• F A M IL IA R IT E . L ’orgueil des grands , ou
de ceux à qui quelque coup de fortune a fait croire
qu’ ils font plus que lès au tre s, eft d’autant plus
intolérable dans lès converfations, qu’on n’y de-
vroit reconnoître d ’autre grandeur que celle que
donne l'ufage de la raifon. Il y a un proverbe
allemand qui dit qu’on ne doit jamais manger de
cerifcs avec certains grands, parce qu’ ils en jettent
les noyaux aux yeux dé ceux qu’ ils ' regardent
comme leurs inférieurs.
Il eft fort fouvent dangereux d’avoir affaire à
eux j & autant qu’il eft poflible, il ne faut écouter
leurs reproches que de loin.
Le prince de Çonti ayant maltraité de paroles,
êc même de fes pincettes, Sarrafîn fon intendant
, ce. poète outré' de fa difgrace, alla fe
coucher & n’en releva point.
Dans un éclairciflcment fort aigre, que M. de
Chavigny eut avec le grand Condé, ce miniûre
en fortic avec la fièvre, dont il mourut peu de
jours après.
M. de Tkou étant allé faluer le roi- d’Angleterre
Jacques 1 , ce prince lui fit tant de reproches
de ce que fon père Jacques-Augufit de
Tkou avoit parlé trop librement de la reine Ma- \
rie Stuard dans fon hiftoire , qu’il en eut auffi
la fièvre.’
François I a été long-temps inconfolable, &
s’eft toujours reproché la mort du fameux Tri-
vulçe fon général en. Italie. C e grand homme
avoit encouru fa difgrace par les calomnies de :
fes ennemis 5. il voulut fe juftifier, & François I j
ne voulut pas »l’entendre. C e mépris & cette dureté
le touchèrent fi fort, qu’il fe mit au lit accablé
d’ennuis & de chagrins ; le roi averti de
fa maladie , envoya un page pour favoir de fes
nouvelles, auquel- ce vaiÙant général*dit que le
roi s’y étoit, pris trop tard, & en effet il mourut
peu après.
Le roi Charles I I étoit familier de fon naturel,
d’un accès très-facile, Si aimoit affez à voir &
à être vu. Plus d’une fois il dîna avec fes bons
fujets de Londres chez le lord-maire. Lorfque fire
Robert Viper eut été élu en cette qualité, il eut
l’honneur de donner à dîner à fa majefté. Sire
Robert y encouragé par fa bonté » & portant, des
fantés continuelles à la famille'royale, ^devint à
chique rafade plus paffionné pour fon prince*
& bientôt fa tendrene dégénéra en familiarité.
Charles I I 3 qui s’en laffa, fe leva de table, courut
à la porte, fans bruit, & fit avancer fon car-
roffe. Sire,Robert s’apperçut .de fon évafion ; 8C
trop fatisfait de fa compagnie pour le laiffer partir,
ii courut après lu i, le joignit fur l’efcalier,
& lui frappant dans la main: <« Oh! parbleu,
» fire , lui dit-il, vous re lie re z , s ’il vous p la ît;
vous ne me quitterez pas que nous n’ayons
» vidé encore une bouteille de vin »* L e roi fe
mit à rire, le regarda avec bonté; & fe tour-
- nant vers ceux qui étoient. préfens , il leur dit
ce vers d’une vieille chanfon : celui qui eft ivre
eft égal aux rois. Il revint avec le maire, & eut
la complaifancè de relier jufqu’ à ce que le bonhomme
eût befoin d’un guide pour trouver fon
lit.
Duclos étoit lié avec une perfonne en place qui
. aimoit fa fociété, & qui le traitoit comme fon
égal & fon ami. Du clos répondit à quelqu’ un
qui l’en féhcitoit : ce feigneur veut trop fe fàmi-
liarifer avec moi ; mais je le repouffe par-le refpefà.
FAN A TISM E. M y lord Bollingbroke dont l’imagination
étoit des plus fortes, fut chargé d’échauffer
quelques-uns dè ces érmffaires qiie les
anglois, après les avoir endpétrinés, lâchoient
dans les Cévennes , afin d’y exciter' le fanatifme ,•
il d fo it, en. racontant cette anecdote à un de fes
amis : je fus effrayé de mes fuccés.
