
Sf6 S U Z
mégarde de mettre le foulîer droit au pied gauche*
& le foulier gauche au pied droit.
Dans le royaume de Loango, on regarderoit
comme le préfage le plus funefte pour ie roi, fi
quelqu’un le voyoit boire ou maager s ainfi, il
eft abfolument feul & fans aucun domeftique,
quand il prend fes repas. Les voyageurs, en parlant
de cette fuperfiition, rapportent un trait bien
barbare d’un roi de Loango. Un de fes fils, âgé
de huit ou neuf ans, étant entré imprudemment
dans la falle où il mangeoit 8c dans le moment qu’il
buvoit, il fe leva de table, appella le grand-prêtre
qui faifit cet enfant, le fit égorger, 8c frotta
de fon fang les bras du père, pour détourner les
malheurs dont ce préfage fembloit le menacer. Un
autre rot de Loango fit affommer un chien qu’ il
aimoit beaucoup, & qui, l’ayant un jour fuivi,
avoit affidé à fon dîner.
S U Z E , (Henriette de Coligny, comteîfe de
la ) née à Paris en 1618, morte en 1673.
Madame de La Su^e avoit les charmes de fon
{exe , elle en avoit aufii les foiblefies. Elle cultiva
la poéfie : elle excella fur-tout dans l’élégie. L ’ef-
prit y prend par-tout le ton 8c la tournure du fen-
timent le plus délicat. Cette moderne Sapho devint
les délices des beaux efprits de fon temps qui
en firent le fujet de leurs éloges.
N u l d’ e n t r e le s m o r t e l s n e l a p e u t é g a le r ;
L e m a ît r e d e s n e u f foe u r s n e f e r o i t p o in t fo n .m a ître ]
P o u r fa i r e d e s c a p t i f s , e l l e n ’a qu’à p a r o î t r e ,
E t p o u r fa i r e d e s v e r s , e l l e n ’ a qu ’ à p a r le r .
On a fur-tout retenu ce quatrain que M. de
Fieubet, fecrétaire des commandemens de la
reine, fit à l’occafion d’un tableau qui repréfen-
toit cette charmante comteife portée fur un char
au milieu des airs..
Q u i Dea fublimi rapitur per inania curru ?
An Juno ; an Pallas, num Venus ipfa venzt ?
S i genus infpicias , Juno S f i fcripta , MJnerva ;
S i fpe&es oculos , mater amaris erit.
En voici la tradu&ion, ou plutôt la paraphrafe :
Q u e l le d é e ftè a in fi v e r s n o u s d e fc e n d d e s c ie u x ?
B f t - c e V é n u s , F a l l a s , o u l a r e in e d e s d ie u x ?
T o u t e s t r o i s en v é r i t é :
C ’e f t J u n o n p a r fa n a i f fa n c e ,
M in e r v e p a r fa i c i e n c e ,
E t V é n u s p a r fa b e a u té .
On * rapporté dans le Mcnagiana+xzitt plaifans
V I
terie de fociété. Ménage fe trouvant lin jour avec
la comteîfe de la Suze, s’étoit donné la liberté de
lui prendre les mains. La comteîfe les retira en lui
difant ce vers dé Scarron :
L e s p a t in e u r s fo n t g e n s in fijp p o r ta b le s .
Ménage répondit aufiî-tôt par' le vers qui fuit dans
le même poète :
M êm e a u x b e a u té s q u i fo n t t r è s -p a t in a b le s .
La jaloufie de M. de la Su%eK contre fa femme,
lui fit prendre la réfolution de l’emmener dans une
de fes terres ; on prétend que la comteîfe, pour
éviter de l’y fuivre, abjura la religion proteliante
qu’elle profelfoit comme fon mari ; ce qui donna
occafion à ce bon mot de la reine de Suède, que
madame de la Su^e s’étoit faite catholique, pour
ne voir fon mari ni en ce monde ni en l’autre.
