
s'arrêta A & remettant la tête entre fes jambes,
il dit en regardant cette ville : %Ah que de nids
de cocus 1 Un feigneur qui étoit près de lui. fit la
même chofe-, & fe mit à crier : Sire 3 je vois
le Louvre..
Voici un impromptu que ce prince fit un foir :
à table chez la duçhefîe de Sully. Cette femme
étoit d'une hauteur ridicule , & il y a toute apparence
que Henri l’auroit volontiers apprivoifée.
Il ' lui dit donc en lui portant rafade :
Je bois à toi} Sulli ;
Mais j’ai failli ;
Je devois dire à vous : adorable duchefle ,
Pour boire à vos appas,
Faut mettre chapeau bas.
C e prince avait affiégé dans le temps de la
ligue la ville de Chartres. Après une longue ré-
filtance, cette ville prit enfin le fage parti de
de fe rendre. Le magillrat vint au devant du vainqueur
, & méditant une longue & ennuyeufe harangue
, commença par dire qu'il reconnoilfoît
que la ville étoit affujettie à fa majefté par le
droit divin & par le droit humain. Henri l'interrompant
, dit en pouffant fon cheval pour entrer :
Ajoute^ auffi par le droit canon•
Un jour M. du Maine vint fe plaindre à ce
prince de l'infolence de M. de Balagni, qui avoit
fait appeller en duel le duc d Eguillon fon
fils, cc Balagni eft bien heureux, difoit M. du
» Maine, que je n’ aiepas été chez moi, je l’aurois
» fait pendre à la grille de mon châteam » Le
roi ne fit que fe retourner vers ceux qui étoient
dans la chambre , & leur dit : « Le bon homme
» fe fem encore de la ligue ». ( Mém. de Choify ).
Les fuiffes étoient fur le point de revenir en
France , pour renouveller leur alliance. Le prévôt
des marchands Sx les échevins vouloient à cette
occafîon donner des fêtes, mais ils manquoient de
fonds. Ils demandèrent à Henri IV , pour fournir
à cette dépenfe, la permiffion-de mettre un impôt
fur les robinets des fontaines* cc Cherchez, leur
» répondit ce bon prince, quelqu'autre moyen
» qui ne foit point à charge à mon peuple, pour
9» bien régaler mes alliés. Allez, meffieurs, con-
» tinua-t il , il n'appartient qu'à Dieu de changer
» l’eau en vin ».
Lorfqu’il n étoit encore que roi de Navarre &
duc d’A lbret, il faifoit fa réfidence à Nerac-,
petite ville de Gafcogne. Il vivoiten fimple gentilhomme,
& cbaffoit fouvent dans les Landes,
pays abondant en toutes forteè de gibier. Au
milieu de fa chaffe ■' il alloit fouvent fe delafler &
prendre quelque nourriture chez un Berret ; c elt
1e nom. que l'on donne aux payfans des Landes,
parce qu'ils font coeffes d une efpece de bonnet
appelé birette. D’auffi loin que le nouveau Phi^
limon & fa femme voyoient arriver le prince, ils
couroient au-devant de lui} & prenant chacun
une de fes mains, ils répétoient dans leur patois,
avec une fatisfadfcion peinte fur leur vifage : Eh ,
bon jour , mon Henri , bon jour, mon Henri. Ils
le menoient en triomphe dans leur cabane, & le
faifoient aifeoir fur une efcabelle. Le Berret alloit
tirer de fon meilleur vin la femme prenoit dans
fon bahut du pain & du fromage. Henri, plus
fatisfait du bon coeur & de la fimplicité de fes
hôtes qu'il ne l'eût été de la chère la plus délicate
j mangeoit avec appétit, leur témoignoit fa
reconnoiffance , & s'entretenoit familièrement
avec eux des chofes,qui écoient à leur portée. Son
repas fini, il prenoit congé de ces bonnes gens 3
en leur promettant de revenir toutes les fois que
fa chatTe le conduirait de leur côté; ce qui arri-
voit fréquemment. Lorlque ce grand roi fut de-
venu paifible poffefTeur du trône de France, le
Berret & fa femme apprirent cet événement avec
une joie qu'il' feroit difficile d'exprimer. Ils fe
rappellèrent qu'il mangeoit avec plaifir de leurs
fromages} & comme c’étoit le feul préfent qu'ils
fuffent en état de lui offrir, ils en mirent deux
douzaines des meilleurs dans un panier. Le^Berret
fe chargea de les porter lui-même, embraffa fa
femme, & partit. Au bout de trois femaines, il
arriva à Paris, courut au Louvre, dit à la fentinelle
dans fon langage : Je veux voir notre Henri, notre
femme lui envoie des fromages de vache. La fenti-
nelle, fuprîfe de l'habillement extraordinaire , &
plus encore du jargon de cet homme qu'il^n’en-
tendoit pas, le prit pour un fou, fk'Ie repoufla
en lui donnant quelques bourades. Le Berret fort
trifte, & fe repentant déjà de fon voyage, descend
dans la cour, & fe demande à lui-même
ce qui peut lui avoir attiré une fi mauvaife réception
, à lui qui venoit faire un préfent au roi.