On vint avertir François duc de Guife, qui faî-
foit la guerre aux protellans, que l’un d’eux étoit
dans fon camp à deffein de l’ aflaffiner ; ilTe fit
arrêter: ce proteftant .lui avoua fa réfolutiom Eft-
ce à caufe de quelque déplaifir que vous àyiez
reçu de moi ? — N o n , lui répondit ce fanatique*
c’en parce que ^vous êtes le . plus grand ennemi
de ma religion...—r Si votre religion vous porte
à m’affafliner, la mienne veut que je vous pardonne,
&. il le renvoya.
Pendant la guerre contre les albigeois ou languedociens
, en 1156, les croifés affiégèrent Béziers,
où il y avoit beaucoup d’hérétiques, mais
encore plus de catholiques : les chefs des'crei-
fés, en montant à l’aflaut, demandèrent au légat
du pape ce qu’ils dévoient faire, dans l’impoffi-
bilîté où l’on étoit de diftinguer les catholiques
d’avec les hérétiques : tueries tous, dit le légat;
Dieu connaîtra ceux qui font a lui. Femmes, filles,
enfans , -vieillards, foixantermille habitans de cette
malheureufe ville, furent tous paffés au fil de
l’épée.
En i f i o , les bohèmes, mécontens des pfinces
autrichiens, qui vlbloient perpétuellement leur capitulation,
avoient pris les armes & élu en fuite
pour leur roi Frédéric V , électeur palatin. Cette
démarche fut l’origine d’une guerre vive, longue
& fanglante entre les catholiques & les protef-
tàns d'Allemagne. La bataille de Prague eft un
des premiers 8c des plus éclatans a des de cette
grande querelle.
Les troupes proteftantes font retranchées fur le
Vaifémberg pour couvrir cette grande ville. Cette
pofition paroît fi refpedable aux chefs de l’armée
impériale, qu’après l’avoir examinée de tous
les côtés, ils opinent tous à fe retirer. Ç e t avis
alloit être exécuté, lorfqu’un carme efpagnol,
dont la vie auilère & l’extérieur mortifié en im-
pofoient aux fimples, promet , d’un ton de prophète
& de la part de dieu , une v :6loire entières
Soit que ce m'ojne ne foit qu’un yifionnaire, ou
que ce foit l’inllrument dont les généraux veulent
fe fervir pour animer l’armée, la chofercuffit
au-delà de ce qu'il étoit poflible d’imaginer. O fficiers
8c foldats, tout le monde, faifi d’un en-
thoufiafme fubit, veut combattre pour la caufe
de Dieu ; 8c ce feu, habilement ménagé par le
duc de Bavière & par le comte de Buçquoi, produit
la deftrudion de l’armée proteftante.
FANFARON. J’avpue franchement que j’ai
peur.quand je vais à l’adion, difo.it un jour Moniteur
d„e...... ; je fais .cependant, mon devoir en
hommp d’honneur, & je fuis ravi quand je peux-
.prévenir les ordres de mon commandant dans des
aétiôns d’éclat. Un jour il fut commandé pour
attaquer un pofte avec un autre officier ;^ce]ui-ci
marquoit beaucoup, de fermeté dans la marche,
faifoit proueffe.s de fes belles a&ions ; l’autre au
.contraire lui faifoit connoître fes inquiétudes. Le
fanfaron s’ en fcandalifa fi fort qu’il revint fur fes’
pas dire au général de .lui donner un autre officier
po.ur l’accompagner dans le coup de main
.qu’ ils alloient exécuter, parce..que celui qu’il y
avoit envoyé avec lu i, étoit un homme fur qui
il fie falloit pas compter; qu’il pourroit lâcher le pied
dans Faction, &que même il avouoit ingénument fa
foibleffe & fon peu de courage. Eh, Monfieur, dit
Je général , fi vous n’aviez pas plus de peur que
lu i, vous ne feriez pas -revenu me le dire- Re-,
tournez promptement où je vous ai envoyé ; car
vous courrez rifque de ne vous y pas trouver à
temps ; votre poltron pourroit bien vous ôtep la
gloiie .de l’aélion. Cela fe trouva véritable.
