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.R E G N A R D , (Jean François) né en 1647* ]
mort en 170^.
L ’inclination que Regnard Fe fentit de bonne
heure pour-les voyages, le conduifit en dfférences
contrées de l’Europe. A Ton retour d’Itajie, il fut
pris par deux vaiffeaux corfaires, & conduit à Alger
avec fes compagnons de difgrace. Comme il |
avoit toujours aimé la bonne chère, il étoit un ]
grand faifeur de ragoûts, & fon adrefie en ce
genre lui procura l’emploi de cuifinier du maître
entre les mains duquel il tomba . Ses manières
prévenantes & fon enjouement joints à
la bonne mine, le firent aimer des. femmes favorites.
Son maître ayant découvert fes intriguer,
le livra à la juftice pour être puni félon les loix,
qui veulent qu’un chrétien .trouvé avec une ma-
hométane, expie fon crime par le feu, ou fe
falfe mahométan. Le conful de la nation fran-
çoife , qui avoit reçu depuis peu de temps une
l'omme confidérable pour le délivrer, ayant appris
ce qui fe pafloit, î interpnfa fon autorité ;
& alla trouver le maître , qui d’abord ne voulut
rien écouter : mais le. conful.ne fe rebutant pas*
lm repréfenta que rien rv étoit plus trompeur que
les apparences ; que quand la chofe feroit vraie >
il y auroit peu de gloire à lui de faire périr fon
efclave, que d’ ailleurs en le perdant, il perdroit
une fomme confidérable qu’ il“ avoit à lui donner
pour fa rançon. Cette dernière raifort fut plus
forte que les autres. Le maître fe laiffa gagner,
retira Regnard des mains du Divan, en avouant
qu’ il l’avoit accufé fur un tîmple foupçon, & que
fon crime n'étoit confirmé par aucune preuve*
8c il le remit en liberté, après avoir reçu le prix
dont il étoit convenu avec le conful.
Regnard voulut voir la Laponie. Il pénétra juf-
qu’ à la mer Glaciale, 8c l’on peut dire qu’ il ne
s’arrêta qu’où la terre lui manqua. Ce Fut alors
qu’il grava avec fes compagnons de voyage ,
fur une pierre & fur une pièce de bois ces quatre
y ers.:
Gallia nos genu.it, vidit nos ^.jfrica , Gangem
Haufimus, Europamque oculis lufiravimus omnem3
Cafibus & variis acli terrâque manque,
Hic tandem fietimus, nobis ubi défait orbis.
Regnard 8c Rivière Dufreni, firent chacun, à
jjeu près dans le même temps, une comédie du
Joueur. Ces deux auteurs s’accufère»t réciproquement
de plagiat ; ce qui donna occafion à l’é-
pigramme fui van te.
Un jour Regnard & de Rivière,
En cherchant un fujet que l’on n’eût point traité,
Trouvèrent qu’un joueur feroit un caraétêre
Qui plairoit par fa nouveauté.
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Regnard le fit en v er s, & de Rivière en profe.
Ainfi, pour dire au vrai la chofe,
Chacun vola fon compagnon.
Mais quiconque aujourd’hui voit l’un & l’autre ouvrage,
Dit que Rêgnard a l’avantage
D’avoir-été le bon larron.
Defpréaux difoit de Re gnard , qu’il n’étoit pas
médiocrement plaifant. Qui ne fe plaît pas à Re~
gnardt dit M. de Voltaire, n’ett point digne d’admirer
Molière.
L ’ intrigue de la comédie du Légataire, pièce
de Regnardeiï principalement fondée fur la
fourberie de crifpin qui contrefait le moribond
pour diéler un teftament. Cette fourberie n’eit
que la copie d’un fait véritable arrivé du temps
de Regnard. Qt\ a néanmoins reproché à cet auteur
d’en avoir fait iifage dans fa pjèce : mais Regnard
a peut être penfé que les tours d’adreffe étant les
fecrets des fripons, ne pouvoient être trop divulgués.
