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d’Harcourt, les feigneurs de Graville, Maubué
de Mannemans > chevaliers , & Olivier Doublet,
écuyer. Jean, accompagné du dauphin, forifils,
& de fes hommes d’armes , monta à cheval, con-
duifant avec lui fes prifonniers. Villani, hiftorien
de ce temps, rapporte que lorfque ces infortunes
pafférent fur la place de Rouen, les habitans de
la ville 3 étonnés de ce fpeétacle imprévu, voulurent
les délivrer , mais le roi ôtant fon cafque ,
fe fit reconnoître, & perfonne n’ofa remuer. Dans
le même moment, il tira de fa poche un a&e
d’où pendoient plufieurs fceaux , affurant que
c ’étoit un traite conclu avec 1‘Angleterre. Le
comte d’Harcourt, ajoute Fhiftorien, & les trois
autres feigneurs, nièrent jufqu’à la mort la con-
clufion de ce traité : on les conduifit cependant
hors de la ville dans un champ appelé le Champ
du pardon, où ils furent décotes en préfence du
roi & du duc de Normandie.
Cette violence publique fut Ta caufe en partie
des malheurs du roi Jean. Philippe, père du roi
de Navarre, détenu en prifon , & les parens des
feigneurs , qui avoient été exécutés à Rouen,
appelèrent à leur fecours Edouard III. C e monarque
envoie fon fils Edouard, prince de Galles,
fameux par la vi&oire de Creci, pour commander
fon armée. Il ravage l’Auvergne, le Limofin
& le Poitou. Jean 3 ayant raffemblé fes troupes,
l’ atteignit à Maupertuis, à deux lieues de Poitiers.
L ’attaque du camp ennemi fut unanimement ré-
folue. Aufli-tôt les troupes reçurent ordre de fe
mettre fous les armes. Pendant que plufieurs officiers
étoient partis pour reconnoître l’armée ennemie*,
le roi, monté fur un cheval blanc, par-
couroit les rangs de la fienne : « Entre vous au-*
» très, difoit-il tout haut, quand vous êtes à
03 Paris, à Chartres, à Rouen, ou à Orléans,
» vous menacez les anglois, & defîrez avoir le
» bacinet & la tête devant eux : or y êtes-vous,
a> je vous les montre : fi leur veuilliez remontrer
» leurs tnaltalens, & contrevenger vos ennemis,
=» & les dommages qu’ils vous ont faits} car fans
.» faute nùus combattrons » ..
Le roi accompagna cette exhortation de reproches
qui pourroient encore férvir à prouver la
dureté naturelle de fon caractère. Il ne lui arri-
voit même que trop fouvent de parler avec humeur
au foldat. Un jour que quelques foldats chantoient
la chanfon de Roland , comme c’étoit l’ufage dans
les marches , il s’écria qu’il y avoit long-temps
qu’on ne voyoit plus de Rolands parmi les françois.
Un vieux capitaine, piqué de cette plainte inju-
iieufe pour la nation : « On ne manqueroit pas
» de Rolands dans les armées, répondit-il fière-
» ment, fi les foldats voyoient encore un Charle-
» magne à leur tête ».
Le prince de Galles, qui avoit reconnu la faute
qu’il avoit faite de s’avancer trop ayant fur les ,
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terres du roi de France, & qui n*avoit que huit
mille hommes à oppofer à une armée de plus de
foixante mille, demanda à entrer en négociations.
Il offrit de rendre tout ce qu’ il avoit pris en France,
& une trêve de fept ans. Jean refufa ces conditions.
Tous les hiftoriens attellent qu’ il pouvoit,
en temporifanr, prendre l’armée angloife par famine;
mais le bouillant monarque, comptant écra-
fer du premier coup fon ennemi, donna le lignai
du combat, & il éprouva bientôt que la difei-
piine eft fupérieure à la bravoure aveugle & au
nombre. Sa cavalerie, engagée dans des vignes où
elle ne pouvoit manoeuvrer, lui devint d'un foîble.
fecours. Ses bataillons, combattant en défordre,
furent précipités les uns fur les autres par l’ennemi.
