
<ie l arc. bfau prend Ton arc & fon carquois pour
aller à la chafle. La guerre , en mêlant les nations
les unes avec les autres, a mêlé les moeurs, les
langues & les idées. Par-là les connoiiTances fe
. étendues, & les découvertes fe font multipliées.
•
G U E S C L IN , (Bertrand d u) né Tan 1 5 1 1 ,
mort le 13 juillet 1380.
^ Guefclin étoit doué de toutes les vertus
de l'ancienne chevalerie 5 il en avoit aulfi la noble
ignorance ; & les hiftoriens font mention qu'il ne
favoit lire^ ni écrire. On l'a dépeint d'une taille
forte & éjpaiffe, les' épaules larges, les bras
nerveux. Ses yeux étoient petits , mais vifs &
pleins de feu. Sa phyfionomie n'avoit rien d'agréable.
« Je fuis fort laid , difoit-il étant jeune,
” jamais je ne ferai bien venu des dames, mais du
» moins je faurai me faire craindre des ennemis de
» mon roi«.
Des fa plus tendre enfance, if ne refpiroit que
les combats. «« Il n'y a pas de plus mauvais gar-
» çon au monde, difoit fa mère ^ il eft toujours
39 bleffé, le vifage déchiré,, toujours battant ou
*> battu ».
Il pafloit un jour avec un de fes onc'es dans une
place .publique, où de jeunes garçons de la ville
s'êxerçoient à lg lutte : .iih d’encr’eux, plus adroit
& plus robufte, lès avoit tous vaincus ; -& fe
promenant fièrement dans la Carrière , i l déficit
tous ceux de fon âge d'approcher. Du Guefclin,
qui Touffroit impatiemment cette bravade, s’échappa
de la compagnie de fön condu&eur ; &
lorfque celui-ci, cjui croyoit toujours le jeune
Bertrand, à fes côtés, voulut s'approcher de plus
près pour voir les combatcans, il ne fut pas ‘peu
furpris de trouver fon neveu aux prifes avec le
jeune lutteur.- Mais,le combat ne fut pas long} .
le bourgeois , terraffé par du Guefclin, lui demanda
quartier.
Du temps de du Guefclin, la nobleffe s’aïTem- |
bloit fouvent pour donner des fêtes aux dames.
Renaud du Guefclin; père de Bertrand, & plufieurs
autres gentilshommes bretons, publièrent
un tournoi où furent invités tout ce qu'il y avoit
de plus brave en France & en Angleterre. Les
chevaliers bretons ne vodlant pas céder en magnificence
aux chevaliers des deux nations conviées ,
parurent au tournoi avec des équipages fupefb.es.
Du Guefclin avoit vu les préparatifs de celui de
fon père, & il fe promettoit de l’accompagner
dans cette fête briffante; mais Renaud, avant
que de fe rendre à Rennes, lui défendit de fortîr
de chez lu i , fous prétexte que fa jeuneffe le inet-
toit hors d’état de combattre contre des chevaliers
robuftes & aguerris, tels que ceux qui devoieijt
fe trouver au tournoi, Le jeune Bertrand, mécontent
de 1 ordre qu’ il avoit reçu, ne fongèa qu'aux
moyens de pouvoir l’enfreindre, & s'étant échappé
fecrettement, il fe rendit à Rennes. L à , il fuivic
la foule qui le conduifit à l'endroit où fe céiébroit
le tournoi. Du Guefclin comtemploic avec une
envie chagrine ces chevaux fi ricin.ment enharnachés,
ces chevaliers tout brillans d'or & de p a tries.
Le bruit des trompettes qui animoit les
combattans, & les acclamations qu'on donnoit
aux vainqueurs , le mettoient hors de lui-même.
Il poufifoit, il preffoit de tous côtés, pour s’approcher
de la barrière. Sa mauvaife mine lui attiroit
des injures de la part de ceux qu’il déplaçait, 8c
on le repouffoit fans confidération. Du Guefclin
fe trouva enfin dans une place d'où il pouvoir
tout voir commodément-, mais il n'en fut pas plus
tranquille. Après avoir été long-temps fpedtateur,
il découvrit un chevalier de fes parens, q u i,
fatigué de p!ufîeurs courfes, fe retiroit; il quitte
alors fa place, court & arrive en même-temps
que le chevalier dans l’hôtellerie où il logeoit.
