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à Marly, & fi quelque affaire l*en empêchok.
Aucune , fire, répondit le maréchal ; mais la cour
eft trés-nombreufe , & j ‘en ufe ainfi pour laijfer aux
autres la liberté de vous faire leur cour. Voila bien
de la considération , répondit le roi ! -
La fimplicité de l’extérieur de M. de Catinat 3
fut regardée par fes envieux , comme l’effet d’un
orgueil délicat. Cet habit de drap uni, dont le maréchal
eft toujours vêtu, eft pour lui-, difoient-ils ,
la manière la plus fûre de fe faire remarquer. Mais
la conduite de M. de'Catinat démentoit cette calomnie
, puifqu’il favoit fortir de cette fimplicité ,
quand il étoit obligé d’affifter à quelques cérémonies
d’éclat. Il étoit alors vêtu comme les autres}
on le voyoit avec des habits magnifiques , mais
qu’il quittoit avec plaifir , lorfque le moment de
la repréfentation étoit fini. C e coftume fimple du
maréchal donna lieu à plufieurs anecdotes. Se trouvant
un jour à la me£fe dans l’églife des Jacobins 3
un précepteur , qui ne le connoifloit pas , lui fit
céder fa place à fes élèves. -
On dit encore qu’ étant allé pour affaires chez
un premier commis , les valets le firent attendre.
long-tems dans l’antichambre. Un officier le reconnut
& avertit le commis } celni-ci fortit pour lui
faire fes excufes , auxquelles il répondit par cette
leçon : Ce neft pas ma perfonne que vous ave£ tort
de laijfer dans votre antichambre 3 mais un officier ,
quels qu ils foient 3 ils font tous également au fer-
vice du roi 3 & vous êtes payé par lui pour leur répondre.
Des vues d’économie lui firent quitter Paris
pour fe retirer- entièrement à Saint-Gratien. Le
roi qui entendoit toujours parler de fa pauvreté,
voulut un jour s’ en inftruire par lui-même 5 il lui
fit .dire de venir à Marly , & le mena voir fes
bâtimens , fur lefquels il lui demanda fon avis 5
en lui difant : c’ eft le goût des vieux guerriers
comme nous 3 d’aimer à bâsir } apparemment que
vous bêtifiez aufli à Saint-Gratien ? Sire, c’efi un
goût , lui repartit le maréchal avec modeftie , que
tout le monde ne peut pas fatisfaire. Louis . X IV
étonné , reprit : Mais vous êtes à votre aife;
vous jouifiez de fix à fept mille livres de patri-
^ moine 3 & d’environ quinze mille livres de rente
de mes bienfaits , que vous avez bien mérités.
Je jouis, il eft vrai 3 répondit le maréchal 3 du
patrimoine que dit votre majefté ;.mais pour fes
bienfaits , il-y a plufieurs années que je n’en fuis
pas payé. Le roi envoya chercher le contrôleur-
général , & lui donna ordre de payer M. de
Catinat ÿ mais l’ordre ne fut exécuté qu’en partie
} & il lui étoit encore dû à fa mort plufieurs
années de fes perdions.
Louis X IV ne pouvoir lui refufer fon.éftime,
& 3 pour lui en donner une nouvelle marque .-
il le nomma 3 en 170 y , chevalier de fes ordres.
Mais M. de Catinat ne voulut pas accepter cette
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grâce. Ses parens, jaloux de faire pafier à leur
poftérité cette illuftration, fe réunirent pour le
conjurer d’accepter le cordon} ils lui préfentè-
rent fa généalogie, pour lui faire voir qu’il étoit
en étatMe faire fes preuves, & ils ajoutèrent que
fa conduite, en cette occafion, leur feroit tort
à jamais. Si je vous fais to r t , leur répondit-il,
rayez-moi de votre généalogie. Il perfifta dans fon
refus.
Le maréchal pafloit à Saint-Gratien, la plus
grande partie de fon tems à réfléchir ; cet état
lui étoit fi agréable , qu’ il fe promenoir toujours
feul3 & que chacun évitoit avec foin de le rencontrer
& de le troubler dans fes réflexions.
Nous ne pafions pas un jour fans le voir , écri-
voit madame de Coulanges ; je le trouve feul aii
bout d’ une de nos allées } il y eft fans épée ;
il femble qu’il ne croit pas en avoir jamais porté.
