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A P O L O G U E .
Vapologue eft un don qui vient des immortels ;
Ou fi c’eft un préfent des hommes,
Quiconque nous l’a fait mérite Jdes autels.
Nous devons tous tant que nous fommes,
Erige*'en divinité
Le fage par qui fut ce bel art inventé.
C’eftproprement un charme;il rend l’ame attentive,
Ou p lu tô t,.. il la tient captive,
Nous attachant à des récits
Qui mènent à fon gré les coeurs & les efprits.
Voilà ce que La Fontaine nous dit d’un art où
lui-même excelloit. Lui feul a mérité le nom de
fabulifte françois.
Ce que Démofthene n’avoit point obtenu par
la force de fon éloquence, il l’obtint par un apologue.
[ Menenius Agrippa appaifa une fédition en récitant
la fable des membres & d.e l’eftomach. La
Fontaine a verfîfié ces deux apologues.
Louis XII aimait les apologues , il on fit même
qui méritent d’être cités.
La reine fon époufe lui ayant fait quelques reproches
un peu trop v ifs , il lui fit cet apologue.
A la création du monde, Dieu avoit donné
des cornes aux biches comme aux cerfs ; mais
lçs biches, fières de fe voir la tête armée, pré-
téndirent l’emporter fur les cerfs, & même leur
donner la loi. Dieu s’en fâcha; & pour punir
leur orgueil déplacé , leur, ôta l’ornement qui le
leur infpiroit. Depuis ce temps, les biches font
fans cornes : penfez-y , madame.
Le gendre de Louis X I I , devenu depuis roi de
France, fous le nom de François I , abufoit du
droit qu’il avoit à la couronne , pour emprunter
des fommes Confîdér ables, le roi croyant voir en
lui l’impatience dè régner, lui récita Y apologue
fuivant.
Un fils voyageant avec fon père, s’ennuyoit de
ne pas arriver ; il apperçut enfin la pointe d’une
tour élevée fur une montagne: nous y voilà bientôt
, s’écria-t-il avec joie, il fe trompoit. Il fallut
encore marcher long-temps , ils n’arrivèrent
même que fur là fin du jour. En entrant dans la
ville, lç père dit au jeune homme : « mon fils, ne
dites jamais que vous êtes à la ville avant d’en avoir
pafle les portes,
* Un des plus grands feigeurs de la cour , mais
qui n’avoit que médiocrement cultivé fon eforit,
fe propofa pour une place vacante à l’académie j
françoife. A le recevoir, ou à le refufer, l’embarras
étoit égal. Ce fut dans cette occafîon que
P w » ouvrit l’aftemblée par un apologue « Mef-
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» fleurs, dit-il, un ancien grec avoit une lyre
*» admirable ; il- s’y rompit une corde : au lieu
*> d en mettre une de boyau, il en voulut une
** d argent ; & la lyre, avec fa corde d’argent ,
” perdit fon harmonie«.
Un homme fans fortune avoit deux fils : il
mourut. L ’aîné fe rendit à la cour , y fut plaire,
& obtint une place auprès du prince. Le plus
^eH£,e cukiva un champ que fon père lui avoit
a V yécut travail de fes mains. Un jour
1 aîné difoit au cadet : « pourquoi n’apprends-tu
» pas à faire la cour & à plaire , tu ne ferois pas
» obligé de travailler ainfi pour vivre) Le cadet
» lui répondit : pourquoi n apprends-tu pas àtra-
« vailler comme moi, tu ne ferois pas obligé d’être
« efclave » ?
Es-tu de l’ambre, difoit un fage à un morceau
de terre odoriférante qu’il avoit ramaffé dans un
bois ? T u me charmes par ton parfum. Elle lui
répondit : je ne fuis qu’une terre vile; mais j’ai
habité long-temps avec la rofe.
Le miniftre d’un roi fut difgracié, & fe retira
dans une maifon de religieux : comme il n’avoit
, pas mérité fa difgrace , il s’ en confola aifément, il
prit même du goût pour le nouveau genre de vie
qu’il avoit embraffé. Le roi qui l aîmoit, & qui
eftimoit fes talens , fentit la perte qu’il avoit faite,
& l’ alla trouver pour le prier dereveniç à, la cour.
Mais le miniftre refufa le ro i, & lu i‘dit: « T u
» m’a vois élevé aux premières dignités , j’ ai fou-
» tenu avec fermeté T agitation des grandeurs. T u
« m’as forcé à la retraite, j’en goûte le repos ,
» laifte-m’en jouir. Se retirer du monde , c’eft
« arracher les dents aux animaux dévorans , c’eft:
« ôter au méchant l’ufagé de fon poignard , à la
« calomnie fes poifons, à l’envie fes ferpens ».
Le roi infîfta , & lui dit : « J’aurois befoin d’un
« efprit éclairé & d’un coeur droit & bon, qui
« voulût fupporter avec moi le fardeau de ma
« puiflance. Je ne puis trouver qu’en toi l’homme
« qui m’eft néceflaire. — Tu le trouveras , répondit
« le miniftre, fi tu le cherches parmi ceux qui ne
» te cherch >nt pas
U oie & le loup.
Un loup, prefie par la faim, fe jette aumiliett
d’un troupeau d’oies qui pafloient dans la campagne
; il prend la plus grafle, & l’emporte derrière
unbuiflon. Celle-ci fe plaint amèrement dq
ce que plus dodue que fes compagnes, elle va
être tfiftement dévorée, tandis que les autres ,
quoique plus maigres , feront néanmoins mangées
dans des feftins joyeux , au bruit des vielles & ati
fon des chanfons folâtres.
« S’il ne tient qu’à cela pour te confoler, lui
w répondit le loup, je vais cluater v, H la lâche
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Ibttement, & femetà heurler. L’ oie libre prend
fon v o l, & difparoît.
