
Pour fe foumettre l'opinion des hommes, il
commença par s'en rendre indépendant. Comme
il voyoit que la pourpre d'une couleur vive 8c
éclatante etoit à la mode , il la choififfoit fom-
bre 8c Foncée. Souvent après fon dîner il for-
toit en public nuds - pieds , 8c en fimple tunique.
C et homme fi extraordinaire fe réjouiffoit lorf-
qu'il fe trouvoit des citoyens plus capables que
lui de remplir les charges de la république , qui
étoient vacantes j 8c il ne follicita vivement celle
de tribun du peuple 3 que pour en éloigner un
certain Métellus dont la liberté romaine avoit
tout à craindre.
Il fe comporta avec tant d’intégrité dans fes
différentes magiftratures., que fon nom étoit en
quelque forte cité comme celui de la vertu même.
«Un avocat plaidant une affaire où l’on né produisit
qu'un témoin 3 dit aux juges qu'un feul témoin,
quand ce feroit Caton, ne fuffifoitpas pour
affeoir un jugement.
Il étoit même paffé en proverbe de dire d'un
Fait trop peu vraifemblable : « Çe Fait n'eft pas
» croyable , quand même ce feroit Caton qui
» l'auroit dit ».
Un fénateur dont la vie voluptueufe 8c déréglée
étoit connue, faifant en plein fénat l'éloge
de la fimplicité 8c de la tempérance , un autre
fénateur l’apoftropha : « O toi qui parle
» comme Caton3 ne vis donc point comme Lu-
» cüllus ».
Caton renfermant dans fon fein la liberté éxilée
de l'Italie entière, fe retira dans la petite ville
d'Utique. Il exhorta les fénateurs à imiter fon
courage 8c à fe défendre contre l'ufurpateur ;
mais ne trouvant que des hommes intimidés
par l'approche de Céfar victorieux, il eut l'humanité
de pourvoir à leur sûreté dans leur fuite
j il procura de l'argent à ceux qui pouvoient
en manquer, 8c fournit des vaifFeaux aux autres.
Lorfqu'il eut donné par-tout fes ordres, ne voyant
.plus d'efpérance de fauver les loix 8c la liberté,
il fongea à-quitter, une vie qui leur étoit inutile.
On le preffoit de confulter l'oracle de Jupiter Ham-
mon: « Laiffez, répondit-il, les oracles aux fem-
» mes, aux lâches 8c aux ignorans.L'homme de
a» courage, indépendant des dieux, fait vivre &
» mourir lui - même. Il fe préfente également à fa
» deftinée, foit qu'il la connoiffe, ou qu'il l'i-
» gnore- ».
L'inflexibilité de fon caraCtère l’avoit empêché
d’être admis au confulat. Le jour qu'il fut re-
jetté, il pafTa ce jour de deuil pour les candidats,
a jouer à la longue paume dans le champ de Mars ,
& à fe promener-d'un air ferein dans la place
publique j 8c la veille du jour qu'il choifit pour
fe donner la mort, iLaffembla fes amis & foupa
fort gaiement avec eux. Il pafTa une partie de
la nuit à lire le dialogue de Platon fur l'immor-
talité de l ’ame, 8c s-'endormit quelque tems après»
Le matin s'étant éveillé, il envoya un de fes
ferviteurs vers le port pour favoir fi tout le
monde étoit embarqué. Lorsqu'on lui eut rendu
réponfe, il jetta de profonds foupirs fur le fort
de ceux q u i, dans de pareilles circonftances ,
étoient obligés de fe mettre en mer. 11 fit en-
fuite fermer la porte de fa chambre , & fe trouvant
feul, il prit fon épée & s’en donna un coup
au-deffous de l'eftomac. Ail bruit qu'il fit en tombant,
fon fils & fes amis inquiets enfoncèrent'
la porte 8c le trouvèrent nageant dans fon fang,
On panfa la plaie qui n'étoit pas mortelle. Caton
fouffrit ces foins , mais c'étoit pour avoir
le loifir d'affronter la mort de plus près 8c de
la colleter, fuivant l’exprefliori de Montagne j
car cette plaie ne fut pas plutôt panfée qu'il y
porta les mains , la rouvrit, déchira fes entrailles
palpitantes, 8c expira.