Cette fimplicité produifît encore une méprife
fingulière 3 dont le fouvenir s’eft confervé, même
jufqu’aujourd’hui, parmi les payfans de Saint-Gratien.
Un jeune bourgeois de Paris , chaflant auprès
de Saint-Gratien 3 apperçut le maréchal 3 &
lui cria , fans ôter fon chapeau : Bon-homme ,
je ne fais à qui appartient cette terre ; je n’ai
point permiflion d’y chafîer : cependant je vais
mêla donner. Le maréchal l’écouta chapeau bas,
& continua fa promenade. Le jeune homme
voyant rire des payfans 3 qui travàilloient dans
la campagne, leur en demanda le fujet. Ces bonnes
gens lui répondirent : Nous rions de votre
infolence, de parler ainfi à monfeigneur j s’il avoit
dit un mot nous vous aurions battu.
. 'Le bourgeois confus courut après le maréchal,
lui demanda pardon, & l’ afîura qu’il ne
le connoifloit pas : II n’eft pas riéceflaire, lui
répondit-il , de connoître quelqu’un pour lui
ôter fon chapeau} mais laiflons cela , & 'venez
fouper avec moi : ce que' le jeune homme
n’ofa point acepter.
Cependant M. Catinat avançoit en âge, & fa
fanté s’ affoiblifîoit de jour en jour , par une en-
flûre aux jambes : il étoit encore attaqué d’une
pituite qui menaçoit de l’ étouffer. Il fit venir M.
Helvétius, & le pria de lui dire, à peu près le
tems qui lui reftoit à vivre. C e médecin lui fixa
l’efpace de trois mois, 3e lui ordonna du lok.
Ce maréchal peu crédule, lui demanda : Mais à
quoi bon ce lok ? A rendre l’agonie plus dnuce
& moins longue, répondit le médecin. Dès qu’ il
fut parti, le maréchal envoya chercher fon tef-
-tament, & le relut fans y rien changer. Ce tef-
tament, comparé avec le partage de M. dé Catinat
, & les fucceflîons qui lui étoienf échues,
montre également fon économie perfonnelle &fon
défintérenement dans le maniement des affaires ;
il n’ avôit ni diminué, ni augmenté fon patrimoine,
pendant tout le temps qu’il avoit été tm
fervice
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fetMce d i roi. Il vit approcher la mort de fang-
froid, & mourut le 22 février 1712 , dans la
Toixante-quatorzième année de fon âg e , en pro-
»onçant ces paroles : Mon Dieu, j’ ai confiance
en vous.
Une circonftance fingulière de la vie de ce
grand homme, c’efi: qu’il s’occupoit de la poé-
fic , & que même elle étoit pour lui un befoin.
« Rien n’eft plus vrai , difoit-il à Palaprat, le jour
* de- la bataille de la Marfaille , en lui ferrant • la
>• aiain, cela me peine , mais depuis huit jours,
* je n’ai fongé à faire un vers ».
Enfin, il y a un mot du prince Eugène qui marque
bien le cas qu’ilfaifoit de -Catinat. La cour}
au commencement d’unecampagne a étoit indécife
fur le choix de les généraux, 8c balançoit entre
Catinat , Vendôme 8c Villêroi. On en partait
dans le confeil de l’empereur. « Si c’eft Villêroi
»qui commande, dit Eugène, je le battrai} fi c’eft
» Vendôme, nous nous battrons j û çe&Cati-
»» n a t je ferai battu »*."
C A T O N LE CENSEUR,. Marcus - Portius
Çato furnom'hé \e Cenfeur , parvint aux premières
charges de la république 3 quoiqu’il fût né
d’une familfipplébéienne. Sa fagrfîe , fa valeur,
fon activité , fon éloquence furent les degrés
qui l’y conduifîrent. Dans la guerre contre les rebelles
d’Efpagne, il^s’empara en peu de tems de
plus de quatre ceriW places & lui-même difoit
qu’il avoit pris plus âe villes qu’il n’avoit paffé
de jours dans fon département. Parvenu à la cen-
fure, fon premier foin fut de s’occuper de réformer
les moeurs des romains } ce qui lui mérita
une ftatue, avec cette infeription : eA la gloire
de Caton, qui a remédié a la çorruption des moeurs.
Caton difoit ordinairement qu’il fe repentoit de
trois chofes : d’avoir pafle un jour fans rien ap-r
prendre } .d’avoir' confié fon fecret à fa femme ;
& -d’avoir voyagé par eau , quand il pouvoir
voyager par terre. Cet homme célèbre vivoic
%o') ans avant Jéfhs -Chrift.
