
les rangs avec un air qui annonçoit la fécurité &
la fermeté de fon ame, elle exnorta les foldats
à fe fouvenir de leur devoir, de leur patrie &
de leur religion : « Moi même, ajouta-t-elle > Je
» vous conduirai à l ’ennemi. Je fais que je^n’ai
„ que le foible bras d’une femme, mais j’ai famé
» d'un r o i, & , qui plus eft , d’un roi d'Angle-
» terrei & je périrai plutôt dans le combat,
a» que de furvivre à la ruine & à l’efclavage de
» mon peuple »•
Les vents & les écueils ayant combattu pour
Elifabeth, une partie de l’armée efpagnole périt
par la tempête, & l’autre devint la proie des
angloîs. Leur reine triompha dans la ville de Londres
, à la manière des anciens romains. 11 y eut
une médaille frappée, avec la légende venit, vi-
dit, v ic it, d’un c ô té , & ces’mots de l'autre :
Dux foemina fafti,
Elifabeth accueillit d’une main bienfaifante les
artiftes intelligens , & les hommes qui confa-
croient leurs travaux à 1 état. Lorfque François
Drack revint de fon voyage autour du monde,
qu’il avoit terminé en trois ans, elle revêtit de
la dignité de chevalier ce citoyen qui ràpportoit
à fa patrie des matières d'or & d’argent, & des
richeffes plus précieufes encore, des connoif-
fances utiles. Elle voulut dîner fur fon vaiffeau,
qu’ elle fit conferver à Derpford, avec des inf-
cripsions qui tranfmettent à la poftérité un événement
fi mémorable.
On n’ignoroit pas que la diflimulation étoit mife
par Elifabeth au rang des qualités, nécefl’aires à
un fouverain pour régner. Un prélat d’Angleterre
ofa un jour lui représenter que dans une circonf-
tance qu’il lui rappela, elle avoit plus agi en
politique qu’en chrétienne. « Je vois bien, lui
» répondit-elle, que vous ayez lu tous les livres
» de l’écriture, excepté celui des rois ».
On a loué la fage économie d'Elifabeth. Un
juif ayant offert à cette reine , pour vingt mille
livres fterlings une perle d’une belle eau & d’une
groffèur prodigieufe, cette princeffe ne voulut
point donner une pareille fomme pour une chofe
qui n’étojt d’aücun ufage réel. Sur ce refus, le
juif fe préparoit à repaU’er la mer , pour chercher
d’ autres fôuverains. qui lui achetaffent fon bijou.
Sa réfol ution fut fue de Thomas Gresham , négociant
de Londres, qui l’invita à dinër, & lui
donna de fa perle lé prix qui avoit été refufé
par la'reine. Il fe fit enfuité apporter un mortier ,
y broya la perle, & eh vèrfa là poudre dans un
verre à demi rempli de- vin, qù il but a la fante de
fa majefté Vous pouvez publier > dit-il au
» juif étonné , que là reine étoit en état d acheter
votre perle, puifqu’elle a des fujcts qui. la
peuvent boire à fa fanté. »
Elifabeth, quoique reine, avoit toutes les foî-
bleffes d’une femme, & aucune perfonne de fon
fexe ne fut plus idolâtre de fa beauté, ni plus
occupée du aefir de faire impreflion fur le coeur
de ceux qui la voyoient. Elle donnoit une première
audience à des ambaffadeurs hollandôis qui
avoient à leur fuite un jeune homme bien fait.
Dès qu’il vit la reine , il fe tourna vers ceux qui
étoient auprès de lu i, & leur dit quelque chofe
affez bas , mais d'un certain air qui fit qu’elle
devina à-peu-près ce qu’il difoitj car les femmes
ont un inftinét admirable. Les trois ou quatre mots
que dit ce jeune Hollandois, qu’elle n avoit point
entendus, lui tinrent plus à l ’efprit que toute la
harangue des ambaffadeurs j & .aufli tôt. qu’ils
furent fortis, elle voulut s’ affurer de ce qu'il
avoit penfé. Elle demanda à ceux qui avoient
parlé à ce jeune homme , ce qu’ il leur avoit dit.
