
no if i an ce , après les compliments ordinaires il-éle-
voit fa voix pour dire : « avez-vous lu Baruch ?
99 c’ étoit un beau génie »>. Mémoires fur Jean
Racine,
L'auteur de ces mémoires, M. Racine le fils,
dit encore que la Fontaine, après avoir mangé,fon
bien, conferva toujours fon ca-.ad ère de définté-
rcfiement. Il entroit à l'académie françoife , & la
barré étant tirée au bas des noms» il ne devoir'
pas, fuivant l'ufage, avoir part aux jettons de cette
féaqce. Les académiciens qui l'aimoie-t tous, dirent
d’un commun accord qu'il falloir,• eh fa faveur,
faire une exception à la règle, ce Non meilleurs,
r> leur dit il , cela ne feroit pas Julie ; je fuis venu
» trop tard , c’e.ft ma faute , C e qui fut d'autant
mieux remarqué, qu’un moment auparavant un
académicien extrêmement riche, & qui, logé au
Louvre , n’ayoit que la peine de defcendre de fon
appartement pour venir à l'académie , en avoir
entrouvert la porte, & ayant vu qu'il arrivoit trop
tard, avoit refermé la porte & étoit remonté
chez lui.'
La Fontaine préféroit les fables des anciens aux
Tiennes ; ce qui faifoit dire à M. de Fontenelle :
la Fontaine efi ajfe^ bête pour croire que les anciens
ont plus d’efprit que lui. Mot plaifant, dit M . de
la More, mais foiide, & qui exprime finement le
caractère d'un génie fupérieur qui fe méconnoîty
faute de fe regarder avec allez d’attention. En lifant
les fables de cet auteur, on‘y remarque un génie
fi facile, que l'on diroit quelles font tombées de
fa plume ; c'eft ce qui le faifoit appeler un Fablier
par Madame de la Sablière , comme on appelle
P ommierl'arbre qui porte les pommes. Cette femme
d'efprit qui le logeoit, dit un jour, après avoir
congédié fes domeftiques : « je n’ai gardé avec
» moi que mes trois animaux, mon chien , mon
51 chat & mon la Fontaine »v Y.
Racine & Defpréaux l’appélloient le bon homme,
quoiqu'ils connuflent d’ailleurs tout ce qu’il valoit.
Dans un fouper chez Molière, ©ù fe trouva aufli
Defcoteaux, célèbre joueur de flûte, le bon-homme
parut plus rêveur qu'à l'ordinaire, Defpréaux & ;
Racine tentèrent envain de le réveiller par des
traits vifs & piquans. Ils poufsèrent même la rail
lerie fî loin, que Molière trouva que c'étoit paf-
fer les bornes. Au fortir de table , il tira à part
Defcoteaux dans l'embrafure d'une fenêtre, &
lui parlant de l'abondance du coeur ; ce Nos beaux
» efprits , dit-il , ont beau fe trémou fferils
» n'effaceront pas le bon-homme ».
: C e poète vécut dans une prodigieufe indolence
fur la religion comme fur tout le refte; mais
étant tombe malade, il fe mit à lire le nouveau
teflament. Charmé de cette le d u re , il dit au
père Poujet, oratorien, fon diredeur : « Je vous
•» nfliire que le nouveau teflament eft un fort bott
99 livre; ou i, par ma foi, c’d l un fort bon livre:
P mais il y a un article fur lequel je ne me fuis
•» pas rendu; c cfl celui de l ’éternité des peines;
95 je ne comprends pas.comment cette éternité
Y Peut s accorder avec la. bo..té de Dieu ».
Quelque tems auparavant, u;i de fes amis qui-
avoit lans doute, fa converfat:on. fort à coeurs,
lui avoit prête fon faint Paul. La Fontaine b lut
avec avidité ; mais bleflé de la dureté apparente
des écrits de l’apôtre, il ferma le livré, le rapporta
à fon ami , & lui dit : Je vous rends votre
livre y ce faint Paul la. n efi pas .mon homme.