Les autres pièces de cet auteur, confervées au
t-hédcre, font le Difirait, les Menechmes , Dé-
moerite , les Folies amoureufes %
Regnard fe retira dans une terre proche de
Dourdan, pour y goûter les délices d’une viefen-
fuelle & délicate dans la compagnie des perfonnes
choifies & dans les charmes de l’étude. Cependant
cette efpèce d’épicurien, cet homme vif & enjoué,
& qui infpiroit aux autres toute, la.gaî?é
qu’jl mettoit dans Tes drames, eft mort de chagrin,
& non fans foupçons d’avoir lui - même
avancé fes jours .par une médecine prife à contretemps.
REMBRANT v an R hin , peintre & graveur,
né l’an 1606 , mort en 1674,
Le fameux Rembrant, dont les gravures & les
. tableaux font fi eftimés, étoit fils d'un meunier, &
naquit dans_ un moulin.
Son père, voulant le faire élever avec foin, le
mit dans un collège de Leydej. mais Rembrant ne
s’appliqua qu’au deflîn, négligea toute autre é,tude,
& n’apprit qu’à peine à lire.
Un petit tableau qu’il fit dans fa jeune fie, &
qu'un amateur paya cent florins, lui procura la
plus grande réputation dans toutes les villes de
la Hollande.
Ce peintre s’écarta toujours de la manière fine
& léchée, fi ordinaire aux peintres de fon pays.
. Quelqu’un lui reprochant un jour que fa façon
d’employer les couleurs rendoit fes tableaux raboteux
, il répondit, qu’il étoit peintre & non
teinturier.
, Rembrant avoit de vieilles armures & d’autres
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chofes délabrées , qu’il ..copioit fouvent dans
fés ouvrages, & il difoit que c’étoit-là fes an
tiques.
Rembrantaimoicles grandes oppofitions de lu
mières & d’ombres : afin d’en obtenir plus fûre-
inent l’intelligençe, il avoit un, atelier confirait
de façon que le jour _ n’y entroit, que par un
trou, comme dans la chambre; noire, & il d?f-
pofoit de ce rayon vif comme il le jugeoit à propos,
pour refret de fes compofîtions, ; J ;
On raconte que Rembrant, ne trouvant point
fur-fâ palette de noir affèz foncé pour former le
degré d’ombre dont il avôit-befôin*' dans un de fés
tableaux, creva la toile ;d’un coup de poing à'
Fendroit -qu'il vouloit ren‘dre; extrêmement noir,
afin de parvenir, au moins ên-appatehee, à la perfection
qu’il cherchoit.
Il exifte une eftampe de ce maître, repréfen-
tant une femme couche’e avec un. homme. La
figure de,1a. femme a quatre bras ; Rembrant ayant
négligé d'effacer les deux qu’ù avoit. ajoutés '
en changeant quelque chofe à. fa première idée.,
: Rembrant n lavé’!à l’encre de la Chine toutes
les eftampes de dqux des planches qù’il avoit. gra-:
vées. Ce procédé les rend femblablés à des deflins.
Qn .prétend qu’ il ,eut reçqurs. à .cet expédient,
parce ^qu’o.n l’avoit défié de réiiffir, fur ce qu’ il
s’étoit vanté de tromper facilement les plus grands
connoiffeurs. Les deux morceaux do,rît nous par-
loos.ônt en effet iong-t.-TnpspafTé pour.des deffins.
Il a failu leur répétition dans plufietirs cabinets
pour découvrir l’artifice.
Voici quelle fut l’origine d’une des eftampes
de Rembrant. Cet artifte, extrêmement lié avec
un bourguemeftre de Hollande, alloit fouvent
à la campagne de çe mag.ftrat. Un jour que les
deux amis étoient enfemble i un valet vint les
.avenir que le dîner étoit prêt. Comrpe ils alloient
fe mettre à table , ils s’apperçurent qu’il leur
manquoit de la moutarde. Le bourguemeftre ordonna
au valet d’aller promptement en chercher
aU village. Rembrant paria avec1 le’’bourguemeftre
, qu’il graveroit une planche ayant que le
domeftiquè fût revenu. Lagageure acceptée, Remirant
y qui portdit toujours avec lui des-planches
préparées au vernis, fe' mit auffi-tôt à l’ouvrage ,
& grava le payfage qui fe voyoît des fenêtres de
la falle où ils étoient. Cette planche fut achevée
avant le retour du valet : Rembrant gagna le pari,
& eut encorela fatisfadiou d’avoir fait une excellente
gravure.