Lorfque Céfar apprit cette mort, il s'écria :
O Caton3 je vous envie la gloire de votre mort,
car vous m'avez envié celle de vous fauver la
vie. Mais ce langage étoit-il bien fincère ?
^ Céfar lui reprochoit dans fon Anti - Caton ,
d aimer le vin , 8c de s'être livré à ce goût juf-
qu à faire excès. Nous ne dirons point avec Sénèque,
qu'il eft plus aifé ^ croire l'ivrognerie
honnête que Caton vicieux ; mais nous croyons
que l'on peut ré cufer le témoignage de Cefar,
l'ennemi de Caton , 8c qui fouffroit impatiemment
de voir la cenfure de fes.moeurs 8c de fes avions,,
dans la conduite auftère de ce vertueux citoyen.
Céfar lui a aufli reproché de n'avoir exilé fa femme
, Martia Hortenfia, que par un motif d'intérêt.
Mais , c'eft, dit Plutarque, un reproche ab-
furd ejcar, s'écrie cet hiftorien, quel reproche
plus abfiude , ô grand Hercule , que de t'accufër •
de lâcheté ?
C A TU L LE . Ce poète latin étoit né à Veronne,
86 ans avant Jéfus-Chrift. Son efprit le fit rechercher
des perfonnages les plus illüftres de
fon tems. Jules-Céfar fe vengea bien noblement
de quelques épigrammes que Catulle avoit com-
pofées contre lui. Le prince invita le poète à
fouper, 8c le combla de careffes. Les épigrammes
de Catulle' font écrites dans un ftyle très-
pur j mais il n'en eft pas de même des penfées
qu'elles renferment j ce qui a donné lieu à ce
mot : « Qui écrit comme Catulle 3 vit rarement
» comme Caton ».
C e poète mourut j7 ans avant Jéfus - Chrift.
C A U T IO N . La naiffance du fils ainé d'un
monarque, dont les états ou la couronne font hé-„
réditaires, infpire toujours une joie ' univerfelle :
«lie refferre les liens du fouverain 8c des fujets î
elle affermit la çouronne fur la tête du monarque
j elle donne plus de folidité aux obligations
qu'il contrarie : aufli lors de la naiffance de mon-
feigneur le dauphin , Louis X IV , ayant dit^ à
M. Pelletier Desforts , contrôleur-général, qu’il
falloit chercher de l'argent pour fournir aux ré
jouiffances ; ce miniftre lui répondit : « Sire |
»» vous en trouverez facilement j la reine vient
» de vous donner une bonne caution ».
C A Y L U S , ( Anne - Claude - Philippe comte
fie ) né à Paris , le 5 1 octobre 1692, mort dans
la même ville, le ƒ feptembre 176$.
Le comte de Caylus naquit avec le goût des
arts. Perfonne du moins ne montra étant jeune,
un defir plus v if de contribuer à leurs progrès,"
une application plus fuivie à l'étude 8c à là recherche
des monuments hiftoriques. Il étoit le
correfpondant des favans étrangers, le confeil
8c le protecteur des artiftes. Lui-même a gravé,
8c s’eft formé un oeuvre qui , pour le nombre
des morceaux, égale celui du graveur le plus fécond
8c le plus laborieux. U n e . fimplicité de
caraCtère qui paffoit julques dans fon extérieur ,
le faifoit aifément diftinguer dans la fociété. Sa
politeffe n'étoit ni recherchée ni étudiée, elle
étoit vraie 8c rien de plus. Il avoit un coeur
excellent} 8c fouvent on l'a vu fe déclarer hautement
pour fes amis dans la difgrace.