Un de fes confefleurs le voyant attaqué d’une
maladie dangereufe, l'exhortoità réparer du moms
le fcandale de fa vie par des aumônes. « Je n'en
» puis faire, répondit le poète, je n’ai rim ;
» mais on fait une édition de mes contes , & lé
» l-braire m’en doit faire préfent de cent exem-*
» plaires: je vous les donne; vous les ferez
» vendre pour les pauvres ?. Dom Jerome , qui
a rapporté cette anecdote, a afluré que le con-
fefleur, prefque aufli Ample que le pénitent,
etoit venu le confuiter pour favoir -s'il pouvoit
recevoir cette aumône.
Encore un trait qui prouve la flmplicîté de
moeurs de cet homme iliuftre, & l’idée qu'avoient
de fa perfonne ceux qui le fervoient. La garde
qui etoit auprès de lu i, voyant ayec quel zèle
on l'exhortoit à la pénitence, dit un jour à
M. Poujet : Eh l ne le tourmentezpas tant y il efi
plus bête que méchant. Dieu riawfa. jamais , dit-,
elle une autre fois , le courage de le damner,.
Malgré l'apparente 'apathie de La Fontaine,
quand on le faifoit fortir de fes rêveries , 6c
qu’on pouvoit l’intérefler à la converfation, il
roontroit autant de chaleur'& d'efprit que deux
q u i, d'ordinaire , en faifoiént l'objet de leurs
railleries ; & il y avoit un moment du*repa$ où
Boileau crioit: Gare La Fontaine.-—On a beau faire,
difoit fouvent Moliere, il ira plus loin qu'eux.
La Fontaine s’ell peint d'après nature dans fon
épitaphe :
Jean s’en alla comme il étoit venu,
Mangeant fon fonds avec fon revenu,
Croyant tréfor chofe peu néeeffaire.
Quant à fon temps , bien le fut difpenfer.
Deux parts en fit dont il, fouloit paffer ,
L’une à dormir , & l’autre à ne rien faire.
Après fa mort, fa femme ayant été inquiétée
pour le payement de quelques charges publiques,
M. d'Armenonville , alors intendant de Soiflons ,
écrivit à fon fubdélégué, que la famille de la
Fontaine devoit être exempte à l'avenir de toute
taxe
taxe & de toute impofition : tous les întendans
de Soiflons fe font fait depuis un honneur de faire
confirmer cette grâce.
FO N T A N A ( Layinia), née à Bologne l’an
i j 52, morte en 1602.
Les talens de cette femme célèbre dans la
peinture la rendoient fi recommandable, que
Grégoire XIII , lorsqu’elle allait lui' rendre
vifite , la recevoit avec de grandes marques
d’honneur, & faifoit mettre fes gardes fous les
àrmes.
FO N TEN E L LE ( Bernard le Bovier de ) , né
à Rouen le 11 février; 1657, niort à Paris le 9
janvier 1757» à cent ans moins un mois & deux
jours.
Madame la marquife de Lambert, qui a longtemps
vécu dans la foçiété de M. de Fontenelle,
a tracé d'après nature le portrait de fon illuflre
ami. « Je n'entreprendrai point, dit cette dame
a la perfonne à laquelle elle ecrivoit, de peindré
M. de Fontenelle ; je connois ma portée 8c
l’étendue de mes lumières ; je vous dirai feulement
comme il s’eft montré à moi. Vous con-
noifîezfa figure; il l’a aimable. Perfonne ne donne
une fi haute idée de fon caradèré ; efprit profond
& lumineux , il voit oiVIes autres ne voyent plus;
efprit original, il s'eft fait une route toute non- \
velle, ayant fecoué le joug de l'autorité'; enfin
un de ces hommes dëftinés à donner Je ton à
leur fiècle. A tant de qualités folides, il joint les
agréables; efprit maniéré, fî j’ofe hafarder ce
terme » qui penfe finement, qui fent avec déüca-
tefle , qui a un goût jufte & fûr, une imagination
vive & légère, remplie d’idées riantes ; elle pare
fon efprit & lui donne un tour ; il en a les agré-
mens fans en avoir les illufions; il l'a fa<»e &
châtiée ; il met les chofes à leur jufle valeur ;
l’opinion ni l’erreur ne prennent point fur lui ;