La fleur de la nobleffe avoit péri > la bannière
de la France étoit étendue par terre entre les bras
de Chami qui n’avoit pas voulu la quitter même
en expirant. Les françois, qui combattoieot autour
de leur ro i, s’éclairciiToient à vue d’oeil. Ce
prince, fupérieur à ce défaftre , environné de
morts & de bleffés, & une hache à la main,
effraie encore ceux des ennemis qui ofoient l’approcher
: chaque coup qü’il leur portoit étoit un
coup mortel. Il fembloit qu’il vouloit feul arracher
la victoire à la multitude qui l’accabloit. Envain,
lui difoit,-on de tous'côtés, fire, rendez-vous ,* il
ne répondit à cette invitation que par de nouveaux
efforts. Enfin, épuifé d’un combat fi opi—;
niâtre & fi violent, ayant reçu deux bleffures
dans le vifage, il fe laififa approcher ; & pour
comble de difgraces, ce fut à un de fes fujets
qu’il avoit banni, & qui iervoit chez les ennemis,
qu’il fut obligé de rendre les armes. La même
.chofe arriva depuis à François I. Les procédés
d’Edouard, envers fon prifonnier, caraélérifent
la franchife & la générofité de l’ancienne chevalerie.
Lorfque Jean arriva à Londres, Edouard avoir
pour lors à fa cour les rois d’Ecoffe & de Chypre.
Edouard traita ces têtes couronnées avec une
magnificence vraiment royale. Mais ce qui nous
paroîtra aujourd’hui bien extraordinaire & pourra
iervir à nous donner une idée de l’opulence qui
régnoit alors en Angleterre, c’eft qjfun maire de
Londres, un lîmple marchand de vin, eut l’honneur
d’inviter chez lui les rois de France, d’Angleterre,1
d’Ecoffe & de Chypre, & de donner un repas
fplendide à tous ces princes, ainfi qu’à tous les
feigneurs 8c gens de leur fuite.
Jean fit toujours paroître beaucoup de courage
& beaucoup de fermeté pendant fa détention. Le
roi d’Angleterre lui ayant propofé fa liberté, à
condition de lui faire hommage du ro'yaume de
France, comme relevant de celui d’Angleterre,
il répondit : « Qu’il étoit inutile de lui faire des
» propofitiôns qu’il ne vouloit pas écouter. Les
» droits de ma couronne, ajouta-t-il, font ina-
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» lîénables : j*aî reçu de mes ayeux un royaume
» libre & indépendant} je le laifferai libre & in-
» dépendant à ma poftérité. Le fort des combats a
» pu difpofer de ma perfonne, mais non pas des
«.droits .facrés de la royauté que la naiifance m a
» donnés, & fur lefquels, ni ma captivité, ni
» ma mort ne peuvent rien. Heureux fi je puis
« facrifier ma vie pour l’honneur de la France que
« Dieu m’a confiée ».
La confiance du roi prifonnier conduifit enfin
les-chofes au traité de Bretigny, du 8 mai 1360.
Il cctafentit d’accorder à fon vainqueur trois mil;
lions d’écus d’or pour fa ranç«n, & les provinces
de France qu’il demandoit. Jean revint dans fen
royaume le 18 oélobre 1560. Mais l’exécuticn
entière du traité s’étant trouvée impoffibie, ce
prince qui, dans ce cas, avoit donné fa parole
royale de retourner à Londres, s’y rendit en effet
en 13(53, & y mourut quelque temps après. On
a dit que fon amour pour la belle comteffe de
Salisbury fut le principal motif de fon retour.
C ’eft ainfi qu’on cherche toujours par des anecdotes
ridicules à ternir les avions les plus louables.
Mais pourquoi refuferions-nous à Jean la
gloire d’avoir montré la plus exaéle fidélité dans fes
promeffes, à ce prince qui ne ceffoit de répéter
cette belle maxime, que les fouverain's devroient
toujours avoir devant les yeux : « Si la juftice &
» la bonne foi étoient bannies du relie du monde,
» il faudroit qu’on retrouvât ces vertus dans la
« bouche & dans le coeur des rois «.
L’ordre de l’étoile doit fon inftitution au roi
Jean, qui le créa en 1351* C ’eft le premier ordre
de chevalerie qui fut établi en France. Le roi
d’Angleterre , qui avoit inftitué l’ordre de la jarretière,
avoit fixé le nombre des chevaliers à vingt-
fix. Jean voulut renchérir fur fon rival & l’emporter
du moins par le nombre : il créa cinq cents
chevaliers. Mais cette marque de diftinétipn, multipliée
à l’excès, ne diftingua perfonne, & l’ordre
fut avili dès fon origine. Ori i’a depuis abandonné
aux chevaliers du guet.