Il avoit une fervante extrêmement babillarde :
après avoir peint fon portrait, il l’expofa à une
fenêtre où: elle fàifoit fouvent de longues con-
Verfatiôns. Les voifins prirent le-tableau pour la
fervante meme, & vinrent aufli-tôt dans le def-
feîn de difcouiir avec elle* mais,.étonnés de lui
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parler pendant plufieurs heures , fans qu’elle
répondît un feul m o t, ils trouvèrei^: ce filence
peu naturel , & s’àpperçurent enfin de leur
erreur.
Rembrant. faifoit vendre fes eftampes par fon fi's>
comme fi celui ci les eût dérobées. Il en expofoit
d’autres dans les ventes publiques; & , fous un
Habillement qui le rendoit méconnoilfable, il alloit
lui-même les mettre à l’enchère. Quelquefois encore
il feignoit de vouloit quitter la Hollande, 8c
de fonger à s’établir dans un autre pays. Il avoit
aufïi la .rufe de faire imprimer fes gravures à moitié
terminées, On Içs débitoit,:il les finififôjt en*
fuite ; & c’étqit une,nouvelle plaricbe.- Il he manquoit
pas d’ y* retoucher, quand e.llé çtoit ufée ;
& de légers clyangemens pr;9curorent,.pour la troi-
fième fois , la vente de' çe?, eftampes , quoiqu’
elles ne différafîent pas beaucoup ’des pré-î
cédences.
Sa femme entreprit de le.fecotadqr 8c dé faire
haufler le pdx ;de.fès,ouvrages. Elle lui'confcilla
d,e. foitîr , lécrettcment d’Amfierdam, & de, s’ab-
fenter pendant .quelque temps. La chofe s’étant
exécutée, elle ïit ’côùrir le bruit que fon mari étoit
mort'; & fe mit en .grand fi&uil. Trompés par de
telles apparences, les amateurs s’empreflereist de
venir acheter les ouvrages de Rembrant, que fa
prétendue veuve faifoit valoir encore plus qu’à
l’ordinaire.. Au bout de quelqqes moi s y Rembrant
reparut, & vint recueillir lesTruits de fa rufe,
Pour achever de faire connoître Rembrant, nous
obferverons que' fa phyfionomie cômmune, 8c
fon air greffier & mal-propre, répondoient à la
bizarrerie de fon habillement ridicule. Il ne .fe
plaifoic qu'avec des gens du peuple, & répon-
doit à ceux qui vouloient le mener en meilleur
compagnie : .ce,.Qqand j’ai deftètn de m’amu-
fe r , je me garde bien de, chercher les grandeurs
qui me gêneur; le pîaifir n’eft que dans la
j liberté ».
RÉMOULEUR. Un rémouleur ou gagne petit
de Modène, rencontra un jeune peintre étranger
fort pauvre , qui ctoit venu en Italie pour fc
perfectionner dans l’ art des A pelle.,, & dans l'ef-
pérance de trouver de l’ouvrage. Le-' rémouleur ,
touché de l’ extrême mifèredu peintre, lui donna
la moitié du petit1 logement qu’il poffedoit, 8c
voulut ab fol u ment le faire fubfifter du produit de
fa meule. Ce peintre efîuya peu de temps après
une maladie très-dangereufe;iî étoit fans reftource
& dans la dernière inquiétude , lorfque le rémouleur
lui dit : — « Soyez tranquille., j’ai de la
fan té , je me lèverai plus matin, je travaillerai
plus long-temps & je tâcherai de fatisfaire à vos
befoins ». — En effet, il lui donna les fecours
né ce flaires, le veilla pendant la nuit, & , par
, fes foins, lui fit recouvrer la fanté. C e peintre