Un roi de Caftille, en fe faifant attacher fa
cuiraffe & fe préparant au combat, fuoit àgroffes
gouttes 5 comme il paffoit pour un prince cou-
•rageux fes officiers en étoient furpris; il s’en ap-
perçiit & leur d it , d’un air fanfaron : à vive
M dieu! -Si mon corps favoit à quels périls affreux
“ mon courage va l’expofer , il fueroit plutôt du
*>' fang que de l’eau ».
FARD. Un ambaffadeur turc étoit vifité par
plufieurs dames de la cour extrêmement fardées,
celles qui fe dillinguoient par leur beauté voulurent
(avoir comment il les trouvoit : je .ne puis
pas, leur dit-il, m’expliquer, bien clairement là
defliis, p.ar ce que je ne me connois pas en peinture.
Une ducheffe très-fardée fe promenoir dans le
parc de ÿerfailles avec d’autres dames ; un feigneur
de la cour, qui a la vue un peu*baffe ,
étoit de la partie ; il s’avifa, fous prétexte qu’il
étoit nouvellement arrivé de campagnë, de vouloir
donner à cette ducheffe un baifer qu’elle para
en faifant adroitement demi-tour à gauche, & en
fe tranchant derrière une ftatue qui fut tendrement
baifée à fon intention. Cette.méprife fit rire
toute' la compagnie ; mais le feigneur, fans fe déconcerter
, 8c prenant d’abord fon parti: il n’y
a rien de perdu, s’ecria-t-il, plâtre pour plâtre,
c’efl à peu près de même.
■ Une femme fe confeffoit à un religieux &
s’accufoit de mettre du rouge: il lui demanda
à quoi il étoit bon; elle lui répondit qu’elle en
ufoit dans le Beffein d’embellir fon vifage.— Mais
cela vous rend-il plus belle lui répondit le con-
feffeur ? -Du moins mon père je le crois ainff.
Le confeflfeur tirant alors fa pénitente du con-
feffionnal & l’ayant regardee au grand jour, allez,
dit-il,.Madame, mettez du rouge, vous êtes encore
a'ffez_laide.
, Feu M. l’évêque d’Amiens joign.oit à beaucoup
de piété, un grand fond d’efprit;. ce prélat étoic
même fécond en bons mots. Un jour une jeune
dame, moitié dévote, moitié mondaine, lui de-
mandoit la permiffion de. mettre du rouge : « je
vous l’ accorde volontiers, lui dit l’évêque,
» pourvu que vous n’en mettiez que fur une joue ».
FA R IN E L L I,, ( Brofchi dit ) mort en 1782;
ij fut l’un des plus grands muficiens, 8c. peut-
être la plus belle voix qui ait exifté. Il fut comblé
d’honneurs & de richeffes à la cour. d’Efpa-,
gne ; mais jamais ce favori, qui devint comme
premier miniftre, ne s’oublia dans le plus haut
degré de fa fortune.
Un jour allant à l’appartement du ro i, il entendit
l’officier de garde, dire à un autre qui n’a-
voit pas fes entrées : » les honneurs pleuvent fur
un hiflrion; & moi, qui fers depuis 30 ans, je fuis
fans récompenfe. » Le mufîçien employa fur
le champ fon crédit auprès du roi pour lui faire ,
figner un brevet qu’il vint remettre .à l’officier,
en lui difant : je vous ai entendU' difre que vous
ferviez depuis trente ans fans récompenfe, voilà
' celle que le roi vous donne.-
Un tailleur de Madrid lui ayant fait un habit
fuperbe , ne vouloit d’autre”' paiement, que de lui
entendre chanter un air. Farinelli le contenta,
& lu i caufà le plus grand enthoufîafme par le
goû t, l’art, & la. fupériôrité de fon chant ; puis
tirant fa bourfe, .il remit au tailleur le double de
ce qu’il pouvoit exiger ; & fur fon refus obftiné ,
il lui dit : recevez cet argent, j’ai l’ame fenfi-
ble & fiere,, & ce n’eft même que par là que
j’ai acquis quelque avantage fur les autres chanteurs.
Je vous ai cédé 5 il eft jufte que vous me
cédiez à vo tre tour.