
merhent pàfiionné ; j’ avois eu la • précaution de
renforcer mes efprits de trois grands verres de
brandevin. ( Mais i l n y a plus rien dans le.pot. )
L a chaleur que je mis dans ma déclamation eft
une chofe inconcevable : Tamerlan ne fut qu/un
fot vis-à-vis de moi. De temps en temps il Youloit
hauffer le to n , mais je le rabaiffois bien vîte par
la vigueur & la fupériorité de celui que > je pre-
■ Bois. Mes geftes étoient (Tailleurs admirables j
mille attitudes variées , ;des exclamations fans
nombre , quel brouhaha fur - tour -, lorlque je
croifois les bras fur.ma poitrine 1 JJai remarqué
qu'à Drury-Lane, cela produifoit un effet mer-
, veilleux 5 en un. mot , je; me. couyris de gloire.,
& je fus regardé comme un prodige. Toutes les
.dames.de Teïiterden vinrent me. complimenter
: fur. mes talens ; les- unes louaient. ma. voix, les.
autres vantoiént, ma figure. Sur mon, konneury.dk
Tune d'encr'elles , il deviendra'- bientôt-'Un des plus
jolis acteurs de l'Europe ÿ c'eft moi qui vous le dis ,
& je m'y çonnois.
Un comédien êft fenfîble aux premières louanges,
‘ & les:reçoit comriie une faveur;;mais quand on
les lui prodigue , il s'imagine que fcrèft un tribut
qu'arrache fort mérite. Loin de remercier'ceux qui
m'en accâbloient, je m’applaudiffais en moi-mémé,
& j’aVôis/'fouvent l'impertinence d'être brûfqiie-,
'jufqu'à Timpplitelfe. Je vous avoue que j'ai été
bien payé de mon infolence’ , comme vous le Verrez
tout-à-l'heute. Nous quittâmes enfin l'aimable
Tentèrden , bu des' dames , en honneur ,, font1
de très-bons juges des pièces de théâtre, & dé-’
cident Encore mieux du mérite des k&eürs. ( Æ-\
Ions , mùnjieur, buvons s’i l vous plaît , : a leur'*
fanté. ) J'entrai dans leur ville moucheur de chandelles
, j’en fortis héros. Ainfi va le. monde ; aujourd'hui
laquais , demain grand feignèùr.
Je pourrois en dire davantage -fur ce fujet, qui
eft vraiment fublime 3 mais ne parlons point vdej
la fortune & dé fes bizarreries , cela nous incotri-
moderoït la rate. De Tenterden , mous ; allâmes
à Newmarket, lieu célèbre par fes courfes- &
par tant de fous qui s'y ruinent par des gageures.
J'y jouai les premiers rôles & j y brillai-à mon .
ordinaire ; je fuis très - perfuadé que j'y aurois
paffé long temps pour le plus grand comédien de.
l'univers, fans une'cruelle aventure que je vais;
vous raconter. Je charmois toutes les dames, en
faifant le perfonnage de fir Harry Wildair. Quand;
je tirois ma tabatière toute »la- là lie retentifloit!
d'un bruit flatteur d’admiration 3 mais quand je
donnois des coups de bâton à - Téchevin, vous
eufliez vu rire toutes les femmes, jufqu’à tomber
en convulfîon.
11 fe rencontra dans Newmarket üne provin-j
ciale maudite, qui avoit demeuré/neuf mois ,à!
Londres , & qui, par cette , raifon , prétendoitj
être l’oracle du goût qu'on deyoît fuiYre à New-,
market. O n lui païlà de mes talens , chacun m’é-
levoit jusqu'aux nues;, & cependant .elle s’obfti-
noit toujours à ne vouloir en juger que par elle—
. même 3 elle ne pouvoit concevoir, difoit - elle ,
qu'un hiftrion ambulant ( pardonnez-lui le terme.)
pût être propre à autre chofe qu'à faire périr
d'ennui. Elle étourdiffoit toutes lès fociétés des
éloges qu'elle donnoit à G a r r ic k , & ne parloit
que du théâtre & des comédiens, de . Londres.
Enfin, on lui perfuada de venir au fpe&acle 3 oh
m'avertit fecrettement qu'à ma première représentation
je devois avoir ce juge redoutable.
C e t avis ne m'intimida pas du tout. Je parus
fur là fcène d’un air libre & dégagé , une main
dans mes culotes 6c l'autre dans ma vefte , ainii
que les plus fameux comédiens de Drury - Làne.
