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» cet argent, dit du Guefclin au légat , je ne veux 1
=» rien du peuple; ce ft au pape & aux riches
» cardinaux que j’en demande ; c’eft à eux à m'en
»- donner Les cent mille francs furent effc-Cti-
veraent rendus au p e u p le& les riches bénéficiers
feuls fe virent obligés de payer.
Charles, qui venoit de confifquer la Guyenne
fur ie roi Edouard, fon va fiai , avoir befoin de
du Guefclin pour faire valoir cette confifcatîon. Il
le rappela d’Efpagne. Du Guefclin , après s'être
emparé d'une partie de la Guyenne & de plufieurs
places .importantes, fe rendit à la cour , où des
ordres réitérés le demandoient. On vouloit l’op-
pofer à une nouvelle armée angloife débarquée à
Calais , & qui fe répandoit dans la France. Son
arrivée à. Paris infpira une confiance univërfelle
aux habit ans;» Le peuple le reçut au bruit des
acclamations , & cria Noël y ce qui jufqu’alors
n avoir été en ufage que pour les rois. Charles,
après lui avoir donné ces louanges fi précieufes
dans la bouche d'un prince fage & éclairé, lui
dit qu’ il lui avoir deftiné depuis long-temps l’épée
de connétable. Il faut, ajoura le prince, que
vous me promettiez de l’accepter. Du Guefclin fe
jetta aufii-tôt aux genoux du roi , & le fupplia
de confidérer, que cette épée étant entre les
mains d’un prince aufli confidérab.'e que le duc
de Bourgogne, il feroit téméraire de vouloir s’en
charger , & lui repréfenta qu’il n’éioit qu’un
paiivre chevalier & un pauvre bachelier dans le
métier des armes. « Mefïire Bertrand, lui dit
» Charles , ne vous excufez point ; je n’ai frère,
»> coùfin , neveu , comte , ne baron en mon
» royaume qui n’obéiffe à vous; & fi nuis en
« étoient au contraire, ils me courrouceroîent
33 tellement, qu'ils s’ en appercevroient : fi prenez
» l’office joyeufement , & je vous en prie 33.
Le •lendemain, le roi ayant aflemblé les grands
de fon royaume, ils approuvèrent fon choix d’une
voix unanime , & du Guefclin fut obligé de céder
à tant-de voeux réunis. Mais y en recevant l’épée
de connétable, il fupplia fa majefté de ne daigner
jamais ajouter foi aux rapports qu’on pourroit
faire contre lu i, fans lui avoir auparavant fait la
grâce de l’entendre; ce que Charles lui promit
dans les'termes les plus affectueux. Du Guefclin
redoutok moins les ennemis de l’état que les cour-
tifans du prince.
Pendant que du Guefclin étoit à la cour, la
r-eîne.açcoucha d’un fécond fils, qui fut Louis duc
d’Orléans. Le connétable eut l’honneur d’être fon
parrèin. Au milieu de la cérémonie , il fe'permit
une de ces faillies-qui annonçoient par-tout fon
zèle & fa franchife. Il tira fon'épée; & la mettant
entre les mains de fon filleul : « Monfeigneür,
lui dit-il,; je vous fais préfent de cette épée,
» & je la mets à .votre main, priant Dieu qu’il
fi vouÿ-fàffe la grâce; & qu’il vous donne tel &
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» fi grand coeur, que vous foyez un jour aufli
33 preux & aufli bon chevalier que fut oneques
» roi de France qui porta l’épée ».