Ils lui répondirent avec beaucoup de refpeét,
que c’étoit une chofe qu’on n’ofoit redire à une
| grande reine, & fe défendirent long-tems de la
répéter. Enfin, quahd elle fe fervit de fon autorité
abfolue , elle apprit que le Hollandois s’étoic
écrié tout bas : Ah ! •voila une femme bien faite7
& avoit ajouté quelqu'expreflion allez groüîèrë ,
mais v iv e , pour marquer quM la trouvoit à.fon
gré. On ne fit ce récit à là reine qu’en tremblant ;
cependant il n’en arriva rien autre chofe, finon
que quand elle congédia les ambaffadeurs, elle
fit au jeune Hollandois un préfent fort confidé-
rable.
Une femme, qui avoit long-tems fervi Marie^
Stuart, ayant perdu fon mari le jour même de
l’exécution de cette malheureufe reine, fut fi affligée
de cette double perte, qu’elle réfolut de
s’en venger fax Elifabeth. Elle fe dégdife en homme,
& , armée de deux piftolets, elle compte qu’elle
pourra caffer la tête à la reine, lorfqu’elle ira à
la. meffe, & fe tuer elle-même enfuite. Pendant
qu’elle cherche l ’occafion favorable d'exécuter
fon projet, Marie Lambrun ( c’eft le nom de
cette femme , qui fe faifoit appeler Sparck, &
fe difoic EcoiTois ) rencontre Elifabeth dans fes
jardins j elle veut percer -la foule pour s’appro-
cher, un de fes piftolets tombe, & elle eft arrêjtée
par les gardes. Elifabeth ordonne qu?on la cbn-
duife devant elle, & l’interroge elle-même, la
prenant pour un homme. « Madame, répondit
hardiment cette femme, quoique je porte cet
habit, je fuis femme. Je m’appelle Marguerite
Lambrun 5 j’ai été plufieurs années au fervice de
la reine Marie , ma maîtreffe , que vous avez fait
mourir injuftement. J’ai réfolu, aîi péril de nu
vie , de venger fa mort par la vôtre ». Elifabeth
l’écouta tranquillement, & lui répondit : “ Vous
avez cru faire votre devoir en attentant à ma
vie 3 quel eft aujourd’hui le mien envers vous,?...
Je dirai mon Sentiment à votre majefté, pourvu
qu’il lui plaife de me dire fi elle demande cela
en qualité de reine ou en qualité de juge ?.....
En qualité de reine, reprit Elifabeth... Eh bien!
votre majefté doit me faire grâce..-. Mais^quelle
affurance me donnerez-vous que vous n’entreprendrez
pas une fécondé fois une aélion fem-
blable ? Madame , répliqua cette-femme, la grâce
que l’on veut donner avec tant de précaution,
n’eft plus une grâce 3 ainfî votre majefté peut en
ufer comme juge envers moi ». La reine s’étant
retournée vers quelques perfônnes de fon con-
feil, leur dit : « Il y a trente ans que je fuis reine ;
mais je ne me fouviens pas d’avoir jamais trouvé
perfonne qui m’ait donné une pareille leçon ».
Ainfî elle accorda la grâce toute entière & fans
condition.
La ridicule coquetterie Elifabeth, fur fa figure
principalement, étoit fi bien connue, que, l’ambaffadeur
de Hollande, Veriken, lui dit, lorf-
qu’il lui fut préfenté : «e Qu’il avoit long- :
• » temps defiré d’entreprendre %e voyage pour j
» voir fa majefté , 'q u i , pour la beauté & la fa-
» geffe ,Tu:p iffou tous les princes du ^monde».
Elle avoit alors foixante-fept ans.
Elifabeth fe refufa toujours aux follicitations
de fes parlemens, qui la pressèrent de fe choifîr
un époux. Peut-être craignoit-elle de fe donner
un maître. Ayant des fujets de plaintes contre
Marie d’Ecoffe, fon héritière, elle dit à l’am-
baffadeur que cette princeffe lui avoit envoyé,
qu’ elle étoit réfolUe de fe marier, fi la re'ne fa
foeur l’y contraignoit par fa conduite. « Je fuis
» perfuadé, madame, lui répondit adroitement
» l’ambaffadeur, que vous ne prendrez ce parti
» que forcément 5 car vous n’ ignorez pas qu’étant
» mariée , vous ne feriez que reine ; au lieu qu’à
»» préfent vous êtes roi & reine tout ^enfemble ».
