
diteur attentif qu’ à la caufe, & point du tout à
l'orateur > que jamais il ne lui échappé uneNexpref-
•fion , un tour, une penfée qui n’ait pour but fim-
plement que de plaire & de briller- Cette retenue,
cette fobriété dans un auffi beau génie qu’étoit
Démofthénes, dans des matières fi fufceptibles de
graeès & d élégance, met le comble à fon mérite,
& eft au-defifus de toutes les louanges».
Un des rivaux de Démofthénes, pour lui marquer
que fes dffcours étoient travaillés avec trop
de foin, lui dit un jour, quils fentoient Vhui le,
« On voit bien , lui répliqua cet orateur , que les
» vôtres ne vous ont pas mis en dépenfe ».
Quelqu'un l'interrogea à trois differentes re-
prifes fur la qualité qu’il jugeoit la plus néceffaire
à l’orateur: il ne dit autre chofë, finon que
e’étoit la déclamation $ voulant iofinuerpar cette
réponfe répétée jufqu’à trois fois, que cette qualité
étoit celle dont le défaut pouvoit le moins fe
couvrir, & celle qui étoit là plus capable de
fuppléer aux autres. '
Un Athénien qui étoit venu trouver Démofthénes
pour qu’il prît en main fa défenfe contre
un homme qui l’avoit maltraité, lui faifoit tranquillement
le récit des injures qu’il en avoit reçues
: mais Démofthénes fe contenta de répondre,
q r iil rien étoit rien. Comment, s’écria cet homme
•avec colère, je ri ai point été' maltraité? Oh présentement
y répliqua Démofikenes, j ’entends la voix
d'un homme qui a été véritablement infulté. Cet
orateur étoit perfuadé que le ton & le gefte de
celui qui parle font nécelfaires pour rendre croyable
tout ce qu’il dit.
Quel orateur pofféda à un plus haut degré
cette partie importante de l’art oratoire ! Lé. feu
de fcs yeux , l’aérion de fon vifage, la véhémence
de fes geftes étoient comme un poids qui acca-
bloit fes adverfaires; & Efchine, fon rival, l’éprouva
plus d’une fois. Cet orateur s’étoit oppofé
à ce que les Athéniens décernafient une couronne
d’or à Démofthénes , qui s’en étoit rendu digne par
les fervices les plus fignalés. Mais dans le procès
qu’ il intenta en conféquence, il fut foudroyé par
l’éloquence toujours viétorieufe de fon célèbre
antagonifte , & envoyé en exil à Rhodes. Ayant
un jour prononcé aux rhodiens fa harangue contre
Démofthénes , il reçut les applaudiffemens qu’elle
méritoit ; mais Iorfqu’ à leur prière il leur récita
la réponfe de Démofikenes , il fut interrompu par
de fréquentes acclamations ^ & ne put s’empêcher
de dire : Eh ! que feroit-ce donc f i vous Ventendiez
lui-même ?
