voulurent le toucher, il tomba en pouflière, de
même qu’une verte de toile; il n’y eut qu’un habit
de foie qui fe conferva. Le Guide , témoin de
ce t évènement, en inféra que la foie tft moins
fujette que la toile à la corruption > & ré foin t à
l'avenir de pe'ndre fes tableaux ftr une efpèce de
taffetas, qu’ il fit préparer exprès. Le Guidé eft
peut-être le feul peintre qui fe foit avifé d’un pareil
expédient.
Les dettes qu’ il avoit contrariées, & quelques
fujets de méconrentement qu’il eut des officiers
de fa fainteté , l’obligèrent à for-tir de Rome, &
à fe retirer à Bologne. Le pape, fâche de perdre
un artifte qu'il eftimoit, avec toute l’Europe, lui
dépêcha plufieurs couriers chargés inftamment de
le faire revenir, par ordre exprès du fouveram
pontife. Le cardinal-lég ‘t de Bologne, alla trouver
le Guide dans fon attelier, ne pouvant le
. réfoudre à retourner à Rome, il le menaça de le
faire arrêter. Un gentilhomme, témoin de cette
conteftation , dit alors au légat : — « S il faut
» donner des chaînes au Guide , elles doivent
» être d’ or ».
Enfin , le Guide fe rendit aux vives follicûa-
tions des perfonnes du premier rang. Lorfqu’on
le fut auprès de Rome, la plupart des cardinaux
envoyèrent au-devant de lu i ,
fuivanc l'ufage obfervé aux entrées des ambaffa,
deurs.
Le pape, charmé de le voir, lui donna un carrofife,
& lui accorda une forte penfion.
Le Guide,. contraint, pour aînfi dire, de retourner
à Rome , fe trouva dans la même pofjtion
ous’étoit vu autrefois Michel*Ange j maisfa réception
fut bien différente. Jules, tout bouillant de
colère, fit trembler Michel-Ange à l’approche de
fon trône : Paul V ouvrit les bras au Guide, &
le reçut comme un tendre père : — « Eh 1 pour-
• » quoi, lui dit il , nous abandonner dans le temps
» que nous vous avons comblé de nos faveurs ,
» & que nous vous en préparons de nouvelles.
„ Quel fujet de mécontement vous y a pu por-
» ter ? Si vous en avez éprouvé quelques - uns ?
pourquoi rous les avoir cachés ? Avons-nous
« jamais refufé "cle vous entendre ? Que le pane
» foit oublié , & que le préfent nous affine que
» vous voulez nous, fervir avec zèle & vous
„ rendre digne de.notre proteélion ». Un difcours
fi touchant dans labouche d’un maître offenfé,
fit ver fer au Guide des larmes de reconnoiffance.
C e célèbre artifte auroît joui de la plus grande
fortune , s’il n’avoit été dominé par la paffion du
jeu, au (fi funefte aux talens, dont elle trouble les
travaux , qu’à l’homme opirtént qui ne hafarde
que fes richeffes. Le Guide confacroit une partie
de fon temps à fa malheureufe paffion, 6c
ne travaîlloït que l’orfqu'il n’avoit plus d’argent
à perdre.
Son efprit, naturellement chagrin , s’aigrit encore
par les revers continuels qu’il éprouvoit au;
jeu. Pour fe procurer le néceffaire, il fe vit dans
la trille obligation de peindre à la journée pour des
artiftes de Rome, à tant par heure.
GUILLAUME LE C O N Q U É R A N T , fils
naturel de Robert, duc de Normandie, & d'Har-
lote, fille d’un taneur de Falaife, né dans cette
ville en 1014, mort à Rouen le 9 Septembre
10S7 , dafts la foixante-troifième année de fon
âge, !è viftgt-unième de fon règne fur l’Angleterre»
& la cinquante-quatrième fur la Normandie.
