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prétendoient tous deux à cet honneur. Arifiote fe
lit apporter deux bouteilles , lJune de vin de Rhodes
, 1Jautre de vin de Lesbos. 11 goûta d'abord le
premier v in , 8c en fut très-content : il paffa en-
luite au vin de Lesbos ; & lorfqu'il en eut bu :
« C e s deux v in s , d it- il, font trè s-bons , fans
« doute } celui de Lesbos me paroît cependant
» plus agréable ». Il voulo it, par cet ingénieux
trait de politeffe , donner honnêtement la préférence
àThéophrafte.
A R IT H M É T IQ U E . La ducheffe de . . . . re-
préfentoit depuis long-temps à fon mari l'énormité
de la dépenfe de leur maifon , qui abforboit & au-
delà leurs revenus : elle en accufoit l'intendant,
dont la fidélité lui paroifloit fufpeéte, & elle en
donnoit pour preuves fon luxe en habits , l'abondance
des mets qui chargeoient fa tab le, & le
gros jeu qu'on difoit qu'il jouoit. « Vous avez
» bien ratfon, madame, lui répondit le duc , j'ai
» déjà fait toutes ces obfervations : je foupçonne
*» du louche dans fes comptes j mais que faire ?
*» fes additions font toujours juif es ».
A R L A U D , peintre Genevois , mort en
1 7 4 7 , avoit enfeigné le deflîn au duc de C h a r tres
, depuis duc d 'Or léan s , & régent du royaume.
C e prince ne fut pas plutôt à la tête du gouvernement
>. qu'il s'emprefla de combler de bienfaits
les excellens artiftes. Arlaud venoit fouvent
lui faire fa cour , &. avoit la fatisfaélion d'être
diftingué dans la foule. « Je n'ai point oublié que
» je vous dois les premiers principes du deflin ,
» lui dit un jour le duc : je fuis trop reconnoiffant
» pour ne pas récompenfer mon maître : allez
» choifir dans ma galerie les tableaux qui vous
*» plaifent davantage, & faites-les emporter 5 je
» vous les donne ». L e peintre eut beau protefter
« qu’il avoit aflez reçu de- la générofité de fon al-
te ffe , & qu'il étoit d'ailleurs récompenfé par la
gloire d'avoir eu un tel é lè v e , il fallut fe rendre. Arlaud entre dans la galerie où font raflemblés les
chefs-d'oeuvres des plus grands artiftes de toutes
les écoles , & fixe fon ch oix fur deux tableaux
peints par le régent lui-même. C e trait adroit
d ’un fin courtifan fut admiré. « J e fuis fâ c h é ,
» lui dit le prince , que vous vous contentiez de
» fi peu de chofe. — C 'e ft, monfeigneur, ce qui
» pouvoit m’être le plus précieux , répondit Ar-
» laudy qui tro u v a , en arrivant chez lu i, deux
excellens tableaux , & vingt mille francs en or que
lui envoyoit fon augufte é le v e , pour récompenser
fes foins & fon défîntéreflement.
A R L E Q U IN . Quelques-uns prétendent que
le nom & Arlequin doit fon origine à un jeune aéteur
italien qui vint à Paris fous le régne de Henri III.
Comme ce comédien étoit accueilli dans la maifon
du préfident Achilles de H a lla i, fes camarades
J'appellèrent îLarleqiàno , félon l'ufage des italiens,
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qui donnent fouvent le nom des maîtres aux va*
lets, & celui des patrons aux çliens. D ’autres
difent que le nom a‘Harlequinus fe trouve dans
une lettre de Raulin, imprimée en 1 yzi } , 8c
dans d'autres écrits antérieurs au règne de
Henri III.
On a fait beaucoup de pièces fous le titre d*Âr-
ieguin . . . . On s'elt auflî beaucoup fervi de ce
rôle pour parodier diftèrens opéra.
| La petite farce italienne â'Arlequin bouffon fournit
une anecdote qui trouve naturellement place
dans cet article.
Cette pièce fit beaucoup de plaifir. On en imprima
le canevas, & l'on en fit des extraits pour
la commodité des dames, qui voulurent toutes
applaudir l'italien. Les maîtres de cette langue
firent de^ grands progrès de fortune j & il étoit de
mode d'en avoir un dans fa loge, polir fe faire
interpréter la pièce, à-peu-près comme les cicérones
que les voyageurs prennent en Italie pour le
faire expliquer les antiquités du pays.
