu l’Afrique,
Conftantinople, l’Amérique 5
Tous vos pas ont été perdus.
Voulez • vous faire enfin fortune 1
Hélas 1 il ne vous refte plus
Qu’à faire un voyage à la lune.
On dit qu’on trouve en fon pourpris
Ce qu’on perd aux lieux où nous forames,
Les fervices rendus aux hommes
Et les bienfaits à fon pays.
Deux jours avant la mort, la Condamine fit un
couplet allez pîaifant fur l’opération chiiurgicale
qui le conduifît au tombeau ; & , après avoir dit
ce couplet à un de fes amis qui venoit le vifiter :
«« Il faut que vous me Iaiffiez, continua-1-il; j’ai
» deux lettres à écrire en Efpagne ; peut-être
» l’ ordinaire prochain il ne fera plus tems 30. Il
mourut le foir même.
CO N D É ( Louis de Bourbon, prince de ) ,,fur-
nommé le Grand , né à Paris lé 8 Teptembre 1621,
mort à Fontainebleau le 11 décembre 1686. Il étoit
fils de*Henri IP, prince dé Côndë , 8c de Marie-
Charlotte de Montmorenci.
Son hiftorien le repréfente d’une taille au-deffus
de la médiocre, aifée, fine, pleine d’élégance
&. d’agilité ; il avoit le front large, lé nez aquilin,
les yeux grands, bleus extraordinairement, 8c per-
çans ; la tête belle, une forêt de cheveux ; le bas
de fon vifage ne répondoît point,) aria vérité,
à la beauté de fes autres traits fa bouche étoit
trop grande, fes dents fortoient trop; mais il y
avoit en général quelque chofe de fi grand , de
fi noble, de fi fier répandu dans fon air, fon
regard & toute fa phyfionomie, qu’jl n’y avoit per-
fonne à qui fa perfonne n’en impofat. On difoic.
de lui, qu’il avoit la figure d’un aigle & le coeur
d’un lion. Lorfqu’ en 16 47, il fut admis au cbn-
fed de régence, on le reconnut pour un de ces
gens rares 8c tranfeendans, nés pour commander
aux autres hommes. On voyoit briller en lui une
vue perçante, des lumières naturelles, 8c acquifes
par une leéture ïmmenfe , un taét fur , une fermeté
incroyable ; fon application, à un âge où la
gloire 8c les plaifirs l’environnoient-, étoit infàr
tigable, & fa pénétration fi grande dans tout ce
qui regarde la conduite & les détails d’une
guerre, la politique, l’adminiftration de la.juftice, '
les affaires d’économie, de commerce & de financé,
les fciences , les arts, qu’on eut dit qu’il
ne s’étoit livré qu’ à chacun de ces objets, dont un
feul fouvent ne peut être approfondi par les autres
hommes pendant le cours, a’une longue vie.
L’héroïfme de l’ ame ajoutoit un nouvel éclat
à fes talens : d’un zèle fans bornes pour la gloire
du nom François , uniquement fénfîble à la réputation
qui vient des grandes, aérions, & à ces
applaudiffemens délicats que les honnêtes gens
fa vent donner à la vertu ; affable avec dignité, poli
envers tous les hommes au-delà de tout ce qu’on
pouvoit attendre, vrai, magnanime, dune foi 8c
d’ un feçret inviolables.
Condé détèftoit la rufe. 8c les fubterfuges. 5 il
foutenoit qu’ il n’y avoit qu’ ùn feul moyen d’agir
avec fureté & gloire dans Je commerce de la vie
& le maniement des affaires, la candeur , la droiture
& la vérité. D’après cet affemblage étonnant
de force, de courage, d’élévation , de con-
noiffances & de talens, eft-il furprenant qu’ on le
regardât dans toute l’Europe, comme un homme
auffi propre à gouverner un empire qu’à le conquérir.
Mais ces grandes qualités étoient .balancées
par plufîeurs défauts. On lui reprochoit trop
de penchant à la raillerie, de la hauteur, de l’inégalité
, de l’impatience ; prompt, v if , emporté
dans fes paillons ; Je feu de fon génie l’eût dévoré
lui-même,, s’il ne l’eut appliqué à tout ce
que la guerre , l’adminiftration 8c les fciences ont
de plus épineux.
Sa fermeté dégéne'roit quelquefois en opiniâtreté
; incapable de déguifement, il regardoit la,
complaifance comme un moyen trop au deffous
de lui, pour parvenir: à fes . fins. S’il louoic avec
choix les grandes aéiions & les fervices des autres,
il blâtnoit avec aigreur & fans ménagement
les fautes. C ’eft ainfî que fa franchife, la plus
noble des vertus , lui attira prefqu’autant d’ennemis,
que fa réputation & fa puiffance d’envieux.
La fierté de fon ame, qui le r.nJoit incapable de,
fe laiffer gouverner, le priva plus d’ur.e Fois de.
l’avantage de recevoir desconfeils.falutaires. Tout
: ce qui feroit à peine remarqué dans les autres
I hommes, fe faifoit fentir vivement ën celui-ci,.
| Plus d’égalité , plus de douceur , de modération ;
■ moins de faillies , d’impétuofité j l’h ftoire an-
' cienne & moderne n’avoient point de héros qui
[ pût lui être oppofé j il ne lui manquoit que les
j vertus d’un homme médiocre, pour être le premier
de tous les hommes, ( Hiß. par Al. Défor*
* meaux ).
Le prince de Condé porta, du vivant de fon
çère , le titre de duc d’Enguien, nom qu’il rendit
a jamais célèbre par la fameule viétoire de Ro-
; c r o ï .qu’ il gagna, à l’âge de vingt-deux ans, fur
j les Efpagnols en 1 <343. Rocroi étoit afliégée, &
il n’y avoir qu’une aélion générale, qui pût faire
lever ce fiège ; mais l’armée Françoife étoit inférieure
à celle des- Efpagnols ; d’ailleurs un revers
expofoit l’ état au fort le plus funefte. Tous les officiers
généraux ne le diftîmuloient point au jeune
prince.' L’intrépide & le vaillant Gaffion lui dit
même, après.qu’on eutépuifétoutes les objeérions
pour le détourner de hafarder cette aélion géné-
; raie: « Mais , fi nous perdons la bataille, que de*.
viendrons-nous ? Je ne m’en mets point en peine ,
1 répondit le prince;, parce que je ferai mort aupa-
■ ravant-..
On a remarqué que le prince ayant tout réglé
1 le foir, s’endormit fi profondément, qu’il fallut
le réveiller, le lendemain., comme Alexandre le
jour de. la bataillé d’Arbelles. Il fe laiffa armer
par le corps ; mais il ne voulut point d’autre habillement
de tête que fon chapeau, garni de
grandes plumes blanches; elles Servirent, dans
la mek'e,, à rallier auprès de lui plûfieurs efea-
drons qui, fans cet ornement, ne. l’auroient poin#
reconnu. La viétrire fut quelque temps à fe décider.
Piufieurs officiers de l’armée Françoife pref