La défunion augmenta entre eux, ou par le
changement de religion , ou par la jaloufie
continuelle du comte j ce qui infpira à la comtelTe
le deffein de fe démarier, en quoi elle réuffit,
ayant offert à fon mari vingt-cinq mille écus pour
n’ y pas mettre d’oppolition î ce qu’il accepta. Le
mariage fut ainfi calfé par arrêt du parlement. On
dit encore un bon mot à ce fujet , favoir, que la
comteîfe avoit perdu cinquante mille écus dans
cette affaire, parce que, fi elle avoit attendu encore
quelque temps, au lieu de donner vingt-cinq
mille écus, elle les auroit reçus de fon mari pour
fe défairt d’elle.
SW IF T y ( Jonatham ) , écrivain , né en
1667 , mort en 1745.
Swift y furnommé le Rabelais d’Angleterre,
n’avoit pas tant de paîté que notre curé deMeudon,
mais on a trouve en lui plus de force , plus de
génie. Il polfédoit fur-tout ce genre de plaifanterie
qui paroît encore tenir moins à l’ efprit qu’au ca*
raétère, 8c que les Anglois appellent humour.
Le comte d’Orréri, qui a beaucoup vécu avec
Swift, le dépeint comme un homme, qui favoit
bien ce qu’il valoit} mais Swift avoit attention,
fans doute, de ne pas laifier appercevoir ce fen-
riment d’amour-propre dans fa converfation : autrement
, qui auroit pu foutenir fa fociété ? Ses
entretiens rouloient principalement fur la politique
qu’il étudia par goû t, il les affaifonnoit, ainfi
que de fes écrits , de traits cauftiques 8e piquants.
Il eut de l’ambition, & les obftacles que l’on op-
pofa à fon avancement, allumèrent fouvent fa bile
facile à irriter. Confiant d’ailleurs, & fincère
dans fes amitiés, il étoit fans nul déguifement dans
fes inimitiés. Son humeur bizarre, fes emporte-
mens outrés, fon defpotifme envers ceux qui
étoienf obligés de vivre avec lui, le firent fouvent
regarder comme un homme fâcheux & infuppor*
table. Il ne paroilfoit d’une bonne fociété qu’avec
s w 1
fes amVparticuliers j encore ne fe Iivroit-il qu’à
de certaines heures.
L’orgueil avoit mis Swift au-delfus de l’envie î
ou lui a cependant rendu cette juftice » qu’il ren-
doit hommage au mérite par-tout où il le rencon-
troit i 8e jamais il n’étoit fi content que loifqu’il
avoit pu le tirer de l’obfcurité. Il fe faifoit même
un point d’honneur de le faire paroître au grand
jour, dans l ’afpeét le plus avantageux. On en cite
un exemple. Le doyen conduifit un jour le docteur
Parnell, célèbre poète Anglois, à l’audience
du comte d’Oxford, grand tréforier & premier
jninillre : mais au lieu de préfenter le poète au
premier miniftre ,il conduifit celui-ci, fa baguette
de grand tréforier à la main , chercher Parnell
dans la foule qui étoit à fon lever, 8c lui demander
foh amitié de la manière la plus polie 8c la
plus obligeante. Le doyen s'applaudit d’avoir fou-
tenu ainfi l’honneur des talens ; perfuadé , difoit-
il, que le génie eft fupérieur au rang & à la dignité.
Swift ignotoif la mufîque ; on rapporte néanmoins
qu’il avoit alfez d’oreille pour faifir 8e rendre
en ridicule les airs les plus difficiles. Un vir-
tuofe, nommé Rojfengrave, étoit nouvellement
venu d’Italie. A la prière de quelques amateurs, il
avoit joué le matin,- dans un endroit public, un
morceau de caprice qu’on avoit écouté avec admiration.
Quelqu’un à qui on en parloit le foir ,
témoigna du regret de ne s’ y être pas trouvé.
Vous allez l'entendre tout-a-£ heure , s’écria le docteur
j 8c fur le champ il fe mit à chanter avec une
imitation fi vraie & fi bouffonne , que la compagnie
éclata de rire. Un feul des auditeurs, homme
d’un certain âge , garda toujours fon férieux. On
en fut fi furpris , qu’on lui en demanda la raifon :
c'efi , répondit il gravement, que je l'ai entendu
jouer ’ ce matin à M. Rofiengrave lui-même. Cette
réponfe ftoïque dut, comme on le penfe bien *
piquer Swift, dont le plaifir étoit, non pas de
rire lui-même , mais de faire rire les autres.