Après^ une repréfentation de cette comédie y
Thomaflin s'avança fur le bord du théâtre, 8c
s’adreflant aux fpe&ateurs , dans un jargon moitié
italien, moitiéfrançois, qui faifoit plaifir dans fa
bouche, dit : ce Meilleurs, je veux vous dire una
» pied oie fable que j'ai lue ce matin : car il me
» prend quelquefois envie de diventar favarit;
» mais la dira en italien : & ceux qui Y entende-
» ranno , Yexpliqueranno à ceux qui ne l'entendent
» pas «.] Alors il raconta , de la manière la plus
comique, la fable de La Fontaine, du meunier 3
de fort fils & de l‘âne ; il accompagnoit fon récit de
tous les geftes qui lui étoient familiers : il defeeri-
doit de 1 ajtie avec le meunier $ il y montoit avec
le jeune homme , il trottoir devant eux: ilprenoit
tous les différens tons des contrôleurs & des.
coiTtrôleufes y 8c après avoir fini ce récit comique
, il ajouta- en françois : « MeffieuES, vé1-
» nons. à l'application j je fuis le bon homme , je
i fuis fon fils, & je fuis encore l'âne. Les uns.
» me difent : Arlequin 3 il faut parler françois},
» les dames ne vous entendent point, & bien
» des hommes ne vous entendent guère. Lorfque
» je les ai remerciés de leur avis, je me tourne
» .d'un, autre .côté y 8c des • feigneurs me difent ::
» Arlequin , vous ne devez pas parler françois y
» vous perdrez votre feu, &c. je fuis bien em~
» barrafle y parlerai-je italien ? parlerai-je. fran-
» çois ?; je vous le demande ,, Meilleurs ». Alors
quelqu un du parterre, qui avoit apparemment recueilli
les voix „ répondit : « Parlez comme il vous;
» plaira , vous ferez toujours plaifir »...
Thomaflin, Dominique & Carlin font les trois:
héros de Bergame qui ont rendu le rôle d'Arlequin
le plus intéreffant du théâtre italien , dont i l ne
refte aujourd’hui que le nom.
A R L I Qp
L ’ancienne troupe italienne avoit eu pour devife
ces paroles : 'caft'.gat ridendo mores ; & voici
comme elles furent données par Santeuil au cé lébré
Dominique, qui jouoit le rôle Arlequin
dans cette troupe. C e t a&eiir avoit envie
d’a v o ird e s vers latins de Santeuil, pour mettre
au bas du bufte à'Arlequin q,iii devoit décorer
l’avant-fcène de la comédie italienne. Sachant
que le poète ne vouloit pas fe donner la
peine d en faire pour tout le monde , il imagina
ce moyen pour en obtenir. Il s'habilla de fon habit
d i théâtre , avec fa fangle 8c fon épée de bois ,
prit un manteau qui le couvroit jufqu’ aux talons ; 8c ayant caché fon petit chapeau , il ' fe mit dans
une chaife à porteur. Quand il fut à la porte de
Santeuil, il heurta ; en entrant, ‘il jetta fon manteau
à terre 5 & ayant pris fon petit chapeau , il
courut , fans rien dire , d’un bout de la chambre
à l’autre, en faifant des poftures plaifantes. Santeuil
étonné d’abord , 8c enfuitè réjoui de ce qu’ il j
v o y o it , entra, dans la plaifanterie, & courut lui- 1
même dans tous les coins de fa chambre comme Arlequin y & puis ils fe regardoient tous d eu x , 1
faifant des grimaces pour fe payer de la même mon-
noie. La feene ayant duré un peu de temps , Arlequin
leva enfin fon mafque , & ils s’embraflèrent
avec la joie de deiix amis qui fe reconnoifîent &
font charmés de fe revoir. Santeuil lui fit fur le
champ ce demi-vers : cafligat ridendo mores 3 8c le
renvoya fort fatisfait de fa complaifance 8c de fa
bonne humeur.
