
A V O C A T . La profeflîon d’avocat étoït chez
les anciens, comme parmi nous, un état honorable
dont les fonftions conlîftoient à faire parler 'les
ioix en faveur de tout homme opprimé. Des nombreux
privilèges dont les avocats ont joui dans différons
temps , l’honneur & la gloire d’être les
defenfeurs des infortunés , font les feuls qu’ils
foient jaloux de conferver. La lifte & la vie des
avocats célèbres qui ont illuftré le barreau François
; formeraient l’ hiftoire de l’éloquence & de
la vertu. Si nous rapportons quelques plaifanteries
auxquelles pluneurs ont donné lieu, nous Tommes
bien perfuadés que la gloire de l’ordre des avocats
» en peut être obfcurcie.
Autrefois les avocats aimoient tant à inférer du
latin dans leur françois, que lorfqu’ils n’avoient
pas en main de beaux paffages , ils y mettoient
au moins de petites particules latines , qu’ils re-
gardoient comme des perles & des diamans , qui
femes ça & là dans le difcours, lui donnoient à
leurgre un éclat & un prix ineftimable. Voici
comment un avocat commença fon plaidoyer en
parlant pour fa fille. « Cette fille eft mienne ,
» meffieurs ; eft heureufe & malheureufe tout
” eniemble^: heureufe, quidem, d’avoir époufé
” ]e “ enr de la'Hunaudiere , gentilhomme des
” P‘us qualifies de la province; malheureufe, autem,
” d avoir, pour mari le plus grand chicanneur du
“ royaume, qui s’eft ruiné en procès, & qui a
" réduit cette pauvre femme à aller de porte en
« porte demander fon pain, que les Grecs ap-
» pellent ton arton..
» donne de conclure ». Hé bien, dit Y avocat',
je conclus a ce que la cour m’entende-
Un avocat du dernier fiècle, châfgé de défendre
la caufe d un homme , fur le compte duquel
on vouloir mettre un enfant, fe jettoit dans des
digreffions étrangères à fon fujet : le juge ne ceffoit
de lui dire : aü fait, venez au fait, un mot du fait ;
\ avocat impatienté de la leçon, termina brufque-
ment.fonplaidoyer, en difant : «. Le fait eft un
» enfant fait, celui qu’on dit l’avoir fait, nie le
» fait.: voilà le fait ». -
Un avocat qui défend une caufe , fe voit fou-
vent dans-la neceflîté. d’employer toutes fortes de
moyens, parce que chaque juge a fon principe,
bon ou mauvais , fuivant lequel il décide. Dumont*
célébré avocat, ctoit perfuadé de cette vérité Cet
avocat plaidant à la grand’chambre , mêloit à
des moyens ynâorieux, d’autres moyens foibles
ou captieux. Apres l’audience, le premier prefident
du Harlai, lui en fit des reproches. « Monfieur le
” Pleh“ ent:» U1 rePondit-iî 3 un tel moyen eft pour
» M. un tel j cet autre pour M. ùn tel ». Après
quelques feances,l'affaire fut jugée,& M c. Dumont
gagna fon procès. Le premier préfident l’appella &
lui dit : «Me. Dumont vos paquets ont été rendus
» a leur adrefie ».
Un avocat commençant fon plaidoyer en cette
maniéré : «. Les rois, nos prédçceffeurs , &ç.
» — avocat, couvrez-vous, lui dit le préfident,
» vous êtes de trop bonne famille pour refter dé-
___ » couvert ».
Un avocat célèbre plaidoit pour des bateleurs
& farceurs qui avoient un procès. Le préfident lui
marqua fa ftirprifè de ce qu’il s’étoit chargé de la
defenfe de tels gens. « J*ai penfé, répondit I V
» vocat 3 que puifque la cour avoir bien voulu
" ^eur donner aPUdience, je pouvois plaider pour
» eux ».
