Monfeigneur , répartit Vficaire , elle mon aurait
bien davantage f i je favois écrire comme vous
favei parler & agir.
Après la repréfcntation de Zaïre, un Seigneur
qui conduifoit une dame jeune & belle , lui dit: » !
moniteur, voici deux beaux yeux-auxquels vous
avez fait répandre bien des larmes : » ils s'en
vengeront fut bien d’autres , répliqua Voltaire.
Le prince de Conti fit des vers pour Voltaire,
très-jeune alors. C ’étoit dans le temps d'OEdipe.
L'auteur de cette tragédie dit un jour au prince : »
monfeigneur, vous ferez un jour un grand poëte j
ii faut que j e vous faffe donner une penfion par
je roi. » Dans un fouper , il dit encore au
même prince : « fommes-nous ici tous princes ou
tous poètes » ?
Les ennemis de Voltaire s’ efforcèrent de faire
tomber Orefte. Un cinquième aéle plus fairpour
le théâtre Grec que pour le nôtre, favori fa la
cabale. Barbares , leur dit Voltaire, c’eft du
fophocle ! madame de Graffigny lui répondit en
parodiant un vers de Molière ;
E x c u f e z -n o u s , m o n f ie u r , n o u s n e fom m e s p a s G r e c s .
A la repréfcntation d’une tragédie de Voltaire
, qui n’eut pas un grand fuccès, l’ abbé
Pellegriü fe plaignit hautement de ce que notre
grand poète lui avoit dérobé beaucoup de vers •* »
comment, difoit-il, i Voltaire , vous qui êtes
fi riche vous prenez ainfi le bien des autres » ?
■— Quoi-' jè vous ai volé , reprit l’auteur de la
Henriade ? je ne m’étonne donc plus de la chûte
de ma pièce. »
Voltaire faifant jouer aux DéHces pires de Genève
, fa Rome-Sauvée , le préfident de Monte
fquieul, qui étoit fpeélateur, s’endormit profondément
ï M. de Voltaire, lui jetta fon chapeau
à la tête en lui difant. » 11 croit être à
i'audience. »
Un jeune homme qui fe dîfpofoit à étudier
en médecine , fit part de fon deffem à M. de
Voltaire ». Q u’allez - vous faire, lui dit-il, en
riant ? Vous mettrez des drogues que vous ne
conr.oiffez point, dans un corps que vous connoif-
Tez encore moins ».
Voltaire i tant encore très-jeune, avide du plaifîr
de s’mftruire, faifoit à chaqme inftant des quef-
tions. Defpreaux lui reprocha un jour cette in-
diferétion avec une impatience mêlée de dureté.
Dans un âge plus avancé , il avoit pris les quef-
tjonneurs dans une telle averfion, qu’il lui eft
arrivé plui d’une fois de fe lever brufquement,
& de quitter la place. Il difoit à un homme de
Genève, qui lui avoit fourni l’idée & le modèle
de l’înterrogant bailli dans le Droit du Seigneur.
« Monfieur, -je fuis très-aife de vous voir} mais
je Vous avertis que je ne fais rien de ce que vous
m’allez demander ».
Dans des momens d’humeur, Voltaire fe refu*
foit abfolument à la foule du monde qui venoit à
Ferney, attirée par la feule curiofité de le voir.
«« Qu’on dife que je n’y fuis pas, crioit-il avec
emportement, me prennent-ils pour la bête du
Gévaudan ?. »
M. de Voltaire a dit : ««Au théâtre il Yaut mieux
frapper fo r t, que de frapper jutle ».
Un homme de beaucoup d’efprit accufoit devant
Voltaire un de leurs amis communs, de ne
lui avoir pas facilité les moyens d’une place qui
étoit depuis long-temps l’objet de fes voeux. Il
me donnoit toujours pour raifon, difoit-il à 1 il-
luftre vieillard, qu’une puiffance fupérieure lui
iioit les mains. « Il difoit vrai, répliqua V oltaire ,•
& faYez-voüs quelle étoit cette puiffance Cupé-
rieure ? Non. — G’atoit moi-même» Et
pourquoi, s’il vous plaît? C ’eft qu’avec vos
talens, oh eft tout ce qu’on veut, & que celui
que je vous ai préféré, ne peut être que ce^que
je le ferai} avec moi il faut fe preffer, demain je
ne ferai plus ».
