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heures avant fa mort : «c Je veux, dit i l , avoir la
m confplatioii de voir encore une fois mon peuple,
« & d en être v u , de le bénir & de me recom-
» mander .à fes prières r>.
Le jour même de fa mort, il fupprima par une
ordonnance expreile, la plupart des impôts. Jamais
prince ne fe plut tant à demander confeil,
& ne fe 1 ailla moins gouverner que lui par fes
courtifans. Ayant appris qu un feigneur avoit terni
un diicours trop libre devant le jeune prince
Charles , fon fils aîné , il le -chafla de, la cour ,
& dit à ceux qui étoient préfens : « Il faut inl-
” picer aiw enfans des princes -l'amour de la
»» vertu, afin qu’ils furpaflent en bonnes oeuvres
»» ceux qu’fis doivent furpaflèr en dignités ».
Infçnfible à h flatterie, il connoifloit le véritable
prix des éloges. Le lire de la Riviere, fon
chambellan & fon favori , s’entretenoit avec ce
prince fur le bonheur dé fon. règne «= O u i, dit
»? le roi , je fuis heureux , parce que j’ ai la puif
85 fance de faire du bien à autrui ».
C harles V I , roi de France, furnommé le
bien - aiméa. né à Paris, le 3 décembre i z 6$ ,
mourut à Paris dans l’hôtel de Saint Paul, Je
20 octobre' 142.2, âgé de cinquante-quatre ans.
C e prince avoit tout ce qu’il faut pont attirer les
regards & gagner les coeurs, une phyfionomie
noble, animée, prévenante , une taille majef-
tueufe , une adrefle fingulière à toutes fortes
d’exercices , un caractère libéral, doux, équitable.
Il aimoit tendrement fes fuiets , & ne
confuftoit -que fon coeur, pour juger des fenti-
mens de ceux qui l’approchoient. Un.délateur
ayant acçufé quelqu’un d’avoir mal parlé de ce
prince , le monarque étonné répondit-5 Celq ne fe
peut pas , je lui ai fait du, bien.
Charles avoit époufé en 138 ), Ifabelle de Bavière.
Cette reine fit fon entrée à Paris , l’année
fuivante. La defcriptiap qui en eft rapportée dans
la nouvelle hiftoire de France , peut fervir à nous
faire connoître la n^gnifîcence , la galanterie, le
goût &: le génie inventif de nos ancêtres. Toute
la cour s’étoit rendue à Saint-Denis , où l’ on dil-
pofa l’ordre qu’on devoir obferver. Douze cents
bourgeois habillés de robes, mi-parties rouges &
Vertes , reçurent la reine au-delà des portes : elle
eatra en litière découverte , efcortée par les ducs
de Berry, de Bourgogne, de Bourbon & de Tour-
raine , Pierre, frère, du roi de Navarre , & le
comte d’Oftrevaut. Les duchèflès de Berry & de
Tourraine la Tui voient montées fur des palefrois,
dont les freins étoient tenus par des princes. Les
autres princéflfes , telles que 'la reine "Blanche, la
duchefle de Bourgogne, la comtefle de Nevers ,
fa belle-fille, la duchefle douairière d’Orléans ,
]a duchefle de Bar , étoient en litières découvertes
; elles étoient accompagnées des princes du
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fang & des plus grands feigneurs, qui bordoieiif
les côtés de chaque voiture. Les dames de leur
fuite etoient en charriots couverts ou à cheval,
environnées & fui vies d’une foule de chevaliers
& d’écuyers. A l’entrée de la ville, la reine trouva
un ciel étoilé, où de jeunes entans habillés en anges
, récitaient des^ cantiques. La Sainte-Vierge
y paroifloit tenant entre fes bras fon petit enfant,
lequel, s ébattoit a part foi , avec un petit moulinet
fait d'une grojfe noix. On avoit revêtu la fontaine
dé Saint-Denis d’un drap bleu femé de fleurs de
lys d’or. De jeunes Ailes extrêmement parées
chantoient mélodieufement, & préfentoient aux
paflfans clairet, hypocras & piment, dans, des vafes
d’or & d’argent. Sur un échafaut drefle ^devant la
Trinité, des chevaliers françois, anglois & far-
rafins repréfentèrent un combat appellé le pas
d'armes du roi Saladin. A la fécondé porte de
Saint-Denis, on voyoit dans un ciel nué? femé
d étoiles , Dieu fêant en fa majefté : des petits en-
fans de choeur chantoient moult doucement en forme
d'anges'. Lorfque la reine paffa fous la porte ,
deux dé ces enfans fe détachèrent & vinrent
| lui pofer fur la tête une couronne enrichie dé
perles & de pierres précieufes. Us chantoient ces
quatre ‘ vers :
Dame enclofe entre fleurs de lys ,
Reine êtes-vous de paradis , .