Le comte de Caylus étant jeune embrgffa l’état
militaire , 8c s’y diftingua j mais un voyage
qu’il fit en Italie, développa en lui fon goût
naturel pour les arts, 8c lui fit bientôt abandonner
le tumulte des armes, pour aller interroger
dans lé filence des campagnes, les monumens
épars de l’ antiquité. Vers l'an' 1715-, il paffa
dans le Levant, à /la fuite de l’ambaffadeur de
France à la Porte Ottomane. Arrivé à Smyrne ,
il voulut profiter d’ un délai de quelques jours,
poùr vifiter les ruines d’Ephèfe > qui n’en font
éloignées que d’environ une journée. La campagne
étoit alors infeftée par une troupe de brigands
, à la tête defquels étoit le redoutable
Caracayali : il étoit dangereux de fréquenter les
chemins. Mais le comte de Caylus qui defîroit
toujours puiffamment ce qui pouvoit contribuer à
fes études, s’avifa d’un fingulier expédient, qui
lui réuflit. Vêtu d’une fimple toile de voile ,
ne portant fur lui -rien qui pût tenter le voleur
le plus avide ,11 fe mit fous la conduite de deux
brigands de la bande de Caracayali venus à
Smyrne, 8c convint avec eux d'une certaine
fomme, à condition néanmoins qu’ils ne toucheraient
l'argent qu'au retour. Gomme ils n’avoiént
d’intérêt qu’à le conferver , jamais il n’y eut de
guides plus fidèles. Ils le conduifirent avec fon
înterpête vers leur chef , dont il reçut l'accueil
le plus gracieux. Caracayali inftruit fie fon voyage
', voulût fervir fa curioftté ; il l'avertit qu'il y
avoit dans le voifinage des ruines dignes d'être
connues j. 8c pour l'y tranfporter avec plus de
célérité , il liii fit donner deux chevaux arabes,
de ceux qu'on appelle chevaux de race , eftimés
les meilleurs coureurs. Le comte fe trouva bientôt
comme par enchantement fur tes ruines indiquées;,
c'étoient celles' de-Colophon. Il y admira
les reftes. d'un théâtre, donc les fièges ,
pris dans la maffe d'une colline qui regarde la
mer joignoit antrefois au plaifir au fpeCtacle,
celui de l ’alpeCt le plus riant 8c le plus varié..
Il retourna paffer la nuit dans le fort qui fervoit
de retraite a Caracayali , 8c le lendemain il fe
trapfporta fur le terrein qu'occupoit ancienne-
ii)ént la ville d'Ephèfe.
Après un.féjour de plufîeurs mois dans les
différentes contrées du Levant , cet amateur
zélé revint dans le fein de fa patrie , faire jouir
fes concitoyens du fruit de fes Voyages, 8c de
l'utilité de fes recherchés. En 17 3 1 , il fut reçu
dans l'académie royale de peinture 8c de fculp-
ture en qualité d'honoraire amateur. Quel citoyen
mérita mieux ce titre 1 II encourageoit les artif
tes , il les aidoit par fes bienfaits , il les eclairoit
par fes propres recherches. Nous avons du comte
de Caylus une vie des plus célèbres peintres &
fculpteurs de l'académie. Il a aufli publié une
fuite de fujets de tableaux qu’il avoit recueillis
dans la leCtute d'Homère , 8e des anciens auteurs.
Indépendamment des préfens dont il gra-
tifioit l’académie de peinture 8c de fculpture ,
il y a fondé un prix annuel pour celui des élèves
qui , dans un concours , réuflira le mieux à
defliner ou à modeler une tête d'après nature,
8c à rendre avec vérité les traits caraCtériftiques
d'uné paflion donnée.
Un heureux hafard lui procura le moyen de
rappeller à nos yeux la compofition 8c le coloris
des tableaux de l'ancienne Rome. Les deffeins
coloriés qu'avoit faits à Rome, le célèbre Pierre-
Santo-Barthoff, d’après fies peintures antiques,
lui tombèrent entre les mains. Il les fit graver >
8c avant que d’en enrichir le cabinet des eftam-
pes du roi, il en fit faire à fes dépens une édition,
à la perfection de laquelle fe prêta l'intelligence
éclairée 8c fcrupuleufe de M. Mariette.
C'eft peut-être le livre d’antiquités le plus fingulier
qui paroîtta jamais. Toutes les pièces en
font peintes avec une précifion 8c une pureté
que rien n'égale. Les exemplaires qui ont été
donnés au public ,. fe réduifent à trente.
Quoiqu’en 1742 le comte de Caylus eût recherché
une place d’académicien honoraire dans l'académie
des inferiptions 8c belles-lettres, il s'occupa toujours
également des arts. Toutes les favantes differ-
tations dont il a enrichi le recueil de cette académie,
ont leur progrès 8c leur perfection pour objet. Mais
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