Mais , loin de fixer 1 s regards fur! moi’,, jé m’ ap-
perçus que tous les fpeéuteurs cherchoient, dans
les yeux de la provinciale qui àyôit refté neuf
mois à Lon d res , s'ils dévoient m'applaudir ou
me fiffler. J'ouvre ma tabatière , je prends du
tabaç , |a provinciale garde un- férieux /.qui. me
g la çô it, & fa gravité îe‘ répand fur to u s 'lé s v ï-
-teg.e$. J e, caffe mon 'bâton fut les/ épaulés de Y.eckçvin, la provinciale hauffe les fiénnek , &
tous Jes fpeélateurs en font/autant. Enfin’, je me
mets à rire dé/ la meilleure ■ grâce "du monde1,
je n’en luis pas p’us heureux. J ’avoue qii’en cet
inftant je fus .totalement' déconcerté. Mon rire
forcé rie fut plus qu'une grimace, & tandis que
je me battqis les flancs p ou r jou e r la gaîté , on
Üiôit dans mes yeux la trifteffe là plus profonde.
En un m o t , la provinciale vint à la comédie dans
,1'intention. de s 'y déplaire , & elle s*y déplut.*
ma réputation expira, & ( le pot eft vuide. )
Comédie italienne. Depuis Iofig-temps nous
avons en France des comédiens italiens, & Ton
-fait qu'en 1 p y on avoit déjà une troupe appelée Ligeloft , qui: jouoit à [’h ô te l de Bourbon 3 mais
elle n'avoit point alors a ’étabîiffement fixe’j &
après quelques années elle fut remplacée par une
autre , qui fut elle-même fupprimee en 1661. Il
en vint une nouvelle, à qui on permit de jouer
fur le théâtre de Thôtel de Bourgogne, alternativement
avec la troupe de M o lie re , au petit
Bourbon , & depuis fur le théâtre du palais-
royal. .
C e ne fut qu’en 16 8 0 , que les deux troupes
françoifes s’ étant réunies à Thôtel dé Guénégaud,
après la mort de M o lie re , les càmédiens fe trouvèrent
feuls en poffeffion du théâtre de Thôtel
de Bourgogne. Ils continuèrent leurs repréfenta-
tions:jufqu'à Tannée 1 6 9 7 , que le roi fit fermer '
leur théâtre. Dans les pièces italiennes qu'ils
jou'oient à Tinpromptu , oh . attqehoit, d é Amples
canevas /concis de chaque .pièce aux ;murs du
théâtre; par.derrière les couiiffes, où lesaéfeurs
alioient voir ah commencement de chaque fcène
ce qu'ils- avbient à dire. C e tte façon de' rçpré-
fentér u;.e comédie donnait lifu à la vaiiété du
je u , 6c Ton croyoit voir toujours une pieee dif*
fé rente lorfqu'elle et oit jouée par; diftérenS -aç-
teurs : mais i l falloir que tous les a fleurs enflent
beaucoup d'efprit, ütie imagination vive & fertile,
pour que cette méthode fût du goût des fpeéla-
tem s , ou que les, fpeclatqiir,s euiient bien;peu de
g o û t , pour s'accommoder-des inepties:- qui -for-
toieût fouvent de la bouche des,adlcurs», ; ;
/ L e théâtre de la comédie italienne fiit fe.mé
pendant dix-neuf an s , & les comédiens qui côm-
Doloient cette troupe fe retirèrent chacun ch e z ’
eux. M . le duc d'Orléans t régent du royaume,
en fit venir, d'autres , qui arrivèrent.à, Paris en
1 7 16 .T l avoit donné ordre à M . Rouillé,, con-
feilLr d’é ta t , de faire chercher; les meilleurs comédiens d’I ta lie , pour en_ former une -troupe
qu'il prit à Ton fervice* Lellieo fu t charge de ce
foin 3 il choifit en aéleurs & a&riees tout ce
qu'il crut le-plus propre à féconder les vues dé
fon altefle royale. Ils vinrent à Paris au nombre
de d ix; & e n attendant que Thôtel'de Bourgogne
fût en é ta t , M . le .régent leu r permit de jouer
fur le théâtre du palais-royal, les jours qu’il 11 y
auroit point d’opéra.
C e fut le 18 mai 1716 quils débutèrent par
line pièce italienne, intitulée : l’Jieureufe furprife.
L e 20 du même mois , leur établilfëment tut annoncé
par une ordonnance du roi.-Le premier juin
fuivant, ils prirent poffeffion du théâtre de Thôtel ;
de Bourgogne, avec le titre de comédiens .ordinaires
lognp, qui prjt- ta(: t de plaiitr au talent d,e
comédien 9 qu'il le ht fon camcr-ier-,, & lui accorda
d’autres grâces. Mais Mezet/n ayant e.ü ^1 audace
d'adreffer fes voeux ,à une maîtreffe du prince ,
8c d’accompagner. fa déclaration de quelques dif-
cours peu mefurés fur ce monarque, il penfa
perdre la vie , 8c refta vingt ans en prifon. Tout
Paris, qui le croyoit mort, ne fut pas peu fur-
pris de; le voir reparoître fur le nouveau théâtre
italien le f février -1729; On courut d'abord en
foule pour le Voir jouer 3 mais il ne tarda point
à s’appereevoir que le goût du public étoit change :
c'eft ce qui le détermina à fe retirer en Italie, où
. il finit fes jours à Tâge de y f ans.