Un bel efprit avoit envoyé â Voltaire une tragédie,
pour la foumettre à fon jugement. Il U
lu t, & la pofarçt enfuite fur fa table : « La difficulté,
d i t - i l , n’eft pas de faire une tragédie
comme celle-ci, mais de répondre à celui qui l’a
faite ».
Voltaire faifoit un jour l’éloge du fameux médecin
Haller devant un flatteur, qui vivoit avec
cet homme célèbre. Le flatteur dit fur le champ :
«c Ah 1 monfieur, il s’ en faut bien que M- Haller
parle de vos ouvrages comme vous parlez des
liens » 1 Voltaire répliqua : «« Il peut fc faire que
nous nous trompions tous deux ».
Aucun homme au monde n’a été tant loué 8c
| tant critiqué que l’iÜuftre auteur de la Henriade.
Que de lettres, que de réflexions, que de commentaires
, que de volumes enfin ! Auffi M. de
Voltaire a-t-il dît : « J ’ai valu de bons honoraire*
à plus d'un auteur ».
Il n’y a que trop de gens oilifs qui courent les
châteaux, fous prétexte d'en connoître les fei-
gneurs : ils y établiffent, fans façon, le plus long
domicile.Voltaire, en les voyant arriver, faifoit
quelquefois cette prière : ««: Mon Dieu , délivrez-
moi de mes amis, je'me charge de mes enner
mis ».
Voltaire étant à Colmar, vivoit beaucoup avec
le préfident & la préfidente de Klinglin. Us avoient
le plus bel enfant du monde , qui fut frappé tout-
à-coup d’une paralyfie aux cuiffes 8e aux jambes :
« C ’eft, dit le grand poète, en baifant ce peut
infortuné.
infortuné, la tête de l’amour fur le corps de Lazare
».
Trois dames charmantes vinrent rendre vifite à
Voltairey & embrafsèrent de bon coeur le Virgile
françois. Voltaire les fupplia de s’affeoir, &
leur dit î « Les Grâces debout font fort bien, affiles
encore mieux, couchées que font-elles » !
Tout le monde connoît ces vers de la Henriade
:
Su r un a u te l d e f e r , u n l iv r e in e x p l ic a b le
C o n t ie n t de l’ a v e n ir l ’h i fto ir e ir r é v o c a b le .
Un des amis de Voltaire lui demanda pourquoi
cet autel étoit de fer? H é ! morbleu, répondit
Voltaire, voudriez-vous qu’il fut de coton ?
Vers de Voltaire a mademoîfelle Gaujfin , jouant
dans Ahfire.
C e n ’e ft pa s m o i q u ’o n a p p la u d i t ,
: C ’e ft v o u s qu ’o n a im e & q u ’o n adm ire }
E t v o u s d am n e z , ch a rm an te A l z i r e ,
T o u s c e u x qu e G u fm an c o n v e r t i t .
• Deux amis, en paffant par Geneve, allèrent
faire une vifite à Voltaires qui, comme on fait,
n'aimoit pas à être contredit. Un de ces meffiturs
dit : » Que ne puis-je, au lieu de cinq heures ,
paffer cinq mois avec cet homme étonnant l —
Mon ami, répondit l’autre, je n’y pafferois pas
cinq jours ; car enfin j’aime auffi. à avoir raifon
quelquefois ».
Voltaire arrivant fecrétement à Paris, fut arrêté
aux barrières par les commis des fermes. Ils
lui demandèrent s’il n’avoit rien dans fa voiture
qui fût fujet aux droits : « Meilleurs, leur répondit
il, il ri’y a que moi ici de contrebande ».