Elle répondit un jour aux remontrances de fon
parlement : « Qu’elle ne defiroit pas de gloire
» plus éclatante que de tranfmettre fa mémoire à
» la poftérité par cette infeription fur fon tom-
» beau : Ci gît Elifabeth, qui vécut & mourut
» vierge & reine »•
Lorfque les anglois découvrirent line île dans
les Indes , ils lui donnèrent le nom de Virginie y
à l’honneur de la virginité delà reine, qui étoit,
dit Fontenelle, la plus douteufe de fes qualités.
On a voulu traiter de fable l’amour üElifabeth
pour le comte d’Effex, & on n’a pas manqué d’ob-
ferver que dans le temps où l’amour de la reine '
devoit être le plus violent, c’eft-à-dire, à la mort
du comte, elle avoit foixante-huit ans. Mais ,
dit M. Walpoole, il n’eft pas néceffaiie d’être
jeunô^ pour aimer ; fi le comte d’Effex avoit eu
lui-meme foixante-huit ans , probablement Elifabeth
n en auroit point été amoureufe. Cette princeffe
etôit très-économe de fes faveurs 5 cependant
elle accumula fur la tête du comte d’E ffex,
très-jeune encore, les premières places & les plus
grands honneurs. Elle étoit encore moins prodigue
d’argent, & on a calculé qu’il avoit reçu d’elfe
la valeur de trois cens mille livres fterlings. Cette
princeffe lui reprocha même dans une de fes lettres
toutes les grâces dont elle l’a comblév fans
qu’il eût rien fait jpour les mériter. D ’Effex cher-
choit plutôt à maitrifer le coeur à'Elifabeth qu’à
- le gagner S’il étoit contredit dans quelqu’un de
fes defirs, il s’éloignoit de la cour , & faifoit
acheter fon retour. Or, il n'y a qu’avec une femme
tendre qu’on {>uiffe en agir ainfî 3 & ce n’eft pas
de cette manière que de fimples favoris traitent
avec leurs fôuverains. Si le comte étoit malade, la
reine ne laiffoit paffer aucun jour fans envoyer demander
à le voir. Elle en vint même une fois juf-
qu’à long-temps s’affeoir au chevet de fon l i t ,
& à ordonner elle-même fon bouillon & tout ce
qu’il lui falloir.’ D'Effex, de fon c ô té , en ufa fi
familièrement avec cette reine, que, fous prétexte
d'indifpofition, il eut l’infolence d’entrer chez
elle en robe de chambre. Il eft bien difficile de
donner à des familiarités aufli marquées un autre
motif que l’amour. La cour & Elifabeth & toute
l’Europe avoient la même idée fur les fentîmens
de cette princeffe pour le comte d’Effex. Parmi
les preuves qui en font rapportées, le trait le plus
frappant eft le mot que notre bon roi Henri IV -
dit un jour à l’ambaffadeur d’Angleterre : Qu Elifabeth
ne laijferoit jamais fon coufin d’Ejfex s'éloigner
de fon cotillon. La princeffe ayant été informée
de ce propos, écrivit de fa propre main
au roi quatre lignes, qu’on juge avoir été très-
piquantes, puifque Henri IV fit fortir fur le champ
de fon appartement Fambaffadeur qui lui avoit
remis la lettre.
D ’Effex fe perdît pour n’avoir pas affez ménagé
la fierté Elifabeth , qui étoit encore plus jaloufè
de l’autorité de fon rang que de la tendreffe de fon
favori » & qui ne feuffroit .point qu’on manquât
au refpeétou plutôt à l’adoration à laquelle on la*
voit accoutumée. Le comte lui ayant un jour tourné
le dos avec un air de mépris, elle lui donna un
foufflet. Le fouguèux favori, au lieu de rentrer en
lui-même & d’appaifer la reine par la foumiffion
due à fon fexe & à fon rang, porta la main fur la
garde de fon épée, en jurant qu’il n’auroit pas
fouffert cet affront de Henri VIII même, & tranf-
porté de fureur il fe retira fur-le-champ de la
cour.
Elifabeth rendit néanmoins fa première faveur aa
comtejmais l’injureétoitreftéeplrofondémentgtavée
dans fon coeur,& d'autres mécontentemens qui s’y
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