Après en avoij: long-temps cherché la raifon, il
fe met dans l’efprit que c'eft parce qu'il a dit
des fromages de vaches y il fe promet bien de fe corriger.
Pendant que notre homme eft plongé dans
ces belles réflexions, Henri I V regardant par ha-
fard à travers la fenêtre, voit un Berret qui fe
promène dans la cour. Cet habillement qui lui
étoit connu , le frappe, & cédant à fa curiofité,
il ordonne qu'on, fafle monter ce payfan. Celui-ci
fe jette auffi-tôt à fes pieds, embrafle fes genoux,
& lui dit affeâueufement ; Boa jour 3 mon Henri,
| notre femme vous envoie des fromages de boeuf. Le
roi, prefqu’honteux qu’un homme de fon pays fe
trompât auffi groffièremerit devant toute fa cour,
fe pencha avec bonté, & lui dit tout bas : Di?
donc des fromages de vache. Le payfan quLpenfoît
toujours au traitement qu'on venoit de lui faire,
répondit en fon patois : «Je ne vous confeille pas,
as mon Henri, de dire des fromages de vache ;
» ca r , pour m'être fervi à la porte de votre
„ chambre de cette façon de parler, un grand
v » drôle
» drôle habillé de.bleu m'a donné vingt bou-
« rades de fufil, & il pourvoit bien vous en
?? arriver autant ». Le roi rit beaucoup de la
fimplicité dû bon homme, accepta fes fromages,
le combla d’amitié, fit fa fortune & celle de toute
fa famille.
Henri alloit quelquefois dîner chez Zamet, un
de fes -favoris & le plus riche parti fan de fon
temps , pour y lier de petites parties de plaifir.
Un jour entr'autres, après le repas, Zamet fit
voir au roi fa maifon qu'il avoit fait bâtir à neuf;
& Mi faifant remarquer tous les coins & recoins,
Sx les pièces qu’il y avoit pratiquées, il lui dit :
« Sire, j'ai ménagé ces deux falles ; là , ces trois
» cabinets que voit votre majefté; de ce côté......
» —■ O u i, oui, dit le roi, & de la rogRure j’en ai
» fait des gants ».
Dans une lettre que ce prince écrit à la duchefte
de Beaufort, il lui marque le trait fuivnnt : « J'ai
» reçu un plaifànt tour à Téglife. Une vieille
» femme, âgée de 8o ans, m’eft venu prendre
» par la tête & m'a baifé; je n’en ai pas ri le
» premieç ».
Henri I V n'aimoit point les dépenfes inutiles;
& ce grand prince montroit, par fon exemple, à
retrancher toute efpèce de fuperfluité, fur-tout
celle qui a rapport à la magnificence des habits. Il
alloit ordinairement vêtu de drap gris, avec un
pourpoint de fatin ou de taffetas, fans découpure,
fans broderiq. Il louoit ceux qui fe vêtoient de la
forte, & fe moquoit des autres, qui portoierit,
difoit-illeurs moulins & leurs bois de haute-
futaie fur leur dos.
Henri I V vifitant un jour fon arfenal, un feigneur
lui demanda fi l'on pouvoit trouver au monde
d'aufli bons canons que ceux qu’ils voyoient ?
Ventre-faint-gris, répondit le ro i, je n'ai jamais
trouvé de meilleurs canons que ceux de la méfié.