Efchine , en partant "po'ur fon exil, fe trou- I
voit fans argent & fans aucun fecours $ fon vainqueur
l’apprend, vole à lui la bourfe à la main, i
& met tant de nobleffe dans fes offres , qu’il
l’oblige à les accepter. Efchine, frappé de cette
grandeur d’ame , s’écria.alors : « Comment ne re-
» gretterois-je pas une patrie où je laiffe un ,en-
» nemi fi généreux , que je défefpète de rencon-
» trer ailleurs des amis qui lui reffemblent ! »
Longin, dans fon traité du fublime, donne les
plus grandes louanges à Démofthénes, & cite
comme un des morceaux les plus fublimes cet endroit
où l’orateur athénien, dans fa harangue pour
la couronne, veut juftifier fa conduite, & prouver
aux athéniens qu’ils n’ont point fait une
faute en fuivant le confeil qu’il leur avoit donné
de livrer bataille à Philippe : il ne fe contente pas
d’apporter froidement l’exemple des grands
hommes qui ont combattu pour la même caufe
dans les plaines de Marathon , à Salamine & devant
Platée. Il en ufe bien d’une autre forte ,
dit Longin, & tout d’un coup, comme s’ il étoit
infpiré d’un Dieu & poffédé de l’efprit d’Apollon
même, il s’écrie en jurant par ces vaillans
défenfeurs de la grâce :« N o n , meilleurs5, non,
» vous n’avez point failli ; j’en jure par ces grands
» hommes qui ont combattu fur terre à Marà-
» thon & à Platée, fur mer devant Salamine &
» Arthemife j & tant d’ autres qui tous ont reçu
» de la république les mêmes honneurs de la
» fépulture, & non ceux là feulement qui ont
» réufli & rejnporté la vi&oire. » Ne diroit-on
pas, ajoute Longin , qu’en changeant l’air naturel
de la preuve en cette grande & pathétique
manière d’affirmer par des fermens extraordinaires,
il déifie, en quelque forte , ees anciens
citoyens, & fait regarder tous ceux qui meurent
de la forte comme autant de Dieux, par le nom
dèfquels on1 doit jurer ? '
Philippe & Alexandre trouvèrent dans Démofthénes
un ennemi plus redoutable lui feul que
toutes les forces de la Grèce. Sans cet orateur,
difoit Antipater, un des fucceffeurs d’Alexandre,
nous aurions pris Athènes avec plus de facilité
que nous ne nous fommes empares de Thèbes &
de la Béotie ; lui feul fait la garde fur les remparts,
tandis que fes citoyens dorment. S’il avoit
en fa difpofition les troupes, les vaiffeaux, les
finances des grecs , que n’auroit pas à craindre
notre Macédoine, puifque, par une feule harangue,
il foulève toute la Grèce contre nous, &
fait fortir des armées de terre. C e prince, victorieux
des grecs, impofa pour une des conditions de
la paix qu’on lui dejnandoit, que Démofthénes lui
feroit livré entre les mains. Mais cet orateur, à
l’approche des foldats envoyés pour le prendre,
termina fes jours;par le poifon qu’ il portoit toujours
fur lui, & cet homme qui ne pouvoit è'n-
vifager la mort fur un champ de bataille , l’appela
tranquillement à fon fecours. Les athéniens
lui firent ériger une itatuede bronze, & ordon-i
nètent, par un décret, que d’âgaen âge 1 «ne de
fa famille lërôit nouiri dans le Prytanée. Au bas
de fa ftatue étoit gravée cette infcrjption : Démofthénes
} f i la force avoit égalé en toi le genie & le -
loquence y jamais Mars le macédonien n auroit
triomphé de la Grèce,
DEN YS tyran de Syracufe, furnommé l’ancien,
mort l’an 388 avant J. C . , âgé de 63
ans, après en avoir régné 38.
Denys, d’une naiffance obfcure, s’éleva en
peu de temps, de l'état de fimple greffier, à une domination
defpotique. C et ambitieux n épargna
aucun crime pour parvenir à fes fins , & fit
voir la vérité de cet adage du fage Bias, que-
de toutes les bêtes fauvages, un tyran eft la
plus farouche & la plus fanguinaire.
Un certain Martias fongea qu’il coupoit la
gorge à Denys i celui-ci le fit mourir, difant
qu’il n’y auroit pas fongé la nuit , s’il n’y eût
fongé le jour.
Une parole échapée à fon barbie*, qui fe
vanta en plaifantant, de porter toutes les fe-
maines le rafoir à la gorge du tyran, lui coûta
également la vie.
Denys pour ne plus abandonner fa tête à un
barbier, avoit appris à fes filles, encore très-
jeunes, à lui rendre le même fervice. Son lit.
étoit environné d’un foffé très - long & très-
profond, avec une efpèce de pont-levis, qui
entouroit & fermoit le paffage. Son frère &
fon fils même n’entroient point dans fa chambre
fans avoir changé d’habits , & fans avoir été
vifités par les gardes.