La mauvaife plaifanterie retombe prefque tou- :
■ ours fur fon auteur. ■
( Marie de F rance).
Le loup & le curé.
Un curé ayant apprivoifé un loup, entreprit de
lui' apprendre à lire : ça , dit-il, en lui montrant
un alphabet, répète après moi : A. — A> reprit
le loup. Bon, dit le curé , continuons : -B. —
Bée J Bée, répéta le loup , 8c croyant entendre le
bêlement des agneaux quifortoient delà bergerie,
il courut au-devant d’eux pour.tenter d’en manger
quelqu’un. . i
Ce qu’ôri a dans le coeur revient toujours à
l’entendement.
( Marie de France}.
La femme & le mari.
Un gros bénêt de payfan voulant un jour rentrer
dans fa cabane, trouva la porte fermée;, il
regarde par le trou de la ferrure, & croit voir
un homme fur fon lit. Outré de rage , il fe retire,
bien réfolu d’ en témoigner le foir fon mécontentement
à fa femme. « Qu’as-tu, lui dit-elle, en
» le voyant arriver de mauvaife humeur ? -- J’ai
as vu ce matin un homme fur mon lit. *■ - Voilà tes
» anciennes folies qui te reprennent. — Folies ! . . .
.•3» je.crois ce que j’ai vu. — Il ne faut pas fouverit
s» croire ce que l’on voit >3. Puis , le prenant par
la main , elle le conduifit à un cuvier rempli d’eau.
« Regarde, dit-elle , que vois-tu ? - Parbleu !
33 je vois une figure d’homme . . . Eh bien , re-
» plique la matoife , tu n’ es pas dans cette eau, &
» cependant tu t’y vois ; il n’eft pas furprenant
33 que tu te fois vu fur ton lit : apprends que les
« yeux mentent quelquefois 33. Le pauvre idiot
convint de fon to r t, & promit à fa femme de ne
plus cyoire ce qu’il verroit. *
( Marie de France}.
Le ferpent & le payfan.
Un ferpent qui logeoit dans le creux d’un ro-
cher où jadis on avoit dépofé un tréfor , s’étoit
lié d’amitié avec un payfan, qui, deux fois le
jour , devoit lui apporter une jatte pleine de lait.
:Cette convention remplie avec exaétitude, affu-
ioit au payfan fucceflîvement une partie du tréfor
que polfédoit le ferpent ; mais s’ il y manquoit ,
•fonami le menaçoit de l’ en faire repentir. Dès la
première fois, le payfan eut une pièce d’or en
•échange de fon lait , il la montra à fa femme, &
i l continua pendant quelque temps à tirer un. fa-
laire auffi avantageux d’une marchandife ' àflez
jpqmmune. Il^s’enrichiftbit : mais la payfanne trou-
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Voir que le profit n’alloit pas encore aftez vîte à
fon gré. Elle confeilla à fon mari de tuer le ferpent
, afin de pénétrer dans fa caverne, & de devenir
tout d’un coup poffeffeur du tréfor. Il croit
ce mauvais confeil, & , artné d’une coignée, il
va porter à fon ami le plat î de la it, & au moment
que le ferpent fort de fa roqhe, il lève le
bras pour le frapper ’; mais le reptile , aux aguets ,
éfquive le coup qui tombé fur la pierre, & qui
y fait une furieufe entaille. Le payfan, tout con-
fhs, fe retire, & le lendemain , en s’éveillant,
apperçoit fon fils étranglé dans . fon . berceau , &
trouve toutes fes brebis mortes dans leur étable.
Défefpéré, il fe prend à fà femme, dont le dé-
teftable avis a caufé fon malheur. Pour l’adouc
ir , elle lui confeille d’ aller s’humilier dèvant '
fon. ancien ami le ferpent, & lui demander grâce.
Il y v a , fe profterne à genoux, lui préfente du
lait, & implore fa miféricorde. « C ’en eft fa it,
33 lui dit le reptile , il ne peut plus y avoir d’union
« entre nous. Ce que nous pourrions faire tous
33 deux pour nous procurer le retour de notre ami-
33 tié , feroit fufpeéfc à l’un & à l’autre. Lorlque tu
» jetteras les yeux fur le berceau de ton .fils , tu
« me maudiras ; & ma haine pour toi prendra de
33 nouvelles forces toutes les fois que je verrai ici
33' l’empreinte de ta coignée. Je puis oublier ton
>3 crime ; mais je ne puis plus faire fociété avec
»3 toi >3;
On peut oublier les maux que nous ont fait
les méchans ; mais il ne faut pas fe . mettre dans le
cas d’en éprouver de nouvelles trahifons.
( Marie'de France}.
APOPHTEGME. L'apophtegme eft une fen-
tence courte, énergique, inftruétive d’un homme
illuftre.
Sadi. . . . 3 vx demandes fi la fourmi, qui eft
fous tes pieds, a droit de fe plaindre ? oui, ou
tu n’as pas le droit de te plaindre lorfque tu es
écrafé par l’ éléphant.
. Les agrémens font les vertus des cours, & prefque
des vices dans des fages.
Il y a des expiations pour les facrilèges qui
ont violé leurs voeux; mais qu’y a-t-il, qui puiffe
expier une offenfe faite à l’amitié ?
Le diamant tombé dans un fumier , n’ en eft pas
moins précieux , & la poufllère que le vent éleye
jufqu’au ciel n’en eft pas moins vile.
Croirè qu’ un foible ennemi ne peut pas nuire ,
c’eft croire qu’une étincelle ne peut pas câufer un
.incendie.
Diogène. — La pudeur eft le coloris de la vertu»
Il fuffit de voix les courtifans en particulier pou£
les haïr»