La dignité dont du Guefclin venoit d’ être
revêtu, l’avoit rendu maître abfolu des opérations
de la campagne ; mais fidèle au fagé précepte
de Charles V , d’éviter ' de commettre le falut
de l ’état à l’évènement incertain d’un combat
décifif, il chercha toujours à ruiner l’ aimée des
ennemis par des marches & des contre-marches,
li fit une campagne entièrement femblable à celle
qui, fous Louis X IV , a fait paffer le maréchal
de Turenne pour le plus grand général de l'Eu-,
• rope. Il tomba dans le Maine & dans l’Anjou
fur les quartiers des troupes' àngloifes, les défit
toutes les unes après les autres, & prit de fa
main le général Grandfon. Du Guefclin, qui l ’avoit
d’abord vaincu comme général, vou'ut encore
le vaincre comme foldat ; & ayant vu d'un
coup d’oeil que fon armée ne couroit aucun rif-
que , il s’attacha à Grandfon. Celui-ci le reçut
en brave homme , & le connétable eût péri d'un
coup de hache que lui porta Grandfon, fi fon
âdrefle. & fon agilité ne Teuflent fauve de ce
danger. Il fe glifia fous le coup ; & faififiant fon
àdverfaire par le milieu du corps, fie fes efforts
pour le reiwerfer. Du Guefclin réuffit ; & lui
pofant le poignard fur la gorge , il le contraignit
de fe rendre.
La connétable mourut de maladie au milieu de
fes triomphes devant Châreau Neuf de Rendan
qu’il affiégeoit en 1380. Après avoir diète fon
teftament, il demanda l’épée de connétable, la
baifa par refpeCt, la remit-au maréchal de Sancerre
pour la rendre au roi ; & s’adreflant aux vieux
militaires avec lefquels il combattoit depuis quarante
ans , ii leur recommanda de ne point
oublier ce qu’ il leur avoit répété fi fouvent
Qu’en quelques pays qu'ils fijfent la guerre, les gens
d’églife , les femmes y les enfans & le pauvre peuple
nétoient point leurs ennemis•
Les anglois affiégés avoient promis de rendre
la place au connétable, s’ils n’étoient pas fecourus
, à certain jour indiqué. Quoiqu’il fût mort, ils ne
fe crurent pas difpenfés de lui tenir parole. Le
commandant ennemi, fuivi de fa gàrnifon , fe’
rendit à la tente dii' héros défunt. L à , fe prof-;
ternant devant lé cercueil, il dépofa les clefs de
la placer C e trait dé générofite', digne des temps
héroïqties, éft aufli un des plus beaux ûionurtiens
de l’éftime que l’on avoit pour le bon connétable.
Mais cette aneêdote brillante rapportée par plufieurs
hiftoriens, fe trouve contredite par deux
rhanuferits cités dans l’hiftoire de Languedoc. Il
y éft dit que le commandant de la place apporta
les clefs qüélques momens avant que le Connétable
expirât. C e fait paroîtra d’autant plus vrai-
femblable, que du Gpefdin mourut le 13 juillet,
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S? que le gouverneur devoit fe rendre, s’il- n’étoit
pas lecmiru, avant le n .
GUIDO RENI ou le GUIDE , né à Bologne,
1 1575, mort en 1642.
_ Cet artifte, fi juftement célèbre, étoit fils
d’un habile muficien, qui lui fit apprendre à
toucher du clavecin 5 mais la mufique avoit moins
de charmes pour lui que la peinture.
Le Guide étoit fi bien fait, fa phyfionomie
étoit fi agréable, que Louis Carràche le prenoit
pour modèle, quand il peignoir des anges.
Le Guide prétendoit que, comme peintre, on
devoit lui rendre beaucoup d’honneurs; en cette
qualité, il etoit fier & fuperbe. Travaillant toujours
avec un certain cérémonial, il avoit foin
d etre habille magnifiquement lorfqu’il fe mettoit
à 1 ouvrage ; fes élevés, rangés refpeétueufement
autour de lui', préparoient fa palette, nettoyoient
fes pinceaux, & le fervoient en filence.
Sur ce qu’on lui reprochoit qu’il ne faifoitpoint
fit cour au cardinaMégat de Bologne , qui défi-
roit fon amitié, il répondit : — « Je ne troque-
»3 rois pas mon pinceau contre la barette d’un
>3 cardinal •».
Paul V fe plaifoit infiniment à le voir travailler,
& lui permettoit de fe couvrir en fa préfence.
Le- Guide difoit què, fi le pape ne lui avoit
point accordé cette grâce , il l’auroit prifé de lui-
même , en fuppofant une incommodité, parce
qu'un tel privilège étoit dû à fon art.