c ’eft un efprit fain, rien ne 1 étonné ni ne l ’altère
; dépouillé d’ambition,‘plein de modération,
un favori dè la raifon , un philofophe fait des
mains de la nature ; car 'il ,elt né ce que les autres
deviennent. Je lui crois Je coeur suffi fain
que l'efprit ; jamais il n’efl agité de fentimens
violens, dé fièvre ardente; .fes moeurs font pures,
fes jours font égaux & coulent dans l’innocence-
il eft plein de profité & | k droiture ; il eft fûr
& fecret; on jouit avec lui du platfir de la confiance,
& la Confiance eft la fille, de I’eftime •
il a les agrémens du coeur fans en avoir les be-
foins; nul fenriment ne dui eft néeeffaire. Les
amis tendres & fenfibles fentent ces befoïns du
icoeur plus qu’on ba fetit les autres méceflités de
h vie. Pour lui, il eft libre & dégagé; aufline
s'unit-on qu’ à fon efprit, & on'échappe a fon
coeur. Il ■ P5u^,a/Vpv. pour les femmes un fenti-
E n cyclop édi a d a-, '
ment ttftrch’nal, la beauté faifant fur lui une afl'ez
grande impreffion; mais il eft incapable de fentimens
vifs & profonds. Il a un comique dans,
l’efprit qui pafle jufqu’à fon coeur, qui fait fentir
que l’amour n’eft pour Jui ni férieux, ni ref-
peélé. Il ne demande'aux femmes que le mérite
de Ja figure ; dès que vous plaifez à fes yeux
cela lui fuffit, & tout autre mérite eft perdu. Il
fait faire un bon ufage de fon loifir & de fes
talens. Comme il a de tous les efprits, il qçrh
fur tous les fujets ; mais la plus grande partie de
ce qu’il fait doit être l ’objet de nos admirations.
& non pas de nos connoiifances. Il fait des vers
en homme d’efprit & non pas en poète. Il y &
pourtant des morceaux de lui qui pourraient être
avoués des meilleurs maîtres. Des grands fujets,
il^ pafle aux bagatelles avec un badinage noble &
léger. Il femble que les grâces vives & riantes
l’attendent à la porte de fon cabinet pour le conduire
dans le monde, & le montrer fous une
autre forme ; fa converfation eft amufante & aimable.
Il a une manière de s'énoncer fîmple &
noble, des termes propres fans être recherchés;
il a le talent de la parole , & les lèvres de la»per-
fuafion. i l montre aufli de la retenue ; mais de
la retenue, on en fait aifément du dédain; il
donne l’impreflion d'un efprit dégoûté par dé-
licatefle. Peu bleflé des injures qu’on peut lui
faire, la connoiffance de lui mêmî le riflure, &
fa propre eftime lui fuffîr. Je fu;s de fes amies
depuis long-temps ; je n'ai jamais connu perfonne
d un caractère fi aifé. Comme l'imagination ne
le gouverne point, il n’a pas la,chaleur des amitiés
naiflantes, aufli n'en a-t-il pas le danger. Il
connoît parfaitement les caradères ; il vous donne
le degré d’eftime que vous mér'tez ; il* ne vous
éleve pas plus qu'il ne faut ; il vous met à. votre
place, mais auffi il ne vous en fait pas defcendre ».
Sorti de Rouen avec fes feuls talens & fes ouvrages
, M. de Fontenelle leiir devoit t *i:e fa fortune,
qui moRtoit à vingt-un mi'le livres de rente,
& quatre-vingt mille livres d'argent comptant f
une aflez grande maifori, meublée , & une bibliothèque.
La définition fi heureufe de l’efprit, raifon af-
faifonnée9 raifon ingénieufe , femble, dit un auteur
moderne, avoir été faite d'après l'efprit de M. de
Fontenelle.
M. de 'Fontenelle s’étoit apperçu de bonne heure
que l'ignorant même pouvoir recevoir les femences
de toutes les vérités j mais que pour cet effet
il rallcjit ^ préparer fon efprit, & qu’ une idée
nouvelle etoit un coin qu’on ne- pouvoit faire
' entrer par le gros bout.
Quelqu'un le louant un jour de -la netteté d-
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