I Qn rapporte de lui ce trait ; ii vouloit dédier
. un ouvrage de fa façon à un duc protecteur ,zéle.
des taiens 3 mais , pour parvenir jufqu'à lu i, il
falioit avo-.r l’agrément d'un portier, dun laquais
& d’un valet de-chambre , dont les ore.lles, fui-
vantl’exprèflion d’un auteur moderne, étoient dans
leurs mains. Mezetin tenta de les fléchir, mais inutilement.
de fon alteffe royate monfeigneur le duc, d'Orléans
y régent. C e prince étant mo rt, le 2 décembre
1723 , la troupe obtint le titre de comédiens
italiens ordinaires du r o i , avec quinze mille livres
de penfion 3 & en conféquence, elle fit mettre fur
la porte de Thôtel de Bourgogne les armes de
fa majefte , & au-deffaus , ,fur un marbre noir y \
cette infeription en lettres d’o r : Hôtel des comé-
* diens italiens ordinaires, du roi , entretenus par fa
majefté y rétablis a Paris en m. jdcc. xyi.
Defpréaux d ifoit, en parlant du théâtre italien':
il y a deT o rt bonnes chofes 5 il y a du. fel partout
3 c'eft un grenier à fel.
R a c in e , le fils du grand R a c in e , nous dit
quelque p a r t , qu'il avoit connu un adeur & une
aélrice de l’ancienne troupe italienne, qüi' vi-
voient comme deuxfaints , 8c qui ne montoient
jamais fur le théâtre fans avoir mis un cilice 5
mais il ne les a point nommés.
I l y avoit dans l'ancienne troupe italienne un
rôle de Me^tin^ qui étoit à-peu-près le même
que celui de Scapin. Angelo Confiantini , de^ la
ville de Véronne , le joua, avec fuccès jufqu'au
mois de mai 16 9 7 , que le théâtre italien fut fermé.,
Mezetin fe mit au fervice d 'A u gu fte, roi de Po -
Voici comme il s’y prit pour s’en venger.
« Monfietir, dit-il fort rcfpedlueufement au
*> portier, je dois'être récompenfé d’un ouvrage
« que j'ai dédié à M. votre maître, laiffez - moi
» entrer, je vous promets, foi d’homme d’hon-
» neur, le tiers de ce qu/il me donnera ». Le
portier , devenu plus humain à ce difeours, lui
dit: « Vous pouvez paffer, je vous en crois fur
» votre parole ». Il fallut faire la même pro-
hicfffe au laquais de garde pour entrer dansT'ap-
; partement. Reftoit un troilième tiers qu'il pria
j le valet-de chambre, placé à la porte du cabinet,
i de vouloir bien accepter. Le voilà entré 3 .il fait
fpn compl mcnt, & .préfente fon ouvrage. Le due,
charmé de cet hommage de la part d’un afteur
fpté par-tqut, lui promet de lui accorder ce qu’il
pourra defirer. ce Moniteur, répondit Mezetin ,
» puifque vous avez cette bonté, je. vous demande.
» cent cinquante coups de bâton *>. — Quelle eft
donc cettç plaifantc rie , reprit le duc ? Mezetin
lui raconta auffi-tôt à quel prix il a humanifé le
portier, le laquais & le vaLt-de-chambre. « Vous
I » voyez bien., monfeigneur, pourfuivit-il, que
» n’ayant aucune part dans la réeompenfe , je
» n’en aurai aucune aux coups de bâton?, & j’au-N
s S rai le plaifir de voir punir ceux qui m’ont mis
i » (à contribution ». Le duc ayant ri de tout fon
; coeur 1 fit la mercuriale à fes gens, & envoya un i p.réfent à la femme de ce comédien, afin qu’il en
profitât fans violer fa parole.
Scaramouche étoit un autre perfonnage de l’ancien
théâtre : fon caraélère étoit celui de capitan,
qui n'eft qu’ un fanfaron & un poltron. Le fameux
aéteur quirempliffoit cerôle dans l’ancienne troupe,
fë nômmdit Tiberio Fiurelli. Il étoit né à Naples
i en 1608. Il fut un pantomime fin & fpirituel : il
j avoit une femme qui rempliffoit les rôles de fou-
[! brette , & qui étoit fort galante. Un petit-maître
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