De France & de tout le pays :
Nous en r’allons en paradis.
Plus loin étoit une falle de concert. Ifabelle4
qui voyoit avec autant de fatisfaétion que de lur-
prife, ces merveilles du tems, s’arrêta plus encore
à confîdérer le nouveau fpeChcIe que lé
châtelet offrit à fes regards. C ’étoit une forterefl’e
en bois, aux créneaux de laquelle paroifloient des
hommes d’armes en fentinelle. Sur le château,
s’élevôit un ’lit paré, où gijfoit madame Sainte,
Anne. C ’étoit, difoit-on, le fÿmbole'du lit de
juftice. A quelque diftance, on avoit arrangé un
bois d’où l’on vit s’ élancer un cerf blanc , qui
s’avança vers le lit de juftice : un lion & un aigle
fortis du même bois, vinrent l’attaquer. A l’inf-
tant, douze pucelles , l’épée a la main, vinrent
prendre la défenfe du lit de juftice & du cerf.
Charles avoit adopté l’emblème de cet animal.
Lorfque la reine encra fur le pont au change, un voltigeur
defeendit avec rapidité fur,une corde tendue
depuis le haut des tours de Notre-Dame, jufque
fur le pont. Comme il étoit déjà tard , il tenoit
dans chaque main un flambeau allumé.
Charles eut la curiofité d’aflïfter à tous ces fpec-»
tacles. » Savoifi , dit-il à l’un de fes chambellans ,
» je te prie que tu montes fur mon bon cheval,
» & je monterai derrière toi ; & nous nous habil-
» lerons de façon qu’ on ne nous connoifle point,
» & irons voiçj’entÿéé de nu femme. Us allèrent
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6s donc par la ville, en divers lieux, & s’avan-
» cèrent pour venir au châtelet, à l ’heure que la
*> reine pafîoit, où il y avoit moult de peuple &
» grande prefle, & foifon de fergens à grofles bou-
v laies , lefquels, pour empêher la prefle , frap-
» poient de côté &: d’autre de leurs bouîaies bien
» & fort j & le roi & Savoifi tâchoient toujours
» d’approcher 5 & les fergens, qui ne connoif-
» foient point le roi ni Savoifi , ftappoient de
» leurs bouîaies defîiis, & en eut le foi plufieurs
»» horions fur les épaules bien aflis j & le foir, en
É préfence des dames & demoifelles, fut la chofe
*> récitée, & on commença d’en bien farcer, &
» le roi même fe farçoit des horions qu’il avoit
» reçus ».
"Une efpèce de frénéfîe qui, en 1391 , altéra
l’efprit de Charles , fit les malheurs de fon peuple
& les liens. Lorfque ce bon prince recouvroit quelques
momens de fanté, il ne pouvoit s’empêcher
de répandre des larmes fur la tyrannie de les oncles,
qui profitaient du tems de fes accès, pour
accabler le royaume d’impôts, & commettre toutes
fortes d’abus.
On étoit cependant parvenu en 13 93 , à force
de foins & dé remèdes , à rétablir la fanté du
roi j mais un nouvel accident l’affoiblit pour toujours.