5 étant approche de lui, il fe jettâ à fes genoux,
6 le conjura, par la gloire qu'il venoir d'acquérir-,
de lui prêter fes armes & fon cheval. Le chevalier
qurreconnut fon émotion au feu de fes yeux,
charmé de -trouver tant d'ardeur & de courage
dans un jeune homme tel que lui, accorda à du
, Guefclin ce qu'il lui demandoit } il l'arma lui-
même, & lui fit donner un cheval frais. Les
victoires les plus fignalces qu'il remporta dans la
fuite lui causèrent moins de joie que cet événement.
Il s'avance vers la place du tournoi, fe
fait ouvrir la barrière, & demande à combatrre.
Un des tenans ne fe préfenta que pour être vaincu.
Du Guefclin le heurta avec tant de violence, que
le chevalier'fut renverfé de deffus fon cheval. .Il
fe releva^, & fut terraffé une fécondé fois } mais
cette chute lui fut plus funefte que la première 5
il en refta dangereüfement blefifé. Du Guefclin
appella alors. Il vint un autre chevalier. Son père
même fe préfenta pour courir contre lui. Bertrand
qui le reconnut à fes armes, accepta le défi; mais
les trompettes ayant fonné la charge, au lieu de
s’avancer pour combattre, il bailla la lance, &
! lm fit une révérence profonde. Tout le monde fut
eçonné de cette a&ion. Quelques-uns crurent que
c’étoit par crainte pour Renaud, qui pafloit pour
un des plus braves chevaliers dé Ton temps.
D'autres p que ie vainqueur étoit las de fes deux
premières courfes: Mais'il recommeça à courir &
a ,vaincre. Plufieurs.chevaliers fe virent, te trafles les
uns après les autres; enforte que perfonnê n'ofpit
plus fe préfenter devant lui. On admiroit Ci force
& fon adrelfe; mais on étoit encore plus furpris
de fon attention à fe tenir caché fous fon cafque.
Renaud du Guefclin voyoit bien à fes exploits ,
qu’un autre motif, que la crainte d’être vaincu
avoit empêché l’inconnu de le combattre ; &? il
fouhaitoit d’autant plus de favoir à qui il étoit
obligé de ce ménagement refpeélueux. Tous Jes
fpeéfcatetirs avoient la même curiofité ; mais,
comine on n'efpéroît pas de le vaincre, on défef-
péroit aufli de le connoîcre. Un chevalier normand,
dont la force & l’adrèlfe étoient reconnues
de toute l'Europe, s'étoit préfenté au tournoi,
moins pour y acquérir de la gloire que pour rap-
peller le fouvenir de celle qu’il avoit fi fouvent
eue dans ces fortes de jeux. Après avoir terraffé
deux ou trois chevaliers , il s'étoit retiré à l'autre
bout de, la carrière , où il s'entretenoit avec les
dames , comme un homme qui en avoit affez
fait. Les exploits du jeune inconnu attirèrent fes
regards; & les dames l’ayantprié de le combattre
pour favoir fon nom, il demanda à courir contre
lui. Du Guefclin accepta le défi. On les vit partir
avec une vïteffe incroyable. Le chevalier normand
exécuta fon déflein, & enleva le cafque
du breton. Mais celui-ci, outré de fe voir découvert,
faifit fon adverfaire avec tant d'adre’ffe &
de force, qu'il l'enleva de deffus fon cheval, &
le mit au nombre des vaincus. Si l’étonnement
des fpeétateurs fut grand à la vue de ces exploits,
quel fut celui de Renaud ? 11 accourt vers fon fils,
& l’embraffe tranfporte' de tendreffe & de joie.
Du Guefclin , charmé de fe voir applaudi par fon
père1 eft goûta mieux fa viéloire. Il alla recevoir
le prix deftmé aux vainqueurs; & fuivi de toute
la nobleffe qui l accoftipagnoit, il fut offrir fur
le chanip le prix au chevalier qui lui'âvoit prêté
for. cheval & fes ârmes. Cette dernière aétion
acheva de lui gagner l’eftime de ceux qui en
furent les témoins; on vit avec plaifir qu'il allioit
au courage & à l’adreffe un coeur généreux &
reconnoiffant.
