
fc laiffa conduire fans parler, à l’hôpital de la
porte ( Loch'hofpital, ) où j’avois quelque intérêt
en qualité de gouverneur. La matrone reçut avec
bonté cette créature mourante, & je la fis mettre
<lans un lit.
Nous nous afsïmes à côté d'elle. Le pourpre,
dont le froid avoit coloré fes joues, fit place à
une couleur plus naturelle. Nous fûmes étonnés
de lui voir des mains qui n’étoient pas durcies par
le travail j elle, avoit une bague à fon doigt & un
braffeîet au bras.
Quand elle fut en état de parler, nous voulûmes
lui faire des guettions; mais elle nous
prévint, ôr, tournant fes regards vers moi, elle
me d it:« Moniteur, votre charité n'eft pas moins
refpeéiable peur être tombée inutilement fur
moi.........Si j'ai reçu vos fecours, c'eft parce que
je n'ai pas eu la force de les refufer. Je n'ai qu'une
grâce à vous demander , c'eft de me tailler
aller ».
Cette réfolution nous étonna : je la preflai, non
de s'expliquer, mais d'accepter les foins que nous
pouvions lui rendre : elle ne répondit point. Je la
recommandai en partant à la matrone : mais j’appris
qu'elle étoit partie fur le foir, & que ni les prières,
ni les offres n'avoient pu la retenir.
Je parlai de cette aventure à mes amis, qui
la regardèrent comme une fiélion romanefque.
J'avois peine moi-même à ne pas la prendre pour
une vifîon.
Cependant s fept ou huit- jours après, on me
demanda ma recommandation pour faire entrer
une malheureufe créature, dont la raifon étoit
difoit-on, altérée, dans une autre maifon de charité,
à l'entretien de laquelle je contribue.
Je vis cette malheureufe, & je la reconnus pour
la même perfonne comblée, s'il eft poflible, de
plus de misère encore.
Une circonfiance que j’avqis ignorée, rendoit
fa fituation plus affreufe. Elle elf groffe, elle
me pardonnera de publier une vérité défagréable,
& elle n'eft pas mariée.-
S’il y a quelque perfonne de fon fexe, car il
n*y en aura aucune du nôtre, affez barbare pour
croire que cette circonftance la rende indigne
de ccmpaflîon dans fon malheur ; que cette
ame dure & infenfible n'écoute pas plus avant
mon récit.
Mai$ j'accufeles femmes témérairement. Quoiqu'elles
fuient plus difpofées à punir cette faute,
ce ne font pas elles qui la puniffent le plus
fëvèrement.
Nos maifons de charité font infeéfées de ces
mêmes principes impitoyables. L'ipfortunée dent
je conte l’hiftoire l'éprouva ; & ceux qui ont
voulu |a fervir l'ont éprouvé aulîi.
Aucune charité publique ne voulut recevoir
la plus malheureufe de fon fex e , parce qu'elle
avoit eu une foibleffe; il ne lui reftoit de rel-
fource que dans l’hôpital général des femmes
groffes.
C'eft-là que la charité fe montre dans toute
fa pompe, & proportionne fes fecours à l'étendue
des befoins. Le ciel répand fur tous fa lumière
& fa rofée : les hommes ont fuivi une fois cet
exemple.
C e dernier afyle recueillit enfin cette femme
délaiffée. Les foins qu'on y prit d’ellerendirent
bientôt un peu* de tranquillité à fon ame; & ,
déterminée par le tendre intérêt que nous prenions
à fes malheurs, elle nous conta ainfi fon
aventure.
» Je fuis une pauvre fille abufée, d’une condition
qui n’eft ni vile , ni bien relevée. Je vous
dirai tout : . . . II n’y a qu’un nom que je veuille
vous cacher . . . . C'eft celui , ajouta t-elle, en
verfant quelques larmes , de l'ingrat qui m'a
abandonnée, qui m'a perdue. Mon nom eft Anne
Glynn-Alltn Je fuis née à Beddefort dans le Dé-
vonshire. Thomas Allen, mon père, y a un état
dont une fille plus h.ureufe pourroit fe glorifier.
