
le jugemement des enfans, que de, les éveiller
le matin en furfaut. Pour éviter ce danger, il
faifoit éveiller fon fils par le.Ton de quelque instrument
agréable.
Montagne infifte dans tout fon ouvrage fur la
douceur que les pèies doivent avoir pour leurs
enfans. Il conte à ce piopos, qu'un homme de
condition de fes amis , ayant perdu à l'armée fon
fils unique, qui étoit de grande efpérance , lui
difoit : Mon pins grand chagrin eft d’avoir éleve
ce fils avec une li grande févérité, qu’elle lui a toujours
voilé , pour ainfi dire, la tendreffeque j’ a-
vois pour lui ; & je me reproche fans ceffe, de ne
lui avoir jamais montré à découvert la force de
l’amour-paternel ; mon défefpoir eft d'autant mieux
fondé, que je fuis sur qu’ il eft mort dans l'idée que
je4* ne l’aimois que foiblement:
Montagne avoit des bifarreries qui l’empêchèrent
de réuffir dans fa mairie de Bordeaux; fur
quoi Balzac rapporte un mot de M. de la Thi-
baudière, qui dit un jour à M. de Me ré , admirateur
de Montagne , au préjudice de Cicéron :
vous avez beau eftimer votre Montagne plus que
notre Cicéron; je ne faurois m’imaginer qu’ un
homme qui a fû gouverner toute la terre, ne
valut pas pour le moins autant qu’un homme qui
ne fut pas gouverner Bordeaux*
Charron a imité Montagne le plus qu’il a pu.
Cette imitation lia entr’ eux une amitié fi étroite-,
que Montagne, pour lui marquer l’affeétion qu’il
lui portait, lui permit par fon teftament de porter
les armes pleines de fa famille, parce qu’il ne
laiffoit aucun enfant mâle.
Montagne a inféré dans fes effais quelques pen-
fées des anciens, & particulièrement de Séneque
& de Plutarque fans les nommer; afin , difoit-il,
que Tes critiques vinffenr à s’échauder en donnant
des nafardes à Séneque & à Plutarque fur fon
nez.
On a dit de Montagne qu'il conno’ffoit bien
les petiteffes des hommes ; mais qu’ il en ignoroit
les grandeurs.
Les écarts de Montagne , ont fait dire à un bel
efprit, que quoique Montagne ne manque point
de s’égarer dès l’entrée de chaque chapitre , il
eit un des écrivains du monde, qui fachant le
moins ce qu’il va dire, fait le mieux ce qu’il
dit.
Montagne dit des littérateurs qui veulent être
tîniverfels. Un peu de tou t, rien de tout', à la
françoife.
Balzac difoit de Montagne s c’eft un guide qui
égare, mais qui nous mène en des pays plus agréables
qu'il n’avait promis.
Montagne dit dans un endroit, qu’il hait les
favans qtfi ne peuvent rien faire fans livres; &
ailleurs, que la fcience eft un fceptre en de certaines
mains & en d’autres une marote.
Mézeray appeHoit Montagne le Séneque chrétien
; Scaliger l’ appeüoit un hardi ignorant.
Sur la fin de fes jours , Montagne fe retira dans
une de fes terres , pour y mener une vie douce
& tranquille ; mais il fut expofé, ainfi que les
plus honnêtes gens de fon temps, aux malheurs
des guerres civiles. « Je fus, dit-il, pelaud à
toutes mains. Au Gibelin j’étois Guelphe, & au
Guelphe Gibelin ».