Du Guefclin, après avoir également fignalé fa
bravoure dans plufieurs combats particuliers fi fort
recherches par les preux chevaliers, èmployaplus
ùtilçment fes armes &r fon courage contre les
ennemis de fon roi & de fa patrie. Pendant la
prifon du roi Jean, après la funefte barailie de
Poitiers en 13 il vint au fecours de Char'es,
duc de Normandie, fils aîné du roi & régent du
royaume. Il lui fervit à forcer Melun, à rendre \
libre la rivière de Seine, & à lui foumettre bien \
des places. Charles conçut dès-lors pour au Guefclin
une eftime particulière, dont il lui donna des
preuves lorfqu il eut fuccédé à la couronne en
1364. Cette^ même année du Guefclin, à qui
Charles avoit confié le commandement de fes
armees, remporta fur le roi de Navarre la bataille
de Cocherel, village près d’Evreux. Le
captai de Buch, qui commandoit les troupes du
r?» de Navarre , fut pris par du Guefclin même,
aîdé de.Rolland Bodin. Un moment avant la bataille
, du Guefclin courant de rang en rang , infpira
a, tous les foldats le courage qui l’animoit : « pOUr
** Dieu, amis, difoit-il, fouvenez-vous que nous1
» avons un nouveau rpi de France: que fa cou-
» ronne foit aujourd’hui étrennée par vous ».
1 j Pâ*x S*^tant fa,'te entre Charles V & le roi
j avarre, du Guefclin paffa en Efpagne, où il
fit des'prodiges de valeur. Il entreprit ce voyage»
no» P ^ r , à l’exemple des chevaliers de fon temps ,
redrefler^ les torts de quelques particuliers , &
venger l’honneur des belles dames, mais pour
fecourir des peuples accablés fous le joug de la
tyrannie. Il chafTa de Caftille Pierre-le-Cruel ,
prince fouillé du meurtre de fes frères & de celui
de fa propre époufe, 8c qui ne ceffoit de vexer fes
fujets II fit couronner à fa place Henri, comte de
franftamare, frère naturel de ce roi. Le nouveau
monarque, plein de reconnoiftance pour les fer-
vices de du Guefclin, lui fit un préfent de cent
mille^ecus d’o r , 8e le décora de la dignité de
connétable de Caftille. Cette aélion & plufieurs
autres de du Guefclin, furent repréfentées par la
fuite dans differens tableaux qui décoroient un
hôtel qu’achetèrent les Guifes. Henri de Guîfe,
furnommé le Balafré, celui-là même qui voulut
faire tonfurer Henri I I I , & qui fut tué à Blois
avec fon frère le cardinal, fe promenant dans la
galerie où ces peintures étoient placées, difoit au
fenechal Carcado : « Je regarde toujours avec
» plaifir du Guefclin ; il eut la gloire de détrôner
/unj y ran ” • Mais ce tyran , répondit le fénéchal,
n etoit pas fon roi.
Du Guefclin avoit mené à cette expédition les
grandes compagnies, qui défoloient la France. On
appeloit ainfi les troupes..qui, étant reliées fans
emploi après la paix faite entre la Bretagne, l ’Angleterre
& la Fiance, s’étoient divifées par pelotons,
& mettoient tout le pays qu’elles parcouraient
à contribution. Les campagnes d’Avignon,
où réfidoit le,pape, ne furent pas plus refpettées^
& le faillit pere fulmina une cxcommunicat on
contre les chefs & les foldats. Lorfque du Guefclin
fe mit en chemin pourl’Efpagne, il pria le pape de
vouloir bien contribuer aux frais de cette expédition
; mais le faint père, au lieu d’argent, ne
lui promit qu’une abfolution pour l ’armée. Les
troupes inftruites de cette négociation n’en furent
que plus ardentes à ravager les terres d’Avignon.
Un légat du pape vint trouver du Guefclin pour
le prier <Tappaifer ces défordres : « Je ne le puis,
».répondit le général, vous devez connoître mieux
». que moi la Force des anathèmes de J’églife ; de-
» puis qu’on les a lancés contre nos foldats, ils
» font devenus loups-garoux. Ils ne nous écoutent
» plus. J e confeille au pape de lever l ’excommu-
» nicadon, & de leur envoyer dé l’argent ; c’eft-
»,1a le feul moyen de leur rendre raifon; aurre-
» ment ils deviendront pis que des diables ». -L’avis
etoit preftant. Le pape envoya offrir à l ’armée la
levee de l’excommunication, beaucoup de prières
pour le fu.ccès de leurs.armes, & cent mille francs
d’argent. Ge dernier article appaifa, tout ; mais
comme les cent mille francs avoient été levés fur
le peuple , du Guefclin les renvoya : « Reportez