Peu de princes furent aufli favorifés de la fortune
que ce monarque , & eurent autant de droits
que lui au point de grandeur & de profpérité où
il parvint par la fupéiiorite d ame & de courage
qu’il déployâ dans toute fa conduite. Son efprit
étoit entreprenant & hardi, mais toujours guidé
par la prudence ; fon ambition exceflive , peu
fubordonnée aux loix de l’équité, encore moins
à celles de l’humanité, fut toujours fourni fe aux
règles de la raifon & de la politique. Né dans
un fiècle où les efprits étoient intraitables & peu
accoutumés à l’obéilfanCe , il eut l’art de les diriger
félon fes projets; & autant par l’effet de
fon caractère véhément que par fa profonde diffi-
mulation, il réuffit à fe procurer une autorité fans
bornes. Quoiqu'il ne fût pas incapable de fféné-
rofité, il n’étoit guères fufceptible de compaffion,
& fembloit médis autant d’ ollentation à faire
éclater fa févérfté que fa clémence. Les maximes
de fon adminiftration étoient auftères; elles au-
roient pu être utiles dans un gouvernement affermi,
fi elles euffent été appliquées, feulement au
maintien du bon. ordre. Mais elles etoient mal
entendues pour adoucir les rigueurs, qui, fous
la domination la plus fage, fo.it toujours les fuites
de la conquête d’un état. Celle de 1 Angleterre
eft la dernière de cette efpèce, qui ait parfaitement
réuffi en Europe, pendant le cours de fept
ans. Le génie vafte de Guillaume ofa franchir les
! limites , que les inftitutions féodales , alors le
chef-d’oeuvre de la politique des princes, avoient
d’abord fixées dans les divers états de la chrétienté.
Quoiqu’ il fe fût rendu odieux à fes fujets
anglois, il tranfmit fa puifTance à fa portente, &
le trône eft encore rempli par fes defeendans.
Rien ne prouve mieux que les fondemens qu il
en avoit jettes étoient fermes & folides, & que
tandis qu'il paroiffoit ne fuivre que fa paffion dans
dans tous fes a des de violence, il portoit fes vues
fur l’ avenir. (Hifioirxde la maifonde Plantagenet,
par M. Hume ).
Après la mort de Robert , Guillaume t fon fils
unique, que les états avoient déclaré hérftier^du
Suché, lui fuccéda. Guillaume, âgé pour lors de
neuf ans, fe maintint, avec le fecours de Henri I ,
roi de France, contre ceux qui ofèreht lui djfpu-
ter fon domaine. Il régnoit paifiblementy lorfque
Edouard le Confejfeur, roi d’Angleterre, vint à
mourir fans enfans.
En 106 y , l’ambitieux Guillaume afpira à fon
trône. Il prétendoiç que dans un voyage qu'il fie
autrefois dans cette île , le feu roi avoit diélé en !
fa faveur un teftament que perfonne ne vit !
jamais. Mais il avoit une forte armée pour appuyer
un fi foible droit. Il débarqua en Angleterre
au commencement de l’année 1066, avec ;
une armée de foixante mille hommes, chôifis
parmi une foule de braves guerriers accourus
de toutes parts , pour partager avec lui les
fruits de fa conquête. Au moment où le duc
mettoit le pied fur le rivage, il fit un faux pas
& tomba ; mais il eut la préfence d’efprit d’interpréter
l ’augure à fon avantage , en s’écriant
qu’il prenoit pofTefïion du pays. Un foldat courut
aufîi-tôt à une cabane voifine, & arracha un peu
de chaume, qu il préfenia à fon général ».comme
pour l’tnfaifiner.
Lorfque toutes les troupes furent débarquées,
Guillaume fit brûler fès vaiffeaux, & dit à fon
armée, 'en lui montrant l'Angleterre : Voila votre
'patrie.
„ L e s anglois avoient déféré la couronne à
Harold, grand feigneur du pays, qui tint tête à
Guillaume. Mais la bataille d’Haftings décida du
fort des deux conciirrens. On avoit repréfenté à
Harold qu’il agiroit plus fagement, en tirant la
guerre en longueur, que de rifquer une aélion
décifive ; on lui fit obferver que la fituation défef-
pereedu duc de Normandie èxigeoit de ce prince
SÏM ij.Aen vint a ta ptas prompte décifion , & qu’il
confiât toute fa fortune au fort d’une bataille ;
mais que le roi d Angleterre dans fon propre pays,
aime de fes fujets , pourvu de tous les fecours
néce(Taires , avoit un moyen plus infaillible &
moins dangereux de s’affurer la viétoire ; que le
défaut de provifions, la difficulté des chemins,
de frequentes efcarmouches amortiroient cette
première ardeur, qui rendoit les normands fi terribles
j que fi enfin on différoit une aétion générale,
les anglois frappés du danger imminent auquel
ils verroient leurs poffdfions & leur liberté exportées
, accourroient de toutes parts au fecours de
leur monarque, & rendroit fon armée invincible.