' Son air franc & fes manières affables le fauvè-
rent un jour d’un grand danger. Voici comme il
raconte lui-même le fait. «« Pendant les troubles
des guerres civiles, un quidam délibéra de fur-
prendre ma maifon & moi. Son art fut d’arriver
feul à ma porte & d’en preffer un peu inftam-
ment l’entrée. Je le connoiffois de nom & avois
occafion de me fier à lui comme à mon voifin
& aucunement mon allié. Je lui fis ouvrir comme
je fais à chacun. Le voici tout effrayé, fon cheval
hors-d’haleine, fort haraffé. Il m'entretint
de cette fable : qu’il venoiy d’être rencontré à
une„ demi lieue de-là , par un lien ennemi , lequel^
je connoiffois aulfi & avois oui parler de leur
querelle : que cet ennemi lui avoit merveilleufe-
ment chauffé les éperons : •& qu’ayant été fur-
pris en défarroi & plus foible en nombre , il
s’étoit jetté à ma porte à fauveté ; qu’ il était en
grande peine de Tes gens , lefquels il difoit tenir
pour morts ou pris. J’effayai tout naïvement de
le conforter, affurer& rafraîchir. Tantôt après,
voilà quatre ou cinq de fes foldats qui fe pré-
fentent en même contenance , & effroi pour entrer
: & puis d’autres , & d’autres encore après,
bien équipés & bien-armés, jufques à vingt cinq
ou trente, feignant avoir leur ennemi aux talons.
Ce myftère commençoit à tâter mon foupçon. Je
n’ignorois pas en quel fiècle je vivois, combien
ma maifon pouvoit être enviée, & avois plufieurs
exemples d’autres de ma connoiffance , à/qui il
étoit méfavenu de même. Tant y a que trouvant
qu’il n’y avoit point d’acquêt d’avoir commencé
à faire plaifir, fi je n’achevois, & ne pouvant
me défaire fans rompre, je me laiffai aller au
parti le plus naturel & le plus fimple , comme je
fais toujours : commandant qu’ils enéraffent. Ceux-
ci fe tinrent à cheval dans ma cour, le chef avec
moi, dans ma falle, qui n’avoit voulu qu’on éca-
blât fon cheval, difant avoir à fe retirer incontinent
qu’il auroit eu des nouvelles de fes hommes.
Tl fe vit maître de fon entreprit ; & n’y
reftoit fur ce point que l’exécution. Souvent depuis
il .a dit ( car il ne craignoic pas de faire ce
conte f que mon vifage et ma franchife lui avoient
! arraché la trahifon des poings. Il remonte à che«
val, fes gens ayant continuellement les yeuxfur
lu ip o u r voir'quel figne il leur, donneroit ; bien
étoi.nés de le voir fortir & abandonner fon avantage
».
Montagne, dans fes Effais , a peint l’homme
en fi peignant lui-même , & comme il fe connoif-
foit bien , cette vanité qu’on lui reproche de
faire de foi-même la matière de fon livre, peut-
être utile au leéteur.
Un reproche qu’on peut lui faire , eft le feep-
tîcifme qu’il profeffe ouvertement, & cette liberté
de rout écrire dont il fe fait gloire. Le cardinal
du Perron appelloit fes Effais le bréviaire des
honnêtes gens, fans doute à caufe des fentimens
de générofité & d’humanité qui y font répandus.
M O N T E C U C U L I , C Raimond de ) général
italien , né en 1608, mort à Lintz en 1680.
Montecu.cu.li avoit cet amour pour les lettres,
fans lequel il n’y avoit point de véritable grandeur.
C ’eft par fes foins que l’académie des curieux
de la nature fut établie. Il a écrit desjné-
moires en italien, où les militaires trouvent des
modèles & des leçons de leur art. C e général
fut le feul digne d’ être oppofé au célèbre Tu-
renne. Tous deux, dit un iliuftre hiltorien, avoient
réduit la guerre en art. Ils paffèrent quatre mois
à fe fuivre, à s’obferver dans des marches &
dans des campemens, plus eftimés que des. vic-^
toires par les officiers allemands & françois. L’un
& l’autre jugeoit de ce que fon adverfaire alloit
tenter par les démaiches que lui-même eût voulu
faire à fa place, & ils ne fe trompèrent jamais-
I's oppofoient l’un a l’autre la patience , la rufe ,
l ’aélivité, & tout ce que le génie , la fcience militaire
& une longue expérience peuvent fuggérer.
Montecuculi étoit*affez grand pour honorer un
rival , & aftez honnête homme pour plturer fin-
cèrement fâ thort. Sur le point d’en venir aux mams
avec Turenne, & de commettre fa propre réputation
au fort d’une batailie, il apprend que le général
françois vient d’être emporté par un boulet de canon,
il répand des larmes & s’écrie dans I’àmertume
de fa douleur : « Je regrette & ne faurois trop regretter
l’homme au deffus dé l’homme, un hom-
qui faifoit honneur à la nature humaine ».