' C A T O N D ’UT IQ UE , illuftre romain , arrière
petitrfils de Caton le cenfeur. Il fiit fur-
nommé U tique , parce qu’il fe donna la mort
dans cette v ille, à l’âge de 48 ans, l’an 45- avant
Jélhs - Chrift. ,
_ Caton vécut heureux fans les faveurs de la fortune
, te mourut content en dépit d’elle , -parce
que la vetfu qu’il n’abandonna jamais lui tenait
lieu de tout} c’étoit un ftoïcîen rigide, un
citoyen z é lé , un patriote enthoufiafte oui aj-
moit la patrie excluiïvement à lui. Quel romain
lui eft comparable à cet égard ? « L’accefloire
» chez Cicéron, a" dit le préfident de Montef-
»« quieuVj c’étoit la vertu'; chez Caton, c’étoit
u Ja gloire. Cicéron fe voyait toujours le premier>
£ji çyclop édi ui\a.
C A T 2)1
» Caton s’oublioit toujours. Celui-ci vouloir fau-
» ver la république pour elle-même; celui-là ,
» pour s’ en vanter. Quand Caton prévoyoit.,
Cicéron craignoit. Là où Caton efpéroit, Ct-
. »> céron fe confioit. Le premier voyoit toujours
>* les chofcs de fang-froid, l’autre au travers de
» cent petites paflions..
Caton annonça dès fon bas âge cette roideur
inflexible de caractère qu’il fit paroître dans
toute fa.vie. Drufus , fon oncle, étoit tribun du.
peuple , & plufîeuis nations d’Italie, alliées des
romains, defiroient d’être ad!;.îi':s au nombre
des citoyens de Rome. PompéUius , l’un des
chefs -des alliés , s’a’vifa de demander en badinant
au jeune Caton fa recommandation auprès de fou
oncle. L’enfant gardant le filence, témoigna par.
fon regard & par un air de mécontentement fur
le vifage , qu’il ne vouloit point faire ce qu’on
lui demandoit. Pompédius iufîfta , & voulant
poufler à bout cet enfant, il le prit par le* milieu
du corps, le porta-à la fenêtre , & le balançant
en dehors, il le menaça de le laifîer tomber
s’il petfévéroit dans fon refus. Mais la crainte
ne fit pas plus d’effet que les prières; & Pompédius
en le remettant dans la chambre , s’écria ;
ce Quel bonheur pour les alliés que ce ne foit là
« quJun enfant! C a r , s’ il étoit en âge d’hom-
» me, nous n’aurions pas un feul fuffrage.
Sa haine pour la tyrannie fe manifefta à l’âge
de quatorze ans par un trait remarquable , rapporté
par Plutarque,Sarpédon , fon gouverneur,
l’avoit conduit dans le palais du dictateur Sylla.
A l'afpeft des têtes fanglantes des proferits , il
demanda le nom du monftre qui avoit afiaflîné
tant de romains. « C ’eft. Sylla , « lui répondit
Sarpédon. Eh quoi , lui dit fon jeune élève , Sylla
le s égorge , Sylla vit encore ! Donne-moi
ton épée , Ô Sarpédon , afin que je l’enfonce
dans le coeur du tyran , & que ma patrie foit?
libre. Il prononça ces dernières paroles d’un ton
de voix, fi élevé , & avec un regard fi animé ,
que Sarpédon fut faifi de crainte ; & depuis ce
moment il obferva plus foigneufçment fon élève ,
de peur qu’il ne fe portât à quelque coup hard
auquel perfonne n’ofoit . même penfer,
Caton cultiva l ’éloquence, afin d’avoir une arme
déplus, capable de defendre les droits delà juf-
tice. Il auroit regardé au-defîbus de lui de difeourir
da ns la feule vue d’obtenir la réputation d’e> *
cellent orateur. On blâmé votre filence, lui dit
un jour un de'fes amis. A là' bonne heure , répondit
Caton 3 pourvu qu’ on ne trouve rien à.
blâmer dans ma conduite.
C e romain , infûlté par un homme diffame ,
lui répondit avec cette fierté qui fied b:en à la.
vertu: <* Le combat eft trop inégal entre toi 8c
» .moi ; ta coutume eft de dire & de faire des
» infamies , de moi je n’en fais ni n’en dis m
G a