Mais Harold enorgueilli de quelques profpéiités
paiiees, & aiguillonne par fon courage naturel,
voulut rifquer tout, & perdit tout. II fut tué au
milieu de la bataille avec fes deux frères. Guillaume
eut trois chevaux tués fous lu i, & remporta
une viétoire décifive. La principale noblelïe
d Angleterre vint offrir la couronne au vainqueur.
Quoique ce fut là l'objet de la grande entreprife
Lticyclopediatujff
, de Guillaume, ce prince néanmoins parut délibérer
fur'cette offre. Il défiroit, pour conferver
d’abord l’apparence d’une éleélion, d’obtenir un
; confentement plus exprès & plus formel de fa
| propre armée & de la nation angloife; mais un
; de fes officiers lui ayant, avec raifon, repréfenté
le danger du moindre délai dans une conjoncture
fi délicate, il accepta la couronne qui lui étoit
offerte, & fit faire à Londres la cérémonie de fon
i couronnement.
Paifible pofTeffeur du trône , il établit en Angleterre
cette exécution exaéte de la juftice qui avoit
obtenu tant d’éloges à fon adminiftration en
Normandie. Il chercha à cimenter l’ union des
normands & des anglois par des alliances & des
mariages réciproques. Il témoigna des égards &
même de l’amitié à tous ceux de fes nouveaux fujets
qui approchoient dé fa perfonne. Suivi de toute
fa cour, il.vifitoit les provinces de l’Angleterre;
mais' au milieu de ces démonftrations de confiance
& d’affeélion dont Guillaume flattoit les
anglois , il avoit foin de placer le pouvoir entre les
mains de fes normands j il donna aux anglois
non-feulement d’autres loix, mais une autre langue.
Il voulut qu'on plaidât en normand j 8c depuis lui
tous les aétes furent expédiés en cette langue
jufqu’à Edouard III. Il défarma la ville de Londres
& les autres villes qui lui parurent les plus
belliqueufes ; il donna les confifcations faites für
les anglois à les meilleurs capitaines; & ft’oublianc
jamais qu’il ne devoit qu’à fes armes fon avène-
' ment au trône, il s’appliqua plutôt à gouverner
; avec l’épée qu’avec le feeptre ; mais on a cité
; mal-a-propos comme un exemple de fa tyrannie
le loi du couvre-feu, par laquelle il falloît, au foa
i delà cloche, éteindre le feu dans chaque ma ifon
à huit heures du foir. Cette lo i, bien loin d’être
tyrannique, n etoit qu’un ancien réglement de
police établi dans toutes les villes du nord, & qui
a été long-temps en ufage dans les monaftères.
Les maifons étoient bâties en bois & couvertes
de chaume ; & la crainte du feu étoit un objet
des plus importans de la police générale.
Guillaume avoit Iaiffé à fon fils aîné Robert le
gouvernement de Normandie ; mais ce prince s’y
conduifit avec tant de violence, que les principaux
feigneurs du pays paffèrent en Angleterre, pour
en faire des plaintes au roi fon père, & le piier
de revenir lui-même rétablir la juftice & le bon
ordre dans la province. Guillaume repaffa la mer
8c fon fils marcha contre lui. Ce jeune prince
réduit à fe retirer dans le château de Gerberoi
en Beauvoifis, y fut affiégé vigoureufemeot par
fon père, contre lequel il fit une brave défenfe.
Il y eut fous les murailles de cette place, plu-
fieuis rencontres qui refrembloient plutôt à des
combats de chevalerie, qu’à des a&ions entre des
arwces j mais il y en m une fur - tout rémar-
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