Un avocat parloit de la guerre de Troye & du
Scamandre dans une affaire où il ne s’agifloit que
d’ un mur mitoyen entre deux payfans ; Y avocat
adverfaire interrompit'l’érudition de fon confrère
en difant : « La cour obfcrvera que ma partie ne
** s’appelle pas Scamandre , mais Miehault ».
Un avocat dont lé plaidoyer paroiffoit trop étendu
pour la caufe qu’il défendoit , avoit reçu ordre du
premier préfident d’abréger j mais celui-ci, fans
rien retrancher, répondit d’ un ton ferme que ce
qu’il difoit étoit effentieL Le préfident éfpérànt
enfin le faire taire, lui dit ; « La cour yous or-
Un avocat fit payer très-chèrement une confuî-
tation a une demoifelle- qu’il vouloit époufer ;
comme elle lui en fit des reproches : « y ai voulu >
» lui dit-il , vous faire fentir combien la profejfiom
M d.avocat eft lucrative , afin que vous compreniez
» que je fuis un ban parti ».
M. Dumont avoit été interrompu, en plaidant ^
PJr Harlai, premier préfident, qui lui dit j
Dumont, abrégez. Cet' avocat cependant,
qui croyoit que tout cè qu’il avoit à dire éloit eflen-
tiel dans fa caufe, ne retfanchoit rien de fon plaidoyer.
M. du Harlai fe crut offenfé, & dit à cet
avocat : fi vous continuez de nous dire des chofes
inutiles, l’on vous fera taire. M e. Dumont s’arrêta
f}°J.s tvout eourt 3 & après avoir fait une petite paufe
il dit a M. du Harlai : «. Monfieur, puifque la cour
» ne m’ ordonne pas de me taire , vous voulez bien
» que je continue ». Le premier préfident, piqué
de cette réfiftance , ou peut-être de cette diftinc-
tion faite entre lui & la cou ;, dit à un huiflier :
faifîflez-vous de la perfonne de M e. Dumont-
huiftier „ dit cet avotat, je vous défends d’attenter
à ma perfonne , qlile eft facrée pour vous
dans le tribunal ou je plaide. Mi Y avocat général
parla pour M e.^Dumont, & foutînt qu’il ne de-
■ voit pas être arrêté. La chambre fe leva fans rien
décider. Mais la decifion de cette’ affaire fut fou-
mile a .Louis X IV qui, bien informé, dit qu’il ne
çondamnoit pas 1 avocat. Dumont repris
deux^ jours après fori plaidoyer, qu’il continua
fans être interrompu j mais ce fut le dernier qui!
prononça.
M. Lemaître, après s’être |fâit'le plus grand
nom par fes plaidoyers, s’étoit retiré à Port-Royal-
des-Champs, & cet homme célèbre avoit pris
pour fa fonction d’être l’écorïome du monaftère
& d’acheter les provifions néceflaires pour la
maifon j il fut un jour, pour cet effet, à la
foire de PoiflTy, & y acheta un certain nombre
de moutons « celui qui les avoit vendus
fufeita quelques chicanés & lui fit un mauvais
procès fur le prix delà vente, prétendant plus
d’argent que M. Lemaître, déguifé en marchand
fous le nom de Dranffé, ne lui en avoit
donné. Ils plaidèrent eux-mêmes leur caufe devant
le bailli de Poiffy. Le Marchand Dranffé
•foutint fon* droit avec cette éloquence qui avoit
fait tant de réputation à M. Lemaître j il .cita
les loix, la coutume, les ordonnances de nos
rois, & montra un favûir & une- érudition qui
jettèrent M. le bailli dans le plus grand étonnement.
Sa partie advçrfe l’interrompit deux ou
trois fois, à tort & à travers, fans favoir ce
qu’il difoit î aufli le juge lui impofa filence en
lui difant: « T a is - to i, "gros lourdaut, laiffe parier
ce marchand} s’il falloit vuider le différend
à coup de poing, je crois que tu en battrois
une vingtaine comme lui } mais il s’agit de raifon
& de juftice, & il aura tes . moutons malgré
to i, il fe les a bien payé». Puis fe retournant
du côté du prétendu Dranffé, il prononça une
lêntence en fa faveur &-lm d it:'« Je vois bien
que vous n’avez pas toujours exercé le métier
que vous faites j il faut que vous ayez été autrefois
avocat & fils de maître, vous avez la
langue trop bien pendue : vous dites d’or : vous
favez le aroit & la coutume. Je vous con-
feille de quitter le négoce & de vous faire
avocat plaidant, vous y acquerrez autant de
gloire que le célèbre M. Lemaître ».
