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Vomi quelqu’horrible blafphême,
C’eft qu’il ne le connoifl'oit pas.
ARGENSON (d’ ) , lieutenant de police,
mort en 1721.
Les citoyens d’ une ville bien policée jouilTent
de Tordre „qui y eft établi, fans fonger combien il
en coûte de peines à ceux qui l’établiffent ou le
confervent, à-peu-près comme tous les hommes
jouilTent d e là régularité des mouvemens célêftes ,
fans en avoir aucune connoiffance 5 & même plus
1 ordre d ’une police reffemble par fon uniformité
à celui des corps cé le fte s , plus il eft infenfîble,
& par conféquent il eft d’ autant plus ignoré qu’ il
eft plus parfait. Mais qui voudroit le connoître
1 approfondir en feroit effrayé. Entretenir perpétuellement
dans une ville telle que Paris , une
confommation immenfe , dont une infinité d’acci-
dens peuvent toujours tarir quelques fources j
réprimer la tyrannie des marchands à l’égard du
public , 8c en même-temps animer le commerce j
empêcher les ufurpations mutuelles des uns fur les
autres, fouvent difficiles à démêler 5 reconnoître
dans une foule infinie tous ceux qui peuvent fi aifé-
ment y cacher une induftrie pernicieufe, .en purger
la foc ie té , ou ne les tolérer qu’ autant qu’ils I
peuvent lui être utiles , par des emplois dont
d ’autres qu’eux ne fe chargeroient p a s , ou ne
s ’acquitteroient pas fi b ien } tenir les abus nécef-
fiires dans les bornes précifes de la néceflité qu’ils
f-'nt toujours prêts à franch ir, les renfermer dans
l’obfcurité à laquelle ils doivent être condamnés ,
& ne les en tirer pas même par des châtimens
trop éclatans, ignorer ce qu’ il vaut mieux ignorer
que punir, & ne punir que rarement 8c utilement
5 pénétrer par des conduits fouterreins dans
l ’intérieur des familles , & leur garder les fecrets
qu’elles n’ ont pas con fié s , tant qu’il n’eft pas j
néceffaire d’en faire ufage j être prefent par-tout
fans être vu ; enfin mouvoir ou arrêter à fon gré
une multitude immenfe 8c tumultueufe, 8c être
l’ame toujours agiffante, & prefqu’inconnue de
ce grand corps : voilà quelles font en général les
fon dions dumagiftrat de la police. Il ne femble pas
qu’ un homme feul y puifle fuffire , ni par la quantité
des chofes dont .il faut être in ftru it, ni par
celle des vues qu’ il faut fuivre, ni par.l’ application
qu’ il faut apporter, ni par la variété des conduites
qu’il faut tenir , & dés caradtères qu’il faut prend
re j mais la voix publique répondra fi M . d’A r -
genfon a fuffi à tout.
Sous lui la p ro p re té , la tranquillité, l’abondance,
la fûreté de la ville furent portés au plus,
haut degré. Il eut rendu compte d’un inconnu
qui s’y feroit gliffé dans les ténèbres j ce t inconnu,
quelqu’ingénieux qu’ il fû t à fe ca che r, étoit toujours
fous fes yeux 5 & , fi enfin quelqu’un lui
échapp oit, du moins, ce qui fait prefque un effet
é f a l, perfpnne n’ eût ofé fe croire bien c^çhé,
A R G
Environné 8c accablé dans fes audiences d’ une
foule de gens du peuple, pour la plus grande partie
peu inftruits même de ce oui les amenoit, vivement
agités d’intérêts très-légers 8c fouvent très-
mal entendus, accoutumés à mettre à la place du
difcours un bruit infenfé, il n’avoit ni l’inattention
, ni le dédain qu’auroient pu s’ attirer ou les
perfonnes ou les matières ; il fe donnoit tout entier
aux détails les plus v ils , ennoblis à fes yeux par
leur liaifon néceffaire avec le bien public 5 il fe
conformoit aux façons.de penfer les plus baffes
& les plus groffières ; il parloit à chacun fa langue
quelque étrangère qu’elle lui fût 5 il accommodoit
la raifon à l’ufage de ceux qui la connoiffoient le
moins 5 il coneilioit avec bonté des efprits farouches
, 8c n’employoît la décifion d’autorité
qu’ au défaut de conciliation. Quelquefois des
conteftations peu fufceptibles, ou peu dignes d’ un
jugement férieux , il les terminoit par un trait de
vivacité plus convenable & aum efficace. Il
s’ égayoit lui-même , autant que la magiftrature
le permettoit, des fondions fouverainement en-
nuyeufes 8c d é fa g r é a b le s8c il leur prêtoît de
fon propre fonds de quoi le foutenir dans un fi
rude travail. Ç Eloge par M. de Fontenelle ).