JEAN I I , roi de Portugal, ayant été fecrer-
tement averti que le duc de Bragance avoit conçu
le deffein de Faflâffiner, fit venir adroitement ce
prince dans fon palais, & lui dit d’un air tranquille
: Mon coufin, j’ai une queftion à vous faire,
& un conféil à vous demander. Quel traitement
feriez-vous à un homme qui auroit envie de vous
tuer? Je me hâterois de le prévenir, répondit le
duc : Eh bien! lui répliqua le roi, vous aveç prononcé
votre arrêt, & je vais Vexécuter moi-même.
En même-temps fe jettant fur le duc de Bragance,
il lui enfonce un poignard dans le fein, & par
cette aélion cruelle, il déroba fa vie au péril qui le
menaçoit.
C e roi, furnommé le magnanime, ayant refufé
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quelqu’un qui lui demandoit une grâce, cet homme
le remercia ; & de quoi me remerciez-vous, dit
le roi? « Sire, répondit-il, de la bonté que vous
» avez de m’épargner le peu d’argent que je puis
» avoir, & que j’aurois dépenfé inuti'ement à
» votre cour, fi on m'y avoit retenu plus long-
» temps ». 1
JE A N N IN , (P ie r re ) né en 1^40, mort en
1622.
Jeannin mérita la confiance d’Henri IV par fa
rare prudence & par les talens finguiiers qu’il avoit
pour les négociations. I! n’avoit pas moins de
franchife que Sully, mais peut-être plus de douceur
& d’urbanité : c’eft ce qu’ il eft facile de fe
perfuader par ce trait ingénieux de Henri IV .
Ce prince voulut faire connoitre en un moment
fes miniftres à un ambaffadeur étranger : il les
fit venir fucceffivement l’un après l'autre en fa
préfence , & il leur dit : « Voilà une poutre qui
» menace ruine ». Villeroî, fans même lever les
yeux , confeilla de la faire changer fur le champ ;
Jeannin, après avoir regardé avec attention, avoua
qu’il n’ en appercevoit pas le vice ; mais que pour
ne rien rifquer, il falloit la faire vifiter par des
gens de l’art. Sully répondit brufquement : « Sire,
» qui a pu vous donner cette terreur ? Elle durera
» plus que vous Sc moi ».
Le mérite de Jeannin l’éleva bien au-deffus
du rang que fa naiffance pouvoit lui faire efpérer.,
On a écrit à ce fujet, qu’un prince cherchant à
Fembarraffer, lui demanda de qui il étoit fils, &
qu’il répondit de mes vertus.
, Il avoit commencé par être avocat, & s’étoit
diftigué par une éloquence mâle & perfuafive. Un
riche particulier l’ayant entendu difeourir dans les
états de Bourgogne, fut fi charmé de fes talens,
qu’il réfôlut de l’avoir pour gendre 5 il alla le
trouver, & lui demanda en quoi conliftoit fon
bien ; Favocat porta la main à fa tête 8: lui montrant
enfuite quelques livres : Voila tout mon bien ,
lui dit-il toute ma fortune. La fuite fit connoître
à ce particulier que Jeannin lui avoit montré alors
plus de richeffes que s’ il lui avoit fait voir des
coffres remplis d’or & d’argent.
Ce refpe&able citoyen vit dans Fefpacede feîze
luftres , fept de nos rois occuper fucceffivement le
trône de France. N ’ étant encore que bailli d’Au-
tun , il reçut l'ordre du roi Charles IX d’enfermer
les proteftans qui étoient dans la ville, & de les
égorger le jour de la faint Barihelemi, à une heure
qu’on lui défigna. Le bailli d’Autun fit donc arrêter
les proteftans; mais il écrivit au chancelier de
l’Hôpital qu’il attendoit une nouvelle juffion pour
faire maffacrer les prifonniers, parce que, fuivant
la loi d’un fage empereur , on devoit fufpendre
de plufieurs jours l’exécution d'un édit fangub