U avocat d’une veuve, qui avoit un procès de
famille qui duroit depuis quatre-vingts ans, dit
un jour en plaidant devant M. le premier-pré-
fidant de Verdun: « Meffieurs, les parties ad-
verfes qui jouiffent injuftement du bien de mes
. pupiles , prétendent que la longueur de leur op-
prelfion eft pour eux un titre légitime, & que
nous ayant accoutumés à notre misère, ils font
en droit de nous la faire toujours fouffrir. Il y
a près <Pun fiècle que nous avons intenté adfcion
contre eux ; & vous n’ en douterez point, quand
je vous aur-ai fait voir par des certificats in-
contefhbles que mon ayeul, mon père & moi
fommes morts à la pourfuite de ce procès. ~
Avocat, interrompit le premier préfident, Dieu
veuille ayoir votre ame » : & fit appeller une autre
caufe. •
En Allemagne les avocats fourniffent des mémoires
des fommes qui leur font dues pour la
fuite de chaque affaire. Un d’eux avoit mis en
ligne de compte, plus trente fols pour m’être
t'èvêillé la nuit & avoir penfé à votre affaire. Il
n’eft pas difficile de faire ainfi monter les honoraires.
Un Avocat y étant malade, fit fon teftament
& donna tous fes biens aux fous, aux lunatiques
& aux enragés : & comme on lui en demanda
la raifon, il dit qu’il vouloit les rendre
à ceux de qui il les tenoit.
Un avocat qui s’étoit apperçu que quelques
confeillers dormoient pendant qu’il plaidoit, s’écria
: que je fuis à plaindre, la cour fommeiîle
tandis que je fuis dans le fort de ma caufe! Le
.premier préfident, indigné de ce reproche, lui
dit : M e. un te l, la cour, bien éveillée, vous
interdit.
Un avocat venoit de gagner une affaire d’importance
pour une fill,e qui avoit eiP plufieurs
amans , mais qui ne l’avoient point enrichie.
Comme cette demoifelle fe piquoit de reconoif-
fance, elle dit à fon défendeur qu’elle n’avoit
que fon coeur à lui offrir} mais l’avocat prudent
lui répondit qu’il ne.prenoit point d’épices, &
qu’il fâlloit qu’elle les réfervât pour fon rapporteur.
Un avocat ayant commencé ainfi fon plaidoyer
: Xerxes avoit une armée d’un, million d hommes
y lë préfident voyant qu’il s’alloit engager
dans un long préambule, lui d it, en l’ interrompant
: faites vite pajfer cette grande armée , le
pays eft ajfer foulé.
L ’origine de l’ufage qui oblige les avocats de
figner leurs écritures peut être rapportée à une
ordonnance du roi Jean, en 1363. C e prince,
dans la vue de réprimer le luxe oratoire dont on
fe piquoit dans fon fiècle encore plus qu’ à pré-
fent, {défend- de plaider plus de deux fois dans
la même caufe, & proferivit fous des peines révères
toutes répétitions inutiles , toutes digref-
fions,. toutes déclamations} & afin, ajoute-t-il,
que la fcience expérimentée des avocats foit mieux
connue de la cour, & qu’ils foient de plus en
plus animés à écrire bien, fuccin&emënt & ef-
fentiellement, ils mettront, dans la fuite, leurs
noms & leurs furnoms, en fin des mémoires &
écritures qu’ils compoferont pour leurs cliens.'
La mort de M. Légouvé affligea beaucoup le
barreau} placé parmi les premiers avocats de nos
jours, c ’etoit l’homme le plus défintérefle. Son
temps, fon travail, fes foins, fes fecours même,
il prodiguoit tout aux indigens. Sa probité fut
fi noble qu’ il ne fe permit pas même des moyens
légitimes d’avancement. Il difoit fpuvçnt ; « Ce
qui conviendroît à un autre homme, ne côn-
viendroit pas à un avocate.
Un avocat-étant venù préfenter à la reine Marguerite
le panégyrique dç la vierge Marie : combien
S i t