C e même Dominique , né à B o lo gn e, jouoit
dans une fi grande perfection , que lorfqu'il mouru
t , fes camarades tinrent leur théâtre fermé pendant
plus d’ un mois , pour marquer au public
le regret qu’ ils avoient de fa perte. V o ici de quelle
manière il fut faifî de la maladie qui l'emporta à
l'âge de quarante-huit ans. Le fieur Bea^ champ,
maître à dan-fer de Louis X I V , avoit exécuté devant
ce prince une entrée fort fingulière dont fa
majefté avoit été très-fàtisfaite. Dominique, dans
un divertiflement donné devant le ro i, imita ,
d’une façon extrêmement comique , la danfe de
Beauchamp. C e prince parut y prendre tant
de plaifir, que le comédien fit durer fa danfe
auffî long-temps q u 'iîlu i fut poflîble. Comme il
s'étoit fort échauffé , & qu'il n'eut pas le temps
de changer de lin g e , parce qu'il falloit qu'il
jouât fon rôle tout de fuite , il lui fùrvint un rhume
qui fe tourna en fluxion de poitrine 5 8c il en
mourut huit jours après. Il biffa pîufieurs enfans,
parmi lefquels il y en eut d eux,. un garçon 8c une
fille, dont on a beaucoup parlé dans le mondé.
L ’un eft îe célèbre Dominique , fi connu, au nouveau
théâtre italien & à la fo ir e , ou il jouoit- îe
rôle de Trivelam , 8c oui il donna de très-bonnes
pièces-de fa cumpofitiorr. L ’ autre eft la demoiselle
Biancolelli, dite Ifabelle , qui époufa M . de
Turgis: „ officier dans- les gardes françoifês.
A R L
Rich , fameux Arlequin de Londres, fortant
un foi r de la comédie, appella un fiacre , 8c lui
dit de le conduire à la taverne du Soleil, fur le
marché de Glarre. A l’inftant où le fiacre étoit
prêt d’arrêter, Rich s’apperçut qu’une fenêtre
de la taverne étoit ouverte , 8c ne fit qu’ un faut de
la portière dans la chambre ; le cocher defeend ,
ouvre fon carrofle, & eft bien furpris de n’y
trouver perfonne. Après avoir bien juré fuivant
l'ufage , contre celui qui l’avoit fi bien excto-
qué, il remonte fur fon liège , tourne 8c s'en va.
Rich épie l’inftant où la voiture repafloit vis-à-vis
de la fenêtre , 8c d'un faut fe remet dedans ; alon
il crie au cocher qu'il fe trompe, & qu'il a pafié
la taverne. Le fiacre tremblant retourne de nouveau,
8c s'arrête encore à la porte. Rich descend
de voiture, gronde beaucoup cet homme ,
tire fa bourfe 8c lui offre fon paiement. A d'autres
M. le diable ,. s'écria le cocher , je vous connois-
bien , vous voudriez m'empaumer, gardez votre
argent : à ces mot s i l fouette, 8c fe fauve à toute
bride.
Les faillies échappées aux Arlequins ont été recueillies
fous le titre d'Arlequiniana , ou àlArle-'
quinades, nous allons en citer quelques-unes,
.pour en donner une idée.
Dans une des pièces de l’ ancien théâtre italien
qui étoient des canne va s- que les • aéleurs
rempliflbient fur fe champ j Arlequin. ( l’inimitable
Carlin ) entendit fon maître faire la plus amère;
fatyre des hommes, « Et lés femmes, mon-
» fleur, qu'en dites-vous ? — Les femmes ! . . .
» ah !' c'eft encore pis. — fi bien donc, reprend
» Arlequin 3 que nous ferions .parfaits fi nous n'é-
» tio-ns ni hommes ni femmes » ..
Arlequin ,. parlant de Ta noblefle , difoit : ».St
‘ » Adam s'étoit avifé d'acheter une charge de fe-
; » crétaire du roi, nous ferions tous nobles ».
Arlequin y prefle de raconter la mort de for?
■ père, répondoit: hélas! difpenfez-m'en, le pauvre
; nomme- mourut de chagrin de fe voir pendre.
On dit qu'un verre de vin fourrent un liomme>
. 8c moi, reprit Arlequin, j’en ai bu plus de foixante-
8c je ne peux pas* me foutenir\ comment celai
fe- fait-il ?■
Pantaîon donna à fbn- vafet Arlequin dès ry^
de veatt pour les apprêter, 8c comme ce valet
avoir peu d'e mémoire il lui donna par- écrit I'ûc—
comodage qu’il vouloit qu'il en fit J ce valet
mit les rys fur une planche x & il vint ufi char
quf les emporta: »ah ehot, criti le valet, er»
» lui" montrant de loin lè’ papier y ah ! chat, dis-
■ » moi, que te fervira d'avoir emporté ces* rys
, » de veau ,- car fans ce papier là tu ne" faurofs
. » pas les; accompder comme if faut »*.