On avoit imaginé à la cour line mafearade,
à l’occafîon du mariage d’une des filles d’honneur
de la reine : le r o i, déguifé en fauvage ,
traînoit à fa fuite cinq feigneurs habillés comme
lui, & enchaînés les uns aux autres. Ils étoient
vêtus d’une toile enduite de poix-réfîne, fur laquelle
on avoit appliqué des étoupes. Le duc
d’Orléans eut l’imprudence d’approener un flambeau
d’un de ces habits, qui furent enflammés en
un moment. Quatre feigneurs furent brûlés 5 le
cinquième, plus heureux, rompit fa'chaîne, &
courut ver la boiiteillcrie , où il fe précipita dans
une cuve pleine d’eau. Le roi fut fauve par la
préfence d’efprit de fa belle-foeur la duchefle de
Berry , qui l’enveloppa dans fon manteau. Les rechutes
de l’infortuné Charles devinrent, depuis
cet accident, très-fréquentes, & il ne fut plus juf-
qu’à la mort qu’un fimuhçre de fôuverain| dont
ceux qui l ’approchoient s’empâroient fucceflive-
ment, pour autorifer leurs déprédations-& leurs
injuftkesi
La reine & le duc d’Orléans difpofoient à leur
gré des revenus de la couronne, & laiffoient la
Famille royale manquer du néceflaire. Charles fit
venir un jour la gouvernante de fes enfans, qui
Lui avoua que foiivent ils n avaient que manger ne
que vêtir. Hélas 1 dit-il en foupirant, je ne fuis
pas mieux traité, &: lui donna pour vendre une
coupe d’or' dans 'laquelle il venoit de boire.
Charles'finir fa' trifte vie, fans qu’il y eut à peine
quelques officiers pour recevoir fes derniers fou-
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pirs. Sa mort fauva la France de l’invafion des
anglois.
C harles V I I , roi de France, furnommé le
victorieux 3 né à Paris le 22 février 1403, mort
lé 22 juillet 1461 3 âgé de y8 ans.
Charles é toit. d’une taille médiocre, & d’une
.complexion fanguine. Sa phyfionomie ouverte
annonçoitla franchife de fon coeur y d’une exae-
tiiude fcrupuleufe à remplir fes engagemens , fa
parole étoit parole de ro i, & tenue pour loi. 11
lui fallut regagner pied à pied fon royaume, envahi
fous le règne précédent, par le déborde-*
ment de l’Angleterre en France. Mais ce prince
plus porté aux plaifirs qu’ aux affaires, ne fu t,
en quelque forte, dit un illuftre hiftorien , que
le témoin des merveilles de fon règne. S’il mérita
le furnom de victorieux , c’eft qu’il eut le
bonheur d’avoir des généraux habiles, expérimentés
, pleins de bravoure, une femme d’ un
efprit élevé , & une maîtrefle magnanime , qui
l ’aima aflfez pour ne lui donner que des confeils
qui intérefioient fa gloire & le bonheur de feS
peuples.
Les anglois avoient, en 1429, mis le fiége
devant Orléans, &: le duc de Bourbon voulant
empêcher un convoi qui venoit au camp des
anglois devant cette ville, fut entièrement défait.
Charles défefpérant alors de fa fortune,
projettoit une retraite dans le Dauphiné. Si cette
honteufe réfolution eût été éxécutée, les anglois
devenoient entièrement maîtres de la France.
Marie d’Anjou, princefle accomplie & digne
par l’ élévation de fes fentimens, de la couronne
qu’elle portoit, repréfenta à fon époux
l’opprobre dont il alloit fe couvrir, en fuyant-
devant les ennemis de fa patrie & de fa mai-
fon. Les anecdotes du tems, font aufli mentiqn
quç le roi paroiflant déterminé à fe réfugier aux
extrémités de la France mériJionale , la belle
Agnès Sprel , maîtrefle de cë prince , lui demanda
la pèrmiflion de fe retirer de la cour : le
monarque alarmé , voulut favoir le motif de
fon départ, & dans quelle demeure, elle alloit
fe fixer. Elle lui répondit que les aftrologues
Lavant aflîirée qu’elle feroit aimée par le plus
grand roi de l ’Europe, elle alloit trouver le roi
d’Angleterre que probablement cette prédiction
défignoit, puifque fa majefté paroifloit renoncer
à ce glorieux titre.
Agnès-, en fe fervant habilement de la ten-
drefle du roi pour ranimer la vertu de ce prince,
mérita l’eflime de la nation & de François I. C e
monarque , qui vivoit un demi fiècle après Chartes
VII , tems auquel la mémoire des événemer.s
de -ce règne étoit encore récente, com.pofa lui-
même ces vers , en voyant le portrait de la belle
Agnès ;