Je vivois avec lui, je l'aimois ; j'aimois tous
ceux qu’il eftimoit. Parmi les perfonnes qui fré-
quentoient chez nous, un jeune homme avoit
fur-tout gagné l'amitié de mon père , il eut
bientôt la mienne ; il eut plus. . . . Il m'infpira le
premier fentiment'du plus violent amour ».
Nous ne pûmes nous empêcher de marquer
l’étonnement que nous caufa ce difeours, & le
ton dont elle le prononça. Après l’avoir interrompu
un moment pour répandre quelques larmes, elle
continua:« Mon père, pendant long-temps, ne
s’apperçutpoint de notre intelligence; mais, dès
qu'il l’eût découverte, il s'y oppofa. Quoiqu’il
eftimât le jeune homme, comme connoifïance,
il ne le jugea pas digne d’être fon gendre ».
« Pour m’expliquer plus clairement, il ne fe
trouva pas affez riche : car il ne lui manquoit
que la fortune. J’ai de la peine à faire ce reproche
à mon père ; mais ce tort, fi c’en eft un,
ne lui eft pas perfonnel. Les hommes riches ne
font pas grand cas de toute autre qualité dans
ceux qui font pauvres ».
« Comme mon père nous refufoit fon con-
fentement, nous prîmes la réfolution de nous
marier fans fon aveu : cette défobéiffance m'a
coûté cher, le ciel m’en a punie » . . . . Elle ne
put pas continuer, fans doute qu’elle ne put fou-
tenir l’émotion que ce reffouvenir excitoit en elle,
; elle tomba en foibleffe.
: ! I '' 1
P A Y
Nous la fîmes revenir par nos foins, nous
ne voulûmes pas lapreffer d'achever fa malheureufe
hiftoire; mais elle nous en raconta la fuite à différentes
reprifes.
Cette infortunée avoit pris des mefures avec
fon amant, pour aller fe marier à Londres. Se
regardant déjà comme époux, ils ne refusèrent
rien à leurs pallions : le jeune homme partit le
premier pour Londres, & écrivit à fa maitreffé de
ven r le trouver ; elle s’échappa de la maifon
paternelle avec fa femme-de-chambre, qui étoit
dans la confidence, & n’ayant que très-peu d'argent,
elle arrive à l’adreffe qu’on lui avoit donnée;
elle s'informe de fon amant; mais on ne lui en
donne aucune nouvelle.
Un matin fa femme de-chanibre difparoît avec
fon arg;nt, & elle r< lie plongée dans la misère
& dansia douleur, inconnue à tout l'univers; c’é-
toit au commencement d’oél./brp.
Depuis ce jour, jufqu'à celui où elle a été
recueillie dans cette maifon, excepté les mo-
mens qu'elle a pafiés à l'hôpital de la Porte , el'e
n’a eu d’autre lit que la terre, & d’autre couverture
que le ciel.
Sa nourriture éto:t des pommes & des châtaignes
fauvages. Elle erroit dans les campagnes, livrée
au plus horrible défefpoir j excitant la compaflion
de tous ceux qui la rencontraient , & r tufunt
conllamment tous les fecours qu’on lui offroitv
Enfin elle s’eft Iaillée conduire dans cet afyle ,
où elle attend le moment de fe délivrer du fruit
malheureux de fa foibleffe'; & nous efpérons
' qu’elle y recouvrera avec la fanté la paix de l’ame,
& qu’elle effacera par fon repentir & fa lageffe,
jufqu’ àux traces de fa faute..
P A Y S (René le ) ,-n é l’an 1636, mort en
1690.