Un jour que fon frère , en lui faifant la description
d’un terrain, prit la hallebarde d’un
des gardes qui étoient préfens pour en tracer
le plan fur la tabîe, Denys entra dans une fu-
rjeufe colère, & tua le garde qui avoit donné
fa hallebarde fi facilement.
Lorfqu’il étoit obligé de haranguer le peuple,
il ne le faifoit que du haut d'une tour, &
croyoit fe rendre invulnérable en fe rendant
inacceflible : il ne fortoit jamais qu’il ne portât
fous fa robe une cuîraffe d’airain. N ’ofant
fè fier pour fa garde à fes propres Sujets, il
vivoit au milieu des efclaves étrangers , èd il ne
goûta jamais la douceur d’aimer & d’être aimé,
ni même les charmes d’une confiance réciproque.
Qui voudroit à ce prix acheter une couronne !
de Denys : » Donnez-moi, lui d it - il, un ta-
» len t, & on-croira en effet que j’ai un'fecret,,
» & qu’ il eft bon ». Denys s’écria d’un ton
perfuadé ; l'avis eft ' important, 8c récompenfa
généreufement cet homme.
Il fit enlever de tous les temples, les richeffcs, ’
les tables d’argent ; & comme otj y avoit infcrit,
fuivant l’ ancien ufage de la Grèce, aùx bons'
Dieux, il vouloit, difoit-il, profiter de leur
bonté.
I l envoya plufieurs de fes poèmes à Olym-
pie, ville de Grèce, pour y difputer le prix.
Ils furent lus & fifflës. Les Athéniens fe montrèrent
plus cômplaifàns ; ,ils lui adjugèrent le
prix de la tragédie. Il fut d’autant plus glorieux
de cet honneur, qu’ il le méritoit moins ; il en
rendit aux Dieux de folemnelles allions de
grâces par les plus fomptueux facrifices, traita
magnifiquement tous fes favoris j & les excès
! auxquels il s’abandonna lui - même, contre fa,
coutume, lui causèrent une indigeftion dont il
mourut. Un oracle avoit prédit qu’il mourroit
d’une viâoire qu’il remporteroit fur fes adVer-
faires qui valoieiit mieux que lui. Il revenoit
de faire la guerre aux Carthaginois, beaucoup.
' plus puilfans que lui * & croyoit que c ’étoit
là l’accomplifiTement de l’Oracle : mais il auroit
dû plutôt en faire l’application aux circonf-
tances préfentes. En effet, quoique mauvais
poète, il vainquit, par le jugement des A thé ^
riiens, des concurrëns qui lui étoient bien fu-
périeurs dans le talent de la poéfie..
Denys j informé qu'une vieille femme prioit
les Dieux de prolonger la vie à fon (ouverain,
l’intérogea fur les motifs qui l’engageoient à s’in-
téreffer ainfi à fa confêrvation : c’eft, dit cette
femme, qu'ayant été gouvernée par un méchant
prince, dont je fouhaitois la mort, & qui périt;
& voyant que fon fucceffeur èft un tyran plus
abominable, je crains qu'il ne foit remplacé par'
un monftre encore pire que toi.
’ DENIS ( le, j'eune ) , fucceffeur & fils du
précédent, mort vers1 l’an 330 avant J. C Son
père lui reprocha un jour la violence qu’il avoir
faîte à une dame de Syracufe, lui demandant
s’il avoit jamais entendu dire que dans fa jeu-
neffe il eût commis dé telles aérions : C e ft,
lui répondit le jeune Denys , que vous riétieç
pas né fils de roi. — » Et toi, tu n’en feras
» jamais père ».
Il fut chaffé de Syracufe, & réduit à tenir
une école à Corinthe.
Un homme vint l’avertir publiquement qu’il
favoit un moyen infaillible pour découvrir les
çonfpirations les plus cachées > & s’approchant
Etant interrogé » pourquoi il n’àvoît pas ,fû
» fe maintenir fur le trône de fon père ? Ne
$ vous en étonnez pas, répondit Denys, cas
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