Le Guide ne rendoit aucune vifite aux grands
qui t’honoroient de la leur, & difoit pour exeufer
fon procédé, que quand on venoit le voir, on
recherchoit fon art & non pas fa perfonne.
Il ne mettoit point de prix à fes tableaux .* le
paiement-qu’il en recevoit étoit toujours qualifié
Ci honoraires.
Hors de fon atteher 3 le Guide n’-étoit plus
le meme homme ÿ il devenoit aufli modelle
qu'il avoit paru fier & orgueilleux le pinceau'à
la main.
Ce n’étoit que l’art feitl de'la peinture qu’il
adoroit, pour ainfi dire, & vouloit faire refpeéter
de tous les hommes. La modeilie étoit tellement
une de fes vertus, qu'il brûla un grand nombre
de lettres que lui avoient écri.t des (avans ihuftres
& plufieurs fouverains, &qui.flattoient trop vive-
ment fon amour-propre. !
Ennemi de la galanterie; le Guide ne reftoit
jamais feul avec les femmes qui lui fervoient de
modèles.
Ll aimoit à occuper des appartemens vaftes,
ne les meubloit que des chofes abfolument
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néceflaires : — « Chez moi, difoit-il, on vient
” voir des tableaux, & non pas des tapifleries »,,
II étoit difficile d’obtenir un tableau de fa
main, il falloitle prendre par fon foible ; c’eft-à-'
dire, jouer avec lui.
Ce grand artifte travaillcit avec une facilite
prodigieufe. Un grand-duc de Florence lui demanda
une tête d’Hercule; il la peignit en moins
de deux heures-, en préfence de ce prince , qui iui
donna foixante piftoies, & une chaîne d’or avec
fon portrait.
Le Guide fit encore en moins de quatre heures,'
un grand tableau pour le cardinal Cornaro, qui
le vu, aufli tiavailler fous fes yeux : la bourfe
du cardinal lui fut ouverte ; & la diferétion qu’il
eut de n’y prendre qu’une fomme modique, lui
valut une chaîne d’or.
Extrêmement curieux de connoître le modèle
dont le Guide fe fervoic pour fes têtes de femmes ,
le Guerchin .pria un ami commun d’engager cet
excellent artifte à fatisfaire fa curiofité. L’ami
s étant acquitté de la commiflion , aufli - tôt le
Guide fit aflVoir fon broyeur de couleurs, qui
étoit la laideur même, & peignit la plus belle
tête de femme qu’on pût voir. « Allez, dit-il à
» l’ami du Guerchin, rapportez à celui qui vous
33 envoie, que lorfqu’on a l’efprit rempli de belles
*3 idées, l’on n’a pas befoin d’autre modèle que
33 de celui dont je viens de me fervir en votre
33 préfence ».
Il y eut toujours entre l’Albane & le Guide;
la plus grande rivalité ; c’eft ce qui leur fit produire
tant d’ouvrages admirables fi le Guide
faifoit un tableau & l’expofoit dans une des églifes
de Bologne, on étoit fur d’en voir bien tôt uii de
l’Albane dans le même endroit.
Le Jofépin examinant avec le pape un ouvrage
du Guide, dit à fa fainteté : — Nous autres ,
» nous travaillons comme des hommes y le Guide
33 travaille comme’un ange »3.
Les italiens ont dit poétiquement de ce peintre
immortel, que la grâce & la beauté étoient au
bout des doigts du Guide , lorfqu’il peignoit, &
qu’elles en fortoîent pour aller fe repofer fur les
figures qu’il animoic par fon pinceau,
Cet artifte a reprefenté la Tentation du premier
homme ; & comme il eft dit dans la Genèfe,que
le ferpent qui fécluifit E ve ,,lu i parla beaucoup,
le Guide a donné au ferpent une tête de femme.
Les hommes de génie mettent à profit les
moindres cjrconftances pour perfectionner l’art
ou lafcience qu’ils cultivent. Les dominicains de
Bologne, déplaçant un vieux cercueil, afin de le
mettre dans un autre endroit, l’ouvrirent &
tiouYçrent Je çorps tout entier \ mais, dès qu’ils