Viélor Amédée , duc de Savoie, fe plaifoit à
raconter le trait fuivant de l’ illuftre Montecuculi.
Ce général des armées de l’empereur avoir, dans
une marche, donné ordre , fous peine de mort,
que perfonne ne paffàt par les bieds. Un foldat
revenant d’un village & ignorant les défenfes,
traverfa un fernier qui étoit au milieu des bleds.
Montecuculi qui l’ appei çut, envoya ordre au pré-
;vôt ne l’armée de le faire pendre. Cependant le
foldat qui s'avançait allégua au général qu’ il ne
favoit pas les ordres. Que le prévôt faffe fon
devoir, répondit Montecuculi. Comme cela fe
paffa en un inftant, le foldat n’avoit point encore
été défarmé. Alors plein de fureur il dit : Je n’é-
tois pas coupable -, je le fuis maintenant , &r tira fon
fufil fur Montecuculi. Le coup manque , & Montecuculi
lui pardonne.
MONTE SQ UIEU, (Charles Secondât, baron
de la Brede & de) né le 18 janvier 1685), mort
le 10 février 17J ƒ.
En entrant dans le monde, difoit un jour Mon-
tefquieu , on m’annonça comme un homme d’ef-
prit, & je reçus un accueil affez favorable des
gens en place ; mais lorfque par le fuccès des
lettres perfannes , j’eus peut-être prouvé que j’en
avois, & que j’eus obtenu quelqu’eftime de la
part du public , celle des gens en place fe refroidit
; j’ effuyai mille dégoûts. Comptez, ajou-
toit-il, qu’incérieurement bleffés de la réputation
d’un homme célèbre , c ’eft pour s’en venger qu’ils
l’humilient ; & qu’il faut foi-même mériter beaucoup
d’éloges, pour fupporter patiemment l’éloge
d’autrui. Cette anecdote eft rapportée par l’auteur
du traité de l’Efprit.
La liberté avec laquelle Montefquieu parle dans
fes lettres perfannes du gouvernement & des abus
de la religion, lui attira une exclufion de la part
du cardinal de Fleury, lorfqu’iJ fe préfenta en
1728 pour une place de l ’académie françoife. Il
prit, dit l’auteur du fiècle de Louis X I V , un
tour très-adroit pour mettre le miniflre dans fes
intérêts ; il fit faire en peu de jours une nouvelle
édition de fon livre, dans laquelle on retrancha,
ou on adoucit tout ce qui pouvoit être condamné
par un cardinal & par un miniftre. Montefquieu
porta lui-même l’ouvrage au cardinal qui ne lifoit
guères , & qui en lut une partie. Cet air de confiance
, fontenu par l’empreffement de quelques
perfonnes de crédit , ramena le cardinal ; & Montefquieu
tntra dans l'académie.
Get iliuftre auteur a confacré vingt années ,
ainfi qu’il l’a avoué lui-même, à la compcfition
de l’Efprit des loix. Quand il vit ce que tant
de grands hommes en France, en Angleterre St
en Allemagne avoient écrit avant lu i, il fut dans
l’admiration ; mais il ne perdit pas courage : &
moi auffi , je fuis peintre , a-t-il pu dire avec le
Corrège , ed io anche fon pittore. On penfed)ien
qu’il a fallu qu’ un nombre prodigieux de volumes
lui paffât par les mains. Sa méthode étoit
de faire l’extrait de tout ce qu’il lifoit. Il ne per?
doit jamais de vue fon objet ; il l’avoit fans ceffe
devant les yeux , dans toutes fes le&ures ; ï tranf--
crivoit les paffages qui lui convenoient, & il pla-
çoit au-deffous fes idées, fes réflexions; voilà
comme fe fiant affemblés les matériaux de l’Ef-
prit des loix.
Montefquieu avoit fait plufieurs voyages pour
s’inftruire par lui-même des moeurs, du génie.&