Le duc de Savoie, témoin de la profpérité de
la France, demandoît à Henri I V ce qu'elle lui
valoit de revenu : elle me vaut ce que je veux,
dit Henri. Le duc, trouvant cette réponfe vague,
infifta. Oui, ce que je veux, continua-t-il, parce
qu'ayant le coeur de mon peuple , j'en aurai tout
ce que je voudrai.
Lorfqu'ifiwz I V époufa à Lyon Marie de
Médicis, en 1600 , il dit à madame de Guer-*9
cheville : puifque vous, êtes véritablement dame
d'honneur, vous le ferez de la reine, ma femme*
Cette dame n'avoit point voulu écouter les pro-
politions du roi.
Lors de la première groflfefle de Marie de
Médicis , Henri I V craignant que la pudeur de
cette princeftè ne fût bleliee du grand nombre de
Ipe&ateurs qui dévoient affilier à fon accouche-
&ncyclopldiana,
.ment j la prévint-de la néceffité indifpenfable qu'il
y avoit que les princes en fuflent témoins, pour
qu’on ne. put pas en douter. Il accompagna *fes
raifons de tant ^e témoignages d’amitié, que la
reine parut fe prêter fans peine à fouffrir la pré-
fence des princes & feigneurs de là cour. Le roi
ne la quitta pas un moment pendant tout fon
travail, qui fut auffi long que douloureux. 11 pau-
tageoit fi s fouffran'ces, la confoloit & tâchoic de
fortifier fon courage par I’cfpoir d’une prompte
délivrance & du plaifir qu'elle reffentiroit fi elle
donnoit un dauph;n à la France. Il poufia même
les foins jufqu’à l'exhorter de crier, (parce que
la honte & la timidité l'en empêchoient) de crainte,
d ifo it- il, que fa gorge ne s'enflât par les efforts
qu elle feroit pour fe retenir. La reine accoucha
d'un prince après un travail de vingt-deux heures.
Comme il étoit très-important que Marie de Mé-
difcis ne fût pas qu'elle avait mis au monde un
dauphin, de crainte que la trop grande joie ne
fût contraire à fon état, Henri avoit recommandé
à la Bourfier ('fage-femme de la reine) de le
cacher à la princelfe : cette femme s'acquitta fî
bien de cet ordre, & eut tant de pouvoir fur fi n
efprit, qu'elle né témoigna pas la plus légère
émotion, & que fon vifage n'en fut point altéré.
Cette tranquillité apparente fut poufiee au point
qu’Henri I V lui-même y fut trompé, & ne voulut
pas croire l'heureufe nouvelle que lui apporta une
femme de chambre de la reine, avec laquelle la
Bourfier étoit convenue d'un ligne qui lui apprt n-
droit fi Marie étoit accouchée d’un prince. Le roi
vint donc trouver' la Bourfier d'un air trifte &
changé, ne doutant pas que ce ne fût une fille
qui venoit de naître, & lui dit : Sage-femme, efl-ce
un fils ? La Bourfier ayant répondu que oui \ je
vous prie, cohtinua-t-il, ne me donner pas de courte
jo ie, cela me feroit mourir. La fage-femme développa
auffi tôt l’enfant & le lui fit voir. Sa majefté
, après avoir demandé à la Bourfier s'il
poovoit, fans danger, inftruire la reine de leur
bonheur commun, courut tranfporté an lit de
cette princefte, & lui apprit, en l'embraffant tendrement,
qu'elle venoit de donner un héritier- à
la France^ Henri fe livra enfuite tout entier à
l'excès de fa jo ie , & permit que tout le monde
entrât dans l’appartement pour voir le dauphin. Il
embrafloit tous ceux qui fe préfentoient, & perdit
même fon chapeau dans la foule. La Bourfier lui
ayant repréfenté qu'il entroit trop de perfonnes
dans la chambre de l'accouchée : Tais-toi y fage-
femme, lui dit le roi en lui frappant fur l'épaule,
cet enfant eft a tout le monde y il faut que chacun le
voie & s'en réjouiffe.
Henri I V marchoit à quatre pattes, portant fur
fon dos fon fils Louis X I I I , encore enfant. Un
ambaffadeur entre tout-à coup dans l'appartement,
& le furprend dans cette pofture. Henri IV , fans
fe deïanger, lui dit : « M. l 'ambaffadeur, avez