Il meuriit dans fa retraite , au-dehors de la
maifon dés filles de la Croix , au fauxbourg
Saint-Antoine. Il é t o i t , dit le duc de S.-Simon ,
. obligean t, p o li, refpe&ueux, fous une écorce
dure & brufque, & une figure de Rhadamante 5.
mais dont les yeux pétilloient d’efprit, & répa-
roient tout le refte.
U n jour d’ émeute , la populace affailloit fa
porte. M . d’Argenfon monte dans fa vo itu re, &
dit à fon c o c h e r , en fortant de la co u r , au. pas.
L e peuple le v o i t , tremble 8c fe diflipe.
A R G E N T ,
L'argent, l'argent, dit-on, fans lui tout eft ftérile,
La vertu, fans argent, n’eft qu’un meuble inutile : L’argent feul au palais peut faire un magiftrat, L'argent en honnête homme érige un fcélérat.
Py r rh u s , Philippe, & beaucoup d’autres héros
, ont éprouvé que Y argent foumet les villes
plus promptement .que la plus nombreufe armée.
En amour fur-tout Y argent avance les négociations.
Au temps heureux où régnoit l’innocence,
I On goûtoit en aimant mille & mille douceurs,
Et les amans ne faifqient de dépenfes
Qu’en foins & qu!en tendres ardeurs ;
Mais aujourd’hui, fans fopulençe
Il faut renoncer aux plaifirs j
Un amant qui ne-peut dépenfer qu’en foupirs,
*T$ft plus payé qq?en efpérancç.
M.,
A R I
M. le maréchal de la Ferté nous fournit un
.exemple plaifant des outrages que l ’argent fait
Oublier.
Lorfqu’il prit poffeftion du gouvernement de
Lorraine , les juifs le vinrent faluer $ il ne voulut
pas, d’abord , les recevoir : « Je ne puis , dit-il,
» les voir fans-horreur , ils ont trahlmon maître
On lui apprit qu’ils lui portoient un préfent d.e
quatre mille piftoles. « Hélas 1 dit-il, Jorlqu’ils
»> ont trahi mon màître, ils ne le connoiffoient
93 pas». .
ARIOSTE (Louis) , né à Reggio, d’une famille
alliée aux ducs de Ferrare , mort en 1 y3 y.
Ce poète étoit le feul que le favant abbé de
Longuerue avoit admis dans fa bibliothèque :
« pour ce fou-là, difoit-il, il m’amufe quelque-
« fois ».
Arioft'e poffédoit parfaitement la langue latine,
mais il préféra d’écrire en italien. Le cardinal
Bembo voulut le diffuader de fe fervir de cette
langue, lui repréfentant, « qu’ il acquerroit plus
»3 de gloire en écrivant en latin, qui eft une langue
»3 plus étendue »3. J’aime mieux 3 lui répondit
YAriofie , être le premier des écrivains italiens 3 que
le fécond des. latins.
Il avoit bâti une maifon à Ferrare, 8c y avoit
joint un jardin qui étoit ordinairement le lieu où
il méditoit 8c compofoit. Cette maifon étoit petite
& fort fimple. On lui demanda pourquoi il
ne l’avoit pas rendu plus magnifique, ayant fi
noblement décrit dans fon Roland , tant de palais
lomptueux , tant de beaux portiques 8c d’agréables
fontaines? Il répondit, « qu’ on affembloit
» bien plutôt 8c plus aifément dès mots que des
»3 pierres 33. H avoit fait mettre fur fa maifon ce
diftique latin :
Parva , Ccd acta mihi, fed hulli obnoxia , fed non
Sordida , parta meo fed tamen are domus.