Voltaire donna Mahomet au théâtre françois,
en 1742; le comédien le Grand fut chargé du
rôle d’O.rnar. Cet aéleur, doué d’un très-bel organe,
mais de peu d’efprit & d’intelligepce, pre-
nonçôit', du ton le plus «plat & le plus bas, les
deux derniers vers de la harangue, qui peint l’effet
terrible de la préfence de Mahomet fur le peuple
& le fénat de la Mecque :
M a h om e t m a r c h e en m a î t r e , l’o l i v e à l a m a in :
L a t r ê v e e ft p u b l i é e , & le v o i c i lu i-m êm e ..
Voltaire indigné, apoftropha ainfi l'aéteur maladroit.
« O u i, Mahomet arrive, dites-vous,. c’eft
comme fi vous dilïez : range£ - vous -, voila la
_ vache ».
Lorfqu’on mit.au théâtre françois, en 1730,
.la tragédie de B rut us, Voltaire chargea Sarralîn
En'cyclopédiana,
du rôle de Brutus. A une répétition de la pièce,
la molleffe du ton de cet aéteur dans fon invocation
au dieu Mars, & le peu de fermeté, de grandeur
& de majefté qu’il mettoit dans fon jeu ,
impatientèrent Voltaire. «« Songez donc, lui dit-il
avec une ironie fanglante, que vous êtes Brutus ,
le plus ferme de tous les confuls de Rome, &
qu’il ne faut pas parler au dieu Mars comme ft
vous difîez : Ah l bonne Vierge, faites-moi gagner
à la loterie un lot de cent francs t
Un jour Lekaîn répétoit chez M. de Voltaire,
rue Traverfière, la tragédie de Mahomet} il y
jouoit Seïde, Une jolie demoifelle repréfentoit
Palmire} elle n’avoit que quinze ans : mais quoique
très-intéreffante, elle écoit très - éloignée*'
d’exhaler l.s imprécations que Palmire vomit contre
Mahomet, avec la force & l'énergie que fon
rôle exigeoit. M. de Voltaire iui ait avec douceur :
VMademoifelle, figurez-vous que Mahomet eft
un impofteur, un fourbe, un fcélérat qui a fait
poignarder votre père, qui vient d’empoifonner votre
frère, qui y pour couronner fes bonnes oeuvres
, veut abfolument coucher avec vous. Si
tout ce petit manège vous fait un certain plaifir ,
vous avez raifon de le ménager comme vous faites
5 mais fi cela vous répugne à un certain point,
voilà comme il faut s'y prendre. Alors le grand
homme joignant l’exemple au précepte, répète
lui-même cette imprécation, & parvient à faire
de cette demoifelle une adtrice très-tragique.
- Voltaire a ainfi jugé nos grands adieurs : « Baron
étoit plein de nobleffe, de grâces & de finef-
f e } Beaubourg étoit un énergumène } Dufrefne
n’avoit qu’une belle voix & un beau viiage } Ler
kain feul a été véritablement tragique ».
Voltaire ellimoit beaucoup la perfonne & les
ouvrages du célèbre abbé Métaltaze. Lorfqu’on
lui envoya-, quelque temps avant fa mort, le
projet de la nouvelle édition des oeuvres de cet
iUüitre italien-: « Je défirerois , dit-il à l ’éditeur,
que mon nom pût être placé à la tête des fouferip-
teurs, en dépit de l’alphabet ».
Voltaire plaifantoit quelquefois fur le ftyle de
certains auteurs, ftyle tout hériffé d'épithètes.
« Je voudrois, difoit-il, leur faire entendre que
l’adjedlif eft le plus grand ennemi du fiibftantif}
encore qu’ils s’accordent en genre, en nombre 8c
en cas ! »
Voltaire féjournant chez dom Calmet, abbé
de Sénones, dont il ellimoit les profondes con-
noiffances, le. confuitoit, profitait d’une bibliothèque
très-bien fournie dans la partie de l’hif-
toire, & employoit les jeunes moines à lui faire
des extraits. Notre grand poète mangepit au ré-
feéloire. Il fe mit un jour à la fuite d’ur.e pro-^
ceflion} comme il écoit foible, il s’appuyoit fur
fon fecrétairc, qui étoit proteftant. Le marquis
D . d d d d d