Le Pays eut une aventure affez fingulièredans un
voyage qu’il fit en Languedoc. Le prince de Conti,
qui vivoit le plus ordinairement dans cette province,
s’écarta un jour de fon équipage de chaffe,
vint à l’hôte lerie où étoit le Pays, & demanda
a l'hôte s’il n’ y avoit perfonne chez lui. On
lui répondit qu’il y avoit un galant homme qui'
faifoit- cuire une poularde dans fa chambre pour
. fon dîner. Le prince, qui aimoit à s'amufer , y
monta, & trouva le Pays appliqué à parcourir
fes papiers : il s’approcha de la cheminée en
difant : la poularde éft cuite, il faut la manger.
Le Pays, qui ne connoiffoit point le prince , ne
ne^fe leva point, & lui répondit : La poularde
nefi point cuite & elle nefi deftinée que
pour moi. Le prince s’opiniâtra à foutenir qu’ elle
étoit cuite , & le Pays à dire qu'elle ne l’étoit
pas. La difpute s'échauffoit, lorfqu'une partie
PfHcyçlopédiana%
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de la fuite du prince arriva. Pour lors le Pays
le reconnut,, quitta fes papiers & vint fe jçc~
ter à fes" genoux, en lui difant \ lutteurs fois :
Monfeigneur, elle efi cuite, elle eft cuite. Le
prince qui étoit Lr irituel, aimable & fami ier fe
divertit fort de cette aventure, & lui répondit r
Puifqu elle efteuife , i l faut la manger enfemble.
Les railleurs appelèrent Ve Pays le finge de
Voiture, parce qu’il le ftatu it d imiter dans fes
lettres l'enjouement & la délicateffe de cet
auteur.
Le Pays ayant die à Linière : vous êtes un fot
en trois lettres : vous en êtes un , vous, lui répondit
Linière, en mille que vous avez com-
pofées.
PA Y SAN S . On a pris plaifir à peindre dans
de petits contes le gros bon fens des Payfms
& leur naïveté. Mais ne nous fions pas toujours
à leur franchife, qui fouvent n’eft qu'gpparente.
C ’eft aufli cette feinte ingénuité qui donne un
certain fel à leur réparties malignement naïves.
Le caroffe d’un évêque fe trouva arrêté dans
un grand chemin par une charrette ; fon cocher
eut beau crier au charretier de fe, ranger, l’injurier,
le menacer, celui-ci tint ferme & ne demeura
point en refte. Le prélat, impatiente ,
mit la tête à la portière, & voyant un gros garçon,
hardi & vigoureux : mon ami, lui dit-il >
vous avez l'air d'être mieux nourri qu’ appris,
sa Pardieu 1 monfeigneur , répond le , Piteau 5
»? cela n’ eft pas étonnant, c’ eft nous qui nous
« nourriffons, & c'eft vous qui nous inftruifez ».
O n ytâchoit d'expliquer à un Payfan fuiffe,
qui fe croyoit le plus riche des hommes, ce
que c'étoit qu'un roi. Lorfque l’on penfoit qu'il
avoit bien compris l'explication, il demanda d'un
air fier, fi un roi pourroit bien avoir cenr vaches
à la montagne. C e trait peut fervir à prouver
qu'en toutes chofes, nos connoiffances font pour
nous la mefure des poflïbles.
Deux Payfans furent députés par leur village
pour aller dans une grande ville choifir un peintre
habile ,, qui entreprît le tableau du maître-autel .
de leur églife : le fujet devoit être, le martyre
de faint Sébaftien. Le peintre à qui ils s'adref-
fèrent leur demanda, fi l'intention des habitans
étoit qu’on représentât Je faint vivant ou mort?
Cette queftion les embarraffa quelque tems ; enfin
un d’eux dit au peintre : le plus fûr eft de le
repréfenter en v ie , .fi an le veut mort on pourra
toujours bien le tuer.
Un évêque, faifant la vifite de fon diocèfe,
trouva dans une églife un tableau de faint Martin
repréfenté en cavalier. 11 demanda au marguillier
pourquoi on ne l'avoitpas peint en évêque. Oh!
A a a a a