Il avoit fur la converfation des principes qui,
quoique raisonnables en eux-mêmes , pourroîent
paroître finguliers par fa manière peu commune
de ies préfenter. La converfation ^difoit-il, eft un
capital y où chacun a la part comme dans tout
autre commerce qui fe fait en commun, 8c comme
dans les mets que l’on fert à toute une compagnie.-
Je ne parle jamais plus d’une minute de. fuite ,
quand j’ ai fini, J ’attends aù moins une autre minute
, que quelqu’un prenne la parole j mais fi per-
fonne ne relève la converfation, je fuis alors en
droit de recommencer.
Sa façon de voyager, tenoit de la fingularité de
fon caradtère. Il fe fervoit ordinairement de voitures
publiques, mais plus fouvent il alloit à pied,
S V , I 887
8c il logeoit dans les plus minces auberges avec les
valets, les voituriers 8c les gens du menu peuple,
■ il prenoic plaifir à converfer avec ces fortes de-
gens ; 8c l’cfpèce d’habicude qu'il contracta avec,
eux, l’accoutuma faas doute aux.expreffions fales,
groffières & indécentes ,,qui font femées dans tous
,les écrits.
Il avoit époufé en 1716 une demoifelle nommée
Jonshon, fille de l’intendant du chevalier
Temple. Il l’a célébré dans fes ouvrages, fous le
nom de Stella. Quoique cette demoifelle joignît à.
tous les avantages de la figure, les dons de l'efprit
8c les qualités du coeur , elle ne put jamais obtenir
de fon bifarre époux , qu’il l'a reconnût publiquement
pour fa femme > ce qui étoit encore plus
cruel pour cette jeune perfonne naturellement
vertüeufe, c’ert quelle étoit obligée de fe fou-,
mettre à toutes les apparences du vice aux yeux
des perfonnes qui ignoroient fon état. Elle mourut
vers la fin de 17 2 7 , vidtime du fot orgueil de
Swift, qui ne ceffa de la pleurer, morte, après
avoir rougi d’elle pendant fa vie.
Quand on examine la conduite du dodleur
Sw ift, dit milord d’Orreri, on s’apperçoit qu’il a
regardé les femmes, plutôt comme des bulles,
que comme des figures entières. Cependant cet
homme fi difficile avoit ufurpé une forte d’empire
fur le beau fexe. Sa maifon étoit dev. nue une académie
de femmes qui l’écoutoient du matin jusqu’au
foir, avec une patience & une affiduitc
fans exemple , & qu’elles n’auroient pas eu pour
l’amant le plus redouté, fût ce le grand-feigneur.
Le public eft redevable aux dames, de la publiai-,
tion de la plupart de fes vers. Sans elles ils n’auroient
jamais vu le jour. Auffitôt qu’il avoit achevé quelque
pièce, il la communiquoit à fon fénat femelle
qui décidoit fur le champ, 8c en prenoit copie.
Swift y naturellement fédentaire, travailioit beaucoup,
8c aucune de fes. aréopagiftes n’ofoit l’interrompre.
Il les congédioit fans façon , lorfqu’il
ne vouloit pas tenir alfemblée.
Miladi Calwrigt, femme du vice-roi d'Irlande,
dit au dodleur Swift, avouez que l’air de ce pays-
ci eft bon ». Swift fe jetta à fes genoux , en s’écriant
: de grâce, ne dites pas cela en Angleterre,
ou bien ils y mettront un impôt.
Un jeune procureur fe trouvant en compagnie
avec le dodleur Sw ift, voulut faire parade de
fon efprit, & demanda d’un air fuffifant au doyen
de Saint-Patrice : » Monfieur, fi le clergé 8c le
Diable avoient un procès enfemble, qui des deux
auroit l’avantage? Le Diable indubitablement,
répondit Swift, parce qu’ il s’ell alluré de tous les
gens de robe ».
On a coutume en Angleterre, de nommer douae