UAriofie s’emporta un jour contre un potier de
terre qui chantoit des ftances de fon poème, &
brifa plufîeurs de fes vafes, en lui difant : tubrifes
Vharmonie de mes . vers 3 qui valent bien un autre
prix que ta vile marchandife.
Le cardinal d’E ft, à . qui il dédia fon Orlando
furiofo , admirant la fécondité de fon génie,
s’écrioit : mejjire Louis | ou diable aveç-vous puifé
tant de faillies bouffonnes ?
On a une excellente tradu&ion de ce poème
charmant,, par MM. Panckoucke 8c Framery.
UArioJle, d’une famé délicate 8c foible, fut
obligé fouvent d’avoir recours à l’art des médecins
j il fit paroître beaucoup de fermeté 8c de
tranquillité dans fa dernière maladie, 8c dit à *
Enctyclopcdianà.
A U ïoj
ceux qui étoierit préfen s , « que pîufieurs de fes
»» amis étoient déjà pa rtis, qu’ il fouhaitoit de les
3» r e v o ir , 8c que chaque moment le faifoit lan-
33 g u ir , tant qu’ il ne feroit point parvenu à ce
33 bonheur 33.
A R I S T A R Q U E vivoit environ 148 ans avant
J. G . Son nom exprimoit déjà du temps d’H o race
, un cenfeur judicieux 8c d é lica t , & il eft
encore en ufage parmi nous. Arifiarque fit la critique
d e s . ouvrages d’Homère & de Pindare ,
d’Aratus 8c de pîufieurs autres. A l’ âge de foixante-
douze ans , il fut attaqué d’ une hydropifie, 8c
voyant qu’il n’en pouvoit g u é r ir , il fe laiffa mourir
de faim.
A R IS T ID E fut un des hommes célèbres qui
honorèrent la république d’Athènes. Il obtint le
furnom de Jufie, & fa vie entière répondit à ce
titre glorieux. Il mourut vers l’ an' 475 avant
J. C .
U n jour que l ’on jouoit une tragédie d’Efchile,
l’ adeur ayant récité ce v e r s , qui contenoit l ’éloge
d’Amphiaraüs , il ne veut point feulement parottre
homme de bien & jufte , mais l’être effectivement, tout
le monde jetta les yeux fur Arifiide, 8c lui en fit
l’application.
Il préfidoit au jugement delà caufe de deux particuliers.
L ’ un des deux pour le prévenir en fa faveur
, dit que fa partie adverfe s ’étoit toujours
montrée ôppofée aux démarches d’Arifiide. « Eh
» mon ami, lui répartit ce juge intègre en l’ inter-
33 rompant, dis feulement les maux .qu’ il t ’a
33 faits j- car c’ eft ton affaire que je juge & n o n la
33 mienne 33.
L e peuple d’A th èn e s, qui prétexta fouvent la
crainte d’une trop grande puiffance, pour éloigner
un citoyen auquel il portoit en v ie , exila Arifiide par un jugement de l’oftracifme. C e fut
dans cette oçcafion qu’un payfan ne le connoiffant
p a s , vint le prier de m ettre fur fa coquille le nom à*Arifiide. L ’ illuftre athénien lui demanda, « fi
» celui qu’ il vouloit bannir lui avoit fait quelque
»3 tort 33 : Aucun , répondit cet homme : mais je
fouffre impatiemment de l’entendre toujours appel-
1er le jufie. « Arifiidefans prononcer un feul
>3 m o t , prit la co q u ille, écrivit fon nom 8c la
» rendit. Il partit pour fon e x il, mais en priant
33 les dieux de ne pas permettre qu’il arrivât à fon
33ingrate p a tr ie , aucun malheur qui le f it re-
33 gretter 33.
Lorfque Arifiide partit pour fon e x i l , 8c qu’on
le conduifoit hors d’Athène s, un de fes ennemis,
lui cracha au vifage. Il s’effuya fans fe plaindre , 8c fe tourna vers le magiftrat qu il’ accorhpagnoit :
33 c ’eft à- vous , lui d it- il, 8Cavertir cet homme ,
33 de peur qu’il n*en agiffe ainfi envers quelque
3» autre >».
O